Sommaire du N° 782 (2010 T2)

Éditorial

  • La pierre qui était grande, avait été roulée, James Woody

Dossier : Le christianisme social a t-il encore un avenir aujourd'hui ?

Agenda

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  • Sortie paroissiale à Chamerolles, François Lerch 
  • Assemblée du Désert
  • Concerts du Chœur en juin, Nicholas Burton-Page

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Dossier du mois
Le christianisme social

Le christianisme social a-t-il encore un avenir aujourd’hui ?

S'occuper de l'autre : un enrichissement spirituel et existentiel

pasteur Marc Pernot

Ce dossier pose une question qui peut sembler étrange, car il est indiscutable que dans l'Évangile, la foi et le service de l'autre sont deux choses indissociables. Jésus ne dit-il pas qu'aimer Dieu de tout son être et aimer son prochain comme soi-même sont deux commandements semblables ? Au cours de son dernier repas, Jésus n'a t-il pas donné à ses disciples à la fois le geste de la Cène et celui du lavage des pieds, le premier évoquant la parole et la vie qu'il nous offre, le second nous invitant à être serviteur les uns des autres ?

Le service a donc certainement un avenir qui se confond avec l'avenir de la foi chrétienne.

  • La foi stimule notre intérêt pour les autres, elle éclaire notre intelligence sur les priorités qui pourraient être les nôtres et les actions possibles, libérant ainsi notre créativité.
  • Et réciproquement, nous sommes amenés à recevoir un véritable enrichissement spirituel et existentiel dans le service de l'autre.

Mais ce service de l'autre peut prendre bien des formes, il peut être une action individuelle au service de parents ou de voisins, il peut être un engagement dans une association caritative protestante ou non, dans un syndicat, dans un parti politique. Cet engagement au service de l'autre peut également se faire dans l’Église, de multiples façons. Cet engagement au service de l'autre peut concerner une ou plusieurs des multiples dimensions de la personne humaine : la santé, la place dans la vie sociale, l'épanouissement personnel et relationnel, la foi, l'éducation… À l'Oratoire du Louvre, particulièrement, nous considérons comme une richesse la diversité des approches et des expressions.

Donc, oui, l'entraide chrétienne a évidemment un avenir. Mais quand on évoque le christianisme social, on pense plutôt à une certaine forme qu'a prise le service de l'autre à partir du XIXe siècle, avec un engagement très fort des Églises, en tant que telles, dans l'action sociale, mouvement que décrivent bien plusieurs auteurs dans ce dossier. Ce mouvement est-il encore d'actualité ? Pourquoi ? Avec quelles évolutions ?

De profonds changements sont intervenus entre le début du XXe siècle et le début du XXIe sur le plan social (congés payés, retraites, chômage, CMU, RMI, CSA…) mais aussi dans le domaine des idées et du statut de la religion dans la société. Ces changements font que bien des questions sont à revisiter en ce qui concerne les relations entre l’Église et l'action sociale. Des personnes se demandent pourquoi ne pas laisser l’État gérer entièrement l'action sociale ? Et puisque bien des œuvres "laïques" sont tout aussi généreuses, efficaces, imaginatives et humaines que les œuvres protestantes ou d'origine protestante, quelle serait la spécificité d'une action sociale chrétienne ?

Certaines personnes avancent que l'intérêt des associations caritatives protestantes par rapport aux œuvres laïques est de donner un témoignage visible de l'Évangile dans le monde par des œuvres sociales. Cette idée me semble dangereuse, car le pauvre est alors exploité comme panneau publicitaire, ce qui ne me semble pas acceptable, même si c'est pour l'Évangile, ou plutôt surtout pas de cela au nom de l'Évangile !

Avant de voir deux grands services que peut apporter une œuvre protestante, je voudrais évoquer un autre risque qu'elle nous fait courir, c'est que nous en soyons fiers de cette belle association que cela nous démotive d'agir nous-mêmes : le service du prochain ? Oui, "nous" avons créé la Clairière en 1911… et puis il y a la Fondation John Bost, l'Armée du Salut, et la permanence de l'Entraide le mercredi… oui, sommes-nous tentés d'ajouter, nous faisons beaucoup de choses pour les pauvres. Or, le service de l'autre, comme le dit Jésus-Christ, est indissociable de la foi. Et quand Jésus parle de service mutuel, il s'agit d'une relation avec l'autre, d'un contact de personne à personne où quelque chose d'essentiel se tisse, appelons ce quelque chose "amour" si l'on veut (même si ce mot est très ambigu). C'est donc bien de soutenir financièrement des associations caritatives, mais l'acte de service direct ne doit pas pour autant être réservé à quelques personnes, mais c'est à chacun d'entrer dans l'action, à sa mesure, avec une vocation particulière lui faisant reconnaître que telle personne lui est confiée pour l'aider ou être aidé par elle.

Un premier grand intérêt des associations d'entraide, protestantes ou non, est de nous accueillir comme bénévole. Quand un chrétien, ayant ouvert les yeux sur son entourage direct et ayant fait ce qu'il a pu, a encore du temps et de l'amour en réserve, il trouvera dans ces associations un lieu d'engagement et de service utile, un lieu d'enrichissement personnel dans des relations privilégiées avec les personnes bénévoles et avec les usagers. Si l'action sociale était entièrement gérée par l'administration ou par des entreprises commerciales, même fort compétentes, cela n'existerait pas.

Les œuvres caritatives chrétiennes ont un intérêt supplémentaire, un intérêt spécifique que n'ont pas les autres œuvres, c'est de prendre en compte toutes les dimensions de la personne humaine, y compris la dimension spirituelle. Certes, il est possible de concentrer l'action sur seulement une ou deux de ces dimensions, par exemple la santé du corps, ou l'insertion dans le monde du travail, ou le logement, ou les papiers…mais les dimensions de l'être humain sont extraordinairement liées entre elles au point qu'il est souvent indispensable d'agir en parallèle sur tous les plans pour avancer vraiment. La différence entre une anthropologie athée et une anthropologie chrétienne est de prendre ou non en compte la dimension spirituelle de l'homme. Dans une œuvre caritative chrétienne, tout le monde est accueilli sans distinction, qu'il soit chrétien, animiste, musulman, hindouiste, juif, athée… comme dans n'importe quelle œuvre laïque. Le propre d'une œuvre caritative chrétienne est l'existence d'une aumônerie. L'existence même de cette aumônerie est un message offert à chacun lui disant qu'il est digne d'avoir sa propre recherche de Dieu ou de la refuser. Le simple fait de rendre possible ce questionnement et ce choix est d'un grand service pour la personne, particulièrement pour celle qui est déjà démunie dans sa santé, ou dans son insertion sociale, ou dans toute autre dimension.

Et aujourd'hui, plus encore qu'il y a un siècle, il me semble qu'une des pauvretés les plus dommageables pour les individus et pour notre société est la pauvreté sur le plan spirituel. Il y a là une urgence sociale.

Et donc oui, à mon avis, le christianisme social a encore un grand, très grand avenir. ❧

Marc Pernot



La théologie à l’épreuve de la misère

Le malheur n'est pas la conséquence d'un jugement divin

La théologie n’est pas qu’un exercice de salon. Parce que Dieu ne s’est pas fait livre mais chair, la bibliothèque ne saurait être le seul lieu où Dieu se rencontre. Plus que cela, le quotidien est le lieu où s’examinent nos discours sur Dieu, sur l’humanité car une belle théologie qui ne résiste pas à l’épreuve de notre vie n’est pas une bonne théologie. De ce point de vue, il me semble que la misère est un lieu d’expérimentation particulièrement efficace pour éprouver nos discours théologiques.

1. Dieu n’est pas tout puissant

À voir la misère qui s’abat sur notre monde, nous ne pouvons que constater l’impuissance de Dieu à rendre notre monde semblable à une oasis où tout ne serait que plaisir et harmonie. Tous les jours nous pouvons voir que Dieu, seul, ne peut agir sur les situations qui brisent les vies : Dieu ne peut pas supprimer la misère qui touche des personnes qui ne sont pas plus mauvaises, pas plus méchantes, pas plus paresseuses que d’autres.

Certains diront alors que la misère est une manière pour Dieu de faire valoir sa justice qui n’est pas la justice de l’Homme.

2. La misère n’est pas une malédiction divine

Selon une logique de la rétribution, la misère serait une malédiction divine censée sanctionner les méchants aux yeux de Dieu. Cette idée, nous la trouvons dans la bouche de personnages que l’on rencontre au détour des textes bibliques (par exemple les disciples qui demandent à Jésus si un homme est aveugle de naissance parce qu’il a péché ou si c’est parce que ses parents ont péché… et qui n’envisagent pas un seul instant qu’il puisse être innocent de sa misère physique). Cette idée, on l’entend encore de nos jours dans la bouche de ceux qui considèrent que le SIDA est un fléau voulu par Dieu.

Il en faudra du temps à Job, il en faudra de la détermination à Jésus pour essayer de faire entendre que le malheur que nous subissons n’est pas la conséquence d’un jugement divin sur nous. Non, les personnes tuées par la chute d’une tour à Siloé n’étaient pas spécialement plus coupables que d’autres (Luc 13:4).

3. La misère n’a pas de valeur rédemptrice

Si la misère, la pauvreté, ne sont pas des malédictions pour punir l’homme, elles ont parfois été comprises comme des leçons « de vie » envoyées par Dieu pour l’aider à grandir à se fortifier, selon le principe que « ce qui ne nous tue pas nous renforce »… Mieux, elle a été envisagée comme un moyen par lequel Dieu communique avec nous. C’est le point de vue défendu par l’un des « amis » de Job, Elihu.

Certes, subir une épreuve, être dans l’affliction, être dépouillé, nous permet d’être parfois plus ouvert : la souffrance nous fait quitter les attitudes trop arrogantes et nous rend plus disponible pour les autres. De là à y voir une pédagogie de Dieu… il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir. D’ailleurs, Job lui-même, au commencement de sa chute libre, lorsqu’il perd tout, réagit en disant : « Dieu a donné, Dieu a repris, béni soit le nom de Dieu ». La misère relèverait de la providence divine : une manière pour Dieu de nous faire accéder à une spiritualité plus haute.

Si Dieu se sert de la misère pour éduquer les humains, alors il est sadique ! on peut considérer que cette pédagogie est terriblement efficace… mais, dans ce cas, pourquoi les textes bibliques continueraient-ils à présenter Dieu comme celui qui redresse ce qui est tordu, qui fait droit à l’opprimé, qui s’occupe du malheureux ? pourquoi le Christ s’efforcerait-il toujours d’arranger les situations désespérées qu’il croise, si tout cela était effectivement une pédagogie divine ?

La vie chrétienne a souvent été comprise comme étant nécessairement un chemin de croix, parce qu’on a compris l’invitation à porter sa croix comme l’obligation de souffrir tout au long de sa vie alors que la croix de Jésus désigne le fait que le Nazaréen n’a jamais abdiqué son projet d’amour envers les hommes, qu’il n’a pas fui ses responsabilités, qu’il est resté fidèle à sa vocation jusqu’au bout de son chemin personnel. On peut toujours faire de Jésus un modèle de souffrance. Les évangiles en font un modèle de fraternité active. ❧

James Woody



Histoire du christianisme social

Qui étaient les pionniers des ce mouvement ?

Le pasteur Tommy Fallot (1844-1904) peut être présenté comme le fondateur du christianisme social. Il donne en 1878 dans son église de la Chapelle du Nord à Paris onze prédications sur le Notre Père qui marquent l’apparition, pour le protestantisme français, du christianisme social. On trouve là déjà les grands thèmes du mouvement : le combat pour la réalisation du Royaume de Dieu, l’importance d’une réflexion théologique consacrée aux questions sociales, la volonté d’une lutte contre les injustices, l’influence et le retentissement du milieu social sur l’univers religieux. Il sera président de l’Association protestante pour l’étude pratique des questions sociales, association qui deviendra en 1888 le Mouvement du christianisme social.

À la suite de Tommy Fallot et dans sa foulée, on reconnaîtra trois pionniers du mouvement. Tout d’abord, l’économiste Charles Gide (1847-1932). Il est un représentant et un témoin du christianisme social pendant une cinquantaine d’années. Il sera le vice-président (1888) puis le président (1922) du Mouvement. Ensuite, le pasteur Wilfred Monod (1867-1943), père de Théodore, dont la vie et l’œuvre sont entièrement dominées par la réalité du Royaume de Dieu auquel il a consacré, entre autres, sa thèse de doctorat. Il est le fondateur de La Clairière, centre social dans le quartier des Halles à Paris. W. Monod a été pasteur à Condé-sur-Noireau, Rouen et à Paris (Oratoire), professeur de théologie pratique à la Faculté de théologie protestante de Paris (1909-1937). Et, enfin, le pasteur Élie Gounelle (1865-1950). Paul Ricœur sera pendant plusieurs années le président du mouvement à partir de 1957. Comme l’a été le pasteur de l’Oratoire Pierre Ducros.

La Revue du christianisme social, aux intitulés divers à travers son histoire (dernier en date : Autres Temps), a été fondée en 1887 par le pasteur Gédéon Chastand ; elle a cessé de paraître en 2004.

L’appellation « christianisme » social, et non pas « protestantisme » social s’inscrit dès l’origine dans une perspective œcuménique et souligne l’idée selon laquelle si les dogmes et les rites séparent les chrétiens, les actions d’ordre social peuvent et doivent les rassembler par-delà les divisions doctrinales et liturgiques. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la Conférence œcuménique (Stockholm 1925) et son mouvement « Vie et Action »

Le Mouvement du christianisme social est aujourd’hui en panne. Pour quelles raisons ? Elles sont difficiles à cerner : crise de confiance envers la politique, le politique et les politiques ? Impression que le christianisme social est une réalité dépassée au profit d’actions et d’engagements propres à l’humanitaire, retour et recomposition d’un religieux essentiellement spirituel ? On peut aussi suggérer que si le mouvement est en panne, un christianisme social en tant que tel ne l’est pas. N’est-il pas vivant et à l’œuvre à travers l’existence des Centres d’action sociale protestant (CASP), à Paris et Montpellier, celle de la Cimade, de la MIRP (Service protestant du monde professionnel), des diaconats, souvent très importants, de nos paroisses, sans oublier la Fédération de l’Entraide protestante regroupant 350 associations et fondations en France, représentant 600 établissements et services ? ❧

Laurent Gagnebin


Suggestion bibliographique : Klauspeter Blaser, Le Christianisme social. Une approche théologique et historique, Paris, Van Dieren Editeur, 2003.



L’articulation entre le spirituel et le social

Des moyens pour recouvrer une nouvelle dignité

Le mouvement du christianisme social, dont le pasteur Laurent Gagnebin a relaté et éclairé l’histoire dans son article, est né au cours du XIXe siècle dans une Europe qui, tout en connaissant une forte mutation à travers le développement industriel, voit aussi s’aggraver les injustices sociales et s’organiser une classe ouvrière. Ce mouvement est la tentative de renouer avec une authentique et antique tradition chrétienne qui, parfois battue en brèche par une Église prompte à conforter le pouvoir politique, a toujours voulu allier le spirituel et l’action sociale sans que l’un n’absorbe l’autre. Il est vrai que parallèlement à ces mutations sociales une idéologie nouvelle, « le socialisme », gagnait de plus en plus de terrain dans une classe laborieuse déçue et parfois abandonnée par les Églises - la Commune de 1870 en est un exemple. Le mouvement, illustré par des noms bien connus, Tommy Fallot, Charles Gide, Wilfred Monod, Élie Gounelle, résonnait dans de nombreux cercles aussi bien orthodoxes que libéraux : le jeune Karl Barth ne disait-il pas lui-même en 1916 : « le socialisme sera chrétien ou ne sera pas, le christianisme sera socialiste ou ne sera plus ». Cette alliance donc entre une piété chrétienne et une idéologie sociale, dont on ne peut douter qu’elle soit une forme de sécularisation de la prédication de l’Évangile, était en fait une résurgence de cette fusion profonde entre un appel à la conversion personnelle, et son inscription dans la sphère englobante de l’annonce du Royaume de Paix et de justice, son imminence et même sa proximité, sa présence dans des gestes de libération de toutes souffrances, de toute servitude, au nom de Jésus-Christ.

Tout au long de l’histoire de l’Église on trouve des hommes et des femmes de conviction ancrés dans une fervente vie spirituelle, s’atteler à un combat pour que des hommes et des femmes brisés par les contraintes du temps se relèvent et recouvrant ainsi une nouvelle dignité se mettent à nouveau en marche pour témoigner d’une espérance que rien ne peut abattre. C’est donc peut-être sur un malentendu que parfois et encore récemment dans nos Églises on a voulu séparer voire opposer des chrétiens, les uns soucieux de spiritualité, les autres d’action sociale. Pourtant, si le mot hérésie peut être encore employé, il s’agit bel et bien là d’un choix interdit : à l’exemple du Christ, il ne peut en être autrement. Lui-même pratique et appelle à une prière assidue, lui-même répond aux attentes les plus immédiates de ceux qu’il croise. Jésus guérit des malades, redonne la vue, redresse des paralytiques, éloigne des démons, nourrit des foules, et même il vient menacer à Jérusalem les pouvoirs religieux et politiques soucieux de préserver leurs privilèges dans un monde injuste.

Cette tradition bien attestée dans les évangiles et les épîtres parcourt la vie de l’Église : Jean Chrysostome, cité par Jean Calvin, ne dit-il pas lui-même « une chose est de célébrer le Seigneur, sur l’autel, une autre plus juste de le célébrer en secourant les pauvres, les indigents, les meurtris de toutes sortes ». Ainsi vie spirituelle et action sociale sont les deux facettes d’une unique vocation : témoigner de la présence agissante du Christ ressuscité parmi nous, dans le monde.

Et ici je voudrais lever deux malentendus : le premier concernant la notion de vie spirituelle ; la vie spirituelle du croyant n’est pas synonyme de vie intérieure, vie intime, elle est bien plus large. La participation au culte de la Communauté, le fait de se joindre à des frères et des sœurs pour célébrer la liturgie du Royaume que le Christ nous a ordonné d’accomplir « la prédication de la Parole, et la célébration des sacrements, est une authentique vie spirituelle ; mais loin d’être enfermée dans l’intimité de nos cœurs, elle est son expression publique qui sous peine d’être mensongère, appelle à ce qu’elle soit incarnée dans des faits et gestes concrets ; faits et gestes qui débordants des murs de nos Églises et de nos temples sont signes que le Royaume est en marche et qu’il a des témoins ». L’appel du Christ est comme le battement d’un cœur qui se contracte et se rassemble autour de ce qui fait sa force : « le suivre, lui le Christ », puis se dilate et disperse dans le monde, diffuse cette sève du Royaume ; c’est ainsi qu’il nous envoie pour faire des œuvres encore plus grandes que lui. Le deuxième malentendu vient du fait que nous oublions souvent que nous sommes une Église, un corps, et que tous ne sont pas appelés au même témoignage ; c’est aussi que certains sont plus portés à la prière et d’autres à l’engagement social et politique. Mais ce qui est sûr, par contre, c’est que nous sommes tous solidaires, coresponsables les uns des autres, et que nous sommes appelés à nous soutenir mutuellement dans nos inclinaisons particulières, et que bien sûr il n’y a aucune place pour l’indifférence à ce que les uns et les autres sont, mais place uniquement pour l’encouragement et l’exhortation fraternelle et réciproque.

Pour terminer ce rapide essai d’articuler le « social et le spirituel », on devrait pourvoir dire aussi le « politique et le spirituel », dans la mesure où le politique n’est pas l’expression d’une conquête partisane du pouvoir, mais le souci du service de la cité, et de la justice nécessaire à un vivre ensemble paisible.

Le témoignage de l’Église prend sa pleine dimension et celui qu’elle célèbre l’entraîne à devenir une manifestation éthique de ce qu’elle annonce. L’Église devient toute entière diaconie, signe du Royaume déjà inauguré, bientôt totalement manifesté au sein d’une Création qui soupire et attend une Bonne Nouvelle. L’Église pour le monde vit ce qu’elle célèbre et célèbre ce qu’elle vit : le témoignage et la lutte pour le Royaume de Paix, de justice et de fraternité déjà accompli, même inachevé. ❧ 

Jean-Pierre Rive
Secrétaire Général de la Mission populaire évangélique
Président de la Commission Eglise et Société
de la Fédération Protestante de France



Que reste t-il du christianisme social à La Clairière ?

Cette question est une invitation à nous pencher sur les traces spirituelles de cette initiative bientôt séculaire de l’Oratoire.

Dans son sermon du 12 novembre 1911, le pasteur Wilfred Monod, s’adressant aux paroissiens leur disait : « un jour, ce n’est pas l’Oratoire qui prêchera à la Clairière, c’est la Clairière qui interpellera l’Oratoire ». Aujourd’hui, 99 ans après, alors que tout a changé, que le patronage protestant a rapidement fait place à l’un des plus importants centre social de Paris, l’interpellation demeure.

Quels sont les liens qui nous attachent toujours à la Clairière, qu’est-ce qui conduit la vingtaine de bénévoles de la paroisse, à venir semaine après semaine faire du soutien scolaire, donner des cours d’informatique, aider à la création du site Internet, former des auxiliaires familiales, prendre une part active aux conseils d’administration de la Clairière, ou des associations d’insertion ? Qu’est-ce qui, année après année conduit l’Entraide à donner une contribution financière importante, contribution permettant d’envoyer en vacances une vingtaine de familles ?

Tous les bénévoles que l’on interroge sur les raisons qui les poussent sur le chemin de la Clairière répondent en commun : le service du prochain. Leur présence est un témoignage du sens qu’ils donnent au message de l’Évangile avant d’être un témoignage d’appartenance à l’Oratoire, une réponse à cette parole du Christ : « Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites » Mat 25:40.

Et ce témoignage est reçu comme tel à La Clairière, car la référence à l’Oratoire est permanente non seulement auprès du personnel, que des pouvoirs publics, mais aussi bien souvent auprès des gens, démunis parmi les démunis, qui viennent y chercher les moyens de se reconstruire.

Alors continuons d’être interpellés par la Clairière, car il y a toujours de la place à son service. ❧ 

François Lerch



Témoignage

Bénévole au sein du Secours populaire Français, dans la Fédération de Seine-Saint-Denis depuis 2 ans, en fait depuis que je suis en France, je consacre en moyenne 14 à 28 heures par semaine de mon temps à cette association humanitaire.

Mes attributions concernent principalement les secteurs suivants :  l’Accueil : standard, accueil physique - 1er accueil -, distribution du courrier aux domiciliés, écoute des bénéficiaires, aide aux rédactions pour les documents administratifs ; le secteur Vacances : accueil des familles, montage des dossiers vacances, entretien familles / enfants et le secteur Commission Monde : participation aux différentes réunions sur les projets Monde dont ceux sur le Salvador et le Mali.

C’est ainsi que je côtoie régulièrement des enfants, des parents et des personnes confrontés à divers problèmes. Souvent, devant le désarroi de la plupart d’entre eux, je leur demande s’ils sont croyants ou non. Question indiscrète peut-être mais indispensable à mon avis pour pouvoir orienter ma communication. S’ils ne croient pas, je ne les blâme pas ; s’ils sont croyants, c’est une occasion pour moi de les aider à affermir encore plus leur foi.

Le christianisme social est le reflet du christianisme spirituel en nous-même : la croyance avec des engagements sur la vie quotidienne, personnelle et familiale. Mon bénévolat est donc né de cette conviction profonde.

Du bénévolat que j’assume avec foi et fierté malgré ma situation qui n’est pas simple. Aujourd’hui, je me débats dans des démarches administratives pour pouvoir travailler légalement en France.

Du bénévolat qui est aussi la suite logique de mon parcours familial : mes enfants avaient 6 et 9 ans quand je suis devenue veuve. A cette époque, j’avais vécu à Madagascar. Les aides matérielles étaient inexistantes et la femme n’avait pas toujours une place privilégiée dans la société quelles que soient ses compétences. Entre plusieurs métiers à assumer en même temps, puisqu’il en fallait plusieurs pour pouvoir vivre décemment, l’éducation de mes enfants n’était pas en reste. Les aider à voler de leurs propres ailes en privilégiant leur réussite scolaire faisait partie de mes aspirations profondes. Aujourd’hui, tous les deux sont diplômés en études supérieures, l’une est entrée dans la vie active, et l’autre est en phase de l’être. Ils sont installés en France depuis 8 ans ; j’ai, par conséquent, choisi de m’expatrier pour me rapprocher d’eux. Malgré moult difficultés, je me suis battue seule pour élever mes enfants, avec fermeté mais aussi avec amour et dévouement et ce, grâce à ma foi.

Croire, c’est vivre à tout moment la parole de Dieu : « Car je connais les projets que j’ai formés sur vous, dit l’Éternel, projets de paix et non de malheur, afin de vous donner de l’avenir et de l’espérance. Vous m’invoquerez et vous partirez ; vous me prierez et je vous exaucerai. Vous me chercherez et vous me trouverez, si vous me cherchez de tout votre cœur ». Jérémie 29:11-12-13 ❧

Fleurette Rasoazanamavo



Saint-Eustache et la solidarité dans le quartier

La paroisse Saint-Eustache a trois piliers, dit-on. Le premier est spirituel, le second est culturel, le troisième est social et caritatif.

Saint-Eustache et l’Oratoire ont pris l’habitude de se rencontrer régulièrement pour lire la Bible autour du pasteur Marc Pernot et du Père Hervé Giraud. Je suis donc heureux de vous présenter quelques unes de nos initiatives en matière de solidarité, à travers les activités d’associations comme La Soupe Saint-Eustache, La Pointe ou Cerise.

La Soupe, ce sont quelque 250 repas chauds et complets servis chaque soir d’hiver aux personnes de la rue sur le parvis de l’église Saint-Eustache. La visée principale de cette initiative de solidarité qui a vu le jour il y a 26 ans est principalement la convivialité, l’esprit de rencontre et de lien dans la diversité. En effet, eu sein de l’association ce sont pas loin de 250 bénévoles qui se relaient en participant à l’une des sept équipes de la semaine, chaque soir étant organisé par une équipe d’une trentaine de personnes. Le recrutement de bénévoles concerne tout à la fois la collecte des denrées, les tâches de préparation durant la journée ou la distribution du soir au sein de chaque équipe. La Soupe ouvre chaque année le soir du 1er décembre, pour se refermer le 31 mars de l’année suivante.

Avec l’association Pointe Saint-Eustache, chaque samedi de 17h à 19h, plusieurs dizaines de personnes de la rue et autant de personnes du quartier se retrouvent à la Pointe, à l’extrémité Est de l’église, autour d’un café, de journaux, de jeux de société... Beaucoup se côtoyaient depuis des années sans s’être jamais parlé, sans avoir osé s’aborder. Des deux côtés, les découvertes sont parfois surprenantes mais toujours enrichissantes.

Également, l’association Aux captifs la libération, organisée en lien avec la paroisse Saint-Leu-Saint-Gilles, rue saint-Denis, propose un café 2 fois par semaine à la Pointe Saint-Eustache, les lundis et jeudis de 9h à 12h. Sa mission est notamment d’accueillir, mais aussi de rencontrer et d’écouter les personnes qui vivent la précarité au quotidien. Des associations de soutien à des personnes fragilisées sont par ailleurs régulièrement présentes à la Pointe (Alcooliques Anonymes, Narcotiques Anonymes).

Par ailleurs, une équipe d’une vingtaine de bénévoles réunis au sein de l’Association Saint-Vincent-de-Paul visite des personnes du quartier, afin de rompre leur solitude. Ils leur rendent certains petits services : courses, accompagnement chez le médecin, visite à l’hôpital... Ils se réunissent une fois par mois de 20h30 à 22h au presbytère de Saint-Eustache pour un temps de partage spirituel et amical. Un geste suffit pour rompre la solitude !

CERISE (Carrefour Échange Rencontres Insertion Saint-Eustache) est situé au 46 rue Montorgueil, dans un immeuble appartenant à Saint-Eustache. Réhabilité en 1998 grâce à l’aide des pouvoirs publics, il comporte une résidence sociale et un lieu d’activités sociales et d’initiatives culturelles.

La résidence sociale accueille en permanence 20 jeunes entre 18 et 25 ans en fin de parcours d’insertion ; orientés par les missions locales parisiennes, ils bénéficient pour un an maximum d’un hébergement et d’un suivi censé les amener à la sortie vers un logement autonome. Depuis son ouverture en avril 1999, plus de 220 jeunes ont été ainsi accueillis. Depuis 2001, CERISE est aussi agréé comme centre social, agrément reposant sur un projet social élaboré avec les habitants du quartier et renouvelé tous les 3 ans. Outre une programmation culturelle régulière (concerts, soirées littéraires), CERISE propose d’octobre à juin des activités d’entraide ou de loisirs destinées aux habitants du centre de Paris à partir de 6 mois: coin livres (0-6 ans), chorale (5-10 ans), hip-hop (11-20 ans), percussions (6 ans et adultes), accompagnement scolaire (collège-lycée), permanence d’écrivain public, café associatif, cours de français (adultes) et différents ateliers de danse pour adultes. L’ensemble fonctionne avec une équipe de 6 salariés et de près de cinquante bénévoles. ❧ 

George Nicholson
Prêtre oratorien, curé de St-Eustache.



Pour aller plus loin

Pour agir