1790-1793 : la révolution et l’Oratoire
- 1790 : La section de l’Oratoire, les prêtres constitutionnels
- 1791 : 24 février 1791 le supérieur de la congrégation de l’Oratoire, Jean Poiret, offre l’église pour la consécration des deux premiers évêques constitutionnels par Talleyrand
- 1792 : dissolution de la congrégation de l’Oratoire en décembre
- 1793 : L’église est pillée, vidée de son mobilier et de sa décoration, devient lieu de réunions et de bureaux, puis magasin de décors de théâtre
Pendant la vague de déchristianisation et la Terreur, les temples sont fermés, le culte public cesse (et retrouve parfois la clandestinité du récent "Désert" !) ; nombre de pasteurs renoncent à leur ministère, par prudence ou sous la pression, plus que par adhésion au Culte de la Raison, puis à celui de l’Être suprême, qui convenait assez bien à leur spiritualité. Rares sont ceux qui avaient un sens, même réduit, de ce qu’était le calvinisme, voire ce qu’était le christianisme lui-même.
Il est permis de s’interroger sur les ressemblances entre la vague iconoclaste de la Réforme protestante au XVI°s. et certains aspects de la déchristianisation entre 1793 et 94 : même volonté de décléricaliser, de désacraliser, en s’en prenant au calendrier comme aux lieux de culte et aux images.
Sous la Révolution, la Raison libérée se veut destructrice du fanatisme et de toute superstition : les églises sont fermées ou converties en temples de la Raison, les statues renversées, les reliques dispersées, les objets liturgiques profanés, les confessionnaux brûlés. On boit à la santé de la République dans les ciboires et les calices, les « vases prétendus sacrés » sont regardés comme « gobelets magiques ». La Réforme n’avait certes pas le désir de déchristianiser, mais au milieu des excès de ce vandalisme particulièrement dommageable au patrimoine artistique et monumental de la France, en 1564 comme en 1794, cette radicale remise en cause des institutions, des sacrements et des rites a quelque air de famille avec les principes initiaux de la Réforme
Du côté des oratoriens, en raison de l’esprit de liberté qui règne dans la congrégation de l’Oratoire, la Révolution y est, au début, bien accueillie. Mais, malgré les activités de quelques « confrères » laïcs tristement célèbres tels Fouché, organisateur de la Terreur, la plupart des oratoriens se détournent de la Révolution lorsque celle-ci vire à la violence et au totalitarisme. Moins d’un cinquième optent pour le clergé constitutionnel, et quinze périssent en prison, guillotinés ou fusillés. Enfin, la congrégation elle-même est balayée par la violence révolutionnaire: en août 1792, l’Oratoire est supprimé en même temps que l’ensemble des congrégations et ordres religieux.
En 1793, sous l’impulsion de Hébert et de ses partisans, la lutte contre le christianisme va devenir violente. Bien des églises sont saccagées et pillées, dont l’Oratoire du Louvre, des cimetières sont profanés, comme à l’Oratoire encore où les tombeaux des chapelles latérales sont démolis, comme toutes les armoiries, ornements et sculptures du portail, comme les fleurs de lys des voûtes et des vitraux, ainsi que presque toutes les peintures ornant l’intérieur qui ont été alors détruites ou vendues. Il ne reste que quelques éléments dans la chapelle des Harlay ainsi que l’imposte au dessus de la grande poste qui pu être caché sous un coffrage, et ainsi sauvé en l’état de l’époque, avant d’être redécouvert en 2011 lors de la restauration du portail.
Du côté protestant, le culte va pouvoir se mettre en place aux premières heures de la Révolution. Le pasteur et député Rabaut-Saint-Etienne, futur président de l’Assemblée Nationale, fait accepter Paul-Henri Marron comme pasteur de l’Église Réformée de Paris. Le culte est célébré dans diverses salles en 1789 et 1790. À la demande du maire de Paris, Bailly et de La Fayette, la belle église Saint-Louis du Louvre sera louée aux protestants parisiens en 1791. Lors de la dédicace du temple, Marron choisit le verset suivant : « Soyez joyeux dans l’espérance, patients dans l’affliction, persévérants dans la prière ». Le 13 octobre 1791 Bailly assiste en personne au culte. Marron prend pour texte : « Vous connaissez la vérité et la vérité vous rendra libres ».
Mais le pasteur de Paris devient vite suspect aux Jacobins. Il est arrêté le 21 septembre 1793, relâché, arrêté une seconde fois. Il fait des concessions : le culte sera célébré le décadi et non le dimanche.
Le Consistoire décide d’offrir à la municipalité les quatre coupes qui servent à la communion et qui seront transformées en pièces de monnaies. Marron prononce à cette occasion un discours emphatique : « Tous les rangs confondus inséparables de la Liberté... [...] Honte à tous ces échafaudages de mensonges et de puérilités que l’ignorance et la mauvaise foi ont décoré du nom fastueux de théologie. » Le discours prononcé par Marron ne reflète sans doute pas totalement ses opinions réelles. Même si ce n’est pas toute la théologie chrétienne qu’il attaque ainsi, mais seulement certaines dérives et qu’il continue par ailleurs à affirmer sa foi de chrétien.
À la suite d’une dénonciation notre pasteur révolutionnaire est à nouveau mis en prison à l’Hôtel Talara, à côté de la Bibliothèque Nationale, rue de Richelieu. Cette détention plus longue que la première ne prend fin qu’avec la chute de Robespierre. On a beaucoup critiqué Marron pour son attitude pendant la Terreur. On a oublié qu’Oberlin a adopté une attitude sensiblement analogue comme il l’a reconnue dans son Journal : « Je fus interdit de toute fonction ministérielle quelconque par le gouvernement révolutionnaire de Robespierre et des Jacobins et j’établis un club à la place du service divin pour, sous ce nom, continuer vos assemblées ». Le club est convoqué par l’apôtre du Ban-de-la-Roche « au saint temple de la raison ou de l’Éternel, comme nous appellerons désormais nos Églises ».
En dépit de la tourmente révolutionnaire Marron continue de remplir vaille que vaille sa mission pastorale tout en vivant de ses appointements comme traducteur du ministre des affaires extérieures. À partir de 1795, les Églises protestantes se reconstruisent lentement, sans armature spirituelle ni institutionnelle. Après plus d’un siècle d’interdiction et de persécutions, le nombre des pasteurs a chuté de près de moitié, ils ne sont plus que 120, et ce ne sont pas les plus jeunes, ni les meilleurs qui sont restés.