Nos Mères
Ésaïe 49:13-15
Culte du 8 avril 1928
Prédication de Wilfred Monod
Culte à l'Oratoire du Louvre
« Nos mères (sermon pour enfants) »
Prédication par le pasteur Wilfred Monod en 1928
« Une femme oublie-t-elle l'enfant qu'elle allaite ? »
Ésaïe 49/15

Mes frères, et vous, en particulier, chers enfants, la prédication d'aujourd'hui est consacrée aux jeunes. Elle sera donc brève et simple.
Mon texte évoque l'une des images les plus populaires, les plus vénérables, et même les plus sacrées ici-bas : le nourrisson contre le sein maternel.
Les gestes fondamentaux de l'humanité ne sont pas très nombreux : le paysan baisse l'échine vers la terre ; le maçon lève la tête vers le ciel ; le conducteur transporte un fardeau ; le défenseur brandit une arme ; la mère étreint un enfant dans ses bras.
Que de fois les artistes ont représenté pareille attitude ! Un médecin protestant de Paris, très occupé, se glissait, parfois, au musée du Louvre, et contemplait, durant quelques moments, un célèbre tableau de la Vierge Marie et du tout petit Jésus. Tant l'âme humaine reste fascinée par ce groupe : la mère et l'enfant !
Dans la Bible, que de beaux récits où rayonne l'amour maternel ! Rappelez-vous Agar au désert, incapable de supporter la vision de son fils expirant de soif. Rappelez-vous Moïse, exposé sur le Nil, puis confié par une princesse à sa propre mère, sa nourrice naturelle. Rappelez-vous le jeune Samuel, élevé dans le temple, et auquel sa mère, chaque année, apportait une robe neuve. Rappelez-vous le jugement de Salomon : deux femmes affirmaient qu'un même garçon était leur fils ; le roi, prévoyant que la vraie mère pousserait un cri, ordonna de couper en deux l'enfant ; alors, un sanglot d'angoisse révéla le cœur maternel. Rappelez-vous la détresse de cette veuve païenne, qui avait hébergé le prophète Elie, et dont le bambin (son espoir et sa fierté), mourut de maladie ; dans l'excès de son amertume, elle s'emporta contre l'homme de Dieu, et lui jeta cette apostrophe : « Es-tu venu chez moi pour faire périr mon fils ? » Voilà les trouvailles, terribles et sublimes, de la tendresse maternelle au désespoir. Rappelez-vous, enfin, le poème en prose consacré au berceau, par Jésus : « Lorsque la femme a donné le jour à l'enfant, elle ne pense plus à la souffrance ; elle est tout à la joie d'avoir mis au monde un homme. »
Ah ! comment ne pas répéter avec le prophète israélite : « Une femme peut-elle oublier l'enfant qu'elle allaite ? » Pour lui, cette éventualité représente une monstruosité, une impossibilité morale.
Mais, s'il en est ainsi, osons affirmer que l'amour maternel est la plus puissante énergie qui soit à l'œuvre ici-bas ; elle est l'amour, l'espérance et la foi, ensemble. D'après certains philosophes, la suprême loi qui régit notre planète est le droit du plus fort ; le ressort du progrès, dans tous les domaines, serait la lutte implacable pour la vie, au gouffre des océans, sous l'ombre des forêts, dans le tonnerre des champs de bataille, à la Banque, à la Bourse, au Parlement !... Eh bien ! cette affirmation est fausse.
Oui, la lutte pour la vie est une réalité. Mais ces vivants qui « luttent » auraient cessé d'exister, depuis longtemps, ici-bas, si la lutte pour la vie n'était pas dominée par l'entente et l'entr'aide pour la vie. Si le monde subsiste, on le doit à la mère ; le ciment de la société humaine est l'amour maternel.
Les animaux eux-mêmes en fournissent la preuve. On a vu la femelle d'un canard sauvage, alors qu'elle couvait ses œufs, se laisser geler de froid sous la neige, plutôt que de découvrir le nid. À son insu, cette humble bête s'immolait à la génération future ; l'obscur instinct de l'espèce l'élevait au-dessus d'elle-même silencieusement, elle réchauffa, jusqu'au bout, l'Avenir, contre la tiède poitrine où battait son cœur.
Voilà une pâle image de l'amour maternel dans l'humanité. Oh ! chers enfants, lorsque vous longez les hautes murailles d'un hôpital ou d'une prison, sachez que beaucoup d'alcooliques, et beaucoup de malfaiteurs, sont les victimes d'une affreuse infortune : les soins matériels d'une mère, la protection morale d'une mère, l'inspiration religieuse d'une mère, leur ont manqué.
Essayez de peser le poids d'une pareille calamité, afin d'être justes envers les orphelins et pitoyables. Résumons tout en trois mots : une mère est la Providence rendue visible.
Pourquoi ? La mère est la force qui sert et se place à la disposition de la faiblesse. Elle déclare, comme le Sauveur : Ma devise n'est point : Être servi !, mais Servir ! Sans les soins maternels, minutieux et persévérants, combien de nouveau-nés sont voués à une mort fatale ?
De plus, la mère est la souffrance qui chante. Rien ne la rebute, absolument rien, nulle dépense, nulle insomnie, nulle douleur, nulle humiliation, nul sacrifice, en faveur de l'enfant. Le véritable amour ne ressent plus la fatigue. Un jeune gamin ployait, dans la rue, sous le poids d'une fillette presque aussi grosse que lui. Une dame bienveillante crut devoir exprimer quelque sympathie : « C'est bien lourd… » dit-elle. Mais le garçon, indigné, s'écria : « Ce n'est pas lourd, c'est ma petite sœur ! » Cette expérience magnifique est bien plus encore celle de la mère. Elle cesse d'habiter le pays de la balance et de la machine à calculer ; elle aime, et voilà tout.
Enfin, si la mère est la force qui sert et la souffrance qui chante, elle est la fidélité qui triomphe. En définitive, le cœur humain sait qu'il peut compter sur l'amour d'une vraie mère, comme on fait crédit à l'Éternel Dieu. Au VIIe siècle avant notre ère, le cruel roi de Ninive, Sennachérib, emmena captives, hors de Palestine, des populations entières. Un bas-relief commémore ce lugubre exploit. Or, l'artiste a noté un détail émouvant dans un chariot, escorté par des guerriers assyriens, apparaissent deux prisonnières juives, dont chacune garde un marmot ; et l'une des mères donne un baiser à son petit enfant. Ainsi donc, pendant que les villes flambaient, et que les suppliciés hurlaient, cette femme, oubliant sa propre ruine, rassurait l'enfant tout en larmes… Fidélité !
La Bible rapporte un exemple éclatant de constance maternelle. Les ennemis d'Israël avaient pendu, dans la montagne, deux fils du roi Saül. Leur mère, inconsolable, vint monter la garde auprès de leurs cadavres. L'auteur sacré raconte : « Elle prit un sac, et l'étendit sous elle contre le rocher, depuis le commencement de la moisson jusqu'à la saison des pluies ; et elle empêcha les vautours de s'approcher d'eux pendant le jour, et les bêtes féroces pendant la nuit » (2 Samuel 21, 1 à 9).
Et aujourd'hui, encore, à chaque heure du jour et de la nuit, d'innombrables mourants, expirant dans la solitude, concentrent leurs dernières énergies dans cet appel, monotone et tenace, toujours le même d'un pôle à l'autre pôle : « Maman ! Maman ! »
Un poète étranger a mis, sur les lèvres de quelque marin anonyme, cet admirable hommage à la fidélité du cœur maternel :
Si j'étais pendu, haut sur la montagne,
Ô maman, maman, oh ! ma mère à moi !
Ta tendresse, alors, serait ma compagne…
Ô maman, maman, oh ! ma mère à moi !
Si j'étais noyé dans la mer profonde,
Ô maman, maman, oh ! ma mère à moi !
Je sais que tes pleurs m'atteindraient sous l'onde…
Ô maman, maman, oh ! ma mère à moi !
Si j'étais damné du corps et de l'âme,
Ta seule prière éteindrait la flamme…
Ô maman, maman, oh ! ma mère à moi !¹
⁂
Chers enfants, je vous pose, maintenant, une question directe : Savez-vous dire merci à votre mère ?
Un fils ou une fille ingrats envers leurs parents, et spécialement envers leur mère, tombent au-dessous du niveau de l'humanité. L'amour filial, la reconnaissance envers les ascendants, le regard dirigé en arrière pour glorifier nos prédécesseurs, autant d'attitudes refusées aux animaux. La bête fonce en avant, sans jamais se retourner ; elle n'a point d'histoire, ni de famille, ni de patrie, ni d'église ; privée de tradition consciente, elle ignore la joie d'exprimer la louange.
Mais l'être humain, grâce au prodigieux mystère de la mémoire (qui fait de lui une personnalité libre et responsable), peut tourner son visage vers le passé, vers les parents, et bénir.
Alors, je répète ma question élémentaire, poignante : Savez-vous dire merci à votre mère ?
Certains enfants, parce qu'ils sont dociles, ponctuels, ordonnés, propres, appliqués au travail, et parce qu'ils embrassent leur mère, matin et soir, se figurent qu'ils sont des modèles de piété filiale. Quelle erreur ! L'amour d'une mère ne demande pas seulement, en retour, l'obéissance ; l'amour espère l'amour.
Examinez-vous. Cherchez dans quelles occasions vous exprimez une réelle gratitude à votre mère. Vous me répondrez qu'à chaque repas vous dites « merci », quand on remplit votre assiette, et surtout pour le dessert. J'en suis persuadé ; mais chiens et chats, eux aussi, manifestent leur satisfaction, devant la pâtée.
La reconnaissance à laquelle je vous invite est quelque chose de plus profond, et de plus désintéressé. Remerciez-vous votre mère pour les exemples de patience, ou d'entrain, ou de savoir-faire, ou de courage, ou de foi, qu'elle multiplie sous vos yeux indifférents ? Le véritable « merci » n'est pas un mot sec de deux syllabes, jeté du bout des lèvres ; c'est un élan du cœur, un chant de l'âme, un rameau fleuri où s'épanouissent la courtoisie délicate, le fervent respect, une gratitude chevaleresque.
Savez-vous remercier votre mère d'être là, d'exister, ou même de subsister, malgré tant d'épreuves, connues ou invisibles ?
Hélas ! combien de familles raidies par un manque effroyable d'abandon, d'ouverture, d'aisance ! On glisse les uns à côté des autres, comme ces poissons d'aquarium que séparent des barrières transparentes, mais infranchissables.
Est-ce normal, beau, juste ? Osez rompre ces glaces de silence. Avec votre mère, exercez-vous à lire ensemble, à contempler ensemble des images ou le ciel étoilé, exercez-vous à causer ensemble, à prier ensemble. Apprenez à dire « merci », avant qu'il soit trop tard. Car la vie disperse, et la mort sépare. Oh ! ces « merci » devant un portrait, devant une tombe. Ces « merci » renvoyés à une rencontre dans l'au-delà… Ou même, ces muets « merci », dans le sanctuaire du for intérieur, à une âme disparue qui demeure présente mais silencieuse.
Vous me direz : Au foyer familial, on ne peut exprimer certaines aspirations légitimes, qui resteraient incomprises. En admettant que ce langage ne soit point inspiré par la vanité de la suffisance, ou par l'orgueil de l'égoïsme, c'est une raison de plus pour dire Merci ! pour aller aussi loin que possible dans la voie où les cœurs, du moins, peuvent se rencontrer, et le doivent.
Saint Luc affirme de l'enfant Jésus qu'il était soumis à ses parents, ce qui ne l'empêcha point d'ouvrir les yeux, plus tard, sur certaines lacunes de sa mère. Et Dieu ne vous demande pas d'affirmer que votre père et votre mère sont d'un caractère irréprochable, d'une sagesse infaillible, ou d'une conduite pratique toujours impeccable. Jésus n'attribuait pas à sa mère la perfection. À Cana, il dut refuser de suivre une suggestion maternelle, intempestive. Dans une autre occasion, alors que ses parents l'accusaient d'être hors de sens, il déclara : « Qui est ma mère ? C'est quiconque fait la volonté de Dieu. » Et cependant, au Calvaire, il jeta un suprême regard vers Marie pour la confier à l'apôtre Jean avec ces mots : « Fils, voilà ta mère ! » Et Jean recueillit Marie sous son toit. Tel fut le dernier Merci du Crucifié à celle qui l'avait allaité.
⁂
Encore un mot. Notre texte appartient à un passage où le prophète envisage, malgré tout, l'impossible comme réalisé. Voici les paroles qu'il met dans la bouche de l'Éternel : « Une femme oublie-t-elle un enfant qu'elle nourrit ? Même quand elle l'oublierait, moi je ne t'oublierai point. » Un nourrisson, abandonné par sa mère nourrice, quelle catastrophe morale ! Ce malheur noir sert à mettre en relief, par contraste, une promesse grandiose du Dieu d'Israël.
Sans doute, elle s'adresse à la ville de Jérusalem ; mais chaque âme peut l'appliquer à elle-même, en l'interprétant à la lumière de la révélation évangélique. Car Jésus nous a montré le Père ; un Dieu qui reste Amour, même si l'amour maternel venait à s'évanouir ; et surtout, un Père qui reste saint, quand l'amour maternel vient à s'égarer.
Songez à la requête stupide offerte au Christ par la mère des apôtres Jacques et Jean : « Ordonne que mes fils, dans ton royaume futur, siègent à ta droite et à ta gauche. » Songez, surtout, au conseil infernal d'Hérodiade à sa fille Salomé : « Réclame au roi Hérode la tête de Jean-Baptiste ! » Hélas ! oui, la passion maternelle divague, et roule au crime, quand elle n'est pas contenue, rectifiée et sanctifiée par l'Esprit de Dieu.
Mais vos parents, chers enfants, désirent, au contraire, pour votre destinée l'inspiration d'En-Haut, puisqu'ils vous envoient aux Écoles du dimanche et du jeudi, aux groupes d'Union chrétienne, aux troupes d'Éclaireurs, au catéchisme, au culte public. Votre devoir est donc de respecter, de vénérer et de bénir, dans l'amour de vos parents, un reflet de l'Amour éternel. En Dieu, l'amour paternel et l'amour maternel sont une même réalité ; car Dieu n'est ni homme, ni femme, ni masculin, ni féminin, malgré les ridicules représentations de l'imagerie traditionnelle ; il est un Esprit saint et qui aime ; il est un Père et il est aussi une Mère.
Dès lors, quand nous méditons sur l'amour maternel, c'est vers lui que montent nos actions de grâces.
Car ainsi parle l'Éternel :
Une femme oublie-t-elle l'enfant qu'elle allaite ?
N'a-t-elle point pitié du fruit de ses entrailles ?
Quand même elle l'oublierait, Moi je ne t'oublierai point.
Amen.
Notes
- ↑ Twenty poems from Rudyard Kipling. — « Mother o'mine ».
Pour aller plus loin
- Prédication sur un thème similaire par Wilfred Monod, "Après les élections législatives", (lire sur notre site)
- Conférence de Laurent Gagnebin et toutes les prédications (lire sur notre site)
Lecture de la Bible
Ésaïe 49
13 Cieux, réjouissez-vous ! Terre, sois dans l'allégresse ! Montagnes, éclatez en cris de joie ! Car l'Éternel console son peuple, Il a pitié de ses malheureux. 14 Sion disait: L'Éternel m'abandonne, Le Seigneur m'oublie ! - 15 Une femme oublie-t-elle l'enfant qu'elle allaite ? N'a-t-elle pas pitié du fruit de ses entrailles ? Quand elle l'oublierait, Moi je ne t'oublierai point. 16 Voici, je t'ai gravée sur mes mains ; Tes murs sont toujours devant mes yeux.