A propos de la Révocation de l'édit de Nantes
Il est important de sortir des
clichés et des idées reçues : l'Edit de Nantes
organisait un état transitoire de tolérance du protestantisme,
dans la perspective avouée de voir un jour tous les sujets
du Roi se retrouver dans la même religion catholique. Cela
sera possible, pense Henri IV, si les catholiques deviennent tolérants
en face des protestants tolérés : les parlements provinciaux,
l'Eglise et les notables catholiques - sans compter les troupes
intégristes - s'appliquent à saboter l'Edit dès
sa promulgation. Et les protestants balancent entre le triomphalisme
et l'angoisse. On les comprend...
L'Allemagne divisée en une pluralité d'Etats peut
être pluraliste et les troupes impériales, engagées
dans la lutte contre les Turcs comptent des unités protestantes
à côté des unités catholiques. La France
en pleine " dynamique " centralisatrice se doit d'avoir
une unité idéologique garantissant le consensus unanime
autour de la monarchie qui va, de plus en plus, s'absolutiser et
réclamer pour cela la sacralisation de son pouvoir par l'Eglise.
De son point de vue, le protestantisme représente un double danger, ses trois principes constitutifs : référence à la libre grâce divine et rejet des œuvres méritoires, insistance sur la foi comme décision personnelle adulte, pratique d'une lecture non-préconditionnée de l'Ecriture, engendrent une ecclésiologie " à partir du bas " ; le baptême est le signe constitutif du sacerdoce commun de tous les fidèles, le fondement même d'une égalité excluant toute hiérarchie magistérielle et disciplinaire. Par rapport au catholicisme traditionnel, les communautés réformées apparaissent comme dangereusement démocratiques et imperméables à l'emprise de la religion d'Etat et de ses conformismes. L'entourage de Louis XIV n'hésite pas à y voir, à juste titre, en dépit des protestations de loyalisme des notables protestants d'intolérables germes de " républicanisme ".
On discute sur la proportion des protestants dans l'ensemble de
la population française d'alors : 30 % disait Imbart de La
Tour, 10 % dît Janine Garrisson ; une minorité non
négligeable, en tout cas. Mais l'important est qu'ils sont,
en plus d'une union d'Eglises en expansion, un parti politique,
potentiellement opposé au pouvoir royal, du fait même
de la conscience critique que crée en eux la fidélité
au Roi des rois. Pour eux, il est clair qu'il vaut mieux obéir
à Dieu qu'aux hommes, même à ceux qui s'en prétendent
les lieutenants. Et l'environnement international ne peut que renforcer
la méfiance du Roi et de ses conseillers : en 1645, Charles
1" d'Angleterre est décapité par le parti protestant
de Cromwell. La Révocation repoussera à peine d'un
siècle l'exécution d'un monarque français !
On connaît les conséquences funestes de la Révocation
dans tous les domaines de la vie nationale au XVIIème siècle
(la fuite des cerveaux et des capitaux...) et jusqu'à aujourd'hui
: les intolérances, les exclusivismes, les refus de pluralisme
qui divisent la France, les querelles scolaires, les intégrismes
antagoniques, les méthodes inquisitoriales et procès
en hérésie qui nous déchirent sont les fruits
légitimes de l'Edit de Nantes...
Mais un tricentenaire n'a pas pour but de raviver les nostalgies,
les mauvaises consciences et les justifications respectives. Ce
qui compte c'est qu'une sérieuse méditation des lamentables
événements d'alors, l'appréciation lucide des
erreurs et horreurs commises deviennent pour les communautés
protestantes et catholiques, pour nombre de Français qui
découvrent avec étonnement une tragédie qu'ils
ignorent généralement la source d'une " mémoire
d'avenir " ; le passé assumé peut devenir le
terreau d'un comportement courageux, responsable et généreux
qui ouvre la société contemporaine à de nouvelles
perspectives, à une authentique convivialité.
C'est tout le problème de la cohabitation avec les minorités
présentes qui est posé : le refus de la peur et du
rejet de l'autre, son respect et son accueil, qu'il s'agisse du
réfugié politique, du travailleur migrant et de ses
enfants constituant la redoutable et redoutée " deuxième
génération ", de l'étudiant venu se former
ici.... bref de tous les hommes de couleurs, de langues, de religions
différentes des nôtres, qui nous provoquent à
la conscience œcuménique - au sens étymologique
: l'ensemble de la terre habitée - sans laquelle le monde
de demain ne sera qu'un enfer. La promesse eschatologique d'Esaïe
2 que la montagne de Dieu doit devenir le point de convergence de
tous les peuples appelés à y vivre librement dans
la paix, ne doit-elle pas se réaliser dès maintenant,
dans la construction de sociétés où "
la justice est la racine portant l'arbre de la paix ". (Vancouver,
1983).
La présence des minorités parmi nous : un cadeau,
une chance, une promesse ; l'avenir appartient au beau métissage
culturel, idéologique, racial par quoi nous deviendrons,
des pauvres nationalistes xénophobes et racistes que nous
sommes encore des êtres humains vivant au grands rythmes et
aux dimensions de l'univers.
Reste à voir comment pratiquer cela aujourd'hui en France
face à la montée de tous les intégrismes et
des mépris haineux qui menacent la vie de ceux dont nous
sommes solidaires au près et au loin et compromettent la
santé mentale et l'avenir même de notre peuple...
Georges CASALIS
(publié dans La Voix protestante et dans la feuille rose)