Histoire du protestantisme parisien et de l'Oratoire

1803 : Ronde de pasteurs

En 1803, après l’instauration du régime concordataire, le Premier consul Napoléon Bonaparte choisit avec soin les pasteurs de l’Église consistoriale réformée de Paris. Il en nomme trois, tels les rois mages selon la tradition.

Paul-Henri Marron, tableau dans la première chapelle.

Paul-Henri Marron (1754-1832) vient du nord, avec la mémoire des huguenots immigrés dans la « grande arche » du Refuge, les Provinces-Unies. Il a étudié la théologie à Leyde et porte l’encens liturgique de ses vingt années de ministère pastoral déjà exercé à Paris, dans la chapelle de l’ambassade de Hollande puis, depuis la Révolution, à l’église Saint-Louis du Louvre.

Jacques-Antoine Rabaut-Pommier (1744-1820) vient du sud, il apporte la myrrhe et les herbes de Provence, avec la mémoire des martyrs du Désert cévenol. Il est diplômé du séminaire français exilé à Lausanne. Son père a défendu la liberté de conscience des protestants sous l’Ancien Régime. En 1792, son frère, le député Rabaut-Saint-Étienne, est peint par David au premier plan du Serment du jeu de paume, donnant au chartreux Dom Gerle et à l’abbé Grégoire un accolade de réconciliation œcuménique.

Frédéric Mestrezat (1760-1807), vient de l’est, il porte l’or et la mémoire de la Suisse. Diplômé de l’académie de Genève, il milite pour que les jeunes intéressés par le métier de pasteur aillent y étudier sérieusement la théologie. Sa famille est établit dans la cité de Calvin depuis la Réforme. Un arrière-grand-oncle, Jean Mestrezat (1591-1657), a exercé son ministère au temple de Charenton au temps où une congrégation catholique construisait l’Oratoire du Louvre ; une autre branche fonde une maison de négoce à Bordeaux.


Vitrail de la Légion d'honneur, derrière l'orgue.

Ces trois premiers pasteurs ont laissé leur empreinte dans notre temple. En 1804, cinq mois avant de les inviter à son sacre, Napoléon leur remet la Légion d’honneur. Dix ans plus tard, cette décoration est inscrite dans le vitrail de la façade, visible depuis la rue Saint-Honoré, pour symboliser l’intégration de notre minorité religieuse dans la nation. En entrant, on aperçoit dans la première chapelle de gauche le tableau représentant Marron. Au chevet, dans la grande sacristie ou « salle du consistoire », les bustes de Marron et Rabaut-Pommier se font face, aux extrémités de l’ellipse. Tous deux ont leur nom inscrit sur le tympan nord, au-dessus de la porte principale ouvrant sur la nef.

Liste des pasteurs incomplète, et bustes de Jean Monod et Athanase Coquerel.

Seul Mestrezat est oublié. On identifie son homonyme du XVIIe siècle sur le tympan ouest, mais rien sur le tympan nord — est-ce parce qu’il est mort avant le déménagement de notre paroisse de Saint-Louis à l’Oratoire, en 1811 ? De fait, la liste est incomplète : notre paroisse existe officiellement depuis la Révolution, avec l'installation à Saint-Louis du Louvre en 1791, alors que les noms vont de 1811 à 1868 puis de 1882 à 1978. Le buste de Mestrezat a quant à lui disparu, alors qu’il était dans cette salle selon ses biographes Frédéric Le Fort et Alexandre Guillot en 1895. Une copie en plâtre est conservée à la Bibliothèque de Genève, le représentant comme ses confrères avec la médaille épinglée au costume.


Tombeau de Mestrezat, dessin de sa cousine Mme Halsen, après 1808.

Fin 2023, j’ai réalisé sur notre site Internet une cartographie dynamique des tombes des protestants du cimetière du Père-Lachaise, recensant quarante sépultures, avec leurs inscriptions, noms, dates et versets bibliques. Douze pasteurs y sont enterrés, à commencer par Frédéric Mestrezat. Or, en 1838, l’architecte Féré indique à propos des bustes : « J'ai composé leur console de manière qu'elles aient sur la face un cartouche portant le passage biblique que j'ai fait graver sur les tombeaux des pasteurs, dont le nom serait peint sur la plinthe supérieure ». Les versets concordent seulement pour Paul-Henri Marron, Jacques-Antoine Rabaut-Pommier et Jean Monod (1765-1836).

Carte des bustes et statues de l'Oratoire du Louvre.

Mais une révélation — une épiphanie ! : l'inscription à demi-effacée de la tombe de Frédéric Mestrezat au Père-Lachaise « Il se repose de ses travaux et ses œuvres le suivent. Apocalypse XIV, 13 », est celle peinte sur le cartouche du buste d’Athanase Coquerel (1796-1868) à l’Oratoire. Ce buste date de 1867 et est trop large pour la console. Coquerel aurait-t-il pris la place de Mestrezat ? Cette première disposition fait sens, avec symétriquement, de part et d’autre de la porte principale ouvrant sur la nef, Mestrezat à droite et son successeur et compatriote Jean Monod à gauche.

Dans cette ronde de mages qui gravitent autour du lustre de la grande sacristie, il y aurait donc eu une étoile filante.

Gustave Braastad, 7 janvier 2024

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