Après les élections législatives
Galates 3
Culte du 23 novembre 1919
Prédication de Wilfred Monod
Culte à l’Oratoire du Louvre
« Après les élections législatives »
dimanche 23 novembre 1919
Sermon du pasteur Wilfred Monod.
« Il n'y a plus ni Juif, ni païen,
ni esclave, ni libre,
ni homme, ni femme ;
vous êtes tous un en Jésus-Christ. »
Galates III, 28
Paroles prodigieuses de hardiesse ! Pensée d'une intelligence éblouissante ! Magnifique prophétie !
Apothéose de l'âme ! Arc de triomphe dressé à la gloire de l'esprit, et sous lequel défilent, bannières déployées, ces trois idéals prestigieux :
- Plus d'anathèmes religieux ! (le Juif renonce à damner le païen.)
- Plus de haines de classes ! (le noble renonce à se croire d'un autre sang que le vilain.)
- Plus de domination du sexe faible par le sexe fort ! (l'homme renonce à tenir la femme en tutelle ou en esclavage.)
Splendide programme de Liberté, d'Égalité, de Fraternité fixé contre le pilori du Calvaire, aux débuts de l'ère chrétienne, par les vaillantes mains d'un pharisien fanatique, subitement converti à l'Évangile.
Hélas ! il semble à première vue que le geste analogue de Martin Luther, quand il afficha son placard de protestation et d'affranchissement contre une église de Wittemberg, il semble que l'initiative du petit moine ait porté plus loin que celle du grand apôtre. Celui-ci, en effet, soulevé par l'inspiration divine, devançait l'époque à tel point que le XXe siècle, lui-même, le suit encore d'un pied boiteux. Le génial visionnaire chantait, transfiguré, l'hymne du spiritualisme absolu, la Marseillaise de l'unité humaine : « Il n'y a plus ni juif, ni païen, ni esclave, ni libre, ni homme, ni femme. En Jésus-Christ, tous vous êtes un ! »
Mais cette fanfare ne rythme guère la marche du genre humain ; elle sonne à l'avant-garde, à une telle distance que certaines oreilles l'entendent à peine.
Preuve en soit l'attitude adoptée en France à l'égard de cette haute idée : sur le plan moral et philosophique où rayonne l'esprit de Jésus-Christ, il n'y a plus ni homme ni femme.
Comment notre pays vient-il d'appliquer ce précepte, cet axiome, durant la récente consultation électorale, la première après la guerre mondiale, après une victoire due en partie à la ténacité obscure, à l'endurance, à l'héroïsme sans phrase des Françaises ? Un Sénat composé d'hommes a écarté du scrutin les femmes. Et néanmoins, dans le vocabulaire spécial des assemblées démocratiques, dans le patois de la Presse, on a continué à taxer de suffrage universel un suffrage uniquement masculin. Parmi les grandes nations, la nôtre est seule à maintenir un tel abus de langage, une fiction pareille. Non, le suffrage universel, en France, reste inexistant.
Mais ne craignez rien ! Je ne prétends pas insister sur le côté politique de la question. Dans cette maison de prière, c'est l'aspect moral et religieux des problèmes qui s'impose à notre conscience. Et je voudrais aujourd'hui, d'accord avec un penseur américain1, appeler votre plus sérieuse attention sur les périls qui menaceraient l'avenir spirituel de l'humanité, si l'on s'obstinait à éliminer systématiquement des affaires publiques, ou des mouvements sociaux, l'opinion et l'influence de la moitié du genre humain.
Et d'abord, une constatation fondamentale : la consultation électorale s'est déroulée avec l'appui du cabaretier, mais sans le concours de la femme. Hélas ! nous sortons de l'effroyable tourmente sans avoir maté l'alcoolisme ; le monstre laboure de ses griffes nos trente-six mille communes et sa bave nous éclabousse. Mais en face de lui nous maintenons baillonnée, ligotée, la Femme ! C'est-à-dire son adversaire le plus redoutable, celle qui est prédestinée à devenir le saint Georges de ce dragon. On a ainsi porté à notre bien-aimé pays, déjà cruellement affaibli par la guerre, deux coups d'une gravité tragique. En effet, dans l'universelle concurrence des peuples, à la surface du globe, l'inflexible loi de la survivance des plus aptes jouera en faveur des peuples tempérants ; toute race empoisonnée est marquée d'avance pour la disparition fatale, comme un arbre désigné à la hache du bûcheron. Dans un avenir prochain, nous verrons les nations sobres, celles qui osent édicter des mesures draconiennes, des mesures désespérées, contre le débit de boissons, nous verrons les nations tempérantes ou abstinentes dépasser rapidement, dans tous les domaines, les nations rachitiques et stériles qui s'épuisent à sucer aveuglément les mamelles vénéneuses de la Mort.
Et ce n'est pas tout ; non seulement il ne faut point infecter un peuple, s'il doit survivre, mais encore il faut lui octroyer la liberté de marcher, sans entraves, sur le chemin de la guérison, vers l'Avenir. Dans la mêlée où s'affirme l'émulation des races ou des nations, celles-là triompheront sans peine de toutes les rivalités, qui s'avanceront dans la direction même du Progrès humain, de l'Évolution morale, de la mystérieuse Vie. Toute collectivité qui s'obstinerait à remonter le courant de l'Esprit, qui travaillerait à contre-sens, et au rebours de la réalité, susciterait l'opposition formidable et l'éternelle résistance de la Parole qui tend incessamment à devenir chair, du Verbe qui aspire à s'incarner. Et dans ce combat inégal, elle n'aurait pas le dernier mot. Or, en déniant à la femme la place qui lui appartient dans l'éducation normale de la Société, et dans l'édification de la Cité future, nous commettons précisément un crime de lèse-humanité. Nous poussons celle-ci au suicide.
⁂
Demanderez-vous pourquoi ? En vérité, la réponse est trop facile. Elle fulgure, elle s'élance brûlante, avec les tourbillons enflammés de mille champs de bataille ; elle tourne dans la nuée infernale qui arrosa de sang pendant la guerre neuf cent millions de créatures humaines, entraînées dans l'ouragan. Et cette voix géante nous crie : « Ce qui vient de sombrer, dans la catastrophe mondiale, — écoutez, écoutez !— c'est une civilisation masculine. »
Est-ce que la civilisation occidentale, en effet, n'était pas aux mains des hommes, et des hommes seulement, depuis des âges innombrables ? Qui détenait la force religieuse ? Un clergé masculin. Qui détenait la force universitaire ? Une Sorbonne masculine. Qui détenait la force judiciaire ? Une magistrature masculine. Qui détenait la force militaire ? Un État-major masculin. Qui détenait la force gouvernementale ? Une équipe masculine.
La force, partout la force, au service de l'idéal combatif du mâle, idéal atavique, héritage de l'animalité primitive. Sous le régime atroce et fantastique de la « paix armée », l'Europe était devenue un camp. Le clairon mélancolique des casernes, sonnant le couvre-feu dans le silence du soir, semblait annoncer, chaque nuit, la trompette du jugement dernier. Hélas! dans cette Europe embrumée de mortelles angoisses, peut-on affirmer que les mères « donnaient le jour » à leurs enfants ? Le jour suppose le soleil ; et l'Occident étouffait dans les ténèbres.
Et sur la conscription universelle, comme sur une pyramide apocalyptique de crânes, trônait impassible l'État-Dieu, divinité au bec d'aigle et aux griffes de lion, évocatrice des Empires païens de Ninive ou de Babylone ; ce dur et monstrueux État, irresponsable, absolu, déifié, et dont un historien allemand déclarait, aux applaudissements des étudiants pangermanisés : « Je n'ai, jamais de ma vie, accordé une pensée à mes devoirs envers la société ; et d'autre part, de ma vie, je n'ai jamais, fût-ce par une seule pensée, négligé de considérer mes obligations envers l'État prussien. »2
Au cours de la guerre, pendant la danse macabre des nations autour de la fosse commune creusée de leurs propres mains, un célèbre poète hindou, anobli par le gouvernement anglais, a osé libérer la conscience universelle ; il a jeté l'anathème de l'Asie à l'Europe. « La civilisation occidentale est carnivore et cannibale ; elle se nourrit des autres peuples, elle ouvre des mâchoires affamées pour engouffrer des continents immenses ; jamais on n'a contemplé un spectacle pareil de terrifiante gloutonnerie, et un mécanisme aussi colossal pour transformer en hachis de vastes portions de la terre… Nous prophétisons que cela ne peut continuer. Car il existe une Loi morale, applicable aux sociétés comme aux individus. »3
⁂
Ah ! mes frères, entendons l'avertissement de l'Asie… S'il vient de l'Inde, il vient surtout de la Palestine. Écoutons le Galiléen, le Sauveur. En une heure tragique pour l'humanité, au seuil de la Passion du Christ, une populace égarée, sommée de choisir entre l'émeutier Barrabas et Jésus de Nazareth, glorifia le meurtrier. Et depuis lors, malgré les hypocrites apparences, notre civilisation homicide s'est trop souvent réclamée d'un tel patron, dans les Conseils cachés des gouvernements et les conciliabules secrets des diplomates.
Retournons enfin à l'Évangile ! Et nous échapperons à la séculaire emprise, à la rude armature de cette civilisation masculine qui vient d'ensanglanter, durant cinq années, les terres, les mers et les airs.
Est-ce que l'Évangile authentique ne met pas en pleine lumière, précisément, ces mêmes aspects de l'idéal qui sont les plus nécessaires à notre guérison, les plus contraires à cette antique tradition de violence où s'est enlisée l'humanité ? Est-ce que l'Évangile intégral ne fait pas scintiller les facettes obscurcies de cet idéal oublié, négligé, ou trahi par la chrétienté ?
Dans le monde cuirassé des Césars, où les impitoyables maximes du « chacun pour soi », de la lutte économique et de la concurrence vitale s'entrechoquaient avec un cliquetis de glaives, s'éleva la pure et austère mélodie des Béatitudes : « Heureux les débonnaires, les miséricordieux, les pacifiques ! les persécutés pour la justice !... » Et quels accents encore dans cette musique divine : « Les rois subjuguent les nations, et les tyrans se font décerner le titre de Bienfaiteurs. Mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert… Celui qui tire le glaive périra par le glaive… Mes disciples se révèleront à ce signe : ils s'aimeront les uns les autres… Le Fils de l'homme est venu non pour être servi, mais pour servir… Nul ne m'ôte la vie, je la donne… Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font !... »
Chacune de ces paroles ouvre une fenêtre sur les horizons illimités d'un nouvel univers. La société cesse d'être une bousculade, une ruée, un sauve-qui-peut, un piétinement sauvage des faibles par les forts. Le ressort de l'activité générale n'est plus l'appétit du gain, la fringale du profit, mais la joie de l'entr'aide mutuelle au bénéfice de la collectivité : l'individu est subordonné à l'ensemble, l'intérêt particulier à la cause commune, l'État lui-même au Royaume de Dieu. Toute une morale insoupçonnée de l'antiquité s'élabore, se cristallise autour de la notion du renoncement réfléchi, volontaire et transfiguré. Sur le monde passe un souffle inconnu, mystique. Avec l'ère nouvelle commence l'épopée de la charité, celle du bon Samaritain, du père de l'enfant prodigue, de la parabole du jugement dernier.
Oh ! retournons à ces origines sacrées, buvons à ces sources cristallines, plongeons dans ces fontaines de Jouvence. Et nous comprendrons que l'Église évangélique est le milieu providentiel où s'élaborent les énergies qui sauvent, les surnaturelles puissances de l'émotion. La raison, à elle seule, ne peut ni former ni maintenir une civilisation, il y faut la chaleur de l'enthousiasme et le rayonnement du cœur. La capacité de progrès moral, au sein d'une société donnée, se mesure à sa capacité d'immolation pour l'idéal, à sa qualité d'âme. Encore un coup, voici le moteur de l'évolution supérieure la ferveur, l'amour, la foi et, pour tout dire, l'exaltation de la personnalité par le sacrifice, une sainte passion pour le souverain Bien. « Soyez parfaits, enseignait le Christ, comme votre Père céleste est parfait. »
Voilà donc, mes frères, d'après nos Évangiles, quel est le sens de la réaction décisive qui se prépare contre la civilisation masculine, foncièrement individualiste, cérébrale et belliqueuse. Or, cette protestation nécessaire, urgente, à laquelle nous entraîne l'Esprit de Dieu, aura demain pour point d'appui prédestiné : l'âme féminine.
⁂
En doutez-vous ? Cette conclusion s'impose, puisque la femme, de par sa nature même, incarne l'instinct maternel. Or, la mère — et quelle femme ne l'est point, dans son corps ou dans son âme ? — la mère personnifie, ici-bas, quelques-uns des principes fondamentaux introduits par Jésus dans le monde. Et vous l'avez senti vous-mêmes, tout à l'heure, tandis que je définissais l'idéal évangélique; une association imprévue, mais irrésistible, s'est établie dans votre cerveau entre ces grandeurs spirituelles proclamées en Galilée, dévoilées au Calvaire, et les vertus particulières qui rayonnent de l'âme féminine. Celle-ci, d'ailleurs, au premier appel du Christ, avait manifesté d'emblée le pressentiment d'une harmonie préétablie entre son génie spécial et la révélation nouvelle. Au frontispice des Évangiles se détachent lumineuses, comme des personnages de verrière, ces inoubliables silhouettes : Marthe et Marie, la pécheresse repentante, la Samaritaine, les bienfaitrices anonymes qui subvenaient aux besoins de la communauté apostolique, les suivantes fidèles qui montèrent de loin une garde d'honneur autour du Crucifié, qui embaumèrent sa dépouille mortelle au sépulcre, et qui, enfin, furent ici-bas, avec Marie Madeleine, les messagères de la Résurrection.
Quel accueil spontané à la Bonne Nouvelle ! Quel écho vibrant aux appels du Sauveur ! Sans hésiter, illuminée par la plus infaillible des intuitions, la femme apporte les petits au Christ et réclame sa bénédiction pour les têtes bouclées ; elle salue éperdument en Jésus le champion des sans-défense, le syndic des faibles ; et ses entrailles maternelles frémissent, quand il propose à l'Empire de Tibère, au monde qui applaudissait les gladiateurs et torturait les esclaves, cet idéal inattendu : « Devenez comme les enfants ! »
En vérité, ce n'est pas le hasard qui dressa peu à peu, sur les autels de la chrétienté, l'image d'une femme serrant un nouveau-né dans ses bras. Pour ceux d'entre nous qui n'acceptent plus, à cet égard, les mythes et les dogmes de la tradition primitive, le symbole demeure éclatant. Aux yeux du penseur, il revêt la signification d'un ex-voto. Et de même que les infirmes guéris suspendaient, jadis, dans le sanctuaire de la divinité propice, quelque représentation naïve d'un membre libéré du mal, de même l'humanité nouvelle a octroyé aux générations futures, sous l'emblème de la Mère, un mémorial de l'inénarrable délivrance accordée au genre humain dans la personne de la femme.
La mère ! Quelles paroles exprimeront jamais les sentiments qu'éveille en nous cette visible providence, gardienne obstinée de l'Avenir incarné dans l'enfant, incessamment tournée vers les réalités futures, toujours prête à se sacrifier aujourd'hui pour Demain, ce mystique autel où brille, allumée par ses soins, et entretenue par le don renouvelé de son cœur, la lampe perpétuelle de l'immolation consentie et de la joie rédemptrice ? Ô prophétesse ! voyante inlassable dans les veilles et sous les orages ! ô vigie dont les yeux clairs ou voilés de pleurs, mais brûlants d'amour et d'espoir, sont plus fidèles dans la nuit que les étoiles du firmament !
Quand nous prions ainsi « Notre Père ! », nous ne prétendons pas identifier Dieu avec un être masculin. Cette imploration de notre âme équivaut au cri : « Notre Mère ! » C'est l'invocation du soldat blessé qui appelle : Maman !
La femme, c'est la mère, c'est la maternité possible ou réalisée ; et la mère, c'est le présent subordonné à l'avenir ; en d'autres termes, l'intérêt immédiat soumis à l'intérêt lointain, l'intérêt particulier soumis à l'intérêt général, la passion dominée par le devoir, l'égoïsme éphémère dominé par le principe universel, éternel.
Étonnez-vous, après cela, que la femme place au premier plan, non les questions spéculatives, mais les questions morales, non l'instruction, mais l'éducation, non la force, mais l'influence, non les disputes politiques, mais les réalisations sociales ! Dimanche dernier, jour des élections législatives, date mémorable où les Françaises furent une fois encore écartées du scrutin par une triple grille de conventions et de préjugés séculaires, une Parisienne qui participait à l'essai du suffrage féminin organisé en pleine rue, dans la neige, s'exprimait en ces termes émouvants : « Le vote des femmes signifie lutte contre l'alcoolisme, contre le taudis, contre l'école sans hygiène, contre la falsification et l'accaparement des denrées alimentaires, contre les fléaux sociaux qui déciment la race. » Paroles sérieuses et d'un parfait bon sens, paroles de promesse et d'avertissement ; elles jalonnent d'avance, comme des balises dans un chenal obstrué d'écueils, le courant profond mais caché qui porte vers l'Océan. Nous savons tous, aujourd'hui, où tend l'immense mouvement qui pousse les peuples agités vers une Europe nouvelle ; il mène à subordonner les questions politiques au problème social. Notre civilisation périra de mort lente ou violente, si elle ne donne pas la première place aux intérêts vitaux du genre humain. Il faut que l'Oraison dominicale soit exaucée ; il faut que le pain quotidien soit assuré à tous. Il faut que l'évolution fraternelle dont l'Évangile est le ressort, aboutisse, ou que la Révolution éclate. Or, la vraie manière d'éviter cette rouge catastrophe, c'est de laisser libre cours au génie de l'âme féminine ; sans doute, celle-ci n'a pas encore fourni sa mesure, puisqu'elle a été maintenue, par système, dans la dépendance et l'ombre de l'homme ; puisqu'on refuse à la femme, en France, de servir de témoin à une autre femme qui demande, à la mairie, un certificat de vie, et puisqu'en cet état de minorité perpétuelle et de déchéance, elle est contrainte, en quelque sorte, pour exister personnellement, de circonvenir l'homme par la ruse, de le flatter, de le corrompre, hélas ! Dramatique dégradation de l'un et de l'autre. Non, l'âme féminine, aujourd'hui, n'a pas fourni sa mesure. Mais rendez-lui ses ailes, donnez au génie maternel son essor, et la femme épargnerait à notre pays d'effroyables chocs, des secousses mortelles, en jetant délibérément le poids incalculable de son influence vers une orientation concrète vivante et morale de la France - enfin sauvée des routines, des querelles et des vices qui entraînent à la perdition.
Croyez-vous que la Paix durable après laquelle soupirent les nations,
Comme un cerf altéré brame
Après le courant des eaux,
croyez-vous que la réconciliation des peuples et leur désarmement simultané, soient des buts que l'humanité atteindra par des palabres parlementaires, des conciliabules diplomatiques et de savants dosages d'intérêts, de rancunes, de frayeurs et d'ambitions dans les balances des gouvernements ? Que devient l'idéal de la Société des Nations, étiré au laminoir des discussions de Presse ou haché menu sous le tranchoir des compétitions de partis ? Pour une œuvre de création, il faut autre chose que des hésitations séniles et un stérile scepticisme ; il faut quelque impétueux élan de jeunesse et d'amour ; il faut le travail fécond de la maternité spirituelle et sa douleur transfigurée ; il faut le miracle que Jésus a décrit en ces termes : « La femme, après l'enfantement, oublie l'angoisse, tant déborde sa joie d'avoir mis au monde un être humain. » N'en doutez point, mes frères, c'est ainsi que viendra un jour une société juste et pacifique. Elle naîtra lorsque toutes les forces vives du génie féminin, ébranlant d'un commun accord l'opinion universelle, se coaliseront pour le grand-œuvre.
De quoi s'agit-il en définitive ? D'un mot d'ordre à lancer, d'une émotion à propager, d'un mouvement d'âme à déclencher par l'exemple, par l'éducation, par l'alliance combinée de l'entraînement moral et de la contagion spirituelle. Une pareille vague de ferveur franchirait des digues séculaires ; et il suffirait d'un court délai, peut-être, pour que le feu sacré embrasât tout le globe, comme un feston de clarté encercle subitement, dans la nuit, la coupole d'un édifice illuminé.
Ouvrons donc les yeux aux saintes visions que l'Esprit de Dieu inspire ! Déjà nos églises, fidèles aux signes des temps, ont accordé à nos sœurs l'électorat religieux. Allons plus loin dans cette voie, acceptons, à genoux, les révélations de l'heure présente. Il n'est point question, vous le sentez, de faire une politesse à la femme ou de lui offrir un cadeau : il s'agit de réparer la plus antique iniquité de l'histoire ; il s'agit de restituer, non ses privilèges, mais ses droits, à la victime séculaire du genre humain ; il s'agit, enfin, de lui octroyer, avec ses droits, la capacité d'accomplir son devoir, de remplir sa mission, d'affirmer sa personnalité au service du Royaume de Dieu. Ô mon Dieu ! nous avons soif d'air pur, de grand air : et nous éprouvons déjà que pour quiconque respire à pleins poumons l'atmosphère émancipatrice de l'Évangile, « il n'y a plus ni Juif, ni païen, ni esclave, ni libre, ni homme, ni femme ; nous sommes tous un en Jésus-Christ ! »
Amen
Notes
- ↑ Kidd, The Secret of Power. [plutôt Benjamin Kidd, Science of Power, 1918]
- ↑ Treitschke [Heinrich von Treitscke (1834-1896)]
- ↑ Cahiers idéalistes français. Avril 1917 (Conférence donnée à Tokio, par Rabindranath Tagore).
Pour aller plus loin
- Ce texte a été publié dans le recueil Wilfred Monod, Pour la reconstruction, Six Discours religieux, Fischbacher, Paris, 1921 (lire sur notre site)
- Prédication sur un thème similaire par Wilfred Monod, "Nos Mères" (lire sur notre site)
- Conférence de Laurent Gagnebin et toutes les prédications (lire sur notre site)
Lecture de la Bible
Épître aux Galates, 2 et 3
24 La loi a été comme un pédagogue pour nous conduire à Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi. 25 La foi étant venue, nous ne sommes plus sous ce pédagogue. 26 Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ ; 27 vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. 28 Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. 29 Et si vous êtes à Christ, vous êtes donc la postérité d'Abraham, héritiers selon la promesse.
1 Or, aussi longtemps que l'héritier est enfant, je dis qu'il ne diffère en rien d'un esclave, quoiqu'il soit le maître de tout ; 2 mais il est sous des tuteurs et des administrateurs jusqu'au temps marqué par le père. 3 Nous aussi, de la même manière, lorsque nous étions enfants, nous étions sous l'esclavage des rudiments du monde ; 4 mais, lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme, né sous la loi, 5 afin qu'il rachetât ceux qui étaient sous la loi, afin que nous reçussions l'adoption. 6 Et parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, lequel crie : Abba ! Père ! 7Ainsi tu n'es plus esclave, mais fils ; et si tu es fils, tu es aussi héritier par la grâce de Dieu.