Après la Victoire

Ésaïe 42:4

Culte du 17 novembre 1918
Prédication de Wilfred Monod

Après la Victoire
Discours prononcé par le pasteur Wilfred Monod
À l'Oratoire du Louvre le 17 novembre 1918

Mes Frères,

Alors ce n'est point un rêve ? Les hostilités ont pris fin ? Les trains de blessé ne laisseront plus une piste rouge dans le ballast ? Sur les champs de bataille, la nuit, on ne fera plus, de cadavre en cadavre, la cueillette lugubre des plaques d'identité ? En lisant le Décalogue du haut de la chaire évangélique, les pasteurs n'éprouveront plus un rapide vertige devant de commandement : Tu ne tueras point ? Les flots troublés de la Sainte Cène vont refléter, à nouveau, la face divine du commun Sauveur de l'humanité.

Non nous ne rêvons point ! Les cloches de Jésus-Christ ont sonné la Paix. Elles s'y exerçaient déjà, messagères bénies, dans les ténèbres infernales de notre ville éteint, après mille fracas des bombardements nocturnes. Que de fois nous avons tressailli en remontant de la cave, au moment où les clochers de notre cité, comme saisis de folie, semblaient sonner à qui mieux mieux, sans égard au calendrier, d'invraisemblables messes de minuit ! Mystique hommage à la fête de Noël, prophétie du retour certain de Jésus-Christ dans notre Europe.

Oui, le Fils de l'Homme est revenu subitement, en justicier, pour purifier le Temple. Les fresques de l'Apocalypse ont pâli auprès de la réalité. Contemplez ces deux tableaux. Au mois d'août 1914, sous l'éblouissement du soleil de l'été, la colossale armée du moderne Sennachérib se rue sur Paris à travers la Belgique piétinée ; elle progresse avec un mouvement irrésistible de marée, entraînant un matériel de guerre formidable, depuis les canons monstrueux jusqu'aux pastilles incendiaires ; et les soldats, par centaines de milliers, vêtus de neuf, armés de neuf, marchant au pas, chantent en chœur la gloire de l'invincible Empire... Au mois de novembre 1918, sur ces mêmes voies de l'invasion traîtresse, et le long d'une route fixée par le généralissime français, quatre automobiles roulaient péniblement dans les ténèbres sous le tonnerre de notre artillerie victorieuse ; des travailleurs allemands, devant les véhicules, comblaient fiévreusement les trous d'obus et les excavations du chemin. Ces voitures cahotées dissimulaient les plénipotentiaires du Kaiser, chargés de signer l'aveu solennel de la défaite ; et à mesure qu'ils avançaient vers le lieu de l'expiation, ils voyaient fuir dans l'ombre, en sens inverse, les formes indécises de leurs bataillons refoulés vers la frontière.

Puis, trois journées s'écoulèrent, à jamais décisives dans l'Histoire ; trois journées de poignant silence et d'attente pathétique. Les peuples, haletants, retenaient leur souffle, tandis qu'une main mystérieuse inscrivait en lettre fulgurantes sur la muraille du ciel, comme jadis à la paroi du palais de Belchatsar ; compté, pesé, divisé.

Lentement, l'aiguille fatale tourna soixante-douze fois sur le cadran du destin. Et, soudain, dans la grise lumière d'une matinée de novembre, un premier coup de canon révéla au monde sa délivrance.

Instantanément, des drapeaux se précipitèrent aux fenêtres ; j'entendis des cris de joie, des applaudissements — et aussi les sanglots convulsifs qui m'étreignaient à la gorge. De ce canon annonciateur de la Paix, de ce canon qui proclama la fin de la guerre, et peut-être la fin des guerres, il est permis de répéter, avec infiniment plus de raison, ce que la marquise de Sévigné affirmait du canon braqué sur le maréchal de Turenne : « Je le vois chargé de toute éternité ». L'inénarrable et glorieux signal, éclatant sourdement dans les cieux attentifs, a marqué un triomphe patiemment préparé d'âge en âge, à travers les siècles, une manifestation de l'Esprit du Serviteur de l’Éternel, le surnaturel « jusqu'auboutiste », celui qui ne connaîtra jamais ni lassitude, ni découragement « jusqu'à ce qu'il ait établi sur la Terre la justice ».

Oui, les nations démocratiques sont allées jusqu'au bout de leur indicible et douloureux effort en faveur de l'humanité. Que de fois accablées d'horreur, étranglées de pitié, aveuglées de larmes, elles auraient pu s'avouer découragées ! Quatre années de suite, les brouillards glacés de l'hiver tombèrent, comme un linceul, sur un peuple assassiné ; après la Belgique, la Serbie ; après la Serbie, la Roumanie ; après la Roumanie, la Russie. Les filets d'un guet-apens universel semblaient tendus aux quatre coins de la tristesse mondiale ; dans les nuées rodaient les avions incendiaires ; sur le sol, rampaient les gaz asphyxiants ; sous les flots, glissaient les torpilles perfides. Et, chaque jour, un coup au cœur ; chaque matin et chaque soir, de nouveaux blessés, de nouveaux mutilés, des nouveaux disparus, de nouveaux prisonniers, de nouveaux tués ; sur nos familles démantelées croassaient les mauvaises nouvelles comme les corbeaux sur des ruines...

Et, malgré tout, nous avons tenu ! Et la victoire s'est levée ! Elle aurait pu rester hésitante, controversée, crépusculaire ; elle rayonne, elle éblouit. Nous armées rentrent dans Metz, étendards déployés, sans tirer un coup de fusil. C'est le miracle de Jéricho : « Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée ! [...] À la septième fois, les murailles tombèrent... »

Non, ce n'est pas en vain que nous avons porté sans fléchir, sur nos épaules meurtries, autour des citadelles de la violence et du mensonge, l'Arche de l'Alliance, les antiques Tables de la Loi, les dix commandements de Jéhovah.

Jusqu'au bout... Nous sommes allés jusqu'au bout... Mais le son de ma propre voix m'effraie. Qui es-tu, pour parler ainsi, toi qui n'a point versé ton sang ? Jusqu'au bout ! Formule trop facile. Qui donc est allé jusqu'à l'extrémité du sacrifice, qui donc est allé jusqu'à l'immolation totale, sinon celui qui a suivi jusqu'au bout le chemin de croix, celui qui a tourné le coin dans la brume, celui qui a passé en silence par-delà le voile et dont nous ne reverrons plus, ici-bas, le visage ?

Notre part à nous, les survivants, c'est de consentir à son abnégation stoïque, c'est de partages son dévouement sans limites, c'est de communier avec lui dans le don sans phrase, héroïque et muet : « J'ai été crucifié avec le Christ » affirmait l'apôtre... « Avec mon fils, je suis tombé sur les coteaux de Verdun ; je suis tombé avec mon mari sur les rives de la Marne ». Pas nos bien-aimés soldats, et en eux, nous sommes allés, à notre manière, jusqu'au bout et nous avons le droit, nous-mêmes, à certaines heures, d'employer cette formule sublime sans profanation.

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Donc, notre peuple a poussé, tenace jusqu'à la victoire militaire. Mais cela ne suffit point. Il faut pousser jusqu'à la victoire morale. Après avoir « gagné la guerre », il faut « gagner la paix ».

Le maréchal Foch a écrit : « La guerre est le département de la force morale. » Si cela est vrai dans les affres du combat, cela est réel aussi dans les extases du triomphe. Malheur à ceux que le succès enivre ! Ils titubent comme des ivrognes sur les marches du Capitole.

Mais, grâces soient rendues à Dieu ! le péril semble conjuré. Déjà, les pilotes les plus vénérés de notre coalition victorieuse ont prononcé les paroles de raison, de conscience et de générosité qui dissipent les vapeurs de toute griserie aveugle ou furieuse. Dès la première minute, au moment même où les vagues pressées et les tourbillons de l'allégresse nationale déferlaient impétueusement vers le Palais-Bourbon, à l'instant même où, les larmes aux yeux, le Parlement saluait avec enthousiasme la délivrance inouïe de l'Alsace-Lorraine, le chef du gouvernement français formulait à la face de l'univers ces déclarations, hautes comme les étoiles : « Nous ravitaillerons l'Allemagne affamée. Nous ne faisons pas la guerre contre l'humanité, mais pour l'humanité. »

De son côté, le premier ministre de la Grande-Bretagne vient de répudier solennellement, au nom de la « paix » et de la « justice », les « basses, sordides et répugnantes idées de vengeance et de cupidité ! » Tel fut son langage. En même temps, le président des États-Unis, dans un message au Congrès, énonçait avec sérénité cet axiome ; « Vaincre par les armes n'est qu'une conquête temporaire. Vaincre le monde en gagnant son estime, c'est faire une conquête permanente. » Enfin, écoutez l'immortel ordre du jour lancé par notre général en chef à ses troupes. Ce ne sont pas les accents d'un soudard ; chose admirable et bien moderne, la voix du guerrier ne se distingue pas de la voix des grands parlementaires de Paris, Londres et Washington ; « La France a souffert dans ses campagnes ravagées, dans ses villes ruinées ; elle a des deuils nombreux et cruels. Les provinces délivrées ont eu à supporter des vexations intolérables et des outrages odieux. Mais vous ne répondrez pas aux crimes commis par des violences qui pourraient vous sembler légitimes dans l'excès de vos ressentiments. Vous resterez disciplinés, respectueux des personnes et des biens ; après avoir battu votre adversaire par les armes, vous lui en imposerez encore par la dignité de votre attitude, et le monde ne saura ce qu'il doit le plus admirer, de votre tenue dans le succès ou de votre héroïsme dans les combats. »

En vérité, mes frères, qui oserait répéter, aujourd'hui, le dicton du sceptique : « Rien de nouveau sous le soleil » ? Quand donc, au contraire, les conducteurs d'une coalition victorieuse ont-ils parlé de l'ennemi avec autant d'intelligente prudence et de lucide charité ? Ah ! combien l'on a eu raison de disperser, autour de l'obélisque de Louqsor, les canons allemands capturés par nos soldats. Le rapprochement de l'artillerie moderne et de l'antique monolithe revêt la valeur d'un symbole ; car toute cette ferraille appartient au passé, comme la colonne des Pharaons ; et la civilisation bismarckienne est aussi périmée que la civilisation égyptienne.

Mais il faut comprendre ce fait capital et en tirer, hardiment, les conclusions. Si notre devoir est de pousser la victoire militaire jusqu'à la victoire morale, il est évident que celle-ci entraînera des conséquences lointaines, soit dans le domaine politique, soit dans le domaine social. Politiquement, nous entrons dans une ère nouvelle, celle de la solidarité internationale : Plus de guerres ! Socialement nous entrons dans une ère nouvelle, celle de la fraternité nationale : Plus de misère ! L'un et l'autre but s'imposent. Telle est la conviction ardente, irrépressible, tour à tour tragique et grandiose, qui soulève les peuples de l'Europe ; un souffle de révolution agite partout l'océan populaire. Pendant l'interminable mêlée, des millions et des millions d'hommes arrachés à leur famille, à leur métier, à leur église, ont réfléchi profondément. Après des tortures physiques et morales sans nom, ces innombrables combattants, auréolés d'héroïsme, ces guerriers d'occasion, retourneront à la vie civile, ils reprendront les labeurs de la paix. Mais leurs expériences dramatiques les auront métamorphosés ; et puisque le gouvernement a bien su les habiller, les nourrir, les armer, pour les envoyer à la bataille, ils exigeront obstinément, avec une inquiète et légitime ténacité, que les lois du pays natal, pays sauvé par leur vaillance, les protège dorénavant d'une manière efficace contre le chômage et le surmenage, contre les accidents du travail, contre les risques de la maladie et de la vieillesse. Ils auront vu les ministres des finances jongler avec des milliards ; ils n'admettront plus qu'on oppose des raisons budgétaires à leurs équitables revendications. Et si des Églises timorées n'osaient pas soutenir les faibles ou protéger les spoliés, ceux-ci accuseraient les disciples de Jésus d'avoir trahi leur Maître et renié le Messie, puisque le Serviteur de l'Éternel se propose, pour but ultime, ici-bas, l'avènement de la Justice.

Préparons-nous, mes frères, à tirer loyalement toutes les conséquences morales du triomphe militaire. Soyons au premier rang pour combattre la tuberculose, la débauche, et cet infâme alcoolisme qui a failli ternir, de son haleine infecte, le radieux visage de la Victoire. Représentants du travail ou représentants du capital, renonçons tous ensemble au mortel principe du « chacun pour soi » dans le domaine de la production nationale. Que les uns admettent les bienfaits de la discipline consentie, de la division des fonctions, de la hiérarchie des responsabilités

— aspects élémentaires d'une direction prévoyante et d'un commandement unifié. Que les autres admettent une restriction de leurs privilèges, un partage fraternel des fardeaux de la vie, la nécessité du sacrifice personnel, les obligations enfin du « devoir d'aînesse », mission sacrée des conducteurs. Bref, que tous les Français, unanimes, se laissent pénétrer par l'esprit civique, placent le bien général au-dessus du profit particulier, l'utilité collective au-dessus de l'avantage individuel ; qu'ils conservent, pour les immenses tâches de la Paix, la cohésion, le renoncement, le courage qui ont sauvé la « Patrie en danger. » Les hauts faits accomplis durant l'effroyable épreuve par l'organisation, l'énergie, la persévérance, prouvent que le mot « impossible » est à rayer de notre vocabulaire, et que l'humanité a reçu la pouvoir de transfigurer la création dès qu'elle appliquera toutes ses ressources matérielles et mentales à la mise en valeur de notre planète, au rassemblement des volontés, à l'alliance des cinq continents, à l'édification de la Cité future.

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Cependant, mes frères, un pareil idéal flottera dans les nuées de l'utopie, malgré les sanglants avertissements de la guerre mondiale, si nous ne suivons pas plus loin encore le Service de l'Éternel sur le chemin de la Justice.

Compléter la victoire militaire par la victoire morale, c'est bien ; mais il faut, pour atteindre le but, compléter la victoire politique et sociale par une victoire spirituelle et religieuse. Poussons jusqu'à la sainteté ; aussi bien, le terme de justice, dans le vocabulaire des prophètes, implique la justice intérieure, la régénération. « Vous serez saints, déclare l'Éternel, car je suis saint. »

Oh ! mes frères, depuis ce dimanche pathétique de 1914 où j'ai prêché, du haut de cette chaire, pour le premier jour de la mobilisation, nous avons, réunis semaine après semaine dans ce sanctuaire, dressé vers le ciel des mains rouges !... Vous comprenez ma pensée : nous n'étions pas assez hypocrites pour distinguer, lâchement, entre deux catégories de civils, ceux qui sont exposés à tuer, parce qu'ils ont revêtu un uniforme, et ceux qui, à l'arrière, passivement bénéficiaires des combats, restent soi-disant purs des toute participation au fatal homicide. Non, non : point de subtilités, ni d'échappatoires ; tous, nous avons pris part à la sinistre corvée qui fut imposée brusquement, brutalement, à notre génération consternée... Pendant cinquante et un mois, malgré les sursauts de notre cœur et de notre imagination, nous avons poussé devant nous l'implacable charrue de la mort, sans regarder en arrière.

Mais nous regardions en haut, mon Dieu ! Nos yeux voilés de larmes cherchaient passionnément, au zénith, les constellations immuables de l'Évangile. Nous protestions de toute notre âme contre la besogne infernale, et nous la maudissions. Nous clamions notre loyalisme au Christ, malgré les apparences : « Ô Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t'aime ! »

Aujourd'hui, cette angoisse est dissipée. L'intolérable contradiction cesse de nous étouffer. Réjouis-toi, Église de Jésus ! tu retrouves ta libre respiration.

Mais l'atroce expérience a incrusté en nous une conviction aiguë, c'est que le péché est, ici-bas, une puissance, une réalité concrète, une force active d'obstruction et de ruine, un ferment de souillure et de cruauté, une inlassable et inépuisable énergie de perdition. Et de même qu'il existe, ici-bas, des formes parasitaires acharnées à la destruction de certains tissus vivants, de même le péché nous apparaît comme le dévorateur-né de la substance humaine par excellence : la personnalité morale, enfin l'âme !

Anathème à la guerre, oui ! mais, surtout, anathème au péché qui produit la guerre. « C'est du dedans, affirmait le Maître, c'est du cœur que sortent les meurtres. » Qui joue avec le pêché, qui le flatte, joue avec la guerre et le caresse. Pour détruire le règne de l'homicide, il faut donc, avant tout, attaquer le pêché, le traquer dans son repaire le plus caché, notre fort intérieur, viser à son extirpation. C'est là une ambition légitime, elle est même recommandée par l'Évangile : « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait. » Le christianisme ne serait point la religion du salut, s'il se bornait à mettre en relief l'âpre virulence et la mortelle intensité du pêché ; il place, au contraire, en pleine lumière la possibilité de la régénération, la promesse de la nouvelle naissance, de la transfiguration spirituelle.

Et voilà dans quel sens le « jusqu'au bout » qui s'impose à nous, dans la poursuite obstinée de la justice, implique la possession victorieuse de la sainteté.

Quel idéal ! Ici, nous dépassons le niveau du héros traditionnel, tel que l'antiquité l'exaltait ; nous fixons nos regards sur le martyr. Le héros frappe, le martyr est frappé — Léonidas combat, coude à coude, avec les camarades ; Étienne, le premier confesseur, est lapidé isolément — la dépouille du héros reçoit les honneurs militaires ; le cadavre du martyr est traîné sur la claie — le héros condense les vertus d'un séculaire passé, le martyr prophétise les grandeurs spirituelles de l'avenir.

Beaucoup de nos jeunes soldats, protestants et chrétiens, l'ont compris. J'ai reçu leurs nobles confidences, leurs confessions brûlantes ; je sais dans quel état d'esprit ils reviennent, pensifs, des champs de bataille. Ah ! certes, ils ont pris conscience du mal, dans le monde et dans leur âme ; une gravité précoce et parfois tragique barre leur front d'une pli douloureux ; mais le reflet surnaturel du Buisson ardent allume leurs yeux. Dégoûtés de toutes querelles qui divisent nos églises, forts des expériences décisives qu'ils ont réalisées dans le domaine de la prière, persuadés que le christianisme, c'est le Christ, le Christ seul, et que « tout ce qu'on ajoute vient du Malin », ils ont soif de vie spirituelle, soif de substance religieuse, soif d'activité missionnaire, soif d'unité entre tous les chrétiens. En un mot, ils sortent de la fournaise avec une devise magnifiquement simple, ineffablement riche, inspirée par l'Esprit Saint : Consécration.

Ô mes frères, laissons-nous instruire par ces consécrations sacrées et jurons aux jeunes gens de nos églises, à ceux qui ont disparu dans la tourmente et aux survivants de la grande tribulation, jurons-leur solennellement que leur attente spirituelle ne sera points déçue, que leurs ferventes aspirations seront exaucées, enfin que nous servirons le Serviteur de l'Éternel, sur le chemin de la justice intégrale, nous seulement jusqu'à la victoire militaire, nous seulement jusqu'à la victoire morale, mais encore jusqu'à la victoire mystérieuse de l'âme qui triomphe du pêché.

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Faut-il pousser plus loin encore ? Jusqu'où le Serviteur veut-il entraîner les siens ? Les statues de Lille et de Strasbourg, laurées d'or, marquent une simple étape dans un mouvement issu de la nuit des temps, jailli des âges préhistoriques et qui doit aller, s'amplifiant toujours, jusqu'au terme prédestiné d'une évolution providentielle. Des dates-flambeaux éclairent, de carrefour en carrefour, ce pèlerinage prodigieux. Moïse promulguant le Décalogue ! Ésaïe prophétisant le Messie ! Le Sauveur au Calvaire ! L'Église de la Pentecôte ! La Réforme au XVIème siècle ! La Constituante en 1789 ! La capitulation du pangermanisme, le 11 novembre 1918, à cinq heures du matin ! Autant d'événements immenses qui jalonnent l'incarnation progressive de l'Esprit dans le genre humain. Mais jusqu'où s'étendra cet effort de rédemption ? Jusqu'à l'exaucement de l'oraison dominicale : « Ton règne vienne ! » jusqu'à l'exaucement de la prière sacerdotale : « Qu'ils soient un ! » — jusqu'à la négation de la mort individuelle, jusqu'à la réalisation de la prophétie apostolique « Dieu tout en tous. »

L'œuvre que l'Éternel vient d'opérer, au prix d'un labeur gigantesque et d'un inénarrable agonie, est insérée dans l'œuvre universelle que l'Esprit Saint poursuit, infatigablement, pour le salut du monde, et qui dépasse les limites bornées de notre sagesse incertaine, sinon les cadres mouvants de notre prière, de notre amour et de notre foi.

Ô divine envergure de l'espérance chrétienne ! O lumineuse palpitation de ses ailes, dans l'éblouissement de la véritable gloire !

« Combien de prophètes et combien de justes ont désiré voir ce que vos yeux contemplent ! » déclarait Jésus à ses disciples ; et pourtant le trône de l'Empire, occupé par César Tibère, allait passer à César Néron.

Que nous dirait, aujourd'hui, le Fils de l'homme, alors que tous les visionnaires de tous les âges, tous les précurseurs et tous les pionniers, tous les prophètes et tous les martyrs, tous les missionnaires et tous les apôtre, tous les confesseurs de la vérité, tous les témoins de la justice, tous les forçats pour la foi, se redressent — vaincus victorieux, crucifiés ressuscités — pour sonner les cloches du Te Deum et de l'Hosanna, du Magnificat et de l’Alléluia, dans la communion des saints, et des anges, et des Invisibles transfigurés ? Oui, que nous dirait, aujourd'hui, le chef d'orchestre immortel de l'univers spirituel, alors que notre joie éclate illimitée, inexprimable, et d'autant plus sonore qu'elle est pure de haine, d'autant plus vibrante que notre immense victoire sera la libération de nos adversaires eux-mêmes, affranchis peu à peu de la tyrannie, exorcisés plus tard des esprits impurs comme la démoniaque Légion ?

… Ce que le Sauveur nous dirait ? Écoutez la voix qui s'élève de la Table Sainte :

« Ceci est mon corps, ceci est mon sang... Mangez de ce pain, buvez de cette coupe en mémoire de moi, en communion avec les sacrifiés volontaires, passés, présentes, futurs, et vous recevrez la force divine qui vous permettra de collaborer, heure après heure, avec le Serviteur de l'Éternel, celui qui ne connaîtra ni lassitude, ni découragement, jusqu'à ce qu'il ait établi sur la terre la justice. »

Ainsi soit-il.


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Le Serviteur de l'Éternel ne connaîtra ni relâche, ni découragement, jusqu'à ce qu'il ait établi sur la terre la justice.