Histoire du protestantisme parisien et de l'Oratoire

1685 : Édit de Fontainebleau (révocation de l’édit de Nantes)

Sous Louis XIV, des édits interdisent progressivement aux « prétendus réformés » la plupart des métiers ; les humiliations, les complications (dragonnades), l’envoi aux galères, les poussent à pratiquer silencieusement, abjurer ou émigrer.

En 1685, l’aboutissement de cette politique amène Louis XIV à révoquer l’édit Nantes par l’édit de Fontainebleau mettant un terme à la coexistence de deux cultes dans le royaume.

Le temple de Charenton est détruit, les protestants n’ont plus de cimetière pour ensevelir leurs morts.

Les pasteurs ont 15 jours pour quitter le royaume : les pasteurs Claude, Mesnard et Allix quittent Paris pour la Hollande. Des anciens comme le duc de la Force sont emprisonnés à Vincennes.

Environ 200 000 protestants choisissent "le Refuge", c’est à dire l’exil en Hollande, Suisse, Allemagne ou Angleterre.

Certains abjurent du bout des lèvres mais pas du cœur. Les enfants peuvent être enlevés à leur famille, les jeunes filles confiées à une trentaine de couvents parisiens tenus par les Visitandines (rue Saint-Antoine) ou les Ursulines, spécialisées dans une éducation visant à leur conversion. L’Oratoire est un des lieux d’abjuration publique. En 1700, la princesse palatine Marie-Elisabeth des Deux-Ponts (Suède) y abjure ; en 1702, Éléonore Charlotte de Wurtemberg-Montbéliard.

Destruction du temple de Charenton

L’application stricte de l’édit de Fontainebleau est un peu tempérée à Paris, la répression moins sévère que dans le reste du royaume grâce à la présence des ambassades étrangères. En principe, seuls les étrangers peuvent pratiquer leur foi dans les chapelles d’ambassades -extraterritoriales- des pays protestants -Hollande, Suède, Brandebourg, Angleterre et Danemark- mais les parisiens les fréquentent discrètement, des provinciaux plus ponctuellement, assistant à un culte, y faisant bénir leur mariage, baptiser leurs enfants. Ces actes sont consignés dans les registres. On y échange des nouvelles avec le Refuge et des conseils pour fuir. Ces ambassades changent souvent d’adresse au gré de la résidence des ambassadeurs et de leurs chapelains, mais sont le plus souvent situées sur la rive gauche aux abords du faubourg St-Germain.

L’ambassade de Suède où un culte est célébré à partir de 1626 sera presque toujours localisée rive gauche entre la rue du Bac et le faubourg St-Germain et le faubourg St-Jacques (à l’Hôtel Cavoye, rue des Saints Pères, en1641-45). Au XVIIIes, l’ambassade du Danemark et sa chapelle où prêchaient des pasteurs germanophones, suivront les résidences de l’ambassadeur rue de Bourbon, au coin de la rue du Bac, rue des Francs-Bourgeois, rue des Petits-Augustins, Place Royale (1763), quai Malaquais (1703-70), quai des Théatins... Au XVIIIe s, l’ambassade de Hollande est rue de Tournon.

Les infirmeries des ambassades de Suède et du Danemark soignent des malades protestants harcelés pour obtenir une conversion ou évincés des hôpitaux parisiens tenus par l’Eglise.

Des artisans luthériens sont attirés par Louis XIV et Louis XV pour compenser l’exode des ouvriers et artisans protestants partis avec leur savoir-faire. Ils s’établissent hors les murs au Faubourg St-Antoine, mais Jean-François Oeben, ébéniste du roi, sera logé à l’Arsenal. Son élève et successeur Jean-Henri Riesener terminera le bureau de Louis XV (Versailles) et habitera aux Gobelins. Protégé par son statut d’étranger, Isaac Mallet, banquier-négociant, descendant de huguenots rouennais émigrés en Suisse fonde à Paris en 1713 la maison Mallet et fréquente la chapelle de Hollande.

Durant cette période dite du "Désert", les "Eglises sous la croix" sont animées dans la clandestinité par des pasteurs itinérants, formés à partir de 1726 au séminaire de Lausanne fondé par Antoine Court, qui réorganise le protestantisme par la convocation de synodes, le respect de la "discipline" calviniste, et donne une nouvelle vigueur au protestantisme. Ce terme d’Eglises sous la croix est associé dans la lunette axiale de la grande sacristie de l’Oratoire à la mémoire des pasteurs arrêtés à Paris dans les années 1689-1692 et qui finirent leurs jours dans des conditions d’isolement draconien dans les geôles du fort de l’Ile Saint-Marguerite, au large de Cannes. Il s’agit de Paul Cardel, Gabriel Maturin, Pierre de Salve de Bruneton, Matthieu de Malzac, Gardien de Givry, Elysée Giraud.  

Sous Louis XV, les ordonnances et édits sont toujours officiels. Par la déclaration de 1724 l’obligation catholique est imposée "à ceux de la RPR": obligation de faire baptiser les enfants dans les 24 heures dans les églises de paroisse, d’envoyer les enfants dans les écoles et au catéchisme jusqu’à 20 ans, obligation de recevoir le curé pour les malades qui sont menacés de confiscation de leurs biens et de bannissement s’ils recouvrent la santé. Un "certificat de bonne vie et mœurs et de catholicité" permet d’exercer certaines charges et métiers. Les dernières persécutions systématiques cessent en province vers 1752-55 ; à Paris, la présence des ambassades étrangères assure une certaine tranquillité. Les curés sont incités à être plus accommodants pour marier et baptiser les protestants, espérant les faire progressivement rentrer dans le rang. On traque les pasteurs et les assemblées clandestines, mais on ferme les yeux sur le culte familial. On taxe de "jansénistes" les partisans d’une moindre rigueur envers les huguenots.

Les pays protestants du nord de l’Europe connaissent à la fin du XVIIe et au XVIIIes. une prospérité intellectuelle, industrielle et commerciale. Au delà des frontières les savants des académies et universités européennes échangent leurs informations en une "République des Lettres", échappant à l’intolérance religieuse et à la censure. Les ouvrages religieux édités "au Refuge" circulent par les voies du négoce. Les protestants entretiennent des liens avec leurs cousins huguenots exilés, envoient leurs enfants (dès 8 ans) faire leurs études en Suisse, Allemagne, Hollande et Angleterre où ils reçoivent une solide éducation conforme à leurs souhaits et où ils se marient souvent (leur statut est ainsi reconnu, leurs enfants légitimes) avant de revenir et faire prospérer les affaires familiales. Ils contribueront à l’émergence d’une bourgeoisie protestante transnationale de banquiers, négociants et manufacturiers respectés et appréciés pour leur intégrité morale.

Les encyclopédistes ne se préoccupent pas directement du sort des protestants, mais ils reprennent beaucoup d’éléments au Dictionnaire de Pierre Bayle édité en Hollande, et le marquis Louis de Jaucourt, éduqué à Genève, Cambridge et Leyde, resté protestant tout en se pliant aux formalités du mariage et du baptême catholique, fournit un quart des articles de l’Encyclopédie. En 1763, Voltaire émeut l’opinion en publiant son Traité sur la tolérance dénonçant l’erreur judiciaire dont a été victime le protestant toulousain Jean Calas, accusé d’avoir tué son fils, et obtient sa réhabilitation posthume en 1765. Une fille de Calas épousera un chapelain de l’ambassade de Hollande.

Des contacts s’établissent entre les autorités et quelques pasteurs comme le nîmois Paul Rabaut qui vient à Paris en 1755 invité par le prince de Conti. Antoine Court de Gébelin, fils d’Antoine Court, vit ouvertement à Paris de 1763 à sa mort en 1784, considéré comme un des esprits les plus érudits de son temps, économiste, physiocrate, linguiste et membre influent de la franc maçonnerie "illuministe" de la loge des Neuf Sœurs. Le "comité" secret des réformés parisiens craint ses audaces et ne lui délègue pas de pouvoirs lorsqu’il veut faire reconnaître conjointement l’état civil et le culte public. Les protestants sont divisés quant à adopter une stratégie trop offensive, mais les mentalités évoluent en leur faveur. On brasse beaucoup d’idées "éclairées" dans les cercles des salons et des cafés, dont plusieurs sont familiers, comme Jean-Jacques Rousseau.

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