Intellectuels oratoriens : Massillon, Malebranche et Simon
Les oratoriens, qui comptent dans leurs rangs des hommes ayant reçu une solide formation théologique, plusieurs étant même docteurs en Sorbonne, sont très recherchés comme prédicateurs. C’est l’époque où l’on entreprend de vastes campagnes de prédication, dans les villes comme dans les campagnes, qui durent plusieurs semaines (et parfois même plusieurs mois) destinées à ré-évangéliser des populations entières.
Les prédicateurs oratoriens, sont, semble-t-il, particulièrement appréciés pour leur érudition scripturaire et patristique, leur amabilité, et leur vie spirituelle toute nourrie de Jésus Christ. Le Père Bourgoing, deuxième successeur de Bérulle, les exhorte en ces termes: « Il vous faut recevoir de Dieu ce que vous voulez donner au prochain... Il faut que Jésus vive en vous et parle en vous, afin qu’il opère et qu’il parle par vous".
Plus tard, l’Oratoire connaîtra des prédicateurs illustres dont le nom a marqué l’histoire: le plus connu sous l’Ancien Régime est Jean-Baptiste Massillon (1663-1742) dont l’art oratoire séduit d’abord la province puis Paris et le Versailles de Louis XIV.
Le travail intellectuel
La vie et la recherche intellectuelles ne sont pas pour les oratoriens une activité parmi d’autres, qui serait réservée à quelques spécialistes. Tous doivent s’y consacrer, dans la mesure de leurs possibilités. L’intelligence humaine doit se mettre au service de la foi, mais sans en être l’esclave: l’une et l’autre doivent conjuguer leurs efforts dans la recherche de la vérité. Il est donc nécessaire d’être attentif au mouvement des idées et à l’évolution des mentalités.
Ainsi, Bérulle lui-même encourage le jeune Descartes, qui aura des relations encore plus suivies avec le Père Gibieuf, nommé en 1617 Supérieur de la maison de Paris. Le cartésianisme se répand parmi les membres de la congrégation, malgré le risque qu’il comporte d’une évolution vers un rationalisme subversif.
Le philosophe le plus illustre de l’Oratoire sous l’Ancien Régime est Nicolas Malebranche (1638-1716). Il s’imprègne de la pensée de Descartes qu’il entreprend de christianiser. Tout en voyant bien, en effet, la puissance de renouvellement de la philosophie cartésienne, l’oratorien en perçoit aussi les dangers. Là où Descartes ne voit dans la raison qu’une lumière naturelle, Malebranche y voit une lumière divine. Car ce philosophe est aussi un contemplatif, nourri de la spiritualité de Bérulle, et un homme convaincu de la possibilité d’établir une relation harmonieuse entre science, philosophie et foi chrétienne. Il s’emploie à cette tâche, en définit la méthode, et en précise les exigences dans ses livres, notamment dans La Recherche de la vérité.
Richard Simon et la naissance de l’exégèse
L’exégèse biblique est brillamment illustrée par Richard Simon (1638-1712). Il connaissait le grec, l’hébreu, l’araméen, indispensables à l’approche des manuscrits anciens et des textes originaux de la Bible. Il connaissait également les méthodes d’exégèse traditionnelle du judaïsme et celles des pères de l’église.
Richard Simon avait été nommé pour faire un inventaire de la magnifique bibliothèque de l’Oratoire, qui était dans la maison qui jouxtait l’église, bibliothèque contenant en particulier une importante collection de manuscrits en hébreux et grec provenant de Constantinople et ramenés par M. Harlay de Sancy qui y avait été ambassadeur. L’érudition de Richard Simon le rendait apte à ce travail. Cela était tout à fait dans son goût, et il mit à profit ce qui devait être un simple travail de recensement pour lire tous ces livres ! Ce qui fait que le travail ne pris pas que quelques mois mais plusieurs années de travail inlassable. Le catalogue des œuvres rendu par Richard Simon ne formait qu’un cahier de 16 feuillet in 4° donnant une simple liste sans autre détail, mais le fruit du travail de Richard Simon allait infiniment plus loin.
Par la qualité de son travail, la rigueur de sa méthode, il est considéré aujourd’hui comme le créateur de l’exégèse moderne ou de l’étude scientifique de la Bible. Hélas, une pensée trop en avance sur celle de son époque et son caractère ombrageux choquent beaucoup d’esprits et conduisent à son exclusion de la congrégation de l’Oratoire.
Son œuvre majeure, qui a vraiment marqué l’histoire de l’interprétation de la Bible, est son Histoire critique du Vieux Testament, il y reconnaît l’impossibilité d’attribuer à Moïse la rédaction du Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible).
Richard Simon travailla également à une traduction de la Bible. Il engagea ce travail pour son Histoire critique mais aussi à l’appel des protestants. En 1676, le consistoire réformé du temple de Charenton (le grand temple de Paris) sous l’inspiration des pasteurs Claude et Allix, demande à Richard Simon de travailler ensemble à une nouvelle traduction de la Bible en français. Les bibles qui existaient alors étaient déjà anciennes, la plus utilisée alors était la Bible d’Olivétan datant de 1535, même si elle a été revue par Calvin, puis par d’autres au cours du XVIIe siècle, elle commençait à dater, surtout du point de vue de la langue (qui avait évolué d’une manière assez importante en 150 ans).
Richard Simon met au point une méthode, un plan de travail pour réaliser une traduction de la Bible la plus sérieuse possible. Il publiera ce plan dans son Histoire critique :
il commence par établir quel est le texte qu’on doit traduire, texte qui aura celui des Massorètes pour base (sages juifs qui ont ajouté les voyelles et des signes de ponctuation au texte hébreu original qui n’en comportait pas). Ce texte est contrôlé et éventuellement rectifié ou enrichi de variantes possibles à partir d’anciennes versions ou d’anciennes traductions de la Bible, qui proposent parfois d’autres voyelles possibles, ou une autre ponctuation.
Richard Simon propose ensuite d’étudier le vocabulaire, les différents sens possibles des mots hébreux en se servant de concordances (donnant l’ensemble des passages de la Bible qui comportent un même mot hébreu, ou une même racine). Il s’aide aussi des travaux des rabbins pour ce travail.
- La traduction commence alors, en étant le plus proche du texte biblique tout en étant le plus clair possible, en évitant d’intercaler dans le texte des paraphrases explicatives.
- Des notes sont également rédigées permettant de signaler des variantes, les sens divers, ainsi que des explications des termes techniques, mais pas de commentaires, ni de proposition d’interprétation.
- Ce travail est complété d’un lexique expliquant certains mots, de cartes géographiques, et de tables chronologiques en fin de l’ouvrage.
Cette traduction choisissant de ne pas insérer de notes d’interprétation, elle était destinée à pouvoir être utilisée par les protestants comme par les catholiques. Cet objectif qui était essentiel aux yeux de Richard Simon lui valut les foudres de Bossuet qui jusque là le soutenait bien.
Par contre, les pasteurs de Charenton trouvèrent le plan de Richard Simon excellent, le travail commença, réparti entre Richard Simon et une équipe d’autres savants protestants. La Révocation de l’Édit de Nantes (Édit de Fontainebleau), en 1685 arrêta cette collaboration, les protestants étant soit partis se réfugier à l’étranger , soit cachés, soit arrêtés.
Simon continua donc seul, il publia sa traduction du Nouveau Testament en 1702, la traduction de l’Ancien Testament devait suivre peu après mais elle resta dans les cartons car Bossuet attaqua avec tant de vigueur la traduction du Nouveau Testament, accusant Richard Simon d’hérésie, qu’il fut condamné par le Conseil de la congrégation.