Réception des reines des Pays-Bas
Les souverains de la Maison d'Orange-Nassau, maison régnante des Pays-Bas, descendent de Gaspard de Coligny. La fille de l'amiral, Louise de Coligny, avait échappé de peu au massacre de la Saint-Barthélemy mais y avait vu périr son père et son mari, Charles de Téligny. En 1583, elle avait épousé en secondes noces Guillaume d'Orange-Nassau, dit le Taciturne, gouverneur de la Hollande. Ils avaient eu un fils, Frédéric-Henri (1584-1647), stadhouder des Provinces-Unies et ancêtre de la monarchie actuelle.
La reine Wilhelmine, en 1912, et la reine Juliana, en 1950 et 1972, firent des visites officielles à l'Oratoire lors de leurs voyages d’État à Paris, pour se recueillir devant la statue de Coligny qui se trouve au chevet de notre temple rue de Rivoli. L'Église réformée (calviniste) est encore aujourd'hui l’Église de la majorité des Néerlandais.
1912 : Visite de la reine Wilhelmine
Le 2 juin 1912 à 15h20, la reine Wilhelmine, accompagnée du prince royal Henri, est accueillie à l'Oratoire par le pasteur Benjamin Couve, président de l'Union consistoriale de Paris. Il déclare : « Du haut de son monument, l'Amiral de Coligny, dont on peut dire ce qu'on a dit de sa fille Louise, qu'il était réfractaire à tous les fanatismes, nous enseigne l'apaisement des discordes civiles qu'il avait en horreur, le respect de la liberté des consciences, l'attachement persévérant à cette foi qui fut la sienne comme celle de la Maison d'Orange, et qui demeure un lien indissoluble entre les Églises des Pays-Bas, si hospitalières à nos pères, et la France protestante du XVIe et du XXe siècle. »
Le pasteur Jules-Emile Roberty évoque la terre de refuge des huguenots, ainsi que le « providentiel asile que trouvèrent jadis les protestants parisiens en la chapelle de l'ambassade de Hollande ». Il présente au couple royal le tableau et le buste de Paul-Henri Marron, pasteur avant la Révolution à l'ambassade de Hollande puis de l’Église réformée de Paris, et les inscriptions de la grande sacristie relatives à cette ambassade. Sont exposés les patènes et calices en argent qui servent à la Cène, donnés à l’Église par M. de Schimmelpenninck, « ambassadeur de la République Batave, Paris ». Il rappelle le service commémoratif de la mort du père de la reine, Guillaume III, célébré à l'Oratoire après sa mort en 1890.
Sont présents également les pasteurs Wilfred Monod, John Viénot, Dinéy, Pfender et Élisée Lacheret, ancien pasteur de l'Oratoire et chapelain français de la reine de 1912 à sa mort en 1920. Les pasteurs sont nommés commandeur, officiers et chevalier de l'ordre de la maison d'Orange. Le pasteur baptiste Ruben Saillens, auteur de La Cévenole, compose un poème circonstancié dont voici un extrait :
Reine, les Huguenots, vos pères et les nôtres,
Dans ce même Paris qui vous fête aujourd'hui,
Vécurent par le Christ et moururent pour Lui,
Fidèles à la Foi qu'ils tenaient des Apôtres...
La reine déclare : « Quelle pensée édifiante de nous savoir, tous ici présents, unis dans la foi vivant en Christ. C'est elle qui nous donne le droit de nous nommer les enfants spirituels des ancêtres pour lesquels nous éprouvons une si profonde vénération, et qui forme les liens bien fermes qui m'attachent dans ce pays à nos frères et sœurs dans la foi. En nous réunissant autour de cette statue, nous élevons nos cœurs à Dieu et cherchons avant tout sa gloire. Je souhaite sincèrement que toute âme qui croit en Christ comme en son sauveur soit fortifié dans cette foi et que nous devenions tous de plus en plus les témoins ardents du Seigneur. » puis elle dépose une couronne de lauriers naturels, nouée de rubans oranges timbrées de son chiffre (W) et les devises de l'Amiral et du Taciturne : « Je les espreuve tous » et « Je maintiendrai » en disant : « Gaspard de Coligny, amiral de France, grand champion de la sainte cause de Dieu, aïeul de la maison d'Orange-Nassau, je dépose au pied de ta statue mes humbles hommages. »
Dans son toast au banquet de l’Élysée, et redit sa fierté s'avoir du sang français dans les veines.
À la suite de cette journée, l'extrême-droite publie les pires calomnies sur le monument Coligny. Le polémiste Charles Maurras surnomme Coligny le « capitulard de Saint-Quentin » dans l'Action française ; « Les mauvais Français, qui ont suggéré la visite de l'Oratoire, ont la tradition de trahir. Leur religion du juif Dreyfus a très dignement prolongé leur culte du huguenot Coligny. » Les protestants se défendent dans Le Journal de Genève, L'Autorité et Foi et Vie. Ils remarquent que ces injures atteignent entre autres le Comte de Paris, prétendant au trône capétien, qui fut le premier souscripteur au monument envoyant 1000 francs et ses éloges, le 8 juin 1883. Le résistant de Saint-Quentin est comparé à « l'héroïque défense de Belfort par le protestant français Denfert-Rocherreau. »
- Charles Dauzats, "La reine Wilhelmine à Paris", Le Figaro, 3 juin 1912, pp. 1-2 (lire en ligne)
- Nathanaël Weiss, “Devant Le Monument de Coligny le 2 juin 1912.” Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 1912, pp. 281–85 (lire en ligne)
- Charles Maurras, "Au Monument de Coligny", L'Action française, 2 juin 1912, p. 1 (lire en ligne)
- Alain Gouzien, "Un Traître", La Croisade française, 15 juin 1912, pp. 2-3, (lire en ligne)
- Georges Delpuech, "La reine de Hollande à Paris", Le protestant béarnais, 15 juin 1912, pp. 1-3 (lire en ligne)
- Paul Doumergue, "Devant la statue de Coligny", Foi et vie, 16 juin 1912, pp. 346-348 (lire en ligne)
- Nathanaël Weiss, "L'Action française et le Monument de Coligny", Foi et vie, 16 juin 1912, pp. 357-360 (lire en ligne)
- Christiane Guttinger, "La reine des Pays-Bas à l’Oratoire le 2 juin 1912", La Feuille rose, T.3, juin 2012, pp. 32-33 (lire sur notre site)
1950 : Première visite de la reine Juliana
Pour leur premier voyage à l'étranger, la reine des Pays-Bas et le prince Bernhardt, se rendent en France et affirment leur volonté d'inscrire leur pays dans la construction européenne. Au lendemain de leur visite à l'Élysée, ils se recueillent devant le tombeau du soldat inconnu sous l'arc de Triomphe de l’Étoile, puis devant la statue de l'amiral de Coligny, à l'Oratoire du Louvre.
Ils y sont accueillis par le pasteur Paul Vergara et par Marc Boegner, président de la Fédération protestante de France (FPF) et de l’Église réformée de France. Ce dernier lui rappelle la séance du Conseil œcuménique d'Amsterdam dont il avait été l'un des présidents et à laquelle elle avait assisté en personne. Dans la grande sacristie fleurie de gerbe d'hortensias cravatées d'orange, elle signe le livre d'or. Le pasteur Vergara remet à la reine une gravure du seizième siècle représentant l'amiral de Coligny et ses frères.
La reine fleurit ensuite la statue de Coligny, puis lui est présenté une délégation de la ville d'Orange conduite par Édouard Daladier, alors député du Vaucluse. Sont également présents les pasteurs Gustave Vidal et Élie Lauriol, Robert Pont, Daniel Monod, et Paul Gounelle, chapelain français de la reine.
Le Chœur de l'Oratoire entonne le Psaume 138, et les éclaireurs unionistes lui font une haie d'honneur. Les honneurs militaires sont rendus à la souveraine par un détachement de spahis algériens.
- "La reine Juliana a passé l'après-midi au château de Versailles", Le Monde, 25 mai 1950 (lire en ligne)
- "L'affectueuse ovation du peuple parisien a suivi le couple royal", Le Figaro, 25 mai 1950 p. 1 et 10 (lire en ligne)
- "La Reine Juliana à Paris", Journal Les Actualités Françaises, 1 juin 1950, vidéo INA de 01:57 (voir en ligne)
- “Visite de S. M. Juliana, Reine Des Pays-Bas à l’Oratoire, Le 24 Mai 1950.” Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 1950 (lire en ligne)
1972 : Seconde visite de la reine Juliana
Le mardi 20 juin 1972, la reine rend de nouveau hommage au Soldat inconnu. Elle est ensuite reçu à l'Hôtel de ville par Nicole de Hauteclocque, présidente du conseil municipal de Paris (et nièce du maréchal Leclerc). L'après-midi, elle dépose une gerbe devant la statue de Coligny avant de dîner au Quai d'Orsay.
Elle est accueilli à l'Oratoire du Louvre par Jean Courvoisier, président de la Fédération protestante de France, et par les pasteurs Jacques Maury, président du Conseil national de l’Église réformée de France, et Christian Mazel, René Château et André Pierredon. Sont également présent les pasteurs Pierre Bourguet, René Blanc et Maurice Costil, le président de la Société de l'histoire du protestantisme français (SHPF) Jacques Allier, l'évêque auxiliaire de Paris Mgr Pézeril, et le Père Rogues, curé de Saint-Germain-des-Prés.
La reine est accompagnée par une délégation néerlandaise, et Jacques Chirac, alors ministre. Elle signe le Livre d'Or de l’Église et reçoit une du président de la SHPF une médaille de l'Administration des monnaies représentant le portrait l'Amiral de Coligny et les mots qu'il prononça deux jours avant sa mort tragique, alors qu'il venait d'être gravement blessé d'un coup d'arquebuse : « La mort m'est un chemin assuré pour parvenir à la vie. » Le psaume 138 et le psaume 47 sont joués à l'orgue.
Après l'allocution du président de la FPF, le pasteur Christian Mazel déclare « L'Amiral Gaspard de Coligny garde constamment notre Église, par la présence de sa statue, le représentant debout comme une figure de proue, la main sur le cœur, adossé au chevet de notre Temple, les regards fixés en avant, sur Celui qui est invisible. Sa devise "Je les éprouve tous" est une invitation permanente à tous les hommes qui passent à manifester constamment leur foi. De la part du Seigneur de toutes destinées, ce veilleur interpelle chacun de nous aujourd'hui sur les preuves qu'il donne dans sa vie. Et nous nous souvenons du souci de ce grand homme d’État, qui dans son testament spirituel a laissé ce témoignage : « J'oublierai bien volontiers toutes choses qui ne touchent que mon particulier, pourvu qu'en ce qui touche la Gloire de Dieu et le repos public, il y puisse avoir sûreté. »
La Reine et sa suite se rendent ensuite dans la grande sacristie ; elle s'y entretient quelques instants avec Jean Courvoisier et les personnalités présentes ; puis, par un couloir orné d'hortensias, le cortège se dirige vers le monument de Coligny, auprès duquel flottent les trois couleurs du drapeau néerlandais et du drapeau français. Là, la reine Juliana dépose devant la statue de son ancêtre une couronne de roses blanche sous le regard de la foule assemblée derrière les grilles.
- Pierre Grosclaude, “La réception de la reine Juliana au temple de l’Oratoire Du Louvre”, Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, vol. 118, 1972, pp. 522–27 (lire en ligne)
1972 : Semaine Coligny
Le lundi 23 octobre 1972 à 11h30, à l'occasion des 400 ans du massacre de la Saint-Barthélemy, la première partie de la rue du Louvre, qui sépare la façade de la colonnade de Perrault d'une part et la mairie du 1e arrondissement et l'église Saint-Germain-l'Auxerrois d'autre part, est renommée rue de l'amiral de Coligny. La nouvelle plaque est inaugurée par Nicole de Hauteclocque, le pasteur Jacques Allier, président de la SHPF, et de l'ambassadeur des Pays-Bas Jonkheer de Ranitz. Cent cinquante personnalités assistent à la cérémonie, installés dans une tribune place du Louvre.
Le soir, une cérémonie est organisée à l'Oratoire, introduite par Jacques Allier. Le pasteur Bourguet donne une conférence, entrecoupée par la lecture de textes d'Agrippa d'Aubigné et de Gaspard de Coligny par André Chanu. L'orgue et le Chœur de l'Oratoire se produisent. Le pasteur Mazel lit une lettre envoyée par l’Église de Genève. Cette conférence inaugure la "Semaine Coligny", un colloque international à la bibliothèque de la SHPF. Un concert autour de la musique huguenote du XVIe siècle et des psaumes de Claude Goudimel est organisé le vendredi 27 octobre au temple. Une grande exposition nationale est présentée aux Archives nationales et à Chantilly.
- Frank Delteil, “Chronique”, Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 1972, pp. 557–72 (lire en ligne)
- “Lundi 23 octobre 1972, à 11 h 30 : Inauguration de La Rue de l’Amiral de Coligny.”, Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 1972, pp. 590–96. (lire en ligne)
- "La souveraine et le président de la République ont rappelé les divergences de leurs gouvernements", Le Monde, 21 juin 1972 (lire en ligne)
Gustave Braastad, 7 juin 2024