Sommaire du N° 832 (2025 T1+T2)
DOSSIER : Jésus, fils éternel de Dieu ou fils du Dieu éternel ?
« Heureux ceux qui procurent la paix,
car ils seront appelés fils de Dieu ! »
(Matthieu 5:9)
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Éditorial par Aurore Saglio-Thébault, présidente du Conseil presbytéral
Jésus, fils du Dieu éternel ou Jésus, fils éternel de Dieu ? C'est en défendant la première option et en réfutant la deuxième qu'un homme fut condamné au bûcher le 17 septembre 1553. Celui qui venait d'expirer n'était pas un malfaiteur… [lire la suite]
Jésus, fils éternel de Dieu ou fils du Dieu éternel ? [cliquer ici ou sur chaque titre pour accéder à l'article] |
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Qui est Jésus ? par le professeur André Gounelle | 4 | |
La divinisation de Jésus, une histoire de mots ? par l'historien Jacques-Noël Pérès) | 7 | |
Jésus, un fils de Dieu exemplaire par le pasteur Gilles Castelnau | 9 | |
Jésus dans le judaïsme par la rabbin Josué Ferreira | 11 | |
Jésus dans l'islam, un envoyé pas comme les autres par l'imam Faker Korchane | 12 | |
Des flammes de l'enfer à la Flamme de la Foi par la pasteure Béatrice Cléro-Mazire | 13 | |
L'Oratoire, tout feu tout Flamme : retours sur le 2ᵉ semestre 2024 [consulter le PDF de la Feuille Rose] | ||
S'organiser pour garder la flamme | 16 | |
Relayer la flamme entre générations | 17 | |
Entourer pour préserver la flamme | 18 | |
Nos enfants à l'assaut de Noël | 19 | |
La Fondation de l'Oratoire pour les actions non cultuelles | 20 | |
Propager la Flamme de l'Entraide de l'Oratoire | 21 | |
Notre grande sacristie enfin restaurée [cliquer ici] | 23 | |
Le Carnet | 26 | |
Les activités et les événements du premier semestre 2025 | 28 | |
Vos contacts | 35 |
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Dossier du mois
Jésus, fils éternel de Dieu ou fils du Dieu éternel ?
Éditorial
par Aurore Saglio Thébault, présidente du Conseil presbytéral de l'Oratoire du Louvre
Jésus, fils du Dieu éternel ou Jésus, fils éternel de Dieu ? C’est en défendant la première option et en réfutant la deuxième qu’un homme fut condamné au bûcher le 27 octobre 1553. « Celui qui venait d’expirer n’était pas un malfaiteur, c’était un hérétique, un des premiers savants, mais aussi un des plus hardis du siècle, c’était le médecin Michel Servet […]. Ainsi s’accomplissaient enfin dans leur sinistre énergie ces paroles prophétiques que Calvin avait écrites à Farel plus de sept années auparavant : si Servet vient à Genève, pour peu que j’y aie de l’influence, jamais je ne souffrirai qu’il en sorte vivant » rappelait Ferdinand Buisson dans sa thèse sur Sébastien Castellion, celui qui écrivait alors « Tuer un homme pour défendre une doctrine, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Chacun doit être libre de choisir le cheminement de sa conscience vers la lumière ». « Une doctrine n’est pas plus vraie, une vérité plus exacte parce qu’elle se démène avec violence » rappelait près de 400 ans plus tard — en pleine montée du fascisme - Stefan Zweig dans son ouvrage au titre plus que limpide : Conscience contre Violence ou Castellion contre Calvin. Il faudra pourtant attendre 1908 pour qu’un monument non équivoque « en mémoire de Michel Servet, Apôtre de la libre croyance » soit érigé : celui d’Annemasse, détruit sur ordre de Vichy en 1941 et reconstruit seulement en 1960.
« L’esprit des Lumières tire plus loin qu’un fusil, mais ils sont pourtant nombreux ces fusils qui aujourd’hui voudraient faire taire les consciences éprises de liberté » alertait le pasteur Cousinié dans l’édito de lancement du journal Libre Croyant.e. C’est une réalité, y compris dans notre microcosme. Deux conversations très récentes ont fini de m’en convaincre : une avec une protestante de naissance, ayant toujours œuvré pour l’intérêt public, qui s’inquiétait pourtant de la réaction qu’aurait son pasteur d’une grande paroisse parisienne si elle osait lui confier qu’elle considère, à l’aune de sa vie, Jésus comme un prophète ; une autre, avec un de nos propres paroissiens, catholique d’origine et très attaché au caractère ouvert de l’Oratoire et qui pourtant découvrait avec effroi que tous ne croyaient pas nécessairement en un Jésus divin. Si la possibilité de « ne pas croire » est fort heureusement protégée dans notre société, le fait de « croire différemment » serait-il toujours considéré comme « mal croire » dans nos propres églises ?
L’essentiel n’est-il pas pourtant d’œuvrer ici et maintenant pour un monde meilleur ? De voir en Jésus « un prototype de ce que peut-être l’humanité » pour reprendre la formule de Gilles Castelnau ? Pourquoi, au lieu de craindre ou faire craindre les flammes de l’enfer, ne pas brandir la Flamme de la Foi, celle qui transporte les montagnes, celle qui fait qu’avec Dieu, tout est possible ? Celle-là même qui a collectivement animé toutes les générations et ami.e.s de notre paroisse tout au long de ce dernier semestre 2024.
Qui est Jésus ?
par le professeur et théologien André Gounelle
Qui est Jésus ? À cette question, Michel Servet répondait : « il est le fils du Dieu éternel ». Parce qu’il refusait de dire : « il est le fils éternel de Dieu », il a été condamné et brûlé vif à Genève (alors dominée par Calvin) en 1553. Les deux formules nous paraissent aujourd’hui à peu près semblables. Nous avons tendance à estimer que Servet a été la malheureuse victime d’une futilité grammaticale et d’une odieuse intransigeance.
En fait, placer l’adjectif « éternel » après « Dieu » ou après « fils » ne relève pas d’une légère variante de langage. Il s’agit d’une différence considérable, même si, comme à l’époque l’a proclamé courageusement Castellion (cf. Note1), elle ne justifie nullement (pas plus, d’ailleurs, que tout autre désaccord religieux) le supplice et l’exécution d’un homme.
Au-delà d’une intolérance que rien n’excuse, essayons de comprendre ce qui sépare et oppose ces deux formulations.
Quand on qualifie Jésus de « fils éternel de Dieu », on lui confère « l’éternité » qui est un attribut divin. Autrement dit, on le divinise, on ne le distingue plus vraiment de Dieu. Les courants majoritaires du christianisme vont en ce sens. Pour eux, Jésus n’est pas seulement l’agent, le représentant ou la manifestation de Dieu ; il n’est pas seulement celui par qui et en qui Dieu nous parle, nous atteint et nous transforme. Il est Dieu, Dieu fait homme, Deus homo, selon le titre d’un des livres les plus connus d’Anselme de Cantorbery (XIᵉ siècle). Sa personne est divine, on lui rend un culte, on lui adresse des prières, elle est objet d’adoration. « Fils éternel de Dieu » équivaut à « Dieu le Fils ».
Quand on affirme que Jésus est le « fils du Dieu éternel », on maintient une distance et une différence entre Dieu et lui. C’est Dieu qui est éternel, pas l’homme Jésus, même si à travers lui l’éternité divine brille et se manifeste. Le mot « fils » indique une relation étroite et intime entre Dieu et Jésus, mais nullement une identité. Dans les années 1560, en Pologne et en Transylvanie, ceux qu’on appelle les « non adorantistes » (parmi lesquels, d’ailleurs, des calvinistes) déclarent qu’il ne faut pas prier et adorer Jésus lui-même, mais prier et adorer Dieu au nom de Jésus. Ils entendent éviter ce que plus tard, on appellera la « jésuslâtrie », c'est-à-dire la transformation de Jésus en idole. Quand, au lieu de renvoyer à Dieu, son messager se substitue à lui et devient la référence suprême, il devient une idole. La foi chrétienne porte sur le Dieu qui se révèle en Jésus plus que sur Jésus lui-même. Comme le dit l’Évangile de Jean (12, 44), celui qui croit en Jésus ne croit pas en Jésus, mais en celui qui l’a envoyé.
Le Nouveau Testament permet-il de trancher entre les deux thèses en présence ? Pas vraiment. Plusieurs passages (ainsi, le prologue de l’Évangile de Jean) affirment l’unité du Père et du Fils et vont dans le sens d’une divinisation de Jésus. D’autres, au contraire, les différencient et subordonnent Jésus au Père. Souvent, on a l’impression que Jésus lui-même se méfie des titres et épithètes qu’on lui applique. Il fait preuve à cet égard d’ « une étonnante discrétion », écrit D. Marguerat. Quand Pierre le qualifie de « Christ, Fils du Dieu vivant » (ce qui est plus proche du « fils du Dieu éternel » de Servet que du « fils éternel de Dieu » de l’orthodoxie ecclésiale), Jésus recommande « sévèrement » à ses disciples de ne dire à personne qu’il est le Christ. Il semble vouloir écarter les spéculations sur son être ou sa personne pour mettre l’accent sur son action. Lorsque Jean-Baptiste lui demande s’il est celui qui doit venir ou s’il faut en attendre un autre, Jésus ne répond pas directement, mais renvoie à son activité (il soigne et guérit), laissant entendre ainsi que la bonne question n’est pas qui il est, mais ce qu’il fait.
Comme l’a souligné Schweitzer en 1906, à la fin d’un examen minutieux de la recherche universitaire sur les évangiles, Jésus reste pour nous un étranger, un mystère. Nous ignorons qui il est exactement. Par contre, nous savons ce qu’il nous apporte (le salut, la grâce, la paix) et ce qu’il nous demande (d’aimer notre prochain qui n’est pas seulement le semblable, l’autre humain, mais aussi l’animal, le végétal, les éléments naturels tels que l’air et l’eau, qui nous sont proches). La foi appelle certes la pensée et nous avons à réfléchir sur ce qu’est Jésus. Cependant, nous ne devrions jamais absolutiser notre compréhension ou notre interprétation de son être en transformant en dogmes révélés nos hypothèses (elles ont toutes des faiblesses et d’autres sont toujours possibles) et en rejetant ceux qui ne les partagent pas. Aucune ne doit amoindrir le respect dû au prochain.
Calvin explique peut-être mieux qui est Jésus que Servet, à la pensée souvent confuse et contradictoire. Mais, en faisant ou en laissant exécuter Servet, Calvin, me semble-t-il, renie en pratique Jésus plus gravement que Pierre dans la cour du Sanhédrin.
En savoir plus sur Sébastien Castellion.
Le bûcher de Servet a révolté Castellion (1515-1563). « Tuer un homme, écrit-il à Calvin, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme ». Ce précurseur du protestantisme libéral pense qu’on doit accepter la pluralité religieuse et la diversité des cultes. Pratiquer ce qu’il appelle le « forcement des consciences » est un crime. Persécuter au nom du Christ contredit l’enseignement même du Christ.
De Castellion, on peut lire : Contre le libelle de Calvin (paru aux éd. Zoé, Genève, 1998), De l’art de douter et de croire (réédité par La Cause, 1996), Conseil à la France désolée (réédité chez Hachette, 2017) – un conseil qui malheureusement n’a pas été suivi. La meilleure étude reste la thèse F. Buisson, Sébastien Castellion, sa vie et son œuvre (republiée par Droz, 2010).
La Divinisation de Jésus, une histoire de mots
par l'historien Jean-Noël Pérès
La Trinité éternelle, une notion non biblique qui remonte au IIe siècle
Dans la seconde moitié du IIe siècle, l’évêque Théophile d’Alexandrie commente à l’attention de son ami Autolycus les premiers versets de la Genèse. Il le prévient que ce texte doit être lu non comme un écrit scientifique, mais comme un enseignement à propos de la grandeur de Dieu et de son œuvre. Il lui rappelle alors que le quatrième jour a été naturellement précédé de trois autres, la mention des luminaires en ce jour étant alors une manière de souligner l’importance des trois qui sont venus auparavant, ceux-là figurant, étant « les types de la Trinité (τύποι τῆς τρίαδος) : de Dieu, de son Verbe et de sa Sagesse ». Théophile ne s’arrête cependant pas là. Il continue « du quatrième type relève l’homme, qui a besoin de sa lumière : ainsi, nous avons Dieu, Verbe, Sagesse, homme » (À Autolycus II, 15). À bien comprendre Théophile, le terme Trinité, inconnu de la Bible, est utilisé pour parler de Dieu ou plus exactement pour expliquer son œuvre sans qu’il soit possible de poser l’équivalence ontologique Dieu = Trinité. Si Théophile ajoute que les trois de la déité sont liés à un quatrième, qui est l’être humain, n’est-ce pas parce qu’on ne saurait parler correctement de Dieu que dans leur rapport réciproque ? Martin Luther l’a bien compris, qui dans son Petit Catéchisme explique le credo en employant moins les mots Dieu ou Seigneur que les pronoms je, moi, mon.
Au IVe siècle, Arius interroge la divinité du Fils, mais le 1ᵉʳ Concile de Nicée tente d’y mettre fin
Au début du IVe siècle, la prédication d’un prêtre d’Alexandrie, Arius, va semer le trouble dans les communautés chrétiennes, établies parfois bien loin de l’Égypte. Devant son évêque Alexandre, Arius confesse : « nous connaissons un Dieu seul inengendré, seul éternel, seul sans principe, seul vrai, immortel, seul sage, seul bon, seul tout-puissant, seul juge, modérateur et gouverneur de toutes choses, immuable et sans changement, juste, bon, à la fois Dieu de la Loi et des prophètes ainsi que du Nouveau Testament, qui a engendré avant les temps éternels son Fils unique, par qui il a fait les siècles et toutes choses. » Puisque ce Dieu seul éternel a engendré son Fils, il faut bien comprendre qu’il peut être appelé le Père. Est-ce donc à dire que seul le Père est éternel, et donc que le Fils ne le serait pas ? La pensée d’Arius est plus complexe. À l’évêque Eusèbe de Nicomédie, Arius écrit que le Fils « commença d’exister avant les temps et avant les siècles, plein de grâce et de vérité, Dieu monogène, immuable. » Hors du temps, et même étant avant les temps n’est-il pas alors éternel lui aussi ?
En 325, le concile de Nicée pour trouver une solution acceptable, évoque peu le Père dans son credo, puisqu’il n’était pas contesté, ni ne s’arrête à l’Esprit, qui est hors sujet. Il développe en revanche longuement la théologie du Fils, affirmant que celui-ci est homoousios, de même substance, que le Père, c’est-à-dire de même divinité et que, par conséquent, il partage pleinement son éternité.
En fait, rien n’est résolu, car les opposants à Nicée, longtemps soutenus par les empereurs, mèneront bataille contre le « consubstantiel ». Les choses se sont d’ailleurs compliquées, lorsqu’on a fait équivaloir ousia et phusis, c’est-à-dire nature. Pourtant, la nature du Fils, le Christ éternel, dans son incarnation, est d’être précisément Dieu incarné. Prétendre alors que le Fils est consubstantiel au Père, compris comme étant de même nature, serait dire que le Père est incarné ! C’est pourtant ce que font les traductions modernes du symbole de Nicée, ou plus exactement de Constantinople, en usage dans bien des Églises, au motif qu’aujourd’hui les mots ont pris une acception nouvelle. Le problème provient de ce que nous n’utilisons pas le vocabulaire des théologiens de l’Antiquité chrétienne, qui était celui des philosophes grecs. Pour eux, ce qui, en l’affaire, est en cause, est la réalité de la divinité, que recouvre le terme ousia, substance. Or, cette ousia est perçue en chaque hupostasis, hypostase, que les Latins appelleront personne de la Trinité. Le malheur est que la traduction trop littérale du grec hupo–stasis est sub–stantia, et voilà donc comment, entre les deux parties de l’Empire romain, on a rapidement pris l’une pour l’autre. Certes, mais la « nature », dans le langage courant, qu’est-ce ? Mais c’est une autre histoire : serait-ce l’histoire de la théologie !
Jésus, un fils de Dieu exemplaire
par le pasteur Gilles Castelnau
Il faut toujours se référer à Jésus-Christ pour éviter de déraper en parlant de Dieu. Et d'abord, soyons bien exacts : Jésus n'était pas Dieu qui serait venu se promener un temps sur la terre en faisant des merveilles pour faciliter la vie des hommes, comme les magiciens et les fées des contes ou comme on disait à l'époque Jupiter se métamorphosait pour venir séduire de jolies mortelles ! Dieu est notre Père, Jésus est fils du Père. Ce n'est pas pareil.
Nous sommes facilement séduits par de telles interventions surnaturelles qui nous protègent des conflits de l'existence. Nous aimons les histoires de miracles, les apparitions, les histoires des saints et les statues qui pleurent, …
Mais si Jésus est si fondamentalement important pour nous, c'est parce qu'il nous a fait la démonstration de ce que peut être l'union parfaite de Dieu et de l'homme. Ce que peut être un homme tout entier baigné de la présence divine dont je parlais à l'instant.
Il n'était pas d'une nature différente de la nôtre, il n'appartient pas à une autre espèce que nous. Au contraire, saint Paul souligne son humanité :
En tant qu'homme il était descendant du roi David - Romains 1:3
Il naquit d'une femme et fut soumis à la loi juive - Galates 4:4
Et Jésus a dit lui-même dans le Sermon sur la Montagne :
Heureux ceux qui procurent la paix, ils seront appelés fils de Dieu - Matthieu 5:9
Il est le Christ, car il nous révèle une certaine potentialité que la nature humaine porte en elle et dont nous avons toujours eu la nostalgie ; il nous révèle la présence de Dieu parmi nous qui fait de nous des « fils de Dieu ». Il nous révèle que Dieu n'est pas lointain là-bas dans le ciel, mais sourdement présent au cœur de l'humanité, dans notre cœur aussi, si nous voulons bien en prendre conscience et lui laisser la place de sorte qu'il soit véritablement « notre Père ».
Présence de Dieu impliqué dans la vie de notre monde. Je risquais, l'autre jour, la comparaison proposée par le professeur Gounelle que Dieu est le chef d'orchestre du cosmos et que Jésus en est le premier violon. Que le dynamisme créateur de Dieu et sa conviction apaisante qui sont à l'œuvre en nous sont visibles dans les actes et les paroles de Jésus. Dieu qui ne peut pas faire n'importe quoi, nous le savons bien en constatant les blocages qui existent en nous, mais Dieu dont la force créatrice ne s'interrompt jamais et agit toujours...
L'Ancien Testament nous a décrit beaucoup de fils de Dieu exemplaires : Abraham, Moïse, David, Job, Daniel, dont la vie était tout entière déterminée par Dieu, des hommes imprégnés de la présence de Dieu ; Jésus-Christ est, à nos yeux, le premier de tous ces Fils de Dieu, comme aucun autre ne l'a été, mais en qui tous se reconnaissent, l'unique, l'Homme véritable, le prototype de ce que peut être l'humanité.
Jésus prend donc place au cœur de la grande nuée des Fils de Dieu, des témoins en qui l'Esprit de Dieu s'est incarné au long des âges et se sont impliqués, chacun à sa manière et selon les conceptions de leur temps dans le grand combat de Dieu pour la vie et contre la mort, pour la liberté, le respect et la joie contre l'oppression, l'injustice et la méchanceté.
Nous croyons que la vie de tout ce qui respire sur la terre, puise son existence et sa vie dans le saint Esprit, dynamisme créateur de la secrète Présence divine.
Jésus dans le judaïsme, la question du Messie
par le rabbin Josué Ferreira
Il convient tout d’abord de rappeler que Jésus n’est pas considéré comme le Messie dans le judaïsme.
Dans la tradition juive, les textes au sujet du Messie sont toutefois loin d’être univoques. Certains Juifs n’attendent pas un Messie, mais une ère d’harmonie universelle. C’est l’humanité tout entière, et non un « sauveur », qui permettra l’avènement de cette ère.
Le Messie ne s’est encore jamais révélé. Selon certains, il serait né lors de la destruction du Temple, mais reste caché en attendant de pouvoir se dévoiler.
Néanmoins, de nombreux Juifs espèrent la venue du Messie, que le prophète Elie reviendra annoncer. Il pourrait y avoir deux Messies : le Messie fils de Joseph, qui mourra sans avoir terminé sa tâche, et le Messie fils de David qui fera advenir l’ère messianique.
Le Messie, descendant de la lignée de David, sera un Roi qui libèrera Israël du joug des nations du monde, rassemblera les exilés sur leur terre et les ramènera à la Torah. Il vaincra ses ennemis et sera reconnu par toutes les nations comme le Messie. Alors, les humains s’uniront dans leur volonté de servir l’Éternel. La rédemption qu’il effectuera pour le peuple d’Israël sera collective.
Selon Maïmonide, le Messie sera identifié a posteriori, lorsqu’il aura accompli ce qui est attendu de lui. Il sera un humain comme les autres. Selon certains textes, il aura pourtant des aptitudes hors du commun, comme celle de juger une personne seulement avec l’odorat.
Nahmanide affirme que le Messie souffrira à cause des iniquités du peuple d’Israël. Mais, par ces souffrances, les fautes du peuple seront expiées. Et malgré ces souffrances, le Messie vivra et aura une descendance.
Jésus dans l’Islam,
un envoyé pas comme les autres
par l’imam Faker Korchane
On ne le dira jamais assez, mais l’islam, en partant du Coran, se veut la continuité et l’achèvement du grand cycle de la Révélation que Dieu a mis en place pour éveiller les Hommes. Si la plupart d’entre eux nous sont peu connus, les prophètes juifs et quelques non-juifs le sont. Parmi les plus fameux, Jésus fils de Marie.
Dans cette perspective, quelle place occupe Jésus en islam ? Si nous devions parler en termes chrétiens, l’islam se veut profondément unitarien. À ce titre, il ne peut y avoir de possibilité de divinisation du prophète « Jésus fils de Marie » comme l’appelle systématiquement le Coran. Celui-ci reconnaît une conception originale à Jésus, en sourate III, dite La famille de Imrân, verset 59 le texte dit : « La semblance de Jésus au regard de Dieu est celle d’Adam, que Dieu créa de terre, puis Il lui dit “sois“ et il fut. » C’est la version islamique du fiat lux, c’est le « kûn fa-yakûn » (“sois“ et il est). Autrement dit, s’il n’y a pas de divinité en Adam, pourquoi en trouver une en Jésus ? Tous deux furent créés par volonté divine.
Cependant, s’il n’est pas divin, Jésus n’est pas exactement comme les autres envoyés non plus. Rappelant l’importance de sa mère, Marie, le Coran en sourate XXI Les prophètes, verset 91 précise de Marie qu’elle est « celle qui préserva son sexe, et en qui Nous insufflâmes de Notre Esprit, et de qui Nous fîmes, ainsi que de son fils, un signe pour les univers. » Par ailleurs, Jésus est aussi qualifié de « Parole de Lui venue » (S.III/V46). Jésus est donc considéré comme étant de l’Esprit de Dieu (rûhollah) et de Sa parole (kalima). Quelques versets plus loin, Dieu rappelle Jésus vers Lui (46) : « Jésus, voici que Je te recouvre à Moi (mutawafîka), t’élève vers Moi, te purifie de ceux qui t’ont dénié » car Dieu étant juste, Il ne pouvait l’abandonner à une mort ignominieuse et indigne d’un signe envoyé par Lui aux univers.
C’est sans doute ici, qu’il y a un espace important pour un échange fructueux et réciproquement bénéfique entre les chrétiens et les musulmans.
Des flammes de l’enfer à la Flamme de la Foi
par la pasteure Béatrice Cléro-Mazire
Quand Michel Servet remit en cause la doctrine de la Trinité en la comparant à un cerbère à trois têtes, il n’en était pas moins croyant en Dieu comme Père et en Jésus comme Christ. Mais sa définition de Christ était : « le Verbe de Dieu fait chair » et non pas le raccourci trop souvent pris par nos langages religieux et qui vise à dire que c’est Dieu qui se fait chair en Jésus-Christ. Quelle importance, me direz-vous ; Pourtant, c’est bien une affaire de mots et ces mots sont si dangereux qu’ils ont envoyé le pauvre Servet au bûcher. C’est dans un souci d’honnêteté avec les mots de la Bible que ce chercheur fougueux de vérité a écrit l’ouvrage qui lui valut la mort : La restitution du Christianisme. Dans cet ouvrage, il prône l’abandon de l’ancienne doctrine de la Trinité et le renoncement à la pratique du baptême des petits enfants. En proposant à la Réforme d’aller jusque-là, il se plaçait, aux yeux des Réformateurs, dans le camp ennemi des anabaptistes et dans le camp des hérétiques qui niaient la nature divine de Jésus.
Les doctrines théologiques ont ceci de fâcheux qu’elles semblent toujours clore la recherche qu’elles voulaient poursuivre et énoncent des vérités définitives là où aucune certitude n’est possible du point de vue humain.
Il ne s’agit pas ici de reprendre les controverses des conciles qui ont usé de beaucoup de violence pour qu’un camp ait raison sur tous les autres, mais de regarder quelles sont les conséquences pratiques qu’ont nos mots quand nous parlons de Jésus, fils éternel de Dieu ou de Jésus fils du Dieu éternel.
Dire que Jésus est Dieu, a des conséquences pratiques sur notre foi. Cela signifie que nous pouvons prier Dieu ou Jésus indifféremment comme si les deux personnes étaient confondues dans la même divinité. Cette divinisation de Jésus nous éloigne de celui en qui, selon les Évangiles, le règne de Dieu s’est approché. Si Dieu est infini, éternel et tout autre que l’humain et s’il est considéré comme divin, alors l’humain se retrouve de nouveau seul, face à un Dieu lointain et inaccessible à son entendement humain. Pourquoi alors l’incarnation ? Ne transforme-t-elle pas alors Jésus en une idole qu’il faut adorer comme un dieu et dont l’humanité n’était qu’une image ?
Dire que Jésus est homme a une tout autre conséquence sur notre foi. Il devient alors celui qui montre la voie d’une relation à Dieu dans la foi, propre à nous en rapprocher. Il n’est plus seulement fils de Dieu par l’esprit d’adoption qu’il reçoit lors son baptême, mais aussi un frère dans la foi. Voir Jésus dans l’idéalisation d’un « super humain » qui a tout compris de Dieu reviendrait à le mettre hors catégorie humaine et l’éloignerait de notre condition d’hommes et de femmes qui cherchent la voie vers le divin. Dans les Évangiles, si nombreux et si divers qui existent dans le corpus chrétien, Jésus est souvent présenté comme un homme qui doute et se retire pour prier, un homme qui est saisi par l’angoisse de la mort, par la colère devant l’hypocrisie, et par la peine dans le deuil ou devant sa ville aux mains des pouvoirs iniques de son temps. Si les auteurs des Évangiles canoniques et apocryphes ont voulu faire de l’itinéraire de ce maître de sagesse un destin sacrificiel, cela ne veut en aucun cas dire que Jésus avait la prescience de la portée qu’aurait son martyre, ni qu’il l’aurait souhaité pour accomplir le plan de Dieu.
Là encore, les mots peuvent nous égarer et nous faire prendre les récits apologétiques que sont les évangiles pour des récits historiques. Nous n’avons à notre disposition que des discours idéologiques sur Jésus, et nous devons sans cesse nous demander dans quelle perspective les textes sont écrits.
Nous ne connaîtrons sans doute jamais le Jésus historique, et ce n’est sans doute pas un problème, tant qu’on en a conscience. Car ce n’est pas seulement en l’homme Jésus que la foi se confie, mais en la promesse que son enseignement porte en lui. Le Christ, que les prophètes ont annoncé, ce prince de la paix, ce serviteur souffrant, ce Messie qui doit venir pour libérer son peuple, rejoint l’enseignement que Jésus a manifestement porté dans ses paroles et dans ses actes. Ce sont toutes ces figures de sauveur que les disciples qui ont raconté l’histoire de Jésus de Nazareth ont voulu reconnaître en lui. Jésus devient donc un porteur d’espérance, un homme qui dit quelque chose de l’amour de Dieu pour l’humain et qui en vit.
La doctrine classique du salut objectera que Jésus est sauveur par sa mort sur la croix, que seule cette croix suffit à nous acquérir le salut de Dieu et que c’est ainsi que Jésus est le Christ ; mais cette synthèse de toutes les figures du salut, nous plonge dans la théologie la plus sacrificielle qui soit, revenant de façon terrible sur la possibilité d’un Dieu qui aime le sacrifice humain. Les textes du premier Testament nous montrent pourtant combien ce type de sacrifice est condamné dans le judaïsme même, et il serait incohérent d’y revenir concernant Jésus si nous le considérons comme sauveur.
Ce qui nous sauve véritablement dans la révélation de Jésus de Nazareth, c’est qu’on ait pensé qu’un homme pouvait être en relation de paix avec le Dieu et que l’amour de Dieu pour l’humain pouvait l’inciter à faire de ce monde un monde habitable pour chacun, sans croix, sans bûcher, sans certitude criminelle qui prétendrait savoir qui peut vivre et qui ne peut pas. Ce qui sauve en Jésus, c’est de pouvoir croire que la violence n’est pas une fatalité et que les artisans de paix, même quand on les cloue sur une croix ont toujours raison d’avoir vécu l’amour de Dieu véritablement dans leur existence même. L’humanité de Jésus nous ouvre plus sûrement le chemin de l’amour du prochain que tout essai de divinisation, car ainsi, nous pouvons dialoguer avec les croyants de tous les grands monothéismes qui reconnaissent en Jésus un prophète, un rabbi, un croyant éclairé par la lumière de la foi. Ce qui est divin en l’Homme, c’est l’Évangile que Dieu lui inspire, c’est la Bonne Nouvelle qu’il découvre dans la foi.
Alors, que chacun prie comme il le conçoit dans son cœur, avec la liberté que Dieu lui donne sans être inquiet de la part de divin qui réside en l’humain, nous serons peut-être plus à même de nous concentrer sur le cœur de l’enseignement de Jésus : l’amour de Dieu et l’amour du Prochain, et nous serons véritablement frères et sœurs du sauveur.
Notre grande sacristie enfin restaurée
Sous l’égide de la Fondation de l’Oratoire et comme espéré dans notre Feuille Rose n°830, nous avons pu mener à bien, en ce 2ᵉ semestre 2024, un deuxième grand projet avec le Conservateur en Chef de la Conservation des Œuvres d’Art Religieuses et Civiles de la Ville de Paris (COARC) : la restauration de la salle du Conseil (ex-"Salle du Consistoire") communément appelée grande Sacristie.
Après avoir obtenu en 2021 son classement Monument Historique pour obtenir le soutien des services de l’État et de la Ville, puis restauré en 2023 ses baies vitrées et son parquet, il nous fallait s’attaquer aux énormes fissures et à la crasse de ses murs, de son plafond et surtout redonner vie à ses décors du XIXᵉ siècle, et à travers eux, aux grandes dates de l’histoire du protestantisme, de ses premières assemblées et ses lieux de cultes, de son premier martyr Jacques Pauvant, brûlé en place de Grève en 1525 pour avoir traduit des textes de Luther et de ses pasteurs ! En effet, et pour mémoire, étaient déjà inscrits sur nos murs le nom de nombre d’entre eux : le premier de la première église "à la mode de Genève" dressée à Paris en 1555 : Jean Le Maçon de Launay de la Rivière, ceux d’avant la Révocation de l’édit de Nantes par l’édit de Fontainebleau en 1685 et ceux de l’Oratoire, Église de Paris (siège du Consistoire) jusqu’en 1882 et, à partir de 1882, Église de l’Oratoire telle que nous la connaissons aujourd’hui : paroisse locale et d’adoption prônant une théologie libérale. Et pour faire écho au "Plaidoyer de nos pasteurs en paroisse" de la Feuille Rose, il nous est apparu important de s’assurer que tous y figuraient :
S’agissant des pasteurs titulaires avant 1882 et après pointage des différentes publications et livres d’histoires notamment sur les querelles théologiques et les vérifications des prénoms (le pastorat était alors très « dynastique »), il s’est assez vite avéré que sept noms de pasteurs manquaient : E. Dhombres, E. Ducros, J.H. Grandpierre, J.F. Mestrezat, G. Monod, L. Rognon et A. Vermeil. Nous avons donc décidé de tous les inscrire et ce quel que soit le courant qu’ils défendaient.
S’agissant des pasteurs titulaires après 1882, la question de courant théologique n’a par définition pas eu besoin d’être posée, ni celle d’ailleurs de la règle du temps passé au service : avoir effectué au moins un mandat complet ou son dernier mandat à l’Oratoire. Il a été en revanche convenu de ne plus attendre leurs disparitions pour les inscrire ; outre qu’elle est mortifère, cette condition s’est avérée compliquée à respecter puisque si les pasteurs Ducros et Château ont été inscrits sur nos murs à leur mort il y a plus de 20 ans, quatre autres ont malheureusement disparu depuis : Christian Mazel, André Pierredon, Pierre Fath et Philippe Vassaux. Leurs noms viennent donc d’être inscrits ainsi que ceux de leurs successeurs que nous pouvons ainsi remercier de leur vivant : Jean-Jacques Maison, Jean-Michel Perraut, Florence Taubmann, Werner Burki, Marc Pernot, James Woody, Agnès Adeline-Schaeffer et Béatrice Cléro-Mazire et à qui nous souhaitons surtout longue vie !
Il en a fallu du talent à l’équipe des restaurateurs habilités Monument Historique pour trouver la place nécessaire à l’inscription de ces 19 noms tout en les intégrant parfaitement au reste des décors également restaurés y compris le verset « Jusqu’ici l’Éternel nous a secourus » (Samuel 7:12) révélateur du souvenir encore vif à l’époque des persécutions subies par les protestants en France et celui choisi comme devise en 1900 et peint dans le chœur sur le tympan au-dessus de la porte qui mène à la grande sacristie : « Le don de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur » (Romains 6:23).
Également pour arriver à moindre coût à redonner du lustre à nos 6 bustes tout en nous donnant une première clef de l’énigme soulevée en janvier dernier : pourquoi l'inscription sur la tombe de Jean-Frédéric Mestrezat au Père-Lachaise « Il se repose de ses travaux et ses œuvres le suivent » (Apocalypse XIV) est-elle identique à celle inscrite sur la console du buste d’Athanase Coquerel, qui par ailleurs en déborde ? Coquerel aurait-il pris la place de Mestrezat ? Oui, cela est confirmé et vous pourrez de vous-même deviner le nom de Mestrezat sous le nom restauré du socle du buste de Coquerel ! En revanche, pourquoi donc avoir changé le buste sans prendre la peine d’en changer l’épitaphe ?
Au total entre mai et décembre, 6 corps de métiers auront été mobilisés et coordonnés pour successivement confiner et échafauder les lieux, changer et/ou réparer les pierres fissurées, déposer et restaurer les boiseries, retrouver les teintes exactes d’origine des boiseries pour les peintures générales, restaurer et compléter les inscriptions et enfin éclairer. Un immense merci à eux, aux élus et services de la Ville de Paris et de la DRAC grâce à qui nous avons pu réaliser en un semestre un projet dont la paroisse rêvait depuis plus de 10 ans (cf. notamment la Feuille Rose 797). Également, merci à tous les donateurs de la Fondation de l’Oratoire pour le financement de ce projet qui aura coûté 34 400 euros de moins (-21 %) qu’estimé grâce aux restaurateurs qui ont réussi à limiter les frais de dépose des boiseries et de restauration des bustes, et à la Ville de Paris qui a pris à sa charge tous les surcoûts liés aux aléas de chantier.
Après ne pas avoir résisté à la tentation de faire découvrir en « avant-première » le résultat époustouflant de cette restauration aux très nombreux paroissiens venus assister le 15 décembre dernier à la fête de Noël des enfants (cf. page 19), nous organisons avec Madame Karen Taiëb, adjointe à la Maire de Paris en charge du patrimoine, de l’histoire de Paris et des relations avec les cultes et Monsieur Ariel Weil, le maire de Paris Centre, une inauguration officielle le mardi 21 janvier 2025 à 17h30.
Vous y êtes bien entendu toutes et tous les bienvenu.e.s pour pouvoir remercier de vive voix toutes les équipes de la Ville de Paris, tous les corps de métiers qui ont œuvré à cette restauration, la Fondation et ses donateurs sans oublier bien entendu les dix-neuf pasteurs et/ou leurs familles dont les noms figurent dorénavant — et pour la postérité — sur les murs de l’Oratoire du Louvre.