1685-1985 La révocation de l'édit de Nantes

Trois siècles après, pourquoi commémorer ? Le professeur Jean Baubérot coresponsable du colloque national "Protestantisme et Liberté" s'en explique.

Il y a 350 ans [...], en octobre 1985, que Louis XIV a signé l'édit de Nantes. Les protestants français sont parfois partagés sur l'opportunité de commémorer cet événement, contraire, selon certains, à l'esprit œcuménique contemporain. Jean Baubérot, directeur d’Études à l’École pratique des Hautes-Études et coresponsable du colloque national, qui s'est tenu à Paris les 12-13 octobre 1985 sur le thème "Protestantisme et Liberté", a expliqué l'intérêt et l'importance d'un tel anniversaire au cours d'une réunion d'information qui a eu lieu à Paris le 1" mars, au siège de la Fédération protestante de France.

La Révocation est un acte de l'Histoire de France et la société globale aurait de toute façon célébré l'événement, a précisé Jean Baubérot. La question est plutôt de savoir si le protestantisme saura faire entendre sa voix parmi les autres et surtout, si ce qu'il a à dire est intéressant pour les autres.

En dehors des manifestations d'ordre historique (colloques, expositions, etc..) qui, sans conteste, feront avancer la science historique relative à la Révocation, la question pour les protestants est celle de sa caractéristique propre. Le protestantisme est confronté à trois caractères qu'il est le seul à posséder : être une confession chrétienne spécifique ; être co-auteur de la laïcité en France ; être une minorité religieuse.

En tant que confession chrétienne, il doit faire face à un double devoir [...] :
- que la commémoration ne serve pas de prétexte à une manifestation d'anti-religion et d'anti-christianisme (toutes les religions sont intolérantes) et en l'occurrence, d'anti-catholicisme. Le catholicisme de 1985 n'est pas celui de 1685 et la crainte des protestants aujourd'hui ce n'est pas la persécution mais sans doute l'indifférence ; que la crainte d'un anti-catholicisme primaire l'empêche d'affirmer son identité et de rappeler que les différences peuvent être aussi enrichissantes que les ressemblances.

Comme co-auteur de la laïcité en France, le protestantisme français aujourd'hui, face à la crise qui a éclaté ces derniers mois, a pour tâche de contribuer au maintien d'une laïcité ouverte, garante du pluralisme.
Enfin, comme minorité religieuse, le protestantisme se doit d'assumer un rôle de minorité-carrefour, porteuse d'une religion non-cléricale. Il est vrai qu'il existe une réserve protestante. Par crainte du culte de la personnalité, les protestants hésitent à se mettre en avant. Mais cette réserve s'explique peut-être par des motifs moins nobles : la peur d'affronter les médias parce que l'on n'est pas toujours sûr d'avoir quelque chose à dire.

Il faut savoir qu'aujourd'hui les trois quarts des mariages de protestants  [...] ce qui représente à la fois une chance - une vitalité renforcée par le renouvellement - et un risque, celui de la disparition pure et simple de la minorité protestante. Le protestantisme doit mettre en œuvre une stratégie de minorité religieuse, notamment à l'égard de ceux qu'on appelle les sympathisants.

Les commémorations ne sont pas une fin en elles-mêmes. Elles sont un moment privilégié pour rendre visibles les liens entre le protestantisme et les autres communautés religieuses, pour faire en sorte que ce soit un peu l'année du protestantisme et surtout pour imaginer ce qui pourra se faire après le temps des festivités (BIP).

Jean Baubérot

 

Déclaration du comité mixte catholique-protestant,
21 mars 1985

Cette année 1985 est marquée pour nous, catholiques et protestants de France, par le troisième centenaire de la Révocation de l'édit de Nantes. Cet événement qui eut une influence si profonde sur l'histoire de notre pays, est souvent ressenti et interprété de façon différente par les uns et par les autres. Les conséquences de la Révocation demeurent : les descendants des huguenots du Refuge sont les vivants témoins. Cependant, depuis cette époque, il nous est donné de surmonter progressivement nos divergences historiques. Cette commémoration est pour nous l'occasion de réfléchir ensemble à une histoire qui, à la fois, nous est commune et nous sépare, et aux conflits qui l'ont marquée. Nous cherchons à mieux comprendre la situation qui en est issue, à manifester publiquement notre volonté de réconciliation, et à témoigner ensemble de l’Évangile en tenant compte des exigences de notre temps.

Cette volonté implique un effort de clarification de notre histoire passée. A nos yeux à tous aujourd'hui, l'édit de Nantes 1598 avait été la marque de la recherche d'une solution de paix et de progrès. Sa révocation fut un acte d'intolérance et l'occasion de persécutions. Elle fut un échec, tant sur le plan religieux que sur le plan économique et social pour notre pays. Cette révocation est en fait survenue parce que la liberté de culte et des consciences n'était pas reconnue à l'époque. Cet événement et ses suites ont marqué l'histoire des nos communautés respectives et ont parfois encore des conséquences sur leurs comportements et sur leurs mentalités.

Nos Églises ont à prendre conscience de ces divergences, à les assumer et à les dépasser, en renonçant à toute autojustification et à tout jugement d'autrui.

A partir de cette histoire douloureuse, nous pensons avoir aujourd'hui un double devoir de vigilance sur :

  • le droit imprescriptible à la liberté religieuse des personnes et des communautés ;
  • l'obligation pour tout groupe majoritaire de respecter en tout état de cause l'expression des minorités religieuses et culturelles.

Dans le cadre de l’État laïc moderne, les Églises n'ont pas à réduire leur témoignage au domaine du culte et de la vie privée, mais à participer à la vie de la nation. Elles doivent respecter l'indépendance de l’État et maintenir le caractère public du témoignage des chrétiens.