Aboutissement de l'Oratoire du Louvre au XVIIIe siècle

Louis XVI et l’édit de Tolérance

Au début du règne de Louis XVI, en 1775, les ordonnances et édits contre les protestants sont toujours officiels. Mais les persécutions systématiques ont cessé en province depuis déjà une vingtaine d’années, et à Paris, la présence des ambassades étrangères assure une certaine tranquillité aux protestants. Les curés sont incités par leur hiérarchie à être plus accommodants pour marier et baptiser les protestants, espérant les faire progressivement rentrer dans le rang.

Les pays protestants du nord de l’Europe connaissent à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècles une prospérité intellectuelle, industrielle et commerciale. Au delà des frontières les savants des académies et universités européennes échangent leurs informations en une "République des Lettres", échappant à l’intolérance religieuse et à la censure. Les ouvrages religieux édités "au Refuge" circulent par les voies du négoce. Les protestants entretiennent des liens avec leurs cousins huguenots exilés, envoient leurs enfants (dès 8 ans) faire leurs études en Suisse, Allemagne, Hollande et Angleterre où ils reçoivent une solide éducation conforme à leurs souhaits et où ils se marient souvent (leur statut est ainsi reconnu, leurs enfants légitimes) avant de revenir et faire prospérer les affaires familiales en France. Ils contribueront à l’émergence d’une bourgeoisie protestante transnationale de banquiers, négociants et manufacturiers respectés et appréciés pour leur intégrité morale.

Les encyclopédistes ne se préoccupent pas directement du sort des protestants, mais ils reprennent beaucoup d’éléments au Dictionnaire de Pierre Bayle édité en Hollande, et le marquis Louis de Jaucourt, éduqué à Genève, Cambridge et Leyde, resté protestant tout en se pliant aux formalités du mariage et du baptême catholique, fournit un quart des articles de l’Encyclopédie. En 1763, Voltaire émeut l’opinion en publiant son Traité sur la tolérance dénonçant l’erreur judiciaire dont a été victime le protestant toulousain Jean Calas, accusé d’avoir tué son fils, et obtient sa réhabilitation posthume en 1765. Une fille de Calas épousera un chapelain de l’ambassade de Hollande.

Des contacts s’établissent entre les autorités et quelques pasteurs comme le nîmois Paul Rabaut qui vient à Paris en 1755 invité par le prince de Conti. Antoine Court de Gébelin, fils d’Antoine Court, vit ouvertement à Paris de 1763 à sa mort en 1784, considéré comme un des esprits les plus érudits de son temps, économiste, physiocrate, linguiste et membre influent de la franc maçonnerie "illuministe" de la loge des Neuf Sœurs. Le "comité" secret des réformés parisiens craint ses audaces et ne lui délègue pas de pouvoirs lorsqu’il veut faire reconnaître conjointement l’état civil et le culte public. Les protestants sont divisés quant à adopter une stratégie trop offensive, mais les mentalités évoluent en leur faveur. On brasse beaucoup d’idées "éclairées" dans les cercles des salons et des cafés, dont plusieurs sont familiers, comme Jean-Jacques Rousseau.

Le règne de Louis XVI est marqué par des réformes importantes concernant le droit des personnes : abolition de la torture en 1781 et 1788, abolition du servage dans le domaine royal en 1779, abolition du péage corporel des juifs d’Alsace en 1784.

Concernant les protestants, des avancées significatives adviennent sous le règne de Louis XVI :

  • 1787 - Édit de tolérance : il rend l’état civil aux protestants, le droit de faire enregistrer les mariages et les naissances devant des magistrats civils, mais la célébration du culte public demeure interdit.
  • 1789 - Déclaration des droits de l’homme : apporte la liberté de conscience.
  • 1790 - Loi du retour : Un état civil est donné aux protestants et aux descendants de protestants ayant quitté la France pour fait de religion, en particulier après l’édit de Fontainebleau révoquant l’édit de Nantes, mais aussi les descendants des huguenots partis en 1560. Même s’ils furent peu nombreux par rapport au nombre de personnes parties, ce geste est important et cela permit le retour de Benjamin Constant, par exemple, parmi ces descendants d’expatriés.

La guerre d’indépendance américaine est très suivie en France, la déclaration d’Indépendance prônant en 1776 la liberté et l’égalité des hommes particulièrement bien accueillie. Benjamin Franklin en séjour à Paris entre 1776 et 1785 est reçu par toute la communauté scientifique et littéraire parisienne, La Fayette accueilli avec enthousiasme à la cour en 1787.

Louis XVI subit l’influence des Lumières et entreprend des réformes concernant le droit des personnes avec l’abolition de la torture. Il fait appel au financier protestant suisse Necker pour redresser les finances et accorde une subvention à Mme Necker lorsqu’elle fonde l’hôpital de la rue de Sèvres en 1778. Malesherbes publie en 1785 un mémoire sur le mariage des protestants insistant sur la nécessité d’un état civil ; il rencontre des pasteurs chez le marquis de Jaucourt (descendant de Duplessis-Mornay), dont l’hôtel est surnommé "la maison des Huguenots" lors des pourparlers de l’édit de Tolérance.

Le 7 novembre 1787, Louis XVI signe à Versailles l’édit de Tolérance enregistré par le Parlement le 29 janvier 1788. La religion catholique demeure la religion officielle du royaume de France mais l’édit consacre juridiquement la présence des protestants en leur accordant l’état-civil, et admet l’existence d’un culte privé différent (protestant ou juif) quoique l’exercice du culte public demeure interdit. Il marque la fin officielle des persécutions et l’autorisation d’exercer la plupart les métiers libéraux et du commerce, à l’exclusion de ceux de l’administration et de l’éducation.

L’édit de Tolérance, encore très restrictif, est une première reconnaissance officielle du protestantisme français après un siècle de clandestinité et d’éviction. Les protestants aspirent à ce que leurs droits de citoyens soient pleinement reconnus, à la liberté et à une justice impartiale. A Paris, ils vont s’organiser, faire appel au pasteur Marron, ancien aumônier de la chapelle de Hollande, et louer dès que possible pour leur communauté un "digne" lieu de Culte dans l’église désaffectée Saint-Louis du Louvre. Par ses contacts privilégiés avec l’étranger où le protestantisme s’est développé sans contrainte, une élite protestante bourgeoise a acquis une vision internationale libérale et dynamique. Ces hommes vont participer aux évènements révolutionnaires, rejeter les violences de la Terreur et saisir toutes les opportunités que la reconnaissance juridique leur procurera. Le malheur les a rendus sensibles à l’arbitraire, à l’injustice civique et sociale; dans la prospérité ils prendront soin des défavorisés et feront souvent œuvre de philanthropie.

Dès le début de 1789, au moment des Etats-Généraux, les protestants, paysans et bourgeois, considèrent l’égalité politique depuis si longtemps réclamée comme un fait acquis. C’est l’Article X de la Déclaration des Droits de l’Homme, sous l’impulsion du député protestant Rabaut Saint-Etienne, qui formule, assez maladroitement, le principe de la liberté de conscience et de culte : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ».

En décembre 1789, la Constituante accepte que les non-catholiques soient admis à tous les emplois civils et militaires. Elle définit le citoyen actif (électeur, éligible) sans aucune mention confessionnelle. Elle autorise tacitement les Eglises à s’organiser à leur gré, et ainsi les protestants peuvent-ils acquérir ou louer des bâtiments pour leur culte : le 22 mai 1791, pour la première fois depuis le XVI°s. est célébré à Paris un culte protestant public officiellement autorisé, à Saint-Louis du Louvre !

L’Edit royal de décembre 1790 accorde la nationalité française à toute personne exilée pour cause de religion et restitution des biens confisqués par la Couronne (un nombre conséquent de Réfugiés, de Prusse et de Suisse notamment, reviendront en France). La Constitution de 1791 garantit à tout citoyen « comme droit naturel et civil » la liberté « d’exercer le culte religieux auquel il est attaché ».

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