Histoire du protestantisme parisien et de l'Oratoire

1611 : La fondation de l’Oratoire

  • Novembre 1611: fondation de la congrégation des prêtres de l’Oratoire par Pierre de Bérulle
  • 22 septembre 1621 : pose de la première pierre de l’église selon les plans de l’architecte Métezeau
  • 23 décembre 1623 : Louis XIII fait de l’église des Oratoriens la chapelle royale du palais du Louvre. De grands événements y sont célébrés : funérailles solennelles (Richelieu, Louis XIII) , actions de grâce pour la santé des rois, concerts spirituels.

Tout, pour l’Oratoire, commence à Rome vers 1533, avec l’arrivée de Philippe Néri, jeune florentin né en 1515. Ordonné prêtre en 1551, il s’installe à San Girolamo, où il prêche dans les combles de l’église, l’«Oratorio ». Ce nom d’Oratoire désigne à l’origine tout simplement « un lieu de prière », mais Philippe de Néri désigne de ce nom des « exercices spirituels » qu’il propose à des prêtres et des laïcs dans une recherche commune d’une vie spirituelle plus profonde centrée sur la personne de Jésus. L’Oratorio est constitué de prière, de prédication, de lecture et de méditation de la Bible et de la vie des saints.

Le nom d’Oratoire désigne bientôt la congrégation qui va se constituer autour de Philippe de Néri, grâce à son rayonnement à la fois joyeux et spirituel, cette congrégation devient une institution légale en 1575 grâce à une bulle de Grégoire XIII, qui attribue l’église de la Valicella, où prêche désormais Philippe.

En France, Pierre de Bérulle, né en 1575, ordonné prêtre en 1599, est confronté à un clergé avide de bénéfices, qui a perdu son âme. Désireux de restaurer le sacerdoce en le sanctifiant, Pierre de Bérulle va s’inspirer de l’Oratoire de Philippe de Néri pour fonder l’Oratoire en France. Le 11 novembre 1611, avec cinq autres prêtres, « une société de prêtres, sans obligation de vœux, où l’on tendra de toutes ses forces à la perfection sacerdotale, pour en exercer toutes les fonctions et pour former à la piété ceux qui y aspirent ». C’est la naissance de « l’Oratoire de Jésus ». Nouveauté pour l’époque, cette congrégation est « séculière », sans les vœux que prennent les moines et moniales. La même année, elle est reconnue par lettres patentes du Roi (Louis XIII), et le 10 mai 1613 par une lettre d’approbation du pape Paul V.

À la mort de Bérulle en 1629, les oratoriens sont environ quatre cents prêtres répartis en une soixantaine de maisons. Leur église de la rue Saint-Honoré à Paris, achevée seulement en 1750, est devenue la paroisse de la Cour.

Plutôt que de se définir par une activité ou un ministère spécifiques, l’Oratoire se caractérise par un « esprit ». Cet esprit, difficile à caractériser, s’exprime néanmoins à travers un certain nombre de traits communs: une relation privilégiée à Jésus Christ; une volonté de conjuguer vie spirituelle et intérêt pour la vie intellectuelle et la culture; le sens de l’infinie complexité et de l’individualité de chaque être humain; un effort d’intelligence du monde dans lequel nous vivons, avec une attention particulière portée à l’évolution des mentalités; et une attitude de sympathie et de solidarité avec un monde en proie aux doutes et aux questionnements concernant le sens de l’existence.

Contrairement aux violences contre les protestants du XVIe siècle (et celles des siècles précédents contre Pierre Valdo, Jean Hus...), la contre réforme de personnes comme le cardinal de Bérulle est certes une contre-réforme mais faite d’une façon positive : en se réformant soi-même, d’abord, mais aussi en dialoguant avec des théologiens protestants au cours de controverses mémorables.

Intellectuels oratoriens : Massillon, Malebranche et Simon (entre autres)

Les oratoriens, qui comptent dans leurs rangs des hommes ayant reçu une solide formation théologique, plusieurs étant même docteurs en Sorbonne, sont très recherchés comme prédicateurs. C’est l’époque où l’on entreprend de vastes campagnes de prédication, dans les villes comme dans les campagnes, qui durent plusieurs semaines (et parfois même plusieurs mois) destinées à ré-évangéliser des populations entières.

Les prédicateurs oratoriens, sont, semble-t-il, particulièrement appréciés pour leur érudition scripturaire et patristique, leur amabilité, et leur vie spirituelle toute nourrie de Jésus Christ. Le Père Bourgoing, deuxième successeur de Bérulle, les exhorte en ces termes: « Il vous faut recevoir de Dieu ce que vous voulez donner au prochain... Il faut que Jésus vive en vous et parle en vous, afin qu’il opère et qu’il parle par vous".

Plus tard, l’Oratoire connaîtra des prédicateurs illustres dont le nom a marqué l’histoire: le plus connu sous l’Ancien Régime est Jean-Baptiste Massillon (1663-1742) dont l’art oratoire séduit d’abord la province puis Paris et le Versailles de Louis XIV.

Le travail intellectuel

La vie et la recherche intellectuelles ne sont pas pour les oratoriens une activité parmi d’autres, qui serait réservée à quelques spécialistes. Tous doivent s’y consacrer, dans la mesure de leurs possibilités. L’intelligence humaine doit se mettre au service de la foi, mais sans en être l’esclave: l’une et l’autre doivent conjuguer leurs efforts dans la recherche de la vérité. Il est donc nécessaire d’être attentif au mouvement des idées et à l’évolution des mentalités.

Ainsi, Bérulle lui-même encourage le jeune Descartes, qui aura des relations encore plus suivies avec le Père Gibieuf, nommé en 1617 Supérieur de la maison de Paris. Le cartésianisme se répand parmi les membres de la congrégation, malgré le risque qu’il comporte d’une évolution vers un rationalisme subversif.

Le philosophe le plus illustre de l’Oratoire sous l’Ancien Régime est Nicolas Malebranche (1638-1716). Il s’imprègne de la pensée de Descartes qu’il entreprend de christianiser. Tout en voyant bien, en effet, la puissance de renouvellement de la philosophie cartésienne, l’oratorien en perçoit aussi les dangers. Là où Descartes ne voit dans la raison qu’une lumière naturelle, Malebranche y voit une lumière divine. Car ce philosophe est aussi un contemplatif, nourri de la spiritualité de Bérulle, et un homme convaincu de la possibilité d’établir une relation harmonieuse entre science, philosophie et foi chrétienne. Il s’emploie à cette tâche, en définit la méthode, et en précise les exigences dans ses livres, notamment dans La Recherche de la vérité.

Richard Simon et la naissance de l’exégèse

L’exégèse biblique est brillamment illustrée par Richard Simon (1638-1712). Il connaissait le grec, l’hébreu, l’araméen, indispensables à l’approche des manuscrits anciens et des textes originaux de la Bible. Il connaissait également les méthodes d’exégèse traditionnelle du judaïsme et celles des pères de l’église.

Richard Simon avait été nommé pour faire un inventaire de la magnifique bibliothèque de l’Oratoire, qui était dans la maison qui jouxtait l’église, bibliothèque contenant en particulier une importante collection de manuscrits en hébreux et grec provenant de Constantinople et ramenés par M. Harlay de Sancy qui y avait été ambassadeur. L’érudition de Richard Simon le rendait apte à ce travail. Cela était tout à fait dans son goût, et il mit à profit ce qui devait être un simple travail de recensement pour lire tous ces livres ! Ce qui fait que le travail ne pris pas que quelques mois mais plusieurs années de travail inlassable. Le catalogue des œuvres rendu par Richard Simon ne formait qu’un cahier de 16 feuillet in 4° donnant une simple liste sans autre détails, mais le fruit du travail de Richard Simon allait infiniment plus loin.

Par la qualité de son travail, la rigueur de sa méthode, il est considéré aujourd’hui comme le créateur de l’exégèse moderne ou de l’étude scientifique de la Bible. Hélas, une pensée trop en avance sur celle de son époque et son caractère ombrageux choquent beaucoup d’esprits et conduisent à son exclusion de la congrégation de l’Oratoire.

Son œuvre majeure, qui a vraiment marqué l’histoire de l’interprétation de la Bible, est son Histoire critique du Vieux Testament, il y reconnaît l’impossibilité d’attribuer à Moïse la rédaction du Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible).

Richard Simon travailla également à une traduction de la Bible. Il engagea ce travail pour son Histoire critique mais aussi à l’appel des protestants. En 1676, le consistoire réformé du temple de Charenton (le grand temple de Paris) sous l’inspiration des pasteurs Claude et Allix, demande à Richard Simon de travailler ensemble à une nouvelle traduction de la Bible en français. Les bibles qui existaient alors étaient déjà anciennes, la plus utilisée alors était la Bible d’Olivétan datant de 1535, même si elle a été revue par Calvin, puis par d’autres au cours du XVIIe siècle, elle commençait à dater, surtout du point de vue de la langue (qui avait évolué d’une manière assez importante en 150 ans).

Richard Simon met au point une méthode, un plan de travail pour réaliser une traduction de la Bible la plus sérieuse possible. Il publiera ce plan dans son Histoire critique : il commence par établir quel est le texte qu’on doit traduire, texte qui aura celui des Massorètes pour base (sages juifs qui ont ajouté les voyelles et des signes de ponctuation au texte hébreu original qui n’en comportait pas). Ce texte est contrôlé et éventuellement rectifié ou enrichi de vartiantes possibles à partir d’anciennes versions ou d’anciennes traductions de la Bible, qui proposent parfois d’autres voyelles possibles, ou une autre ponctuation.

Richard Simon propose ensuite d’étudier le vocabulaire, les différents sens possibles des mots hébreux en se servant de concordances (donnant l’ensemble des passages de la Bible qui comportent un même mot hébreu, ou une même racine). Il s’aide aussi des travaux des rabbins pour ce travail.

  • La traduction commence alors, en étant le plus proche du texte biblique tout en étant le plus clair possible, en évitant d’intercaler dans le texte des paraphrases explicatives.
  • Des notes sont également rédigées permettant de signaler des variantes, les sens divers, ainsi que des explications des termes techniques, mais pas de commentaires, ni de proposition d’interprétation.
  • Ce travail est complété d’un lexique expliquant certains mots, des cartes géographiques, et des tables chronologiques en fin de l’ouvrage.

Cette traduction choisissant de ne pas insérer de notes d’interprétation, elle était destinée à pouvoir être utilisée par les protestants comme par les catholiques. Cet objectif qui était essentiel aux yeux de Richard Simon lui vallut les foudres de Bossuet qui jusque là le soutenait bien.

Par contre, les pasteurs de Charenton trouvèrent le plan de Richard Simon excellent, le travail commença, réparti entre Richard Simon et une équipe d’autres savants protestants. La Révocation de l’Édit de Nantes (Édit de Fontainebleau), en 1685 arrêta cette collaboration, les protestants étant soit partis se réfugier à l’étranger , soit cachés, soit arrêtés.

Simon continua donc seul, il publia sa traduction du Nouveau Testament en 1702, la traduction de l’Ancien Testament devait suivre peu après mais elle resta dans les cartons car Bossuet attaqua avec tant de vigueur la traduction du Nouveau Testament, accusant Richard Simon d’hérésie, qu’il fut condamné par le Conseil.

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