La Prière
Culte du 18 juillet 1937
Prédication de Pasteur Emile Guiraud
Sermon prêché à l' Oratoire du Louvre par le Pasteur Emile Guiraud le 18 juillet 1937
Avant-propos
Le 14 septembre 1937 le pasteur Emile Guiraud était rappelé à Dieu.
Mais son ministère dans l'église de l'Oratoire du Louvre n'a pas cessé pour cela d'être une vivante réalité. Son esprit, dans lequel l'église avait reconnu d'emblée son âme la meilleure, affirme spontanément la permanence de son action. Par sa valeur propre, par sa soumission à l'esprit du sauveur, il demeure, il travaille, il poursuit son œuvre constructive. Cependant, il a paru possible de prolonger et d'élargir cette action, en faisant entendre à nouveau la voix de ce vivant. Pour ceux qu'il a nourris du pain de vie pendant son ministère terrestre, pour ceux qui voudraient entrer demain dans le cercle de son rayonnement, l'église de l'oratoire a préparé avec amour le livre qu'elle offre aujourd'hui à ses fidèles.
Les pages en sont toutes baignées de lumière et de paix. La méditation ardente du prédicateur nous y est livrée telle qu'elle a jailli de son cœur, sans retouche ni correction, comme un message de la vie éternelle ; et la même foi en la même vie éclaire et transfigure la douleur qui s'exprime dans l'hommage de ses collègues et de ses frères.
Aussi ne voulons-nous ici d'autre avant-propos que ces quelques lignes trouvées dans les papiers du pasteur :
Tout ce qui a été dit sur la mort et la vie future, je le donne tranquillement pour cette parole du Christ :
« Je remets mon esprit entre tes mains. »
Je ne sais pas, mais tu es là, fidèle gardien ;
Tu m'as relevé quand je tombais dans la poussière ;
Tu m'as ramené quand j'allais m'égarant ;
Tu m'as fait vivre quand je me détruisais moi-même ;
Tu ne m'abandonneras pas quand je ne serai plus rien sur terre.
Mon cœur qui a souffert, mon âme qui a cherché, ma conscience qui a lutté, monteront vers l'invisible.
De cette ascension dans la lumière, ce petit volume voudrait être l'humble témoin.
Paroles d'un Vivant
Ensemble de six méditations du pasteur Emile Guiraud
Méditations
I. La joie
II. Avec Dieu
III. Chez Lui
IV. Fleurir
V. La prière
VI. L'âme
et Services In memoriam célébrés
le 16 septembre 1937
et le 16 octobre 1937
Lectures bibliques
Eternel, tu me sondes et tu me connais ;
Tu sais quand je m'assieds et quand je me lève ; Tu pénètres de loin ma pensée.
Tu sais quand je marche et quand je me couche, Et tu pénètres toutes mes voies;
Car la parole n'est pas sur ma langue
Que déjà, ô Eternel, tu la connais entièrement. Tu m'entoures par derrière et par devant, Et tu mets ta main sur moi.
Une science aussi merveilleuse est au-dessus de ma
[portée.
Elle est trop élevée pour que je puisse la saisir.
Que tes pensées, ô Dieu, me semblent impénétrables ! Que le nombre en est grand!
Si je les compte, elles sont plus nombreuses que les [grains de sable. Je m'éveille et je suis encore avec toi.
Psaume 139.
Demandez et l'on vous donnera, cherchez et vous
trouverez, heurtez et l'on vous ouvrira ; car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et l'on ouvre à celui qui heurte. Quel est le père parmi vous qui donne une pierre à son fils quand il lui demande du pain ? Ou s'il lui demande un 'poisson, lui donnera-t-il un serpent au lieu d'un poisson ? Ou s'il lui demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion ? Si donc vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l'Esprit saint à ceux qui le lui demandent ?
Luc XI, 9-13.
Quand Jésus fut arrivé au lieu où il se rendait, il leur dit : Priez, de peur que vous n'entriez en tentation ; et il s'éloigna d'eux, à la distance d'environ un jet de pierre ; et s'étant mis à genoux, il pria, disant : Père, si tu voulais faire passer ce calice loin de moi ; ...toutefois que ta volonté soit faite et non pas la mienne. Un ange venu du ciel lui apparut pour le fortifier. Etant en agonie, Jésus priait avec plus d'ardeur et sa sueur, pareille à de grosses gouttes de sang, tombait à terre. Après avoir prié, il se leva, vint à ses disciples, qu'il trouva endormis de tristesse, et leur dit : Pourquoi dormez-vous ? Levez-vous et priez, de peur que vous n'entriez en tentation.
Luc XXII, 40-46.
« Je sais que tu m'exauces toujours.»
« En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père en mon nom, Il vous le donnera. »
Jean XI, 42 ; XVI, 23.
Prédication : La Prière
Au plus profond de la vie religieuse, source mystérieuse et quotidienne de ses richesses, il y a la prière, la prière en esprit et en vérité, telle que Jésus l'a vécue et enseignée.
Si nous ne traînions pas dans nos cœurs des lambeaux de paganisme, des restes de sorcellerie (cette tentative d'effraction du ciel au nom d'un égoïsme cupide ou apeuré), nous saisirions spontanément dans nos véritables relations avec Dieu la nature de la prière en esprit. Mais peut-être n'avons-nous pas assez appris, peut-être n'avons-nous pas assez souffert, trébuché dans les impasses de la chair, pour nous dresser debout, illuminés, sur le seuil de cette prière chrétienne qui est toujours exaucée.
Toujours exaucée ! Frères, nous mesurons tous la distance qui sépare nos agenouillements de cette prière qui ne revient jamais à la vie sans avoir reçu une réponse et un secours de Dieu ! Nous touchons ici à ce lourd secret contre lequel nous tentons de nous raidir et qui fait monter en nous la douloureuse plainte de Job : J'ai crié vers toi et tu ne m'as pas répondu. Je me tiens debout devant toi et tu te bornes à me regarder.
Ce que notre vie religieuse ne réalise pas encore : la prière en esprit, les exaucements constants, assurés, qu'elle obtient en Jésus-Christ ; essayons, dans l'aide de Dieu, de l'entrevoir par la méditation.
Prier, c'est au nom d'un obstacle, d'une faiblesse, d'une souffrance, désirer mieux que ce qu'on a, demander plus que ce que nous offre une existence qui nous heurte et nous endolorit. Vers la force, la paix, la joie, vers la grâce divine, la prière demande que ce qui est et qui nous limite et nous blesse soit agrandi, assoupli, modifié ; elle demande pour nous ou pour les autres une transformation de notre existence. Mais avant de connaître le point vivant où cette transformation s'accomplit, longtemps l'homme erre, dans la prière sans réponse.
Assuré que si la divinité le voulait bien, comme un roi puissant qui accorde ses bienfaits, il serait lui, homme, moins malheureux, plus favorisé par la vie, le primitif de l'Esprit, celui d'autrefois, celui qui vit en Afrique et aussi celui qui vit aujourd'hui en Europe, le primitif conçoit la prière comme une pression exercée sur la volonté divine.
Il prie pour changer son Dieu et par lui l'existence qui le blesse. Les paroles sacrées, liturgiques, les oraisons multipliées à qui on accorde le pouvoir magique d'agir sur le ciel, les longues litanies qui tant insistent pour forcer l'attention divine, les invocations aux saints qui sont priés d'intervenir, d'influencer Dieu, toutes ces prières cherchent à fléchir le Très-Haut, à susciter en lui des sentiments de pitié ou même une simple attention qu'il n'aurait pas de lui-même. « Ah, qu'il nous entende, qu'il tourne sa face vers nous. Criez, suppliez, forcez, contraignez l'Éternel », ainsi parle la Bible dans quelques-unes de ses vieilles pages encore toutes ténébreuses.
Comme il est étrange, ce Dieu qu'il faut tirer de son oubli ou de sa distraction, à qui il faut rappeler que sa créature est là et qu'elle souffre ;... et surtout comme i1 est inquiétant, ce Dieu dont la sagesse, la bonté ont besoin d'être éclairées, stimulées, conseillées par les désirs et les impatientes insistances des hommes.
Il faut comprendre que devant cette tentative d'effraction du ciel, cet essai de mainmise de la volonté de l'homme sur la volonté et même la nature de Dieu, il faut comprendre que devant cette misère morale qui risquait d'obstruer à jamais la source sacrée de la prière, les prophètes hébreux, au seuil de la Révélation, se soient écriés avec une impitoyable rigueur : Dieu est Dieu. Sa volonté se réalisera tout entière, car elle est juste. Herse de fer ou sourire du matin, elle brise qui lui désobéit, elle soulève celui qui la suit.
Et ceux qui ont entendu le message prophétique ont compris : la prière ne transforme pas les desseins de Dieu.
Qu'importe, si ne changeant pas Dieu, elle change les événements qui nous déchirent ! Et c'est la deuxième prière païenne, toujours vivace. Elle a supplié : Écarte de moi les maladies, les insuccès, les tempêtes ; ordonne à la pluie de me servir, à la foudre de m'épargner. Sois avec moi contre mes adversaires, entre en guerre contre eux. Cette prière va du grigri, du talisman au scapulaire protecteur et à la requête qu'on présente pour le succès facile de ses affaires. En un mot elle s'écrie : « Aplanis mon chemin. Devant mes pas ôte les ronciers, les rochers et les mains et les visages hostiles des hommes. » Jusque dans les Psaumes dont la piété est si profonde, il y a encore ainsi de vieilles ténèbres qui surgissent : au Psaume 139 entre autres, après la ferveur et la contemplation : « O Lieu que tes pensées sont grandes et difficiles à embrasser »... tout soudain le cri païen jaillit : « Ah ! si tu voulais tuer les méchants ! Je les hais d'une parfaite haine ».
Mais, progressivement, cette supplication se fait hésitante, comme habitée d'un trouble, un trouble qui va grandir jusqu'à dominer, car, aux yeux des fidèles, avec une permanence, une régularité impressionnante, au travers des siècles, le même drame se déroule : voici des hommes de prière et de consécration, Ésaïe, Jérémie, Jean-Baptiste entre bien d'autres : manifestement Dieu les accompagne et les aime puisqu'il leur murmure sa révélation et leur confie son message ; et pourtant ceux-là qui le mériteraient bien, n'ont pas une existence facile ; plus ils s'offrent à Dieu plus durs sont les obstacles et les peines, et leurs routes plus qu'aucune autre souvent, ont été rudes, escarpées ; sur leurs têtes ont fondu les adversités, les courroux, les misères. Quel étonnement !
Étonnement qui devient de la stupeur, car, par-dessus tous ces visages se dresse plus troublant encore le visage du Christ, le surchargé d'hostilités et de douleurs. Son existence commencée dans la paix accueillante des hommes se creuse peu à peu comme un lit de torrent où se précipitent les éboulis et les avalanches : le Crucifié, l'Homme de douleurs, Lui qui pourtant était si proche, tout proche de Dieu !
Devant ce spectacle, ceux qui ont médité, ceux qui ont pieusement scruté la prière de Gethsémané, ont compris. La prière n'a pas chassé les pharisiens, les prêtres, Judas et la Croix, comme des feuilles mortes sous le souffle de Dieu. La prière ne renverse pas les événements.
Où est donc alors son champ d'action ?Que lui reste-t-il qu'elle pourrait transformer ? — Nous ! notre esprit, la direction, les intelligences, les ressources de ce poste de commandement qu'est notre être intérieur.
La prière est le désir, la recherche, la réception d'énergies et de lumières spirituelles. Elle est l'acte par lequel nous prenons contact avec l'Esprit qui de toutes parts maintient, suscite la vie et qui au fond de nous-mêmes nous attend chargé de ses innombrables richesses. La prière est l'acte viril par lequel nous sommes élevés de l'animalité raffinée ou obtuse à la moralité, ce pressentiment de Dieu, et plus haut encore à la spiritualité, ce contact de Dieu.
Par la prière un être grandit, car de l'Esprit qu'il désire, appelle et accueille, il reçoit des savoirs et des pouvoirs progressivement accrus dans la mesure où il en est digne, c'est-à-dire dans la mesure où il s'en servira non pour lui mais pour le plan salutaire de Dieu. « Vous savez donner de bonnes choses à vos enfants. Combien plus le Père ne donnera-t-il pas le Saint Esprit à ceux qui le lui demandent. »
Et ceux qui ont entendu cette parole retentir dans toute la vie de Jésus ont compris : la prière transforme l'âme, c'est sur notre être intérieur que porte son action et ses exaucements.
C'est bien peu penseront peut-être quelques-uns, c'est un pis-aller car quelle que soit notre illumination intérieure nous n'en restons pas moins aux prises avec les difficultés, les douleurs de notre existence quotidienne.
Oh ! impies ! irréductibles païens, quand comprendrons-nous la grande leçon, quand comprendrons-nous que l'existence n'est jamais vraiment transformée que par le dedans ? Que les événements ne sont pas des réalités massives, imperméables, sur lesquelles on ne peut agir qu'extérieurement ; mais qu'une âme haute et rendue puissante par l'Esprit est capable de les illuminer, de les transfigurer. Echecs, hostilités, souffrances sont d'un métal bien dur, bien lourd, aux angles meurtriers ; mais au feu de l'Esprit le métal entre en fusion, il devient malléable et c'est avec lui que l'humanité a forgé les plus robustes outils, les plus fermes appuis, les inexpugnables remparts.
La vérité magnifique qui soulève la prière, c'est que l'âme croyante qui s'offre à l'Esprit ne subit pas mais transforme la vie, parce qu'elle reçoit de l'Esprit qui crée la puissance de créer à son tour, de répéter dans le chaos de ténèbres : « Fiat lux » ; et l'heure où elle est investie de ce pouvoir est l'heure de la prière.
Comment, nous qui savons ces choses, comment ne tressaillons-nous pas devant cette assurance qu'entre nous et les richesses de Dieu il n'y a rien, entre nous et les réalités éternelles il n'y a pas de barrière, mais seulement cet espace silencieux et nu où s'avance notre prière, pour recevoir l'esprit qui transforme l'âme et par l'âme la vie, toute la vie ?
Que pourrions-nous envier de plus vrai, de plus vivant, de plus à nous que cet esprit ?
Dans les éléments épars de sa biographie intime que saint Paul esquisse dans ses lettres, l'apôtre dit à propos d'une souffrance physique qui le harcèle comme une écharde dans la chair : « Trois fois j'ai prié le Seigneur de m'en délivrer, et il m'a répondu : Ma grâce te suffit ». C'est-à-dire : Tu voudrais, mon enfant, que j'ôte de ton chemin cet obstacle douloureux, que je rende ton sentier facile. J'ai pour toi de bien plus hautes ambitions. L'obstacle demeurera mais je te donnerai la force de le surmonter, de conquérir par lui un élan, un pouvoir spirituel nouveaux qui seront bien en toi et à toi. Car, vois-tu : changer cette existence qui passe ce serait te donner une bénédiction et une délivrance d'un jour; mais te changer toi, te donner en pleine âme la vie qui triomphe, voilà ce que veut mon amour pour toi : une bénédiction et une victoire qui dureront toujours.
Fidèles de Jésus-Christ ! ne sentez-vous pas se dresser ici le visage du Maître, le Christ agenouillé de Gethsémané et qui, par l'Esprit, dans son âme, fait de la coupe qu'il doit boire la source d'eau vive, et de la Croix une victoire.
Amis, vous comprenez maintenant la prière qui peut dire : Tu m'exauces toujours; celle dont Jésus disait aux siens dans son dernier entretien : Priez en mon nom, priez dans cet esprit et tout ce que vous demanderez, le Père vous le donnera.
A ce labeur, le plus haut, le plus fécond, et qui nous est à tous si nécessaire, tendons de toute notre âme, qui n'a besoin ici que de savoir s'agenouiller dans une véridique et parfaite humilité.
Priez au nom du Seigneur Jésus-Christ : ce que vous demanderez, le Père vous le donnera. Ah ! qui pourra mesurer ce que cette promesse tend à chacun de nous de puissance et de vie infinie.
A la fin du manuscrit se lit ce thème préparé sans doute pour la prière du Pasteur :
Pour que nous puissions lire ton Livre avec toute notre âme, que nous y sentions ruisseler de nous à Lui la vie de l'Esprit qui a les réponses et les forces nécessaires aux problèmes et aux difficultés de nos vies actuelles,
Seigneur, enseigne-nous à prier.
Pour que nous ne croyions pas seulement que ton Christ est vivant au milieu de nous, mais que nous sentions sa présence et chaque jour sa compagnie surhumaine avec chacun de nous,
Seigneur, enseigne-nous à prier.
Pour que nous sachions où aller quand nos chemins se perdent,
que faire quand notre avenir est incertain,
que pouvoir quand nous sommes au bout
de nos forces, quand nos énergies se brisent,
Seigneur, enseigne-nous à prier.
Pour que nous puissions lutter pour ton Royaume, disposer dans ce combat d'armes tranchantes, invincibles et qui guérissent en
blessant, qui font vivre en donnant la mort,
Seigneur, enseigne-nous à prier.
Au sol profond de nos âmes fouille, creuse, pour que la source de la prière jaillisse,
purifies-en chaque jour le ruissellement intime, et le désert sera changé en plaine fertile.
Seigneur, toute notre espérance, toute notre foi, avec leurs luttes, leurs ténèbres, et leurs aspirations te cherchent, et pour te trouver elles te disent :
Seigneur, enseigne-nous à prier.