Hommage religieux et fraternel à la mémoire de J.F. Mestrezat

Apocalypse 1

Culte du 10 mai 1907
Prédication de Jacques Antoine Rabaut-Pommier
Prédication de Paul Henri Marron

Buste de Mestrezat, bibliothèque de Genève.

Jean-Frédéric Mestrezat, ministre du Saint-Évangile, président de Consistoire, l'un des Pasteurs de l’Église réformée consistoriale du département de la Seine, et membre de la Légion d'honneur, décédé le [vendredi] 8 mai 1807.

Deux textes du dimanche 10 mai 1807 :

  1. Péroraison par le pasteur Rabaut-Pommier, au temple Saint-Louis du Louvre (lien)
  2. Discours par le pasteur Marron, au cimetière de Montmartre (lien)

La tombe du pasteur Mestrezat est déplacée plus tard au Père Lachaise.


Péroraison prononcée à Paris, dans le temple des chrétiens réformés, rue Saint-Thomas-du-Louvre, le dimanche 10 mai 1807, à la suite d'un discours adressé à des catéchumène admis à la participation de la Sainte-Cène ; à l'occasion de la mort, et immédiatement avant les obsèques de M. Jean-Frédéric Mestrezat.

Par [Jacques Antoine] Rabaut-Pomier, président de Consistoire, l'un des pasteurs de l’Église Réformée de Paris et membre de la Légion d'Honneur.


Chrétiens, mes très-chers frères, ne perdons pas les salutaires impressions qu'aura sans doute produites en nous la solennité de ce jour, et après avoir accompagné ces jeunes gens de nos vœux et de nos prières, replions-nous sur nous-mêmes, rentrons dans nos cœurs, interrogeons nos consciences. Que sont devenues nos saintes promesses ? Où sont les jours heureux de notre première innocence ? Des jours coupables leur auraient-ils succédé ?

Ah ! si des ressouvenirs douloureux accusent notre faiblesse ; si nous avons été infidèles à des engagements, que nous aussi, depuis longtemps, avons solennellement contractés, revenons à nous-mêmes, il en est peut-être temps encore ; recommençons notre carrière spirituelle ; redevenons catéchumènes, et prenons de sages précautions pour n'être pas de nouveau parjures à des promesses aussi solennelles et si souvent réitérées.

Voudriez-vous attendre pour embellir votre vie d'actions utiles et de vertus généreuses, qu'elle soit à moitié écoulée ? que leurs nombreuses et précieuses occasions soient entièrement perdues ? que de dangereuses habitudes vous en aient été la volonté ou la force ? que la vieillesse ne vous laisse que le temps incertain d'un inutile et douloureux repentir ? voulez-vous attendre que la mort.... Mais quel mot funeste ai-je prononcé, et quel fatal événement ce mot cruel me rappelle ! Il n'est plus au milieu de nous ce pasteur vénérable qui naguère reçut aussi de jeunes néophytes au nombre des fidèles de cette église, et leur adressa de si touchantes exhortations ! Cette chaire, cet auditoire, ses collègues, ses élèves en Christ le demanderont en vain. La mort, pressée d'être cruelle, a rapidement enlevé, à peine parvenu au milieu de sa carrière, un pasteur recommandable par ses qualités personnelles ; bon époux, bon père, bon citoyen, bon ami, prudent en conseil, père des pauvres, consolateur de l'affligé, profondément instruit dans les saintes-lettres, prédicateur éloquent.

Jean-Frédéric Mestrezat, né à Genève, dont un des ancêtres, dans des temps moins heureux pour la religion avait été pasteur de l’Église réformée de Paris, ayant été lui-même pasteur de l'église de Bâle en Suisse, pendant sept années, après avoir exercé avec distinction le ministère évangélique pendant quatre années dans cette Église, vient de terminer au milieu de nous son honorable carrière. Une maladie qui promène dans cette ville ses promptes et impitoyables fureurs, et contre laquelle l'art le plus exercé, les secours les plus affectueux, la sollicitude conjugale la plus attentive, ont vainement lutté, l'a enlevé à nos vieux, à nos espérances, à nos besoins.

Épouse, enfants, parents, amis, collègues inconsolables, vous avez été les témoins de cette sérénité, fruit d'une conscience calme et d'affections vertueuses, qui malgré sa longue agonie et l'oppression douloureuse de sa poitrine et de sa voix inarticulée, a constamment caractérisé ses dernières heures : vous avez vu ses traits défaillants s'animer, un sourire angélique se peindre sur ses lèvres mourantes, chaque fois que nous l'avons entretenu du Christ, des objets du ciel, des espérances dont sa belle âme était remplie. Vous étiez, vous fidèles qu'il portait dans son cœur, vous étiez l'objet de ses pensées et de ses sentiments ; ses mains, déjà glacées, soutenues par celles de ses collègues, se sont posées sur les têtes qui lui étaient les plus chères ; il les a, il vous a tous bénis. Pauvres, malades, affligés, vous tous dont les cœurs où les consciences ont besoin de consolation, vous n'entendrez plus celui dont les prières pleines d'onction et les prédications touchantes vous ont rendus si souvent au calme et au courage... Ah ! je les vois et je les entends ; vos larmes et vos soupirs sont justes, donnez-leur un libre cours. Mais non ! ils doivent céder à la voix de la religion, au sentiment du bonheur dont jouit celui que vous pleurez, aux exhortations qu'il vous a si souvent adressées ; et s'il pouvait faire entendre sa voix touchante, il vous dirait ce qui en diverses circonstances a servi de texte à ses discours, et qui doit être profondément gravé dans votre mémoire : Nous sommes étrangers et voyageurs sur la terre ; désirez une patrie meilleure qui est votre patrie céleste ; cherchez les choses qui sont du ciel et non point celles qui sont de la terre ; cherchez Dieu, de tout votre cœur et ne vous écartez pas de ses commandements, vous approcher de Dieu est votre bien ; choisissez la bonne part, et elle ne vous sera point ôtée.

Combien n'ai-je pas regretté que sa voix défaillante n'ait pu prononcer des paroles qui, sorties de la bouche de ce pasteur mourant, auraient produit sur vous de plus vives et de plus durables impressions que celles que peuvent produire les miennes ! Mais lui-même, la dernière fois qu'il monta dans cette chaire et qu'il vous porta la parole, lui-même, comme s'il eût prévu le fatal événement, semblait vous indiquer la résignation avec laquelle votre religion vous prescrit de vous y soumettre. Il vous expliquait ces belles paroles de David, dignes d'un chrétien : Je me suis tu, et je n'ai point ouvert la bouche, parce que c'est toi qui l'a fait. Oui, Seigneur, nous imposons silence à nos plaintes : Tu l'avais donné, tu l'as ôté, ton saint nom soit béni ! Mais permets à la voix de nos supplications de monter jusques aux pieds de ton trône, accessible aux affligés. Console, bénis ceux qu'il a laissés sur la terre ! donne à ceux qui l'ont entendu de suivre ses préceptes et d'imiter ses vertus , afin qu'ils partagent son bonheur !

Portons notre pensée, mes frères, sur ce bonheur que nous pouvons posséder avec lui, et nous serons consolés : tant de motifs nous y sollicitent dans ce jour ! La vanité de la plupart des biens de la vie ; l'inconstance de ceux-là même qui justifient notre attachement ; la grandeur et la stabilité de ceux qui doivent les remplacer ; la sublime, l'éternelle existence qui nous est réservée dans les cieux, et même nos affections actuelles qui, embellies, agrandies, sanctifiées par le choix et le bon usage que nous en aurons fait, augmenteront notre bonheur dans l'éternité par de consolants souvenirs, et répareront, en nous les rendant ennoblies, nos pertes les plus douloureuses. Nous n'avons pas entièrement perdu, même ici bas, celui que nous pleurons ; le souvenir de ses leçons et de ses vertus nous restera y et sa mémoire sera longtemps en bénédiction au milieu de nous. Il ne viendra pas vers nous, il est vrai, mais nous irons vers lui.

Purifions, sanctifions nos affections terrestres ; elles seront célestes un jour. Remplissons ici-bas tous nos devoirs, facilités par de si belles destinées. Alors, (douce espérance , je ne puis me séparer de vous, je vous embrasse avec transport !) alors, pasteurs et troupeau, réunis dans le jour solennel de la résurrection des justes, nous irons au-devant de l'Agneau, et nous entonnerons de concert ce cantique sacré [Apocalypse 1, 5-6] : À celui qui nous a aimés, qui nous a lavés dans son sang, qui nous a faits rois et sacrificateurs à Dieu son père, à lui soit honneur et gloire, force, empire et magnificence, dès maintenant et à jamais ! Amen !


Tombeau de Mestrezat, dessin de sa cousine Mme Halsen, après 1808.

À la fin de l'exercice religieux, pendant lequel cette péroraison a été prononcée et entendue avec la plus vive émotion, le prédicateur a annoncé aux fidèles que les devoirs funèbres allaient être rendus au Pasteur dont ils déploraient la perte, et il les a invités à assister au convoi. Le cortège, parti de sa demeure, était composé des parents et des amis du défunt, de plusieurs fonctionnaires publics, des membres du Consistoire et d'un grand nombre de fidèles.

Un détachement de la garnison de Paris, demandé par Son Excellence le Grand-Chancelier de la Légion d'Honneur, accompagnait le cercueil. Le cortège étant arrivé au cimetière de l'arrondissement, M. Marron, pasteur et président du Consistoire, a prononcé, aux bords de la fosse, et au moment que le cercueil y a été déposé, un discours qui a fait répandre des larmes bien légitimes. Le détachement de la garnison de Paris a rendu au défunt membre de la Légion d'Honneur les honneurs usités.


Discours prononcé aux obsèques de M. Mestrezat, le dimanche 10 mai 1807, par [Paul Henri] Marron, président du Consistoire et membre de la Légion d'honneur.

Ils n'ont pas été exaucés, les vœux de la tendresse conjugale, de la filiale piété, de l'amitié fondée sur l'estime et la reconnaissance, de la religieuse fraternité ! ô Dieu ! que ta volonté soit faite ! L'Éternel donne, l’Éternel ôte ; béni soit le nom de l'Éternel ! Et dans quel jour, ô mon frère ! ô toi le digne objet de nos larmes et de nos regrets ! dans quel jour, dans quel lieu nous te rendons ici les derniers honneurs ! [Mestrezat est mort le lendemain du jeudi de l'Ascension] Dans ce jour sacré, où ta voix, forte de l'éloquence de l’âme et de l'inspiration de a piété célébrait dans nos temples, avec tant

de majesté et d'onction, les louanges de l'Éternel ; nous exhortait d'une manière si pressante à la religion et à là vertu ; faisait à l'une et à l'autre, inséparables compagnes, de si douces conquêtes, ou fortifiait dans leur culte leurs fidèles partisans. Dans ce lieu funèbre où cette même Voix a retenti en plus d'une occasion semblable à celle-ci, pour avertir ceux qui t'entouraient, du néant de la vie, de la fragilité de toutes nos terrestres jouissances, de l'attente d'un meilleur avenir. Ah ! c'est cet avenir qui déjà n'est plus pour toi une vague espérance, mais une possession assurée, mais un glorieux et incorruptible héritage. Tes travaux et tes soins, fertiles dès ce monde pour la gloire de Dieu en J. C., pour la salutaire édification de tes frères, t'ont valu encore une maturité précoce pour l'éternité rétributrice ; et, tandis que nous semons encore, déjà tu recueilles, déjà ta céleste moisson te remplit d’allégresse et d'honneur. Je t'entends aux pieds de ton souverain juge : « Seigneur, voilà le dépôt que tu m'avais confié ! voici le fruit qu'il t'a rendu ! Me voici, Seigneur, et ceux dont tu as voulu que je te fusse comptable dans les diverses portions de ton domaine spirituel ! » 

Ô mon Frère ! parmi nous en particulier ta mémoire sera eu bénédiction ; le souvenir de tes instructions saintes se perpétuera dans nos familles ; ton exemple sera un long sujet de louange et d'émulation ! Tu as honoré un nom illustré depuis deux siècles dans l'exercice des fonctions pastorales ! tu l'as transmis sans tache à ceux que tu laisses après toi ! que ton fils surtout le porte avec la même distinction, si le Ciel l'appelle à fournir la même carrière, ou quels que soient sur lui les desseins de la Providence ! Et vous tous, qui concourez ici avec nous à l'acquit d'un pénible devoir, remportez de ce lieu de profondes impressions de sagesse et de gratitude ; de sagesse, par un progressif détachement du monde et par l'active recherche de biens impérissables ; de gratitude, pour un état de choses si différent de celui où la proscription atteignait notre culte jusqu'aux bords de la tombe, où l'intolérance s'acharnait encore sur nos restes inanimés. 

L'Honneur va payer un tribut légal à l'un de ses élus, comme la Religion a célébré l'un de ses ministres. Braves militaires, remplissez votre mission ! J'ai rempli ma douloureuse tâche. Que le Dieu de miséricorde soit et demeure toujours avec nous tous ! Amen !

Lecture de la Bible

Apocalypse 1, 4-6 - traduction Louis Segond 1910

Jean aux sept Églises qui sont en Asie : que la grâce et la paix vous soient données de la part de celui qui est, qui était, et qui vient, et de la part des sept esprits qui sont devant son trône, et de la part de Jésus-Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, et le prince des rois de la terre ! A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, et qui a fait de nous un royaume, des sacrificateurs pour Dieu son Père, à lui soient la gloire et la puissance, aux siècles des siècles ! Amen !