Chez Lui

Culte du 25 décembre 1936
Prédication de Pasteur Emile Guiraud

Premier sermon prêché à l' Oratoire du Louvre par le Pasteur Emile Guiraud à Noël, le 25 décembre 1936

Avant-propos

Le 14 septembre 1937 le pasteur Emile Guiraud était rappelé à Dieu.
Mais son ministère dans l'église de l'oratoire du Louvre n'a pas cessé pour cela d'être une vivante réalité. Son esprit, dans lequel l'église avait reconnu d'emblée son âme la meilleure, affirme spontanément la permanence de son action. Par sa valeur propre, par sa soumission à l'esprit du sauveur, il demeure, il travaille, il poursuit son œuvre constructive. Cependant, il a paru possible de prolonger et d'élargir cette action, en faisant entendre à nouveau la voix de ce vivant. Pour ceux qu'il a nourris du pain de vie pendant son ministère terrestre, pour ceux qui voudraient entrer demain dans le cercle de son rayonnement, l'église de l'oratoire a préparé avec amour le livre qu'elle offre aujourd'hui à ses fidèles.
Les pages en sont toutes baignées de lumière Et de paix. La méditation ardente du prédicateur nous y est livrée telle qu'elle a jailli de son cœur, sans retouche ni correction, comme un message de la vie éternelle ; et la même foi en la même vie éclaire et transfigure la douleur qui s'exprime dans l'hommage de ses collègues et de ses frères.
Aussi ne voulons-nous ici d'autre avant-propos que ces quelques lignes trouvées dans les papiers du pasteur :

Tout ce qui a été dit sur la mort et la vie future, je le donne tranquillement pour cette parole du Christ : 
« Je remets mon esprit entre tes mains. »

Je ne sais pas, mais tu es là, fidèle gardien ;
Tu m'as relevé quand je tombais dans la poussière ;
Tu m'as ramené quand j'allais m'égarant ;
Tu m'as fait vivre quand je me détruisais moi-même ;
Tu ne m'abandonneras pas quand je ne serai plus rien sur terre.
Mon cœur qui a souffert, mon âme qui a cherché, ma conscience qui a lutté, monteront vers l'invisible.
De cette ascension dans la lumière, ce petit volume voudrait être l'humble témoin.

Paroles d'un Vivant 

Ensemble de six méditations du pasteur Emile Guiraud

Méditations
I. La joie
II. Avec Dieu
III. Chez Lui
IV. Fleurir
V. La prière
VI. L'âme

et Services In memoriam célébrés
le 16 septembre 1937
et le 16 octobre 1937

Lecture de la Bible

Lectures bibliques

Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès de Dieu, et la Parole était Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. En elle était la vie et la vie était la lumière des hommes : la lumière brille dans les ténèbres mais les ténèbres ne l'ont point reçue...
La véritable lumière, qui éclaire tout homme, venait dans le monde ; elle était dans le monde et le monde a été fait par elle, mais le monde ne l'a point connue. Elle est venue chez elle, et les siens ne l'ont point reçue ; mais à tous ceux qui l'ont reçue, à tous ceux qui croient en son nom, elle a donné le privilège de devenir enfants de Dieu, enfants qui ne sont pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais qui sont nés de Dieu. Et la Parole a été faite chair ; elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité, et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle d'un Fils unique venu du Père.
Jean I 1-5 ; 9-14.


Il y avait, dans cette contrée, des bergers qui couchaient aux champs pour veiller, la nuit, sur leurs troupeaux. Un ange du Seigneur leur apparut et la gloire du Seigneur resplendit autour d'eux ; ils furent saisis d'une grande crainte. L'ange leur dit : « N'ayez pas peur, car je vous apporte la bonne nouvelle d'une grande joie qui sera pour tout le peuple : aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur vous est né ; c'est le Christ, le Seigneur. Voici comment vous le reconnaîtrez : vous trouverez un petit enfant emmailloté et couché dans une crèche. » Et, soudain, il y eut avec l'ange une troupe nombreuse de l'armée céleste, louant Dieu et disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! Paix sur la terre parmi les hommes objet de sa bienveillance ! » Lorsque les anges les eurent quittés pour retourner au ciel, les bergers se dirent l'un à l'autre : « Allons à Bethléem pour voir ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. » Ils se hâtèrent d'y aller et trouvèrent Marie et Joseph avec le nouveau-né couché dans la crèche.
Luc, II, 8-16.


Il est venu chez lui. Jean I, II.

Prédication : Avec Dieu

Il est venu chez lui ; c'est là tout le récit de Noël dans le 4e Evangile. Comme on regarde le visage, le regard d'un homme pour percevoir au delà la présence de son âme, longuement saint Jean contemple les bergers et les mages, la crèche et les anges, et devant son âme éblouie l'histoire visible devient transparente et ses lignes s'estompent, les visages s'effacent pour laisser apparaître comme à l'état pur, dans sa seule réalité spirituelle, le mystère de Noël : Il est venu chez lui.

Dieu veuille nous donner de contempler nous aussi, de contempler de ce regard de l'âme seul capable de s'approcher du mystère de Noël et d'en recevoir cet éblouissement dont la certitude va au delà de toute compréhension, de toute pensée, et par qui tout de la vie, tout est illuminé et transfiguré.

Il est venu : sa présence dans la race humaine est un prodige inexplicable.
Il est venu chez lui sur la terre : ce monde, son histoire lui appartiennent.
Ici-bas nous sommes chez lui : dès lors vivre ainsi chez lui, Frères, quelle solennité c'est de vivre et quel joyeux courage pour chaque jour !

Il est venu : il n'est pas l'un de nous. Sur le fond sombre des visages d'hommes, rongés de nuit, la Sainte Face se détache, unique, immaculée, sans une ombre. Lui qui prise le repentir si haut qu'il en fait la grande joie du ciel, il ne s'est jamais repenti. Lui qui est doué d'un discernement moral si pénétrant qu'aucune forme de mal, si cachée soit-elle, ne lui échappe et le fait si intensément souffrir, jamais il n'a avoué aucun mal en lui-même ; et lui qui fait culminer la prière dans ce cri :

« Pardonne-nous nos offenses », n'a jamais dit pour son propre compte : pardonne-moi ! Et si lui, le prosterné dès l'aube, n'a jamais prié avec ses disciples, ne les a jamais associés à lui dans sa prière, c'est bien que son âme prenait vers Dieu son élan, au-dessus, sur un autre plan spirituel que celui d'où montent les prières des hommes.

Pur de tout mal, il est aussi riche et rayonnant de tout bien. Lui qui vit chaque jour au milieu des pécheurs et des gens de mauvaise vie, il purifie, il donne la paix, il fait une âme neuve à la femme coupable. Lui qui, sans cesse, se heurte aux hostilités et à la haine, jusqu'à la fin il recouvre tout de la suprême prière de l'amour : Père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu'ils font ; et dans les incessantes œuvres de mort qu'accumulent les hommes, il apporte le jaillissement de son âme : je suis la vie, je donne la vie.

Rien d'ici-bas, rien de l'homme n'explique Jésus. Sagesses humaines, élans des prophètes, fermetés stoïciennes, message ailé de Platon, mysticisme brûlant de l'Hindou, sur tous ces beaux trésors humains accumulés, planant au-dessus d'eux, le visage du Fils. Il n'est pas l'un de nous, car ce sont nos poussières qui acclament sa pureté, nos ténèbres qui contemplent sa lumière, toutes nos morts qui sont éblouies par sa vie. Il n'est pas l'un de nous, Il est venu. La chaîne du mal, qui lie une génération à l'autre, a été rompue pour lui ; sa venue marque un miracle, un commencement nouveau. Quel mystère ! Il est venu de Dieu, nous ne pouvons pas comprendre, pas plus que nous ne comprenons comment dans un peu d'argile Dieu a enfermé notre âme éprise d'infini. Mais nous pouvons au moins pressentir d'où vient notre incompréhension : Il est venu, envoyé par l'amour infini de Dieu ; et voici, nous n'aimons pas assez pour comprendre ce mystère. Un jour nous saurons, quand le dernier vestige de l'égoïsme aura disparu de nos cœurs, alors nous le verrons tel qu'il est.

Mais, à présent, agenouillons-nous devant le mystère de Noël, devant l'inexplicable et l'imméritée présence de Christ.

Il est venu.

Il est venu chez lui sur la terre. Il n'est pas passé comme un étranger en visite qui se hâte. Il s'est installé dans la vie de la terre. Au plus humble et au plus dépouillé de la terre il est né, il a été pauvre, il a travaillé de ses mains d'ouvrier, hissant sur ses épaules les lourdes pièces de bois. Comme nous il a connu la faim, la soif, la fatigue qui ne peut plus avancer sur la route. Il a pleuré, il est tombé sur les genoux, exténué, sur le chemin du Calvaire ; et il est mort lui aussi en poussant un cri. Son corps, son corps de chair n'était pas une apparence, un léger déguisement jeté sur sa vie, mais une pauvre et douloureuse réalité qu'il a subie et portée comme nous la portons nous-mêmes et qui fut pour lui comme pour nous la condition de sa naissance et la cause de sa mort. Rien ne lui a manqué de l'étroite et fragile bure humaine. Il était bien chez lui dans cette vie corporelle.

Et son âme, elle aussi, a porté des caractères humains. Ici, comme on hésite à regarder et à parler, niais c'est l'Écriture qui nous en assure : il a été tenté comme nous en toutes choses, mais sans tomber dans le péché ; c'est par la douleur qu'il a appris l'obéissance ; et quel poignant aveu de l'état de son âme dans cet appel presque suppliant, cherchant un appui auprès des disciples, dans le jardin de Gethsémané : e Restez ici et veillez avec moi ». Ici aussi il a été semblable à l'homme, il est venu chez lui.

Chez lui... comme un homme à qui tout est familier dans sa maison et qui en est le maître : il nous a révélé la vérité du pain, du lys des champs, du ciel rouge le soir, de la mort du grain de blé, et dans l'étreinte de ses mains jointes la matière devient plastique et obéit : il commande aux flots, il donne des ordres au vent, il ouvre les yeux des aveugles, il relève le paralytique et sur le tombeau de Lazare il ordonne : « Lazare, sors ». Il a compris la matière et il l'a maîtrisée. Et plus encore il a compris l'âme humaine et il l'a vivifiée. Tous les visages humains sous son regard disent leur extrême secret : la Samaritaine et ses fautes, le jeune homme riche et son esclavage, Judas lui-même le grand renfermé a tout avoué dans sa fuite vers la nuit. Et ici encore : chez tous ceux qui s'offrent à lui, il commande aux esprits, il chasse les démons, il foudroie et ressuscite Saul de Tarse. Par cette connaissance parfaite de toutes choses et l'autorité qu'il a sur elles, comme il est bien chez lui; il est Maître et Seigneur, même enchaîné au prétoire, même crucifié au Calvaire où il affirme : « Personne ne m'ôte la vie, je la donne de moi-même ».

Il est chez lui.

Ici-bas nous sommes chez lui. Tous, non pas seulement les croyants qu'il illumine, qui prient en son nom, et dont l'âme respire en lui, mais aussi les incroyants, les hostiles que son atmosphère spirituelle enveloppe et pénètre, mais dont surtout il a déjà occupé tous les carrefours, toutes les avenues spirituelles : le devoir et l'amour, la souffrance et la mort, ces chemins où infailliblement tout homme doit passer un jour, sur ces chemins le Christ attend. Car toutes ces réalités spirituelles il les habite, elles lui appartiennent.

Nous sommes chez lui ! C'est chez lui que nous calculons nos profits, que nous affirmons nos orgueils, c'est chez lui qu'on s'enivre de mondanités et que nous disons : Tout cela est à moi. C'est chez lui que l'enfant à peine vêtu passe en toussant et nous regarde. Chez lui que des obus explosent et que beaucoup de morts font ce que nous appelons une grande victoire. Chez lui ! si cette vision de la réalité spirituelle du monde s'emparait de nous, Frères, soudain nous serions frappés de stupeur et de honte. Chez lui ! et soudain nos colères, nos jugements, nos chacun pour soi nous donnent un irrépressible dégoût comme un homme ivre qui blasphème dans un sanctuaire.

Et Caïn, César, Mammon sont chez lui ; ils ont des visages, des attitudes, des violences d'intrus, et ils seront chassés.

Nous sommes chez lui ; et je comprends pourquoi se tenir à l'écart, faire silence dans le recueillement n'est pas une solitude vide, mais une intimité comme aux approches déjà d'un tête-à-tête, une heure de vie si intense qu'elle a parfois comme un goût d'éternité.

Nous sommes chez lui ; et c'est là, mon Frère, ce qui explique ce mystère que porte ton regard. Si nous étions chez nous, s'il n'y avait dans la vie que nous et ce que nous sommes par nous seuls, il n'y aurait pas de mystère. C'est parce que nous sommes chez lui que nos âmes silencieusement communiquent entre elles, se font des signes invisibles et parfois parviennent à communier. C'est parce que nous sommes chez lui que quand même les visages des enfants sont si purs et les visages des morts si calmes.

Oh ! loin de nous découragements, lassitudes ; respirons, espérons sans mesure. Nous ne sommes pas chez nous, avec nos ridicules ressources, nous sommes chez Christ, nous travaillons, nous peinons, chez lui. Infirme, tu es chez lui; solitaire douloureux, douteur, désespéré, tu es chez lui, tu as pour toi les richesses insondables du Christ. Vous tous vous êtes chez lui ; et vous aussi les orgueilleux, les rusés, les violents : taisez-vous, vous êtes chez lui.

Comme il est beau de vivre, de peiner, de s'agenouiller chez lui.
Comme il doit être bon de mourir chez lui.

Noël ! Par Christ la bure humaine est illuminée de Dieu. La terre est chez Dieu.

Il est le Fils de l'Homme; ô Terre, prends courage, il est bien à toi, regarde : l'étable, la crèche à même le sol...
Il est le Fils de Dieu; ô Ciel, nous te rendons grâces, il est à toi et devant nous, nous voyons les étoiles qui marchent et nous entendons les anges qui chantent.

Il est venu chez lui et cette table où il nous invite est à Lui.
Nous sommes chez Lui.