Action de grâce 1918

Psaume 103

Culte du 1 décembre 1918
Prédication de John Viénot

Culte à l'Oratoire du Louvre

« Action de grâce" »

1 décembre 1918


Prédication par le pasteur John Viénot


Mon âme, bénis l'Eternel
et n'oublie aucun de ses bienfaits.
(Psaume 108,1)

L'heure était sombre, la dernière fois où je me trouvais parmi vous. C'était le jour du dernier Vendredi-Saint, Les obus de la pièce à longue portée tombaient par intervalles sur Paris. Au moment de monter en chaire, l’un de vous m'apporta la nouvelle de la catastrophe de l’église Saint-Gervais. Il était pâle encore de l’affreuse vision qu’il avait entrevue : Pour écarter, sinon un accident semblable, au moins des dangers de rupture du vitrage de cette salle, nous nous pressâmes dans la sacristie autour du nom du Crucifié, et nous nous séparâmes, graves sans doute et attristés, mais sans désespérer le moins du monde ni de la justice, ni de la bonté de Dieu, ni des destinées de la Patrie.

Aujourd’hui, quelle différence ! Elle est venue, la délivrance ! Le sang ne coule plus. Nous pouvons nous étendre le soir sur nos lits sans nous dire : Cette nuit, il y aura des morts, des blessés hurlant de douleur dans l’ombre. Nous pouvons nous réveiller le matin, sans être saisis par cette poignante douleur : aujourd’hui, tout le jour, sur un front immense, il y aura des blessés, des amputés, des morts !

Oh ! comme elle à travaillé, la mort, depuis quatre ans ! Presque au début de la guerre, on nous décrivait un champ de bataille en Russie. Figurez-vous cette plaine immense où gisent, de part et d’autres, 40 000 morts qu'il faut enterrer dans des tranchées formant un total de sept kilomètres ! Et depuis lors, il y a eu les morts de la Marne, de l’Yser, de Verdun y a eu les morts de l'Hartmannswillerkopf dont les flancs renferment, dit-on, 80 000 cadavres.

Ces chiffres nous terrifient. Pour donner une idée de l'immensité du cataclysme déchaîné sur l’Europe et le monde par la cupidité, l’ambition et l’orgueil d’un peuple, il suffira, peut-être, de rappeler ce calcul fait par un journal anglais, les Daily News, qui nous révèle que, si tous les morts de la guerre pouvaient se relever et défiler, devant, nous, quatre par quatre, il faudrait, jour et nuit, six années complètes pour voir passer, cette procession monstrueuse. Et si, derrière les morts, pouvaient défiler tous les mutilés, les blessés, les aveugles, les muets, cinquante années ne suffiraient pas pour les voir passer.

Ah ! on comprend, n’est-il pas vrai, après cela, le cri de délivrance qui s’est échappé de toutes les poitrines, dans cette matinée du 11 novembre où le son des cloches et le bruit du canon nous ont fait comprendre qu'à la même heure un mot d'ordre, avait Circulé sur tous les fronts : « Cessez le feu ! » Ce que fut ce moment, personne de nous ne l’oubliera jamais. Partout, dans les maisons, dans les cours, ce fut un même cri éperdu : « Ça y est, c'est fini. Vive la France ! Vivent les Alliés ! » et on courait aux drapeaux, pour fixer aux fenêtres ces symboles glorieux de la coûteuse victoire remportée par les soldats du Droit.

Ce sentiment de délivrance s'accompagnait dans les cœurs pieux d’un vif mouvement d'action de grâce. Dans ma cour, une voix forte s’est tout à coup élevée : « À genoux, criait-elle, voilà Dieu qui passe… » Je ne sais ce qu'ont fait les autres, mais, pour ma part, j'ai obéi à cette voix du peuple. Je me suis mis à genoux et j'ai crié à Dieu notre reconnaissance infinie : « Mon âme, bénis l'Éternel et que tout ce qui est en moi bénisse le nom de sa sainteté, mon âme, bénis l'Éternel et n’oublie pas un de ses bienfaits ! »

À genoux, mes frères, c'est Dieu qui passe. C’est vrai. Derrière la trame apparente des événements et des faits, l’âme pieuse discerne l'ombre voilée du Dieu caché. Et celui qui passe ainsi, c’est d’abord le Dieu de la Justice.

Mes Frères, l'ordre de mise en marche de cette armée fantastique de morts et de blessés que j'évoquais tout à l'heure, il y a une main qui l’a signé. Il y a un homme sur cette terre qui a voulu cela : Où est-il, cet homme ? Il est tombé, déchu. Précipité de son délire impérial par la main de Dieu, il sent avec terreur, peut-être, qu'il n'échappera pas davantage à la justice des hommes.

Et ses complices, où sont-ils ? Tombés, déchus, errants éperdus à la recherche d’une retraite sûre.

Et cette armée formidable, préparée pendant cinquante ans, dont l'approche faisait trembler les peuples et qui, par deux fois, a fait entendre jusqu'à Paris le bruit de ses rumeurs... Où est-elle ? Elle est vaincue, disloquée, livrée par places, semble-t-il, aux colères aveugles des vaincus sans bonne conscience et sans gloire.

Et nous, nous pouvons, chacun, faire monter vers Dieu nos actions de grâces, en lui disant : Ô Dieu, je te bénis de ce que tu es, aujourd'hui comme au temps des Prophètes, comme au temps de Jésus, le Dieu de la Justice !

Oui, Ô Dieu de Jésus-Christ, je te bénis de ce que toutes les atteintes portées par nos adversaires à la loi morale elle-même, comme à la volonté précise du Sauveur, ont tourné à leur confusion et à ta gloire !

Que de fois nous a-t-on dit pendant ces quatre années : « Que fait votre Dieu ? » Et voyez, il préparait par les événements mêmes la punition des coupables.

La première des fautes commises, devant le monde scandalisé, ce fut la violation éhontée du territoire belge, la déchirure d’un traité solennel et signé. Et la punition est venue immédiate, par l'intervention toujours plus puissante et toujours plus énergique, de la puissante Angleterre, sans laquelle nous eussions été écrasés dès l’abord. 

La seconde faute, fut la guerre sous-marine sans considération, sans pitié, sacrifiant femmes et enfants, neutres et non neutres dans l’exaspération d'une rage de forcenés qui entendaient vaincre à tout prix. Il y eut sur ce point quelques scrupules, quelques avertissements : « Prenez garde, ne provoquez pas après l'Angleterre cette grande démocratie américaine dont les ressources sont quasi infinies. » Mais les autorités d'alors étouffèrent ces scrupules sous les mensonges. On fit croire au peuple allemand égaré que jamais la nation américaine ne se lancerait dans un pareil conflit pour des fins idéales, pour des raisons de justice et de droit. On calomnia ce grand peuple en affectant de croire qu'il n’était qu’un peuple de marchands. On nia qu’il eût une armée, une flotte. Et d’ailleurs, disait-on, s'ils venaient, ils arriveraient trop tard… Une année après, la punition arrivait sous la forme de cette armée redoutable qui nous aidait en quelques mois à fixer la victoire !

La troisième faute fut la paix de Brest-Litowsk, la paix infligée à la Russie. Hypocritement, pour tromper les neutres, pour égarer chez nous et nos alliés une partie de l'opinion, on parlait devant le monde d'une paix « sans annexions ni indemnités », et à la même heure, on imposait à la Russie, à un peuple maintenu dans l'enfance par une aristocratie sans scrupules une paix ruineuse qui comportait des indemnités écrasantes et des annexions dont des procédés hypocrites ne réussissaient pas à voiler l'étendue. Quelques mois passèrent — mais la paix de Brest-Litowsk avait montré au monde, aux neutres, le véritable esprit allemand. Elle fixa les combattants dans leur résolution inébranlable de résister jusqu’au bout à une nation de proie et la punition est venue sous la forme de l’armistice dont l’Allemagne a dû accepter les conditions sévères mais cent fois justifiées. Et nous, témoins de ces événements formidables, témoins émus et frémissants de ces actes de la justice de Dieu nous disons du plus profond de nos cœurs : « Mon âme, bénis l'Éternel et n'oublie aucun de ses bienfaits ! »

Nous bénissons Dieu aussi de ce que la victoire qu'il vient de donner à notre peuple et à ses nobles et grands alliés soit une victoire humaine, une victoire de l'humanité.

Imaginez, mes frères, une victoire allemande. C'était non seulement notre chère Alsace et notre chère Lorraine aujourd’hui libérées, aujourd'hui livrées aux délires d’une joie si longtemps attendue, restant sous le joug détesté, c'était aussi l'asservissement de l’Europe et du monde sous la rude main des néo-Barbares. Mais, c'est la victoire des alliés et, du coup, voici vingt peuples délivrés !

Imaginez la victoire de Guillaume II, quelles paroles pleines d'épées, de poudre et de glaives acérés nous eussions entendues… Écoutez maintenant le chef de notre gouvernement : 

« L'Allemagne sera ravitaillée. Nous ne faisons pas la guerre à l'humanité, nous la faisons pour l'humanité. »

Et ceci, ceci. Il se raconte que, un moment après la signature de l'armistice les collaborateurs de M. Clemenceau vinrent pour le féliciter. Et alors, il resta près de dix minutes les mains sur son visage. Le vieux lutteur pleurait…

Et moi, Ô Dieu, je te bénis de ce que tu m'as donné pour patrie celle dont le chef pleure sur une guerre gagnée, sur une guerre gagnée mais coûteuse, parce que cette guerre, pas plus qu'aucun autre Français, il ne l’a voulue, parce que s'il la faite jusqu’au bout, c'est qu'il fallait, pour la délivrance de l'humanité présente et des générations futures !

Imaginez la guerre gagnée par l'état-major allemand. Quels cris de triomphe nous eussions entendus ! Quelles menaces aux vaincus ! Et maintenant, les vainqueurs, ce sont nos soldats. Ils vont entrer, pour préserver la paix, sur la terre allemande. Et quel est alors le mot d'ordre donné à ces troupes victorieuses et qui ont tant souffert ? Voici la parole du général Pétain :
« Vous ne répondrez pas aux crimes de l'ennemi par des violences qui pourraient vous sembler légitimes dans l'excès de votre ressentiment ; vous resterez disciplinés et respectueux des personnes et des biens. Après avoir battu l'adversaire par les armes, vous lui en imposerez encore par la dignité de votre attitude. Le monde ne saura ce qu'il doit le plus admirer de votre tenue dans le succès que de votre héroïsme dans les combats. »

Paroles auxquelles un écrivain étranger donne ce commentaire : « Arrêtons-nous. Quelle guerre plus atroce peut finir avec plus de noblesse et de beauté ! »

Et nous, mes frères, tous ensemble, ne dirons-nous pas à notre Dieu : « Nous te bénissons de ce que tu nous as donné une patrie dont les généraux parlent un langage si noble et, au fond, si chrétien ? »

Toutefois, mes frères, dans ces heures d’actions de grâces, rappelons-nous que l’action de grâces n'est rien, si elle ne trouve pas sa traduction logique et naturelle dans l’action tout court et dans la consécration.

Oui, ô Dieu, nous voulons te bénir, toi et le Christ que tu nous as donné. Nous te bénissons en réalité du plus profond de nos cœurs de ce que nos morts, nos chers morts (et qui donc, ici, n’a pas son mort ou ses morts ?) de ce que nos morts ne sont pas morts en vain, de ce qu’ils sont morts pour la plus glorieuse, pour la plus sainte, pour la plus bénie des causes !

Nous te bénissons de ce que ceux qui nous restent vont nous être rendus. Nous frémissons à la pensée de voir bientôt nos maisons réjouies par le bruit de leur voix, de leurs pas ; nous te bénissons de ce que, à l'heure voulue, tu nous as donné les chefs civils et militaires qu'il nous fallait ; nous te bénissons de ce que tu nous as donné des alliés nobles, fermes, puissants ; nous voulons te bénir, mais nous voulons en échange aussi te servir.

Un grand penseur qui n'est pas assez apprécié et connu de notre génération, Edgar Quinet a dit, dans un jour d’épreuve personnelle, une grande parole digne de nous servir à l'avenir de devise : « Tout ce qui n’est pas immortel, est vain ».

Eh bien, nous, sous le coup des grâces de Dieu, nous ne voulons plus servir que des causes immortelles. Nous voulons dépouiller en nous tout ce qui est égoïste, vain, banal, sans portée, toute affaire de classe ou de parti, et puis, hommes, femmes, jeunes ou vieux, nous voulons, avec tous nos frères de toutes les églises protestantes, avec nos frères catholiques, s'ils le veulent, avec nos frères juifs ou libre penseurs, s'ils y consentent, nous voulons nous unir dans tout effort qui aura pour but la libération du monde, la consolation du monde, le service des petits et des faibles, la justice sociale, le progrès matériel et moral, tout ce qui peut servir, en un mot, la montée magnifique de la Patrie et de l'Humanité !

Je sais bien qu'il y a des esprits tourmentés qui établissent je ne sais quelle opposition entre la patrie et l'humanité. Comme si on ne pouvait aimer sa patrie quand on aime sa famille ! Comme si pour fonder le royaume de Dieu, Jésus aurait dû commencer par détester cette Jérusalem sur laquelle il versait des larmes amères ! Ah ! soyons plus simples et servons notre Dieu dans la hiérarchie sacrée des devoirs évidents : Famille, patrie, humanité.

Vous, mes frères, vous voulez servir l’humanité, toutes les grandes causes de libération et de progrès, commencez par aimer et servir votre patrie telle qu'elle apparaît aujourd'hui aux yeux du monde qui la découvre enfin.

Écoutez ceci. C'était à Verdun, sous la Citadelle, dans une petite salle voûtée et autour d’une table à laquelle j'ai eu l'honneur de m'asseoir. Les combats gigantesques qui ont

sauvé la patrie venaient de se terminer. Lloyd George était là avec quelques grands chefs des nations alliées. À la fin du repas, Lloyd George voulut exprimer les sentiments que la défense de Verdun lui faisaient éprouver pour la France. Et pour traduire le courage, l'élan, l'esprit de sacrifice, l’héroïsme, la noblesse des soldats de Verdun, il se leva et prononça trois mots : France, France, France.

Vous, mes frères, qui voulez ne plus vous attacher désormais qu'à une tâche immortelle, avec ce qui vous reste de force, ne dites plus rien, ne faites plus rien, ne donnez plus rien, sans invoquer le Dieu de Jésus-Christ et sans évoquer cette vision idéale d'amour fraternel, de libération et de justice qui se résume en ces trois mots : France, France, France !...

Amen.


Pour aller plus loin

11 novembre 1938 - cérémonie interreligieuse sur la tombe du soldat inconnu avec les aumôniers militaires. De droite à gauche : Gustave Vidal, pasteur de l'Oratoire du Louvre de 1938 à 1960, l'abbé Auguste Goupil et le rabbin Maurice Zeitlin, président de l'Union des aumôniers blessés de guerre.

À noter, Gustave Vidal était manchot, amputé du bras gauche pendant la guerre.

Lecture de la Bible

Psaume 103, traduction Louis Segond 1910.

Psaume de David.

Mon âme, bénis l'Éternel ! Que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom ! 2 Mon âme, bénis l'Éternel, Et n'oublie aucun de ses bienfaits ! 3 C'est lui qui pardonne toutes tes iniquités, Qui guérit toutes tes maladies ; 4 C'est lui qui délivre ta vie de la fosse, Qui te couronne de bonté et de miséricorde ; 5 C'est lui qui rassasie de biens ta vieillesse, Qui te fait rajeunir comme l'aigle.

6 L'Éternel fait justice, Il fait droit à tous les opprimés. 7Il a manifesté ses voies à Moïse, Ses oeuvres aux enfants d'Israël. 8 L'Éternel est miséricordieux et compatissant, Lent à la colère et riche en bonté ; 9 Il ne conteste pas sans cesse, Il ne garde pas sa colère à toujours ; 10 Il ne nous traite pas selon nos péchés, Il ne nous punit pas selon nos iniquités. 11 Mais autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, Autant sa bonté est grande pour ceux qui le craignent ; 12 Autant l'orient est éloigné de l'occident, Autant il éloigne de nous nos transgressions. 13 Comme un père a compassion de ses enfants, L'Éternel a compassion de ceux qui le craignent. 14 Car il sait de quoi nous sommes formés, Il se souvient que nous sommes poussière. 15 L'homme ! ses jours sont comme l'herbe, Il fleurit comme la fleur des champs. 16 Lorsqu'un vent passe sur elle, elle n'est plus, Et le lieu qu'elle occupait ne la reconnaît plus. 17 Mais la bonté de l'Éternel dure à jamais pour ceux qui le craignent, Et sa miséricorde pour les enfants de leurs enfants, 18 Pour ceux qui gardent son alliance, Et se souviennent de ses commandements, afin de les accomplir.

19 L'Éternel a établi son trône dans les cieux, Et son règne domine sur toutes choses. 20 Bénissez l'Éternel, vous ses anges, Qui êtes puissants en force, et qui exécutez ses ordres, En obéissant à la voix de sa parole ! 21 Bénissez l'Éternel, vous toutes ses armées, Qui êtes ses serviteurs, et qui faites sa volonté ! 22 Bénissez l'Éternel, vous toutes ses œuvres, Dans tous les lieux de sa domination ! Mon âme, bénis l'Éternel !