1848 : Synode général officieux
En février 1848, la Seconde République est proclamée. Les protestants organisent en mai à l'Oratoire du Louvre une assemblée générale des Églises réformées. Les articles organiques promulgués par Napoléon Ier en Germinal 1802 avaient fixé les règles liant les Églises protestantes, réformés ou luthériennes, à l'État, dans le cadre du régime concordataire ; elles interdisaient tout synode national (= général). N'étaient reconnus que des Consistoires de 6 000 membres, avec parfois, comme à Paris, plusieurs temples et pasteurs, et était toléré des synodes particuliers. Le régime presbytéro-synodal calviniste, plus démocratique — avec des paroisses locales, des assemblées régionales et une représentation nationale — était interdit. Le vent de liberté de 1848 permet cette assemblée générale des Églises réformées. C'est un synode général officieux : il n'est pas officiel.
Initiatives précédentes
L'initiative de ce rassemblement vient des protestants libéraux du midi. Le consistoire de Dieulefit avait demandé à trois reprises, en l'an XII, en 1833 et en 1845, l'autorisation de tenir un synode particulier des cinq consistoires de la Drôme. Mais le gouvernement avait refusé. Début juin 1847 à Valence, puis à la fin du mois à Nîmes, des réunions étudient la question de l'amélioration de la loi organique. Par une lettre envoyée en novembre 1847 par le magistrat Gustave de Clausonne, secrétaire du consistoire de Nîmes, un projet est soumis au consistoire de Paris. Est proposée la création de conférences régionales, composées de deux délégués de chaque consistoire, et d'une conférence générale d'une quarantaine de membres, composé à deux délégués de chaque conférence régionale. Les deux délégués sont à chaque niveau un pasteur et un laïque. En d'autres termes, une ecclésiologie synodale. Le consistoire de Paris, réunit en séance extraordinaire le 14 décembre 1847 à l'Oratoire du Louvre, son siège, pour étudier le projet, s'inquiète de la légalité et formule des propositions d'améliorations. Mais la révolution de 1848 vient bousculer ces démarches. La fin du régime concordataire est à l'étude, avec la séparation des Églises (catholiques, réformées, luthériennes et juives) et de l'État. En mars 1848, Gustave de Clausonne propose alors un nouveau projet au consistoire de Paris, qui convoque une assemblée générale.
L'assemblée préparatoire, mai 1848
Le mode de désignation des délégués est quelque peu improvisé, ils sont élus au suffrage universel masculin, sans tenir compte des membres des consistoires — cela est d’ailleurs contesté. L'assemblée préparatoire des délégués débute le 10 mai 1848. 86 consistoires sur 91 (92, avec le consistoire luthéro-réformé d'Alger), ont envoyé un ou plusieurs délégués. Les pasteurs et membres du consistoire luthérien de Paris sont présents, avec voix consultative. Il manque notamment celui de Strasbourg, qui veut attendre la fin des travaux de l'Assemblée constituante de la République française. 108 délégués sont nommés, 58 pasteurs et 50 laïques. Elle prépare un règlement électoral pour et nomme une commission pour organiser une nouvelle assemblée générale.
Le synode officieux, septembre 1848
Le 11 septembre 1848 s'ouvre le synode général officieux à l'Oratoire du Louvre.
- Le parti libéral est représenté par les trois pasteurs Coquerel, Fontanès, Martin-Paschoud, Montandon, Réville père et Gustave de Clausonne. Ils sont multitudinistes, favorables à une Église ouverte soutenue par le régime concordataire.
- Les orthodoxes concordataires sont représentés par les pasteurs Adlophe Monod, Pédézert, Bastie et Grandpierre. Ils souhaitent une profession de foi, mais veulent maintenir l'unité de l'Église réformée.
- Les orthodoxes extrémistes sont représentés par le pasteur Frédéric Monod et le compte Agénor de Gasparin. Ils veulent avant tout fixer une base dogmatique et sont prêts au schisme.
Il y a une majorité de protestants libéraux, influencés par la philosophie des Lumières. L’assemblée décide le 20 septembre qu’il n’y aura pas de discussion doctrinale, donc pas de Confession ou Déclaration de foi (80 votants : 67 voix pour et 6 contre). Ils argumentent que le débat serait polémique, au détriment des questions urgentes d'organisation de l'Église, et proposent de renvoyer cette question à une session ultérieure. Le pasteur Adolphe Monod rappelle qu'il y a déjà une confession de foi, celle de La Rochelle, qui n'a pas à être remplacée. Un représentant du parti libéral, M. Montandon, le contredit et déclare qu'elle est morte. Adolphe Monod menace alors de se retirer, mais l'assemblée se prononce pour le statut quo.
Un projet de constitution l’Église est préparé, en cinquante-neuf articles. Il propose la reconnaissance des Églises locales, la suppression des conditions de fortune pour l’élection des conseillers presbytéraux (les "anciens") et la reconstitution du système presbytérien-synodal.
Suites du synode
Le 25 mars 1850, le ministre des cultes soumet aux 91 consistoires réformés le projet du synode. Mais ils répondent de façon « si diverses et même si contradictoires que le Ministre, ébahi, remit le projet dans ses cartons. »
En 1852, après son coup d'État, Napoléon III interdit de nouveau tout synode national. Il réaménage néanmoins les articles organiques par un décret-loi le le 26 mars, permettant l'élection au suffrage universel masculin des anciens et reconnaissance des Églises locales et de leur conseil presbytéral.
Scission des Églises libres

Frédéric Monod
Agénor de Gasparin et un des pasteurs de Paris, Frédéric Monod, sont préoccupés par l'absence de doctrine figée. Intolérants, ils veulent pouvoir exclure les pasteurs qu’ils estiment trop libéraux, trop rationalistes. Pour cette raison, ils avaient déjà fondé l'aristocratique Chapelle Taitbout, hors de la structure consistoriale. Ils quittent l'Église concordataire et fondent une Union des Églises évangéliques de France, dites libres, parce que indépendantes de l'État. Ils sont rejoints par dix communautés semi-rurales : La Force, Mazamet, Montendre (Charente-Maritime), Saint-Foy-la-Grande…
Ces Églises réformées libres sont marquées par le Réveil : un mouvement de retour à certaines doctrines de la dogmatique du XVIᵉ siècle, tout en faisant appel au sentiment plutôt qu’à la raison. Elles sont parfois appelées piétistes ou méthodistes. Ils pensent pouvoir constituer une Église de « professants ». Le pasteur Adolphe Monod, frère de Frédéric Monod, refusera ainsi de distribuer la Cène à des fidèles de son Église lyonnaise, aux Terreaux, 10 rue Lanterne, qu'il n'estime pas assez orthodoxes.
Les désaccords entre libéraux et évangéliques restent encore courtois. L’Assemblée vote une Adresse aux Églises qui manifeste la volonté de vivre ensemble (80 votants, 73 pour et 7 abstentions). Chacun écrit une lettre qui exprime le respect pour ceux dont ils se séparent et l’amour fraternel qu’ils leur conservent.
Après la loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905, les principales paroisses des Églises libres rejoindront l’Église réformée de France — ainsi l’Église de Lyon et celle de Paris, le temple de la Rencontre.
Annexes
Texte 1 : Agénor de Gasparin, 1848
Votre bienveillance m’impose un devoir. Je ne veux pas vous quitter sans vous offrir l’expression de ma gratitude et de mon affection.
J’emporte du milieu de vous un souvenir précieux. Oui, il y a quelque chose de commun entre nous, et j’espère ne l’oublier jamais. La scission, ce n’est pas la guerre, et surtout ce n’est pas la guerre entre les personnes… […] Ce n’est pas sans une profonde émotion que je me sépare de vous. Veuille le Seigneur nous réunir tous bientôt dans la même foi, dans la même profession, et par conséquent dans la même Église ! Je le lui demande avec ardeur, et je vous prie, messieurs, de croire à mon dévouement respectueux.
Texte 2 : Frédéric Monod
[…] J’ai besoin de dire aussi que l’impossibilité où je me trouve de concourir à l’œuvre constituante du Synode laisse, grâce à Dieu, intacte mon affection pour mes frères ; je les aime et les aimerai toujours sincèrement en Celui qui nous a aimés le premier, et mes prières ne cesseront de s’élever à Dieu pour vous, Monsieur le Président, pour le Synode, pour chacun des membres qui le composent, et pour notre Église réformée de France, que j’aime par-dessus toutes les autres Églises, et que je demande à Dieu, du fond de mon âme, de ressusciter vivante et glorieuse sous l’étendard du Crucifié, en ramenant, dans les enfants les cœurs des pères. Qu’il plaise à Celui que toutes choses servent, qui est puissant, fidèle et miséricordieux, de nous réunir tous un jour dans une même foi, dans une même espérance, un même amour !
Voir aussi
- André Encrevé, "La querelle entre les évangéliques et les libéraux à Paris", L'Oratoire du Louvre et les protestants parisiens, 2011 (lire sur notre site)
- Sur la frise : 1872 : Synode national de Paris