1911 : La Clairière
La Clairière est fille de l’École du jeudi et des œuvres sociales. Son origine : une école du jeudi qui ouvre, au début de 1908, au 8 boulevard Bonne Nouvelle, un poste avancé de la Mission Mac All dont l’Oratoire a hérité. Un quartier populaire et souvent mal famé. Wilfred Monod qui vient d’arriver à l’Oratoire connaît par ses postes antérieurs, notamment à Rouen, la misère du monde ouvrier. Dès 1909, il transforme la petite école du jeudi en patronage dont il assure la direction religieuse. Il est aidé et soutenu dans sa tâche par Mme Guy, qui va, jusqu’en 1924, se consacrer totalement à cette œuvre.
En 1910, se sentant trop à l’étroit, le patronage déménage au 60 rue Greneta et prend le nom qui lui est resté et qui "symbolise notre œuvre de lumière et d’espérance". Wilfred Monod exprime ainsi le but qu’il lui assigne : "Notre rôle est de fournir aux familles du quartier un appui moral, un foyer spirituel et des facilités aux indigents, par des enquêtes et des démarches personnelles, l’obtention des secours auxquels ils ont droit.." Un siècle plus tard dans des conditions sociales et des moyens d’action très différents, les buts n’ont guère changé. Le 12 novembre 1911, le pasteur expose à ses paroissiens ce qu’il veut faire: "L’Eglise de l’Oratoire, décidée à propager l’Evangile autour d’elle, inaugure au cœur même de Paris, dans le quartier des Halles et de la Banque, un immeuble intitulé La Clairière." Sa prédication prend un caractère prophétique, mais pour ne pas choquer certains de ses fidèles, il ne se recommande pas de ce qui le guide, le christianisme social. Rendre vivant l’Evangile. Unir profondément les murs gris de l’Oratoire et le gai local. Créer des liens entre des paroissiens favorisés et les malheureux de ce quartier misérable. Pour cela, il imagine le geste qui consiste, chaque fois que la Cène est célébrée à l’Oratoire, qu’un repas soit gratuitement offert aux déshérités de La Clairière, signe de communion entre tous les humains.
Bientôt l’école du jeudi regroupe près de 75 enfants. En avril 1912, Mme Guy est assistée de douze moniteurs et d’autant de monitrices. Des ateliers de vannerie et de brosserie occupent les garçons pendant que les filles se livrent. aux travaux d’aiguille ! A l’école de garde quotidienne, on surveille ceux qui font leurs devoirs, à partir de 16 h 30. Les livres de la bibliothèque sont très demandés. Une œuvre des loyers est créée, sorte de caisse d’épargne pour éviter les expulsions. Tous les quinze jours, le jeudi matin, un cours de cuisine apprend aux jeunes filles à préparer des repas substantiels et peu coûteux. Tous les vendredis : une consultation antialcoolique en fin de journée. L’Espoir est une association de lutte contre l’alcoolisme par l’abstinence. Des sections cadettes d’enfants abstinents sont organisées à La Clairière à partir de l’âge de 10 ans. La consultation de nourrissons, le mercredi après-midi, va attirer les mères par dizaines et exercer un travail d’acculturation. Le budget nécessaire à son fonctionnement est assuré par des dons. Le deuxième dimanche du mois, se déroule une séance récréative pour les adultes, avec goûter et allocution évangélique. Les mères de famille ont une réunion mensuelle le quatrième mardi du mois et les hommes et jeunes gens au dessus de 13 ans, le quatrième samedi de chaque mois. Au printemps de 1914, plus de 70 familles ont été visitées. On le voit, les activités de ce "Centre d’activité chrétienne, sociale et fraternelle organisé par l’Oratoire du Louvre", encadrent la population du quartier. Mme Guy note que, pendant les trois premières années, La Clairière a touché 151 familles et 352 enfants. La Fête de Noël et la Fête d’été regroupent tous les enfants. Ils ont droit à une séance de "science amusante" organisée par un cousin Monod, Arthur Good, plus connu sous le nom de Tom-Tit. Enfin dès 1913, 8 enfants de La Clairière partent en colonie de vacances. Leur nombre ne va cesser d’augmenter. En dehors d’une subvention de l’Oratoire pour le loyer, l’essentiel du budget de La Clairière est assuré par la vente annuelle dont la Feuille Rose enregistre les succès.
Pendant la guerre de 14, d’autres activités sont proposées, notamment aux femmes démunies, dont un ouvroir et des aides en nature. A la fête de Noël, il n’y a ni arbre ni jouets, mais des vêtements. Les responsables se réjouissent, en 1916, de pouvoir continuer à chauffer le local, malgré les restrictions, et même de pouvoir l’agrandir en louant un étage supplémentaire. En 1917, La Clairière peut envoyer 36 enfants à la campagne pendant trois mois. Et 38 en 1918, ainsi que trois mères avec des nourrissons, grâce aux bons résultats de la vente. Faisant, en 1921, le bilan des dix premières années de La Clairière, Wilfred Monod peut parler de "La haute, sereine et sobre poésie de l’Evangile intégral, dans le hideux quartier des Halles devenu Montagne de la Transfiguration." Pour lui, La Clairière est "la proue du vaisseau de l’Oratoire, la figure sculptée à l’avant du navire qui a quitté l’abri du port et pousse vers le large." Mais les charges trop nombreuses qu’il doit assumer, responsabilités internationales en plus de son enseignement à la Faculté de théologie, font qu’à la tête de La Clairière il est remplacé par le pasteur Fargues puis, en 1923, par son jeune suffragant, Paul Vergara qui restera attaché à cette œuvre jusqu’en 1955.
Les activités déjà nommées s’enrichissent de cours de gymnastique le jeudi matin, d’une troupe d’Eclaireurs, puis de louveteaux. La section cadette des enfants abstinents se maintient autour d’une vingtaine de jeunes. La Fête des Mères est célébrée à partir de 1923, le deuxième dimanche de mai, avec la participation des enfants en chants, musique, récitations et même pièce de théâtre. Elle se termine par un petit culte familial. La consultation gratuite des nourrissons requiert maintenant deux médecins. Dans les années 1930, il y a jusqu’à 70 bébés chaque mercredi. Ils constatent "non seulement les petites maladies de l’enfance, mais le rachitisme, les convulsions, les entérite rebelles, les retards au développement, l’insuffisance musculaire..." Une installation moderne de rayons-ultraviolets aide les traitements. Et l’œuvre embauche une infirmière visiteuse car l’état sanitaire de bien des logements est mauvais. Elle donne des consultations également au local. Cette aide médicale se fait sous forme mutualiste, les familles intéressées y adhérant, sans qu’il soit nécessaire de faire partie de La Clairière. Il est aussi proposé aux enfants, le jeudi, quand ils ne sortent pas, des films que les monitrices commentent, ou de nouveaux ateliers de cuir, de reliure, de découpage du bois. Dans les années 1930, 120 à 150 enfants viennent au patronage "dix douzaines de petits saute-ruisseaux habitués à la liberté" qu’il faut tenir pendant cinq heures ! Et près de 200 personnes assistent à la réunion du dimanche après-midi. Le vestiaire intéresse 82 familles. Des bons de lait et de charbon sont vendus à prix réduit. Une centaine de familles bénéficient de l’armoire aux médicaments gratuits et 55 personnes (enfants et adultes) partent en colonie pour un à plusieurs mois. Dans ce quartier parisien "malodorant et sans soleil", dans cette France de l’entre-deux guerres où la protection sociale tarde tant à se mettre en place, La Clairière, "remplit un ministère social parallèlement au ministère spirituel ." "C’est un centre de joie saine et d’éducation chrétienne dans la sombre forêt des taudis, des assommoirs, des hôtels louches. Il y a plus de distance entre les habitants du 2ème arrondissement et ceux du 8e ou du 16e qu’entre les habitants de Paris et ceux de Varsovie, parce que les classes s’ignorent, elles n’ont pas de lieu de rencontre et de communion." Et Vergara de souhaiter que chaque famille de La Clairière ait une famille amie à l’Oratoire. Pour amorcer un rapprochement, les troupes d’Eclaireurs fusionnent, les Eclaireuses et les Routiers de l’Oratoire visitent les familles de La Clairière, et à la fin de l’année est organisée une sortie commune dans le bois de Saint-Cloud, des enfants du patronage et des deux écoles (dimanche et jeudi) de l’Oratoire.
Paul Vergara est tellement attaché à La Clairière qu’il refuse en 1932 de succéder à John Viénot comme pasteur titulaire. L’année précédente, il a engagé une infirmière assistante sociale, Marcelle Guillemot. Elle a 24 ans. Sa forte personnalité, son engagement personnel vont profondément marquer l’œuvre. Embaucher une assistante sociale signifie que La Clairière passe "de la charité à un véritable service d’assistance " notamment pour les démarches administratives. Marcelle Guillemot s’y est consacrée par un dévouement total. Pour avoir la reconnaissance officielle des autorités civiles, des statuts sont adoptés en 1935, mais ils vont rester lettre morte jusque dans les années 1950. Le témoignage chrétien (mais non le prosélytisme), s’il n’est pas expressément indiqué, demeure la marque de l’œuvre.
Dans les années 1930, La Clairière doit faire face à bien des difficultés, financières (son premier déficit, dû à la crise), sociales (la montée du chômage et de la misère), et nouvelles (l’arrivée de populations immigrées différentes des habitants de l’arrondissement). En effet viennent s’installer dans ce quartier aux appartements sordides mais pas trop chers, des vagues d’étrangers, juifs allemands ou d’Europe centrale, républicains espagnols et autres nationalités. Ces réfugiés souvent fort instruits, de religions différentes, ne parlant guère le français, il faut les accueillir et les aider. Ainsi, dès la fin des années 1930, La Clairière commence à être confrontée à des problèmes humains qui prendront une allure dramatique pendant la guerre.
Notes :
Catherine GOGUEL, Jacques POUJOL, La Clairière, 90 ans d’action sociale au cœur de Paris.
La Feuille Rose est l’autre source de documentation. Le N° d’octobre-novembre 1911 est consacré en grande partie à la naissance de La Clairière. Celui de décembre 1911 à mars 1912, à ses activités.