L'âme
Culte du 25 juillet 1937
Dernier sermon prêché à l'Oratoire du Louvre par le pasteur Émile Guiraud le 25 juillet 1937
Avant-propos
Le 14 septembre 1937 le pasteur Émile Guiraud était rappelé à Dieu.
Mais son ministère dans l'église de l'oratoire du Louvre n'a pas cessé pour cela d'être une vivante réalité. Son esprit, dans lequel l'église avait reconnu d'emblée son âme la meilleure, affirme spontanément la permanence de son action. Par sa valeur propre, par sa soumission à l'esprit du sauveur, il demeure, il travaille, il poursuit son œuvre constructive. Cependant, il a paru possible de prolonger et d'élargir cette action, en faisant entendre à nouveau la voix de ce vivant. Pour ceux qu'il a nourris du pain de vie pendant son ministère terrestre, pour ceux qui voudraient entrer demain dans le cercle de son rayonnement, l'église de l'oratoire a préparé avec amour le livre qu'elle offre aujourd'hui à ses fidèles.
Les pages en sont toutes baignées de lumière Et de paix. La méditation ardente du prédicateur nous y est livrée telle qu'elle a jailli de son cœur, sans retouche ni correction, comme un message de la vie éternelle ; et la même foi en la même vie éclaire et transfigure la douleur qui s'exprime dans l'hommage de ses collègues et de ses frères.
Aussi ne voulons-nous ici d'autre avant-propos que ces quelques lignes trouvées dans les papiers du pasteur :
Tout ce qui a été dit sur la mort et la vie future, je le donne tranquillement pour cette parole du Christ :
« Je remets mon esprit entre tes mains. »
Je ne sais pas, mais tu es là, fidèle gardien ;
Tu m'as relevé quand je tombais dans la poussière ;
Tu m'as ramené quand j'allais m'égarant ;
Tu m'as fait vivre quand je me détruisais moi-même ;
Tu ne m'abandonneras pas quand je ne serai plus rien sur terre.
Mon cœur qui a souffert, mon âme qui a cherché, ma conscience qui a lutté, monteront vers l'invisible.
De cette ascension dans la lumière, ce petit volume voudrait être l'humble témoin.
Paroles d'un Vivant
Ensemble de six méditations du pasteur Émile Guiraud
Ensemble de six méditations du pasteur Emile Guiraud
Méditations
I. La joie
II. Avec Dieu
III. Chez Lui
IV. Fleurir
V. La prière
VI. L'âme
et Services In memoriam célébrés
le 16 septembre 1937
et le 16 octobre 1937
Lectures bibliques
La main de l'Eternel fut sur moi, et l'Eternel me transporta en esprit, et me déposa au milieu d'une vallée remplie d'ossements. Il me fit passer auprès d'eux, tout autour ; et voici, ils étaient fort nombreux à la surface de la vallée et ils étaient complètement secs.
Il me dit : Fils de l'homme, ces os pourront-ils revivre ? Je répondis : Seigneur Eternel, tu le sais.
Il me dit : Prophétise sur ces os, et dis-leur : Ossements desséchés, écoutez la parole de l'Eternel ! Ainsi parle le Seigneur : Voici, je vais faire entrer en vous un esprit, et vous vivrez ; je vous donnerai des nerfs, je ferai croître sur vous de la chair, je vous couvrirai de peau, je mettrai en vous un esprit, et vous vivrez. Et vous saurez que je suis l'Eternel. Je prophétisai selon l'ordre que j'avais reçu, et comme je prophétisais, il y eut un bruit, il se fit un mouvement, les os se rapprochèrent les uns des autres. Je regardai et voici, il leur vint des nerfs, la chair crût, et la peau les couvrit par-dessus ; mais il n'y avait point en eux d'esprit.
Il me dit : Prophétise et dis à"l'Esprit : Ainsi parle le Seigneur Eternel : Esprit, viens des quatre vents,
souffle sur ces morts et qu'ils revivent ! Je prophétisai selon l'ordre qu'il m'avait donné, et l'Esprit entra en eux, ils reprirent vie, ils se tinrent sur leurs pieds, et c'était une armée nombreuse, très nombreuse.
Ezéchiel XXXVII, I-10.
Paul, debout au milieu de l'aréopage, s'exprima ainsi : Athéniens, je vous trouve à tous égards, le plus dévot des peuples ; car en regardant les objets de votre culte, j'ai trouvé même un autel sur lequel était écrit : « Au Dieu inconnu ». Eh bien ! ce que vous révérez sans le connaître, c'est ce que je viens vous annoncer : le Dieu qui a fait le monde et tout ce qu'il renferme. Lui, qui est le maître du ciel et de la terre, n'habite pas dans des sanctuaires faits de main d'homme ; il n'est point servi non plus par des mains humaines, comme s'il avait besoin de quelque chose, lui qui donne à tous la vie, la respiration et toutes choses... Et certes, il n'est pas loin de chacun de nous, car c'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être ; et comme l'ont dit quelques-uns de vos poètes, « nous sommes aussi de sa race».
Actes des Apôtres XVII, 22-28.
« L'Eternel est vivant et ton âme est vivante. » II Rois II, 2.
L'âme
A tout homme attentif, l'Evangile et la vie d'une même voix enseignent que l'âme est la seule beauté, la seule force, la seule réalité vivante de ce monde.
Dans toutes ses pages, avec leurs luttes, leurs cris, leurs prières, l'Evangile porte l'affirmation primordiale que l'âme est la valeur suprême. Que d'autres livres rapportent et célèbrent ce qu'on appelle les grands faits de l'histoire humaine, guerres, déplacements de puissance d'un peuple à l'autre, ou même encore les audaces de l'intelligence humaine et ses découvertes, l'Evangile, lui, ne considère et ne recueille que les mouvements et les visages des âmes. Dans ses pages, à peine un mot pour signifier que Tibère existait,.. et tout un récit pour évoquer l'âme d'une femme étrange qui ne prononce pas une seule parole et vient aux pieds du Nazaréen briser un vase d'albâtre.
Plus encore que devant les cieux étoilés, devant l'âme humaine les prophètes ont eu des visions ; et de sa voix si frémissante depuis le chemin de Damas, saint Paul devant l'âme humaine a improvisé l'impérissable cantique de l'Esprit qui est avec nous, en nous, éternellement pour nous.
Devant l'âme humaine, Jésus a eu des tressaillements de joie divine, des compassions infinies; c'est pour elle qu'il s'agenouillait le matin, et pour elle qu'un soir il a accepté de mourir, car pour lui c'était une évidence brûlante : le monde visible avec ses ruissellements de lumière, ses richesses et ses gloires ne peut égaler en valeur le prix d'une seule âme.
C'est ainsi que l'Évangile parle de l'âme.
Et la vie elle aussi, comme un livre qu'on lit page après page — pages sombres ou pages claires — chaque jour davantage dresse à nos yeux l'unique valeur de l'âme. Au travers des expériences, des épreuves, des visions qui nous permettent de dévisager la vie et d'en saisir la réalité, comme l'homme de la parabole qui écarte successivement toutes les perles fausses pour ne garder que celle, unique, de grand prix, chacun de nous progressivement élimine toutes choses, secrètement s'en détache, pour ne plus accorder de valeur qu'à l'âme seule. Une heure vient pour tous où hormis l'âme on n'admire plus rien. L'intelligence la plus haute peut nous éblouir, le devoir le plus strict nous étonner, la musique la plus harmonieuse nous frôler, si l'âme ne les habite pas, notre intime adhésion se refuse, et il arrive un âge où l'on estime même que c'est là du temps perdu, une sorte de jeu qui comporte ou beaucoup de puérilité ou le parti-pris d'éviter la réalité de la vie. Sans âme il n'y a plus d'art, plus de pensée vivante, plus de contacts entre nous ; tout retombe au monde des choses muettes et sans regard.
Mais, avec l'âme, les regards d'un enfant chantent comme un Magnificat dans une cathédrale, les silences sont lourds d'ineffables messages.
Quel homme ignore les divines heures de l'amitié, de l'amour où l'âme règne ? Quand l'âme est absente nous existons, quand l'âme est là nous vivons. Nous pressentons notre destinée, nous nous sentons entre les mains d'une Réalité à la fois intime et qui surpasse nos pensées et même nos forces. Notre vie devient plus qu'elle-même, elle est semblable à une voile que gonfle un souffle mystérieux qui la fait frémir, lui fait rompre ses plus fermes amarres et la pousse incessamment vers de nouveaux et plus larges horizons.
O la suprême découverte, celle que nous sommes appelés à faire ici-bas, après quoi nous serons dignes de partir, c'est-à-dire de mourir : la découverte de notre âme, et de celle, toute proche, de l'enfant, de l'ami, celle du Christ dans le Livre où le Christ vit, tout offert.
Et nous pressentons bien que notre vie véritable ne se compose pas de cette multitude d'heures consacrées au sommeil, aux repas ou à notre travail machinal ou même intellectuel, mais seulement des heures où nous avons aimé, pleuré, chanté, prié, les heures où notre âme a dressé son visage.
Qu'est-elle donc ton âme ? Elle est vêtue de ta sensibilité, ton corps est son serviteur, ton visage, ta parole et surtout ton silencieux regard sont ses traducteurs, ton intelligence lui est offerte comme un outil et ta conscience veille à sa porte.
Plus profondément ton âme est en toi la source permanente de ta vie, le lieu mystérieux et sacré où à toute heure tu reçois l'être. En elle une main délicate, surhumaine, charitable, te donne la vie, car tu n'es certainement pas assez léger pour croire que la vie qui est en toi c'est toi qui te la donnes et que c'est à toi qu'elle appartient.
S'il faut prendre une comparaison, ton âme est le point d'attache où le sarment qu'est ta personne spirituelle, reçoit la vie du Cep inépuisable qu'est Dieu.
Comment ne fléchis-tu pas les genoux ?
Les grands poètes religieux, les Églises, les visionnaires de l'Esprit ont célébré les heures de l'histoire, heures solennelles, où Dieu s'est approché des hommes. Épiphanies, inspirations, buisson ardent, incarnation que domine le grand cri « Emmanuel », Dieu avec nous; et devant ces visitations de Dieu tous se sont agenouillés, frissonnants, tant ils en éprouvaient le mystère de grandeur et de charité divines.
Oh ! ami, dans ton âme, à toute heure s'accomplit une visitation divine aussi riche et solennelle que celle qui remplit la vision d'Ezéchiel ou la nuit sereine de la Nativité. Pourquoi n'en ressens-tu pas la grandeur et la charité ?
Tu serais plus attentif et peut-être te prosternerais-tu, si ton Dieu venait à toi à la façon humaine des hérauts puissants, environné de richesses visibles qui éblouiraient ton regard.
Tu serais plus attentif et peut-être te prosternerais-tu si ton Dieu venait à toi dans la suprématie d'une Pensée qui soudain ferait culminer ton intelligence jusqu'au dernier secret de la vie.
Mais tu ignores ou tu méprises peut-être ce jaillissement mystérieux, miséricordieux, qui en toi suscite la vie ! Oh ! païen, confondrais-tu la violence avec la puissance et l'intelligence avec l'Esprit ? Et cependant quel Dieu saurait être plus proche, plus secourable, plus vivant que le Dieu, qui à toute heure te fait vivre ?
Ton âme est jointure sacrée de ta personne et de la personne de Dieu. C'est pourquoi en regardant à elle tu peux dire : c'est moi; mais dans le même moment il te faut dire : c'est Lui aussi ; et le grand aveu, la grande découverte religieuse est de confesser : c'est moi par Lui.
Et c'est parce qu'Il est là, Lui, que l'âme, est insondable. Musiciens, poètes, et plus haut les saints agenouillés l'ont seulement effleurée, elle garde encore tout son infini. C'est parce qu'Il est là, Lui, que ton âme, toujours insatisfaite des seules nourritures terrestres, soulève en toi des nostalgies, des mélancolies qui regardent au-delà. C'est parce qu'Il est là, Lui, que ton âme est chaque jour inédite, en état d'incessante création. C'est parce qu'Il est là, Lui, que ton âme est éternelle,... éternelle à cause de Lui et non certes à cause de toi.
De cette divine présence dans ton âme, ne doute jamais. N'as-tu pas éprouvé que ton âme est ici-bas une forteresse imprenable, un inviolable sanctuaire ? Tout ce qui est humain en toi peut succomber aux entreprises des hommes ou des événements, on peut déchiqueter ton corps, dévier ton intelligence, violenter ton cœur et même troubler ta conscience ; mais au seuil de l'âme toutes les puissances expirent, et le plus faible, le plus déshérité des hommes, peut fermer sur son secret une porte que nul ne saurait forcer ; comme Jésus devant Hérode, il peut demeurer silencieux. Ici est l'inviolable asile, ici la liberté ; et tous les martyrs ont buriné dans l'histoire humaine cette vérité : Ne craignez pas ceux qui peuvent bien tuer le corps, mais qui, après cela, ne peuvent rien de plus.
Jean Huss, au bûcher, manifestait une telle sérénité que ses persécuteurs en furent épouvantés. Sa chair brûlée, sa voix étouffée, son âme dans son regard se montrait inaccessible, surhumain refuge au-dessus des mains humaines, comme une demeure de Dieu.
Et s'il fallait encore une autre preuve de la présence active de Dieu dans nos âmes,.. n'avez-vous jamais été surpris de retrouver en vous et souvent malgré vous toutes les possibilités d'une vie spirituelle ?
Comment ? nous sommes impurs, défaillants, hostiles,.. volontairement et parfois même avec une application soutenue nous dévions, nous brisons les élans de notre vie intérieure ; et pourtant, malgré nos ruines, nos prostitutions, nos souillures entretenues,.. en somme malgré nous, il y a et il demeure en nous, ô miracle, un sanctuaire où nous attendent, prêtes à nous recevoir et qui même nous appellent, des adorations encore possibles, des innocences, dés fraicheurs spirituelles qui ont un goût de Genèse... et nous n'en sommes pas surpris ?
Si nous étions seuls dans nos vies intimes, si personne n'était là en nous pour y entretenir miséricordieusement les ressources de la vie... il y a longtemps que nous serions morts spirituellement, que nous serions incapables de sourire à notre ami et même d'ouvrir les bras à nos enfants.
Mais Dieu veille, Dieu travaille. Nous avons beau nous défaire, intimement, Dieu nous refait. Nous pouvons descendre aux poussières, Dieu nous ressuscite ; et il faut même penser que la miséricorde qui nous soulèvera dans les tombeaux aura alors bien moins à faire pour nous que dans cette incessante résurrection quotidienne où Il nous maintient une âme malgré nos corruptions, nos affaissements et nos résistances.
Au repli du terrain, une source ouvrait sa limpidité. Puis des hommes, des bêtes au pas lourd vinrent et piétinèrent, et l'eau claire où se reflétait le ciel devint un bourbier. Mais là même patiemment, un filet clair se fit jour, propageant sa pureté, dissipant les souillures, chassant les eaux polluées, rétablissant la vertu première du jaillissement mystérieux.
Amis, l'image est transparente. Ce filet d'eau claire qui lutte silencieusement, cette limpidité qui refuse de mourir... voilà votre âme et l'œuvre de Dieu en vous.
Et, au milieu de nous, suprême témoignage de ce que Dieu veut : l'âme de limpidité parfaite du Christ, source qui dit son secret : Je ne fais rien par moi-même. Celui qui croit en moi, des sources d'eau vive ruisselleront de son sein.
Quelle conclusion pratique pourrons-nous donner à cet entretien ? Je ne sais, car elle devrait être multiple comme nos vies et nos besoins.
Au découragé il faut dire : Debout quand même, tu as une âme.
Au superbe : fou qui t'enorgueillis de vanités... mais tu as une âme.
A l'impur : oh ! tu as une âme.
A celui qui s'épouvante sur les tombeaux : Courage ! au-dessus de tout ce qui passe il y a l'âme.
Seigneur, que ton Esprit en chacun de nous maintenant nous instruise et que venus ici pour Te rencontrer, tous nous puissions Te redire : J'ai vu, Seigneur, tout ce que Tu fais à mon âme ; et mon âme Te bénit, Seigneur.
A la fin du manuscrit se lit ce thème préparé sans doute pour la prière du Pasteur :
Nous venons accomplir le geste le plus profond et le plus vrai de la vie : tendre la main et te dire : Donne-nous.
Nous savons que la vie est un don qui ruisselle de ta main, et que c'est dans ta main que nous buvons, que nos âmes reçoivent, que nos prières s'agenouillent et respirent, que nos cœurs espèrent, et nous te disons : Donne-nous...
Mais c'est dans ta main, aussi, soutenus par elle, c'est dans la vie que tu nous donnes, que nous affirmons nos orgueils, que nous disons « moi », que nous rejetons notre prochain. Alors notre geste devant Toi est de joindre les mains et de te dire : Pardonne-nous !
Et nous avons ainsi en nous la source des grands abandons, des certitudes et de la foi. O Toi qui donnes, Dieu de Noël, ô Toi qui pardonnes, Dieu de Pâques, nous venons à Toi.