1872-1882 : Synode et création des paroisses
Au cours du premier XIXe siècle, les protestants se divisèrent en deux tendances : les "évangéliques" dits aussi "orthodoxes", issus du « Réveil », souhaitaient l’adoption dune déclaration de foi adaptée de la Confession de foi de La Rochelle (1571). Les libéraux, au nom de la liberté d’être chrétien sous sa seule responsabilité, refusaient une déclaration de foi obligatoire. Ne pouvant s’appuyer sur aucune autorité dogmatique pour les condamner, les évangéliques s’en remirent à l’État (Adolphe Thiers) pour qu’il convoque le premier synode réuni officiellement depuis 1659. Le Synode général des Églises réformées de France se tint au temple du Saint-Esprit, en juin 1872, présidé par François Guizot, homme d’État protestant, ancien ministre et président du Conseil.
Le pasteur Bersier rapporte "les membres du Synode se groupent d’après leur tendance doctrinale; sur le premier banc de la droite, MM. Guizot, Mettetal, de Chabaud-Latour, P. Juillerat, Bastie; vis-à-vis d’eux, à gauche, MM. Ath. et Et. Coquerel, Pécaut, Steeg, Clamageran, Fontanès, Colani".
S’en suivit un schisme de fait entre synodes et assemblées officieuses des deux camps, jusqu’à ce que les « extrémistes », de leur propre mouvement, quittent l’église, reconnus comme agnostiques et proches des républicains sur le plan politique et social.
Un article publié en 1874 témoigne de l’atmosphère polémique de l’époque :
" Au commencement de 1872, à l’instigation de M. Guizot, un synode fut convoqué pour régler l’administration des églises protestantes de France. Ce synode, dont les pouvoirs ne devaient être qu’administratifs (...)transforma, par un coup de majorité, par un coup d’état moral, ses pouvoirs administratifs en pouvoirs dogmatiques; élu pour régler les intérêts de l’Eglise, il voulut mettre la main sur les consciences.
Le coup d’Etat qu’on voulait faire était fait; M. Guizot était intronisé pape des protestants, MM. Mettetal, de Chabaud Latour, etc, partageaient son infaillibilité et passaient cardinaux; quiconque ne se soumettait pas aveuglément à leur autorité suprême était excommunié. La liberté de conscience était abolie; pour les protestants libéraux, chassés de l’Eglise, l’édit de Nantes venait d’être moralement révoqué." "l’église orthodoxe prétend accaparer pour elle seule tout le domaine du protestantisme français. Elle prétend rester unie avec l’Etat tout en séparant de l’Eglise et de l’Etat la majorité des Eglises de France"
Les libéraux, qui l’avaient emporté à lOratoire du Louvre, obtinrent en 1882 du gouvernement la division de l’Eglise réformée en paroisses, mais ils avaient décontenancé par les polémiques un bon nombre d’électeurs modérés, comme le démontrèrent les élections des Conseils et le choix parfois difficile des pasteurs.
Extraits des délibérations
M. Pécaut ("libéral") : « Nous ne sommes pas d’institution divine, ceci n’est pas un concile ; nous sommes un synode protestant, issu de l’élection populaire et appelé à exprimer le sentiment du peuple réformé qui nous a élus En quoi votre confession obligatoire servira-t-elle les intérêts de la foi et de la piété ? Ce qui nous manque, c’est le sens profond des choses »
M. Dhombres ("évangélique") : « C’est pour remédier au désordre que nous sommes réunis. Le surnaturel est ébranlé, nous voulons l’affermir : nous ne confondons pas l’ascension d’un aérostat avec l’Ascension de Jésus- Christ, une curieuse expérience sur la galvanisation d’un cadavre avec la résurrection de notre Sauveur Nous avons spiritualisé nos doctrines religieuses, mais vous allez jusqu’à les vaporiser »
M. Coquerel ("libéral") : « Si Dieu a pris soin de mettre tant de diversités dans les Ecritures, ce n’est pas un synode qui réformera l’œuvre de Dieu »
M. Martin-Paschoud ("libéral") : « La parole de Dieu nous suffit pour le dogme et pour la morale Elle est plus claire, plus précise, plus accessible aux pauvres d’esprit que les symboles obscurs, toujours imparfaits, qui sortent de la main des hommes Deux systèmes possibles : admettre un pouvoir interprétatif, dont les décisions aient la même force que la Loi, ou conserver le texte primitif sans commentaires : ce dernier système se résume en deux mots , L’Evangile et la liberté »
Le synode de 1882 introduit une décentralisation de l’Eglise Réformée à Paris, avec la création de 8 paroisses protestantes réformées, chacune ayant son propre conseil presbytéral, et pouvant ainsi choisir ses propres pasteurs en fonction de la sensibilité de ses paroissiens. L’Oratoire peut enfin devenir libérale comme le souhaitait une majorité de fidèles. Cela accentuera encore le caractère "libéral" ou "progressiste" de l’Oratoire puisque bien des protestants de tous les quartiers de Paris et de la région parisienne choisiront alors de venir à l’Oratoire pour cette sensibilité particulière, ou au contraire choisiront une autre des 8 paroisses s’ils tenaient à une expression plus "évangélique" de la foi chrétienne.
Pour en savoir plus :
- L'Oratoire, du temple à la paroisse (1870-1905), par Patrick Harismendy
- L'Église réformée de Paris de 1802 à 1870, par André Encrevé III. La querelle entre les évangéliques et les libéraux à Paris
- L’Oratoire en 1892, Philippe Vassaux