Rabaut Saint-Étienne
Jean Paul Rabaut, dit Rabaut Saint-Étienne (1743-1793), est un des 3 fils de Paul Rabaut, un des grands pasteurs du Désert, et a donc passé son enfance dans l’insécurité permanente des familles pastorales du Désert.
Formé au Séminaire de Lausanne, il est consacré pasteur en 1764 et rejoint son père qu’il assiste durant 20 ans à Nîmes et dans sa région.
Le contenu proprement chrétien de sa prédication va diminuant au profit (?) d’une morale plutôt hédoniste et rationaliste. Inspiré par Condillac, dans un sermon de Noël, il affirme que « la religion révélée n’est que la religion naturelle dévoilée aux mortels et confirmée par Jésus-Christ ». Loin de Jean-Jacques Rousseau, il pense que « la conscience n’est ni une voix secrète de Dieu qui se fait entendre à nos âmes, ni un juge placé en nous à qui notre être soit soumis : elle n’est autre chose que le jugement que notre raison porte sur nos actes ».
Il croit donc sincèrement pouvoir concilier une bonne philosophie et la religion, définie en termes purement humanistes, et finit par mettre ses positions philosophiques à la place des doctrines réformées…
À la mort de Court de Gebelin, il lui succède et plaidant à Paris la cause des protestants notamment auprès de La Fayette et du ministre Malesherbes, il joue un rôle décisif dans les négociations qui aboutissent en 1787 à l’Edit de Tolérance. Il n’en est cependant pas satisfait, puisqu’il n’a obtenu que l’Etat-civil, et une tolérance qui n’est pas l’égalité des droits, ni la liberté de culte.
Député aux États-Généraux en 1789, il est très actif dans les débats préparatoires à la Déclaration des Droits de l’Homme, et notamment de son article X, sur la liberté de conscience et d’opinion. Son activisme lui vaut d’être accusé d’avoir inspiré les massacres de Nîmes et Montauban ; dans la caricature des « coups de Rabaut », il est représenté comme cachant sous sa robe pastorale les replis d’une queue démoniaque, et dès 1791, Boyer de Nîmes lance le thème du complot calviniste contre la monarchie et la religion.
En septembre 1792, il est un des Conventionnels modérés siégeant avec les Girondins, dont il partage le sort : arrêté en décembre 1793, il est guillotiné.
2- Le protestantisme face à la Révolution
Dès le début de 1789, au moment des États-généraux, les protestants considèrent l’égalité politique depuis si longtemps réclamée comme un fait acquis. Sous l’impulsion du député protestant Rabaut-Saint-Étienne, l’Article X de la Déclaration des Droits de l’Homme formule, assez maladroitement, le principe de la liberté de conscience et de culte : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ».
En décembre 1789, la Constituante accepte que les non-catholiques soient admis à tous les emplois civils et militaires. Elle définit le citoyen actif (électeur, éligible) sans aucune mention confessionnelle. Elle autorise tacitement les églises à s’organiser à leur gré, et ainsi les protestants peuvent-ils acquérir ou louer des bâtiments pour leur culte : le 22 mai 1791, pour la première fois depuis le XVI°s. est célébré à Paris un culte protestant public, à Saint-Louis du Louvre !
L’édit royal de décembre 1790 accorde la nationalité française à toute personne exilée pour cause de religion et restitution des biens confisqués par la Couronne (un nombre conséquent de Réfugiés, de Prusse et de Suisse notamment, reviendront en France…).
La Constitution de 1791 garantit à tout citoyen « comme droit naturel et civil » la liberté « d’exercer le culte religieux auquel il est attaché ».
Les protestants se sont donc montrés dans l’ensemble favorables à la Révolution qui leur avait enfin accordé la pleine égalité des droits et la liberté de culte. Face à une Contre-Révolution d’essence aristocratique ou très catholique, les protestants s’affirment patriotes, mais tout aussi divisés que la nation : girondine à Caen, Bordeaux, Marseille et Nîmes, la bourgeoisie réformée est montagnarde à Montauban ou Sainte-Foy… Au demeurant, il n’y eut jamais de « groupe protestant » dans les assemblées révolutionnaires, où se distinguèrent quelques personnalités : Rabaut-Saint-Étienne, Barnave, Boissy d’Anglas, Jeanbon Saint-André…
Pendant la vague de déchristianisation et la Terreur, les temples sont fermés, le culte public cesse, nombre de pasteurs renoncent à leur ministère, par prudence ou sous la pression, plus que par adhésion au Culte de la Raison, puis à celui de l’Être suprême.
Au moment d’abdiquer, le pasteur Dumas, du Gard, se justifie d’avoir toujours « prêché aux hommes la vertu et la morale universelle, puisée dans le livre de la nature ». Aussi atteint par la Philosophie du Siècle, le curé Radier, de l’Héraut, se ralliant à la religion naturelle, dit : « maintenant que l’état de prêtre contrarie le bonheur du peuple, retarde le progrès des Lumières, entrave la marche de la Révolution, je l’abdique et je me jette dans les bras de la société ».
Il est permis de s’interroger sur les ressemblances entre la vague iconoclaste de la Réforme au XVIe siècle et certains aspects de la déchristianisation entre 1793 et 94 : même volonté de décléricaliser, de désacraliser, en s’en prenant au calendrier comme aux lieux de culte et aux images. Sous la Révolution, la Raison libérée se veut destructrice du fanatisme et de toute superstition : les églises sont fermées ou converties en temples de la Raison, les statues renversées, les reliques dispersées, les objets liturgiques profanés, les confessionnaux brûlés…On boit à la santé de la République dans les ciboires et les calices, les « vases prétendus sacrés » sont regardés comme « gobelets magiques ».
La Réforme n’avait certes pas le désir de déchristianiser, mais au milieu des excès de ce vandalisme particulièrement dommageable au patrimoine artistique et monumental de la France, en 1564 comme en 1793, cette radicale remise en cause des institutions, des sacrements et des rites a quelque air de famille avec les principes initiaux de la Réforme…
À partir de 1795, les Églises protestantes se reconstruisent lentement, sans armature spirituelle ni institutionnelle (le 1° synode national depuis le XVIII°s. aura lieu en 1872 !) ; le nombre des pasteurs a chuté de près de moitié, ils ne sont plus que 120, et ce ne sont pas les plus jeunes, ni les meilleurs qui sont restés.