1517 : Luther
Pourquoi la Réforme ?
Au début du XVIe siècle le monde se trouve en totale transformation. Politiquement, les débris de l’empire de Charlemagne, remodelés par Charles-Quint, François I" et Henri VIII prennent peu à peu le visage de l’Europe moderne. Socialement, la bourgeoisie jette dans les cités les fondements de son futur triomphe. Dans le domaine de la science, les inventions (imprimerie) et les grandes découvertes (Amérique) bouleversent l’horizon de l’homme dont l’art, la littérature et la philosophie exaltent le génie créateur et le pouvoir absolu; la traditionnelle référence à Dieu est bousculée. Nous sommes en pleine « Renaissance ».
Mais ces feux d’artifice, qui ne touchent d’ailleurs qu’indirectement et de loin le petit peuple, n’arrivent pas à étouffer au coeur de l’homme la lancinante question : Comment serai-je sauvé? Car les épidémies, les guerres, les « danses macabres », les difficultés de la vie imposent à l’homme une véritable hantise de la mort et posent sans cesse le problème du salut.
Or I’Église de l’époque se montre incapable d’apporter à cette question une réponse valable. Elle enseigne, certes, que Jésus est mort pour payer le prix du péché des hommes. Mais noyée dans le fatras des légendes de saints et des dévotions étrangères à l’Évangile, cette doctrine n’atteint plus l’oreille des fidèles; le Christ apparaît davantage comme un juge lointain et sévère que comme le Sauveur miséricordieux des hommes.
D’ailleurs, les scandales de I’Église (luxe, corruption et ambitions temporelles de la papauté et de la hiérarchie, manque de formation du bas-clergé) discréditent cette Église; beaucoup d’humanistes, habitués à retourner aux sources, demandent une réforme profonde de la religion en conformité avec l’enseignement biblique.
Martin Luther
Né en 1483, dans une famille de paysans saxons, il est l’homme choisi par Dieu pour être le guide spirituel de cette époque troublée, en proclamant bien haut I’Évangile du salut gratuit accordé par Dieu à ceux qui croient en Jésus-Christ.
Cette réalité du salut par grâce, Luther l’expérimente d’abord dans sa propre vie. Étudiant en droit, il manque d’être foudroyé lors d’un voyage et il voit dans cet incident un signe de Dieu qui l’appelle à lui consacrer sa vie. Entré en 1505 au couvent des Augustins, à Erfurt, il se donne passionnément à sa vie monacale : « Si jamais un moine est parvenu au ciel par sa moinerie, j’y serais bien arrivé aussi », écrira-t-il.
Mais quoi qu’il fasse, il se rend compte douloureusement qu’il ne sera jamais assez juste pour mériter le pardon de Dieu. L’étude de la Bible, dans la connaissance de laquelle ses fonctions de professeur en théologie le font progresser, lui révèle enfin (sans doute pendant l’hiver 1512-1513) la vérité : nul homme ne peut, par ses propres efforts, devenir un « juste », c’est-à-dire un homme comme Dieu le veut. Mais dans son amour, Dieu nous donne sa justice acquise par son Fils mort sur la croix. Le salut n’est en rien notre œuvre; il est un don gratuit que Dieu fait à ceux qui se repentent et qui croient.
L’affaire des indulgences contraint Luther à proclamer sa découverte. En 1515 le dominicain Tetzel commence à parcourir l’Allemagne en vendant des indulgences. Cette vente, et plus encore la fausse doctrine qui prétend la justifier, épouvantent le pasteur que Luther demeurera jusqu’à la fin de sa vie.
C’est ainsi que le 31 octobre 1517 Luther affiche à la porte de l’église du château de Wittenberg quatre-vingt-quinze thèses dénonçant le danger des indulgences. Ce manifeste, pourtant destiné à une simple discussion théologique, se répand partout comme une traînée de feu.
Ayant renoncé à toute timidité, soutenu par la certitude qu’il a puisée dans la Parole die Dieu, Martin Luther est, suivant sa propre expression, littéralement « emporté et chassé en avant » par son Dieu.
Luther excommunié et banni
Confronté successivement à Augsbourg avec le légat pontifical Cajetan, et à Leipzig, avec le théologien Eck, Luther se trouve placé en face de l’exigence brutale de la rétractation formulée par Rome qui n’admet aucune discussion. Il n’y consent pas et, en 1520, le pape Léon X lance contre lui une bulle d’excommunication que le réformateur brûle publiquement, en même temps que le code de droit canon, sous les murs de Wittenberg.
La rupture est désormais consommée et Luther est déjà chassé de l’Église romaine quand l’empereur Charles-Quint le cite devant la diète d’empire réunie à Worms (1521). Là devant les princes et des seigneurs réunis, Luther confesse l’autorité suprême de la Parole de Dieu, seule règle de foi et de vie pour le chrétien évangélique : « Si l’on ne me convainc pas par le témoignage de l’Écriture ou par des raisons décisives, je ne puis me rétracter. Car je ne crois ni à l’infaillibilité du pape, ni à celle des conciles, car il est manifeste qu’ils se sont souvent trompés et contredits. J’ai été vaincu par les arguments bibliques que j’ai cités, dit-il, et ma conscience est liée à la Parole de Dieu. Je ne puis et ne veux rien révoquer, car il est dangereux et il n’est pas juste d’agir contre sa propre conscience. Que Dieu me soit en aide. Amen. »
On demande alors à nouveau à Luther s’il doute vraiment de l’infaillibilité du concile. La réponse est nette : selon Luther le concile de Constance s’est prononcé contre des paroles absolument claires de l’Écriture. Et Luther d’ajouter : « Je ne puis autrement, me voici. » Alors l’official qui a dirigé les débats lance une dernière exhortation qui éclaire bien le sens du conflit : « Abandonne ta conscience, frère Martin; la seule chose qui soit sans danger est de se soumettre à l’autorité établie. » Luther sort de la salle. « J’ai traversé la fournaise », dit il à ses amis.
Mis hors la loi (ce qu’il demeura pendant le reste de ses jours) le réformateur échappe à la mort grâce à la protection de son seigneur temporel, le prince de Saxe, Frédéric le Sage, qui le fait enlever et cacher au château de la Wartburg, près d’Eisenach.
Luther demeure dans cette retraite forcée jusqu’au 1er mars 1522, essentiellement occupé à traduire la Bible pour la rendre accessible au peuple. La traduction luthérienne de la Bible est non seulement le premier chef-d’oeuvre de la littérature allemande moderne, mais encore un instrument d’évangélisation qui a joué un grand rôle dans la diffusion de la Réforme.
La réforme luthérienne s’étend comme une traînée de poudre à travers l’Allemagne. Elle atteint bientôt la Scandinavie et éveille en France et en Suisse un écho prodigieux.
À côté de Wittenberg un second foyer réformateur apparaît à Zurich, lié à la personne de Zwingli.
La Réforme se consolide
Puisque l’Église, au sein de laquelle il a été formé et à laquelle il veut faire part de sa joyeuse découverte du salut gratuit, le rejette, Luther se consacre à l’organisation de la Reforme.
Il fixe les éléments essentiels du culte évangélique dans un traité publié sous le titre : « La Messe allemande ».
En présence de l’ignorance du peuple chrétien ainsi que des prêtres passés à la Réforme, à l’égard des points essentiels de la doctrine chrétienne, il publie le « Grand catéchisme » et le « Petit catéchisme ».
Il proclame le sacerdoce universel des croyants, montre la vanité des voeux monastiques et du célibat des prêtres, développe la doctrine évangélique des sacrements.
Il compose un grand nombre de chorals exprimant la foi évangélique.
La réforme est cependant menacée non seulement par ses adversaires, le pape et l’empereur, mais aussi par certains de ses partisans aux tendances extrêmes et souvent dangereuses.
Par ailleurs le climat social est difficile. La guerre des paysans place Luther et ses amis dans une situation délicate, en face de paysans révoltés et de chefs comme Thomas Münzer qui se veulent eux aussi inspirés par la Parole de Dieu.
À la diète de Spire, en 1529, les princes évangéliques allemands « protestent » de leur foi chrétienne; c’est de là que vient le nom de « protestants » donné aux adeptes de la Réforme.
Mélanchthon est chargé de rédiger, pour la diète qui se tient à Augsbourg en 1530, en présence de Charles Quint, une Confession de foi exprimant la doctrine des "protestants".
La Confession d’Augsbourg devient la confession de foi fondamentale de l’Église luthérienne.
La reforme s’étend
L’influence de Luther dépasse largement les frontières allemandes. C’est par le moyen de l’imprimerie que ses écrits se propagent dans la plus grande partie de l’Europe; c’est aussi par le zèle de ses disciples que les idées nouvelles franchissent les frontières.
A la mort de Luther en 1546, ses disciples poursuivent l’oeuvre entreprise.
Mélanchthon, grand ami de Luther, est l’un de ses plus fidèles disciples, bien qu’il demeure aussi un grand admirateur de l’humaniste Erasme. Il ne partage pas toujours les vues radicales de Luther concernant l’homme et essaie toujours de réconcilier protestants et catholiques romains.
Le luthéranisme, à la faveur des princes, pénètre dans le nord de l’Allemagne. Lors de la paix d’Augsbourg, en 1555, qui partage l’Allemagne entre luthériens et catholiques selon le principe que les sujets doivent adopter la religion du prince, les deux tiers du pays sont luthériens.
Le luthéranisme s’implante aussi rapidement au Danemark, en Norvège, en Suède, en Finlande.
Deux textes de Martin Luther :
Quelques-unes des 95 thèses sur les indulgences de Martin Luther
- 5. Le pape ne veut, ni ne peut remettre aucune peine, excepté celles qu’il a imposées soit de sa propre volonté, soit conformément aux canons.
- 6. Le pape ne peut remettre aucune faute, si ce n’est en déclarant et en affirmant qu’elle a été remise par Dieu, ou en la remettant avec certitude dans les cas qu’il s’est réservés; si ceux-ci étaient méprisés, la faute subsisterait intégralement.
- 21. Ils errent donc, les prédicateurs des indulgences qui disent que par les indulgences du pape, l’homme est quitte de toute peine et qu’il est sauvé.
- 27. Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu’aussitôt que l’argent résonne dans leur caisse, l’âme s’envole du Purgatoire.
- 30. Nul n’est certain de la sincérité de sa contrition, encore moins peut-il l’être de l’entière rémission.
- 31. Il est aussi rare de trouver un homme qui achète une vraie indulgence qu’un homme vraiment pénitent. Cela n’arrive presque jamais.
- 36. N’importe quel chrétien, vraiment repentant, a pleine rémission de la peine et de la faute; elle lui est due même sans lettres d’indulgences.
- 62. Le véritable trésor de l’Église, c’est le très-saint Évangile de la gloire et de la grâce de Dieu.
- 63. Mais ce trésor jouit naturellement de peu d’estime; car, par lui, les premiers deviennent les derniers.
- 64. Par contre, le trésor des indulgences jouit naturellement de la plus haute estime, car, par lui, les derniers deviennent les premiers.
- 67. Les indulgences dont les prédicateurs prônent à grands cris les mérites, n’en ont qu’un, celui de rapporter de l’argent.
- 94. Il faut exhorter les chrétiens à s’appliquer à suivre leur chef Christ à travers les peines, la mort et les enfers,
- 95. Et à espérer entrer au ciel, plus par de nombreuses tribulations que par l’illusoire assurance de la paix.
Martin Luther
Préface du "petit catéchisme" de Martin Luther
Ce qui m’a pressé et contraint de présenter ce catéchisme ou doctrine chrétienne sous cette forme concise, dépouillée et simple, c’est l’état de misère lamentable que j’ai constaté récemment dans mes fonctions d’inspecteur. Dieu de miséricorde, à l’aide! De quelles misères n’ai-je été le témoin! L’homme du commun, surtout dans les villages, ignore tout de la doctrine chrétienne; un grand nombre de pasteurs, hélas! sont fort malhabiles et incapables de l’enseigner. Tous s’appellent chrétiens, sont baptisés et reçoivent le Saint Sacrement; et ils ne savent ni le Notre Père, ni la Foi, ni les Dix Commandements. Ils vivent comme du bétail insouciant et des pourceaux privés de raison. Maintenant que l’Évangile est venu, la seule chose qu’ils aient apprise parfaitement, c’est d’abuser en maîtres de toutes les libertés. O évêques, comment assumerez-vous devant le Christ la responsabilité d’avoir si honteusement abandonné le peuple et de n’avoir jamais rempli les devoirs de votre ministère?
Je vous en supplie donc, pour l’amour de Dieu, vous tous, mes chers sieurs et frères, qui êtes pasteurs et prédicateurs, prenez à cœur votre ministère; ayez pitié de ce peuple qui vous est confié; aidez-nous à faire pénétrer le catéchisme parmi les gens, surtout parmi la jeunesse. Que ceux qui ne peuvent faire mieux recourent à ces tableaux et à ces formules et les inculquent au peuple, mot à mot.
Quant à ceux qui se refusent à apprendre ces points, déclarez-leur qu’ils renient le Christ et qu’ils ne sont pas chrétiens. Ne les acceptez pas au Sacrement; ne les laissez ni présenter un enfant au baptême, ni user d’aucun des droits de la liberté chrétienne. Renvoyez-les purement et simplement au pape et à ses officialités et, en plus, au diable lui même.
Car, bien qu’on ne doive et qu’on ne puisse forcer personne à croire, il faut pourtant instruire la foule et conduire les gens de telle manière qu’ils sachent ce qui est considéré comme le bien et le mal par ceux auprès de qui ils entendent trouver logement, nourriture et subsistance.
Martin Luther.