L’unité réformée

1 Corinthiens 12

Culte du 13 juin 1937
Prédication de André-Numa Bertrand

Culte à l’Oratoire du Louvre

« L'unité réformée »
13 juin 1937


Sermon du pasteur André-Numa Bertrand


« Il y a plusieurs membres, mais un seul Corps. »

Je voudrais aujourd'hui prendre mon point de départ dans cette parole de l'Apôtre saint Paul, pour vous entretenir de l'unité de l'Église, et en particulier de l'unité de notre Église Réformée de France.

Bien peu sans doute, parmi vous, ignorent encore que mercredi prochain, 16 juin 1937, sera célébré dans notre sanctuaire un service solennel d'action de grâces, sur l'initiative des quatre Unions d'Églises qui ont entrepris de restaurer l'Église Réformée de France dans son unité profonde. Certes, cette grande œuvre n'est pas achevée ; pratiquement, tout l'organisme extérieur de l'Église nouvelle est encore à construire ; mais moralement, les étapes décisives sont franchies. Nous pouvons avoir maintenant la certitude, en dépit de quelques résistances qui persistent et qui, peut-être, persisteront, que l'année prochaine verra renaître une Église Réformée de France qui réunira dans son sein les forces actuellement réparties entre quatre, et sans doute cinq organismes religieux différents. Il est donc permis dès à présent d'inviter les fidèles à bénir Dieu pour la réalisation de cette œuvre que sa volonté paternelle a menée à bonne fin. 

Le pasteur qui vous parle ce matin, aura le redoutable privilège de prendre aussi la parole dans le service de mercredi prochain ; mais ce jour-là, il parlera au nom d'un organisme plus large ; il ne lui sera pas permis de s'adresser, comme il veut le faire aujourd'hui, à l'Église de l'Oratoire, de parler à son cœur avec cette liberté, cette simplicité que votre confiance a faite si douce à vos pasteurs. Et c'est pourquoi ce matin je voudrais évoquer devant vous ces grands problèmes, parler directement à notre Église, lui dire sa vocation particulière et sa tâche propre, la placer, devant Dieu, en face des devoirs qui vont se préciser pour elle.

Il m'a semblé qu'ainsi je ne décevrais pas l'attente de ceux qui sont venus ici chercher la force dont ils ont besoin pour la vie de chaque jour. Je n'ignore pas qu'il y a dans ce temple des hommes et des femmes qui luttent, qui souffrent, qui peut-être succombent ; qui attendent de notre culte autre chose que des réflexions sur la dernière actualité ecclésiastique ; mais l'intérêt primordial de ces âmes, c'est que dans le foyer où elles viennent se réchauffer, la flamme soit ardente et droite devant Dieu. En sorte que cette question, qui semble au premier abord nous être extérieure, nous introduit en réalité au cœur de la vie de chacun ; car chacun est intéressé à la vie de l'Église, comme l'Église est intéressée à la vie de chacun.


Je voudrais tout d'abord, pour ceux d'entre vous qui ne seraient pas parfaitement au courant de la situation actuelle, vous demander la permission de préciser quelques positions historiques, qui fixeront notre pensée et nous feront saisir sur le vif toute l'importance du problème qui se trouve aujourd'hui posé devant le protestantisme réformé, en France.

Il y a cent vingt ans, vers 1815, le protestantisme français était aussi affaibli spirituellement que matériellement. Après un siècle de persécutions, l'Édit de Tolérance de 1787 ne lui avait apporté que quelques courtes années de tranquillité, et l'influence d'une philosophie desséchante ne le prédisposait guère à trouver en lui-même les forces nécessaires pour traverser sans dommage la tourmente révolutionnaire et les troubles de l'époque impériale. Nos églises étaient à ce moment-là fort diminuées : le nombre de leurs pasteurs atteignait à peine le cinquième de ce qu'il est aujourd'hui, et leur vitalité était infiniment réduite. C'est alors que déferla sur le continent la vague de ferveur et d'enthousiasme religieux issue des Églises anglo-saxonnes, à la voix de la puissante personnalité de Wesley ; ce mouvement fut appelé, en France : le Réveil.

Il faut avouer que l'Église, même dans son corps pastoral, accueillit le Réveil avec une froideur marquée. Parmi ceux qui n'étaient pas entraînés par son impulsion, un homme seul ou à peu près, Samuel Vincent, avertit l'Église du danger qu'elle courait, en se refusant au rajeunissement intérieur qui lui était proposé, de voir les plus ardents de ses enfants se constituer en dehors d'elle dans un organisme séparé. C'est ce qui arriva en effet. Ainsi se produisit la première coupure dans le sein du protestantisme réformé en France ; à côté de l'Église concordataire, se constitua l'Église dite méthodiste ou wesleyenne.


Vingt ans plus tard, un Synode national se réunissait, à l'Oratoire même, dans la fièvre suscitée à travers l'Europe tout entière par la Révolution de 1848. C'était le moment où des hommes éminents par la foi et la culture, les Frédéric Monod, les Pressensé, les Hollard, déclaraient qu'il était de la dignité de l'Église de ne pas recevoir les subsides du pouvoir civil, et qu'elle devait être constituée de seuls membres professants ; ils demandèrent donc au Synode d'assurer la vie de l'Église par les seules offrandes des fidèles, et de se refuser à inscrire d'office sur ses registres tous les citoyens d'origine protestante, réservant aux authentiques disciples du Christ la qualité de membres de son Église. Pour cela, l'Église devait se séparer de l'État sans attendre que l'État se séparât d'elle.

Le protestantisme français, dans son ensemble, n'a pas suivi ces hommes ; ils se sont alors séparés à leur tour, non sans protester du caractère provisoire de leur sécession. Ainsi intervint la seconde coupure, par la constitution des Églises Évangéliques libres.


Enfin, dans la seconde partie du XIXe siècle, apparut une tendance doctrinale et théologique couramment désignée sous le nom de tendance libérale. Elle apportait dans la profession de la vérité chrétienne des idées assez étrangères à la tradition œcuménique et à celle des Réformateurs eux-mêmes. C'était une réaction naturelle et même nécessaire contre un immobilisme qui risquait non seulement de paralyser la pensée chrétienne, mais d'affadir la vie évangélique elle-même. Il est d'ailleurs impossible, en une ou deux minutes, de caractériser, et encore moins de juger, ce mouvement dont l'histoire est très complexe et comporte plusieurs étapes différentes. On peut dire en gros que ce furent d'abord deux théologies qui se heurtaient ; ensuite ce furent plutôt deux conceptions de la doctrine et de ses rapports avec la vie chrétienne, en sorte que la question qui se trouvait posée entre les deux « tendances » était en définitive celle-ci : « jusqu'à quel point la vie chrétienne est-elle liée à la profession d'une doctrine déterminée ? Vous unissez la profession de la doctrine et la possession de la vie chrétienne au point de les confondre, et par là vous mettez en péril la liberté de l'esprit et la valeur même de la pensée, disaient les uns ; et les autres répondaient vous les séparez au point de rendre la pensée religieuse inutile et même suspecte, et par là vous compromettez à la fois l'intégrité de la vie chrétienne et cette pensée même dont vous entendez sauvegarder la réalité et la valeur.

Ces deux tendances se heurtèrent dans le sein de l'Église d'État, notamment au Synode de 1872 ; et lorsque l'Église retrouva son indépendance lors de la Séparation de l'Église et de l'État, en 1906, les deux groupes se constituèrent à part et fondèrent d'une part l'Union des Églises Réformées Évangéliques, de tendance conservatrice, et d'autre part l'Union des Églises Réformées qui, en refusant d'ajouter aucune épithète à ce mot « Réformées », indiquait qu'elle aspirait à réunir tous les fils de la Réforme en France.

Ainsi le Protestantisme se trouvait scindé en quatre tronçons, à côté desquels s'organisait une puissante œuvre d'évangélisation : la Société Centrale Evangélique qui, pour échapper à la division des Églises, se constituait en dehors d'elles.

Tels sont les cinq organismes qu'il s'agit maintenant de réduire à l'unité.


Ce bref exposé, infiniment trop sommaire pour rendre compte de la complexité des choses, vous permet cependant de voir d'emblée comment a pu naître l'idée de réunir ces organismes divers en une seule Église. L'Église n'est plus asservie aujourd'hui à un conformisme religieux tel que le concevait le XVIIIe siècle ; elle n'est plus unie à l'État ; l'on n'y entre que lorsqu'on le veut bien, on ne s'y trouve plus inscrit d'office. Ainsi les revendications des méthodistes et des Églises libres ont déjà reçu, par la force même des choses, une large part de satisfaction. D'autre part, chacune des deux tendances qui se heurtaient avec violence dans la seconde moitié du siècle dernier a certainement laissé derrière elle une filiation parfaitement reconnaissable ; mais combien les esprits se sont rapprochés ! Des hommes qui, il y a 50 ans, se sont combattus avec âpreté, sont aujourd'hui unanimement considérés comme les maîtres et les pères de tout le protestantisme réformé. Pourquoi ceux qui appartiennent à la tradition spirituelle des Coquerel, des Auguste Sabatier, des Charles Wagner, se priveraient-ils des trésors de piété que leur apportent les Adolphe Monod, les Vinet, les Gaston Frommel ? Et cependant ces hommes se sont heurtés avec violence et ils disaient qu'il leur était impossible de vivre ensemble. Leurs enfants respectifs vivent aujourd'hui ensemble, dans la gratitude et le respect envers les uns et les autres. Il ne leur paraît plus impossible de concilier la plus entière liberté de l'esprit et le plus profond respect pour les expressions traditionnelles de la foi chrétienne.

Ainsi s'est affirmé peu à peu ce mouvement qui, prenant conscience de la valeur unique du Corps de l'Église, a voulu, d'une volonté de Dieu, réconcilier ces « frères ennemis » et créer un seul Corps avec ces membres dispersés. Pour cela, il ne restait plus à vaincre que nous-mêmes ; je veux dire nos habitudes d'esprit, nos partis déjà pris, nos classifications souvent artificielles, et peut-être nos petitesses.

C'est à quoi nous nous essayons ensemble, sincèrement.


Dans cette évolution du Protestantisme réformé en France, depuis un siècle, quelle a été la place de l'Église de l'Oratoire ? et quelle est aujourd'hui sa vocation propre et sa tâche particulière ?

Car notre Église a sa physionomie spirituelle particulière ; et peut-être étonnerai-je quelques-uns d'entre vous en disant que la source profonde de sa tradition me paraît être dans la personnalité religieuse d'un homme qui n'est sans doute jamais monté dans cette chaire, qui n'a jamais été pasteur à Paris, mais dont la physionomie reflète, avec une remarquable fidélité, les traits essentiels de la personnalité spirituelle de l'Oratoire. Cet homme, j'ai prononcé son nom tout à l'heure, et ce m'est un privilège de pouvoir lui rendre ici un hommage de gratitude, puisqu'il y a eu, ce printemps, un siècle que Dieu l'a rappelé à Lui ; c'est Samuel Vincent.

Un amour passionné pour Jésus-Christ, un attachement indéfectible à tous les trésors de la tradition chrétienne, un parfait respect de la liberté de l'esprit, une magnifique compréhension de toutes les pensées qui ne sont pas les siennes, une largeur d'esprit qui lui permettait de regarder plus loin que le milieu de l'Église et de parler au peuple de France, et de s'en faire écouter, au point que, dix ans après sa mort, un moraliste laïque comme Prévost-Paradol prenait soin de rééditer lui-même, avec une préface signée de son nom, les Vues sur le Protestantisme en France ; telle était l'âme de Samuel Vincent. Combien y a-t-il, en France, de livres sur le protestantisme qui aient été réédités, après la mort de leur auteur, par des non-protestants ?

Dans le portrait que je viens de tracer, vous avez reconnu les traits essentiels de la personnalité que, dans la mesure où le permet notre faiblesse, nous essayons de créer ou de maintenir à notre Église de l'Oratoire.

Une harmonieuse conciliation de la liberté de l'esprit et de la fidélité du cœur aux traditions de la foi, de la vie, de la pensée chrétienne ; un effort sincère de compréhension pour toute pensée qui n'est pas la sienne ; par ces traits de son caractère, notre Église est la preuve vivante, dans ses Pasteurs et dans ses fidèles, que la plus étroite communion spirituelle peut exister pour des chrétiens entre lesquels subsiste par ailleurs une grande diversité de conceptions doctrinales et théologiques.

Cela, nous ne l'avons pas rêvé ; nous l'avons vécu. Nous avons le droit de parler au Protestantisme français, lorsque nous revendiquons le droit à cette liberté, au nom d'une expérience et d'une expérience qui a réussi.

En particulier depuis que la séparation des Églises et de l'État a rendu notre Église maîtresse de ses destinées, l'Oratoire a joui d'une paix parfaite qui ajoutait pour ses Pasteurs à la joie du ministère une immense douceur. Même à l'époque difficile, à l'époque des luttes, à l'époque où l'on agissait du dehors pour paralyser chez elle le ministère d'un Coquerel ou d'un Roberty, jamais l'Église de l'Oratoire n'a consenti à perdre le sens de l'unité protestante, à descendre sur le terrain où l'on cherchait à l'entraîner ; et nous pouvons dire, à l'honneur de ceux qui nous ont précédés dans cette chaire, que jamais les luttes qui déchiraient le protestantisme n'ont réussi à troubler l'heure de la méditation, du recueillement et de la prière.

C'est que, dans son sein même, notre Église retrouvait cette diversité dont elle revendiquait les droits dans l'ensemble de l'Église Réformée de France ; et par là elle reprenait sans cesse conscience de la grande vérité qu'exprimait saint Paul, lorsqu'il écrivait : « Il y a divers membres, un seul Corps ; il y a diversité de dons, un seul Esprit. » Nous avons éprouvé que lorsque la ferveur chrétienne brûle dans les âmes, sa flamme est assez forte pour fondre en un même alliage les métaux les plus divers. Il y faut seulement de la foi et de l'amour : une foi qui ne consente pas à renoncer à l'amour ; un amour qui ne consente pas à se détacher de la foi.

Voilà la grâce particulière qui a été faite à l'Église de l'Oratoire. Elle lui trace sa vocation propre, sa vocation qui est la vôtre, Frères et Sœurs. Car, si je me suis permis ce matin de tracer ici les traits essentiels du visage de notre Église, d'évoquer quelques-uns des aspects de sa physionomie, ce n'est pas que j'aie mis en oubli le souci des âmes qui doit être celui de tout homme qui accepte le ministère de la parole. Mais l'œuvre de l'Église, la vocation de l'Église, ne peut pas être séparée de l'œuvre, de la vocation de chacun de ses membres. L'Église ne peut pas être, dans son ensemble, autre chose que ne sont les âmes individuelles qui la composent il n'y a pas de déclaration de principes, pas de programme, pas de ministère, qui puisse faire une Église vivante avec des âmes mortes, une Église fraternelle avec des cœurs sans amour, une Église réveillée avec des chrétiens endormis, une Église fidèle avec des membres infidèles.

Laissez-moi le dire ici, avec toute l'autorité que Jésus-Christ peut conférer à ses ministres ce n'est pas de l'Église qu'il s'agit ici, ni de la Paroisse ; c'est de vous et c'est de moi ; c'est chacun qui doit recevoir en plein cœur l'appel du Maître et se sentir responsable pour sa part de l'âme même de l'Église. Il faut que chacun de nous porte vivants en lui la foi et l'amour qu'il veut voir vivre dans l'Église. Faire partie d'une Église vivante ne dispense pas de vivre soi-même ; s'inscrire dans une Église sans anathème ne suffit pas à nous affranchir de l'esprit d'anathème. Demander à son Église d'être ferme et aimante, c'est s'engager devant Dieu à être ferme soi-même dans la foi et dans l'amour. Que personne donc ici, et pas même les hôtes bienvenus qui ne viennent qu'incidemment s'associer à notre culte, que personne ne pense qu'il s'agit de choses qui lui sont étrangères, qui ne regardent que les dirigeants de l'Église ou ses pasteurs. Mes frères, vos âmes sont la matière même dont l'Église est faite ; et ce n'est pas assez de dire qu'elle sera ce que vous la ferez, elle sera ce que vous serez. Il n'est pas dans vos cœurs de victoire si cachée que, par la grâce de Dieu, elle ne se répercute dans le cœur de l'Église ; comme il n'est pas de défaite si subtile qu'elle ne laisse une cicatrice sur le corps du Sauveur. 

L'Église de l'Oratoire a beaucoup reçu de Dieu ; elle a donc à donner beaucoup aux autres et au protestantisme français ; mais elle ne donnera que ce que vous posséderez, chacun de vous individuellement; et ce que nous avons à donner, je voudrais en terminant l'exprimer dans deux mots.


Il faudra d'abord de l'humilité.

De l'humilité ; et je ne me dissimule pas qu'à notre paroisse de l'Oratoire, ce sera peut-être plus difficile qu'à d'autres. Car il n'est pas douteux que cette grande œuvre de l'Union qui va s'achever a été poursuivie, aimée et priée par notre Église depuis longtemps, alors que dans d'autres Églises, elle était encore combattue, ou, dans tous les cas, redoutée.

Mais cela ne signifie pas que nous valons mieux que les autres ; cette belle tradition, nous ne l'avons pas créée, nous l'avons héritée, et par conséquent, nous n'avons pas à nous en faire gloire comme si c'était nous qui l'avions fait jaillir de nos propres cœurs. C'est un privilège que nous avons reçu. Il faut donc résister à la tentation de dire cette heure de l'unité protestante, c'est notre heure ; non, mes Frères, c'est l'heure de Dieu et de personne d'autre. Il n'y a pas d'homme, il n'y a pas d'Église, il n'y a pas de groupe d'Églises, qui ait le droit de dire : cette œuvre est mon œuvre.

Ce serait d'ailleurs un grand malheur que cela fût dit et que cela fût vrai ; ce serait la condamnation même de cette œuvre, car elle ne peut arriver à sa fin que si elle est vraiment l'œuvre de Dieu.

Il faut que chacun soit remis à sa place, dans l'humilité.


Et la seconde réalité qui sera nécessaire, c'est l'amour. Ici, mes Frères, permettez-moi de ne pas parler de mon chef, mais de redire les paroles qui tombaient de cette chaire, il y a 31 ans. Dans ce mois de janvier 1906 où la séparation des Églises et de l'État était chose faite et où le Protestantisme français se demandait avec angoisse si l'on saurait lui conserver son unité ou si, comme cela est malheureusement arrivé, il devrait assister à une scission nouvelle, un dimanche de ce mois de janvier 1906, le pasteur Émile Roberty parlait de l'unité du Protestantisme français, et il disait : « Ce n'est pas l'uniformité stupide de forme et de langue que nous demandons ; le monde la prend pour l'unité ; mais l'union vraie n'existe que dans l'amour des cœurs pour Jésus-Christ. Chez nous, issus de la Réforme et du libre-examen, il y aura toujours des opinions différentes, car les intelligences ne sont pas coulées dans un même moule et chacun peut puiser pour lui-même à la Source qui est la Parole de Dieu. Mais en quoi ces divergences nous empêchent-elles de chanter, de prier ensemble, de nous unir à la Table Sainte ? « Écoutez avec respect les opinions qui ne sont pas les vôtres ; elles renferment certainement une part de vérité. Croyez toujours plus à la sincérité des autres, cherchez ce qu'il y a de bon chez eux pour l'imiter ; et puis laissez-vous accuser de tiédeur parce que vous ne voulez pas que se divisent en chapelles ennemies des Protestants français, enfants du même Père, croyant au même Sauveur ; car, comme on l'a dit, notre union s'est faite à la lueur des bûchers ».

Que les jugements de ceux qui vous condamnent ne vous empêchent pas d'avoir des sentiments de solidarité avec tous vos Frères ; n'imitez pas l'étroitesse des autres… »

Ces paroles sont belles et vraies, et plus belle encore l'attitude morale qu'elles expriment, quand on sait…

Oui, ces paroles nous émeuvent profondément ; mais ne sentez-vous pas en même temps qu'elles révèlent une situation aujourd'hui disparue ; qu'il y a là des mots qui n'ont plus de sens pour nous ? « Le jugement de ceux qui vous condamnent », ... « l'étroitesse des autres », ... ce sont des expressions qui, aujourd'hui, sont bannies de la vie des Églises et que le Protestantisme français ne pourrait plus s'appliquer, sinon dans des incidents si minimes qu'on aurait vraiment honte de les évoquer dans la chaire de Jésus-Christ.

Il y a donc à la fois, dans ces paroles du toujours regretté chef de notre communauté, l'affirmation profonde de ce que nous devons être, et la marque de l'évolution qui s'est poursuivie dans les hommes et dans les choses depuis trente années.

Et ce n'est pas sans un propos bien arrêté que j'ai tenu à emprunter ce matin l'exposé de notre devoir aux paroles prononcées, il y a trente ans, dans cette chaire, par le pasteur Roberty ; car non seulement elles définissent l'essentiel de notre attitude, mais l'Église de l'Oratoire peut apprendre d'elles vers qui doit monter sa reconnaissance : non pas vers les hommes qui, aujourd'hui, sont les heureux moissonneurs des champs que d'autres ont ensemencés, mais vers ceux qui ont travaillé, sinon sans joie, du moins dans les difficultés et dans les larmes.

Écoutez la voix de ceux à qui vous devez garder la fidèle gratitude de l'Église :

« Il est des heures où l'espérance nous enflamme, et d'autres où nous nous sentons gagnés par un effroi fou qu'il ne nous sera pas donné de réaliser cet idéal. Mais quand je monte dans cette chaire où je me sens plus près de Christ et de Dieu, je te vois, Église de l'avenir, réalisant l'idéal fraternel et réunissant en un faisceau tout notre peuple huguenot de France. « Ô Dieu, ne nous traite pas selon nos mérites, mais selon les richesses de ta miséricorde ! »

Ô Dieu, béni sois-tu d'avoir réalisé pour les fils l'espérance des pères, et de nous avoir traités non selon nos mérites, mais selon les richesses de ta miséricorde !

AMEN.



Pour aller plus loin

  • André-Numa Bertrand, Le Dieu vivant, huit sermons, Fischbacher, Paris, 1938 (lire sur notre site)
  • André Encrevé, "L’Église réformée de Paris de 1802 à 1870 - La querelle entre les évangéliques et les libéraux à Paris", L'Oratoire du Louvre et les protestants parisiens, 2011, pp 108-130 (lire sur notre site)
  • Patrick Harismendy, "L’Oratoire, du temple à la paroisse (1870-1905)", L'Oratoire du Louvre et les protestants parisiens, 2011, pp. 131-142 (lire sur notre site)
  • "Déclaration de foi de l'Église réformée de France", 1938 (lire sur notre site)

Lecture de la Bible

Il y a diversité de dons, mais un seul et même Esprit ; il y a diversité de ministères, mais un seul et même Seigneur ; il y a diversité de pouvoirs, mais c'est le même Dieu qui produit tout en tous. Mais une manifestation spéciale de l'Esprit est accordée à chacun en vue de l'utilité commune…

De même que le corps forme un seul tout et a plusieurs membres, et que tous les membres du corps, malgré leur pluralité, ne forment qu'un seul corps, ainsi en est-il du Christ. C'est dans un seul et même Esprit que nous avons tous été baptisés pour former un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou libres, et nous avons tous été abreuvés d'un seul et même Esprit.

Le corps se compose non d'un seul membre, mais de plusieurs ; ... vous êtes le corps de Christ et chacun pour sa part est un de ses membres. C'est ainsi que Dieu a établi dans l'Église premièrement des Apôtres, deuxièmement des Prophètes, troisièmement des Docteurs ; ensuite ceux qui ont le don des miracles, ceux qui ont le don de guérir, de secourir, de diriger, de parler en langues…

Paul, Apôtre.
1re Lettre aux Corinthiens.
Ch. XII, passim.