Visite du Père Lachaise protestant
Le cimetière du Père Lachaise abrite les sépultures de pasteurs et de personnalités éminentes de l'histoire du protestantisme à Paris. Il tient son nom d'un prêtre catholique, le "Père" François d'Aix de La Chaise, confesseur jésuite de Louis XIV dont le rôle est controversé lors de la révocation de l'édit de Nantes en octobre 1685. Après cette date, les protestants parisiens n'ont plus de cimetières pour ensevelir leurs morts.
En 1804, les Révolutionnaires innovent en créant ce cimetière ouvert à tous. En 1807 est créé un espace pour les protestants (divisions 39-40, à l'emplacement d'ancien bassins, dans une zone encore très boueuse), en 1810 un carré juif (division 7) et plus tard en 1857 un carré musulman (division 85).
Cartographie réalisée par Gustave Braastad, août 2023
Les protestants parisiens et la mort
« Laissez les morts ensevelir leurs morts » : cette parole du Christ et la proclamation de la gratuité du salut ont incité les Réformés à une grande sobriété funèbre, en rupture complète avec les usages catholiques : pas d’extrême-onction, pas de prière pour le mort destiné à redevenir poussière ; la compassion est dirigée vers la famille et le sort des vivants.
Calvin, qui dénonçait la croyance au purgatoire et la vénération des reliques, recommandait des funérailles « honnêtes », c’est-à-dire décentes, sans pratiques considérées comme superstitieuses : pas de pierre tombale, pas de prêche dans un temple ou au cimetière et, pour lui-même, le souci que rien ne distingue jamais le lieu de sa sépulture.
Au début de la Réforme, les protestants parisiens étaient enterrés dans les cimetières des paroisses de leur domicile, mais de violents incidents, dans les années 1560, leur interdirent la « terre bénite » des cimetières, sauf la parcelle [du cimetière des] Innocents réservée aux enfants morts (non baptisés) ; ils utilisaient les jardins et les caves, craignant toujours que les corps ne soient jetés aux chiens, comme celui de Bernard Palissy, le potier de la reine Catherine de Médicis, mort misérablement à la Bastille.
Lors de la Saint-Barthélemy, en 1572, les corps furent enfouis dans des fosses communes creusées à proximité des lieux où ils avaient été entassées ou amenés par le courant. Ainsi 1200 cadavres, charriés par la Seine et amoncelés à la tête de l’île aux Cygnes (Champs-de-Mars actuel, près de la tour Eiffel).
En mai 1576, l’édit de pacification donné à Paris par Henri III contenait, à l’article VI, la disposition suivante : « Que pour l’enterrement des morts de ladicte religion estans en notre dite ville de fauxbourgs de Paris, leur sera baillé le cimetière de la Trinité ».
Le cimetière de la Trinité s’étendait au niveau du 135 de la rue Saint-Denis et la partie réservée aux protestants, du côté du passage Basfour, fut séparée par une palissade en bois. Mais le plus ancien cimetière protestant de Paris est peut-être celui de Saint-Germain, rue des Saints-Pères, mentionné avec celui de la Trinité dans l’article 45 de l’édit de Nantes en 1598, assorti du projet qu’ « il leur en serait baillé un troisième, un lieu commode à choisir dans le faubourg Saint-Honoré ou dans le faubourg Saint-Denis », faisant peut-être allusion à une parcelle sud du cimetière des Innocents.
Le cimetière Saint-Germain, encore évoqué aujourd’hui par de grandes colonnes et une plaque apposée au 30, rue des Saints-Pères, est donc antérieur à la date de 1604 donnée par la plaque : ici furent inhumés les Du Cerceau, les Gobelin, Salomon de Brosse et Valentin Conrart, premier secrétaire de l’Académie française.
Mais la révocation de l’édit de Nantes retira aux protestants, en même temps qu’un lieu de culte, tout emplacement officiellement affecté à leur inhumation.
Au XVIIIe siècle, ignorés des registres paroissiaux tenus par les prêtres, les protestants ne pouvaient être enterrés qu’après une ordonnance, rendue sur conclusions du procureur du roi. Un commissaire de police constatait le décès à domicile et le lieutenant-général accordait le permis d’inhumer, sous réserve que l’enterrement se fasse « de nuit, sans bruit, sans scandale ni appareil ».
La loi des 8 et 15 mai 1791 transféra la propriété des cimetières de l’autorité ecclésiastique à la seule autorité communale. Le préfet de la Seine, Frochot, créa en 1804 trois nouveaux cimetières situés en dehors de la ville : le Père-Lachaise, Montparnasse et Montmartre ; ils ne lui furent intégrés qu’en 1860 avec ces communes. Tous les Parisiens furent incités à s’y faire ensevelir, selon la nouvelle législation funéraire voulue par Napoléon, « quelle que soit sa race ou sa religion ».
Une section du Père-Lachaise fut acquise par le Consistoire à la mort du pasteur Mestrezat en 1807. Les premiers pasteurs reconnus par l’État y furent enterrés et sur leur tombe figurent les versets que l’on retrouve sur les consoles soutenant leur buste dans la grande sacristie de l’Oratoire. De nombreuses personnalités protestantes du premier XIXe siècle ont leur tombe au Père-Lachaise, comme Guizot, Oberkampf, Fould et Haussmann […].
La tradition protestante entourait l’enterrement et la sépulture d’une grande sobriété, mais la reconnaissance officielle et l’ascension sociale firent évoluer les pratiques : des services funèbres furent célébrés dans les temples, avec une pompe comparable avec celle qui entourait les enterrements catholiques. Des obsèques nationales furent organisées à l’Oratoire, par exemple pour l’amiral Winter, ou à Sainte-Marie en 1830 pour Benjamin Constant.
Certains caveaux prirent des allures de chapelles et s’ornèrent de statues. Mais dans l’ensemble, les tombes protestantes conservent jusqu’à nos jours l’apparence ancestrale : simples pierres tombales recouvertes d’une Bible ou stèle dressées portant épitaphe et versets bibliques.
Philippe Braunstein, L'Oratoire du Louvre et les protestants parisiens, pages 94-96, Labor et Fides, 2011
Pour aller plus loin
- Dans le petit dictionnaire de théologie : la mort
- Sur le plan de l'intérieur de l'Oratoire : tréteaux pour le cercueil et monument aux morts
- Liturgie : Service funèbre (obsèques)