Histoire du protestantisme parisien et de l'Oratoire

1523 : le 1er martyr protestant

C’est à l’entrée de la rue Sainte-Anne et dans l’espace compris entre l’avenue de l’Opéra, la rue Ste-Anne et la rue Thérèse, que se tenait le marché aux pourceaux. L’odeur de ce coin infect était telle qu’en 1571 Charles IX ne voulait pas habiter l’été le palais voisin des Tuileries avant qu’on ait pris des précautions pour atténuer les désagréments d’un tel voisinage.

La grande Butte des Moulins et le marché infect qui se trouvait à ses pieds appartenait à l’évêque de Paris et c’est là que s’exécutaient les arrêts de sa justice. Tout ce quartier était bien fait d’ailleurs pour les bûchers et les pendaisons. Non loin de là, dans la direction de la Seine et près des Quinze-Vingts, sur la chaussée St-Honoré, il y avait l’échelle de justice qui a baptisé la rue de l’Échelle.

Le marché aux pourceaux n’était pas ouvert à tous les criminels. On n’y exécutait jamais pour crime de meurtre ou de rapt, mais on y exécutait fort bien et indifféremment les voleurs, les faussaires, les faux-monnayeurs, les sorciers et sorcières, les hérétiques.

Comme l’Eglise a horreur du sang, l’évêque confiait aux gens du roi l’exécution de ses sentences. Les voleurs y étaient pendus, les faussaires et les hérétiques étaient brûlés ; quant aux faux-monnayeurs ils étaient bouillis vivants dans une grande chaudière.

Le marché aux pourceaux a eu l’honneur de voir brûler le premier martyr de la Réforme française.

C’était le 8 août 1523. On vit ce jour-là un tombereau à immondices conduire devant Notre Dame de Paris un pauvre moine ermite âgé au plus d’une quarantaine d’années. Il put une dernière fois attacher ses regards sur les pierres déjà vieillies de l’admirable édifice. On le contraignit d’entendre du dehors une messe expiatoire ; c’était « l’amende honorable » à laquelle tous les hérétiques étaient condamnés. Puis il fut replacé dans son tombereau et, à travers les rues étroites du Paris d’alors, il fut conduit, en sortant par la porte St-Honoré, jusqu’au pied de la Butte des Moulins, au marché aux pourceaux. Là, on lui coupa la langue ; après quoi, attaché au gibet par une chaîne de fer, il fut brûlé tout vif dans son habit d’ermite.

Quel crime atroce avait donc commis le malheureux et qui était-il ?

Il s’appelait Jean Vallière. C’était un ermite augustin de la petite communauté de Livry près de Pressy. Il était originaire d’Acqueville près Falaise. Il fut brûlé dit le moine Pierre Driart, « pour les blasphèmes et énormes paroles par lui dites à l’encontre de notre créateur Jésus et sa digne mère la Vierge Marie ». Le Journal d’un bourgeois de Paris précise le « blasphème ». Jean Vallière aurait affirmé que « notre seigneur Jésus-Christ avait été de Joseph et de notre Dame conçu comme nous autres humains. »

Jean Vallière avait subi l’influence du mouvement de Meaux (avec Lefèvre d’Etaple), son abbé, Jean Mauburnus était en correspondance avec Erasme, et dès 1520 les écrits de Luther se répandaient rapidement parmi les lettrés (les premières traductions en français n’apparurent qu’en 1526). Tout de suite après le supplice de Jean Vallière, un grand bûcher de livres de Luther fut organisé par le parlement de Paris devant Notre-Dame, et il fut annoncé dans Paris que, sous peine de confiscation de corps et de biens, nul ne fût si osé ni hardi de garder des livres de Luther, mais qu’on les mît tous au feu.

Il y eut bien d’autres exécutions cette année 1523 et dans les années suivantes, en particulier Jacques Pauvant (ou Pavanne), un jeune clerc de l’évêché de Meaux, accusé d’avoir traduit des textes de Luther, brûlé en place de Grève en 1525 et célébré ainsi par Théodore de Bèze :

"Pavanes dedans la flamme,
Triomphe du monde infâme,
De l’erreur et de la mort"

Dans le quartier de l’Oratoire il y a d’autres lieux de supplices, en particulier de protestants :

  • La croix du Trahoir (à l’angle de la rue Saint Honoré et de la rue de l’Arbre Sec (L’arbre sec, c’est la potence qui s’élevait sur la place du Trahoir)
  • Le pilori des Halles, qui se trouvait à peu près à l’emplacement de la porte Lescot du Forum des Halles actuel. Le pilori était une petite tour octogonale d’un étage, percée de hautes fenêtres ogivales, au milieu de laquelle était exposée bien en vue de tous une roue de fer percée de trous où l’on faisait passer la tête et les bras des criminels, voleurs, assassins, blasphémateurs, courtiers de débauche, condamnes à cette exposition infamante. On les y attachait trois jours de marché consécutifs, deux heures par jour, et, pour que chacun pût jouir de cet aimable spectacle, de demi-heure en demi-heure, on tournait le carcan dans une direction différente : on faisait faire aux patients la «pirouette».

C’est ainsi que le 21 janvier 1535, on avait fait le matin dans Paris une procession solennelle qui avait déroulé ses splendeurs de St-Germain l’Auxerrois à Notre-Dame. L’après-midi, pour donner une sanction à cette fête religieuse, on avait brûlé six luthériens. Trois devant la Croix du Trahoir : Audebert Valeton, receveur de Nantes, maître Nicole Lhuillier, clerc du greffe du Châtelet et maître Simon Foutret, chantre du roi). Les trois autres furent brûlés aux Halles après avoir fait amende honorable devant Notre-Dame. C’étaient un riche fruitier des Halles, Jean Lenfant, un faiseur de petits paniers de fil d’archal et un menuisier dont le nom est resté inconnu. Les malheureuses victimes furent conduites au supplice, deux par deux, dans six tombereaux de voierie. Un autre tombereau les précédait, chargé, celui- là, de « grands sacs de livres de la fausse et mauvaise doctrine de Luther. »