Annie Vallotton

Portrait | Annie et l'armée de crayons

Dessinatrice, musicienne, écrivain, Résistante, Annie Vallotton est une figure de l’Oratoire.

Sommaire

  • Portrait par Anne Biroleau Lemagny et publié dans la Feuille rose n°766, 2006 (PDF)
  • Témoignage : La joie de dessiner, publié dans la Feuille rose n°780, 2009 (PDF)

Annie Vallotton, 2006.

Annie Vallotton, le nom s'enroule comme un ruban, un nom d'héroïne de livres pour enfants. Son visage qui semble sculpté dans l'ivoire, ses cheveux de neige relevés en chignon et ses yeux auraient inspiré les maîtres hollandais du XVIIᵉ siècle et on l'imagine volontiers vêtue d'une robe noire et d'un col de dentelle dans une peinture de Hals, dont le modèle sourirait. Chaque dimanche, assise à la même place dans les stalles du chœur, elle écoute avec concentration et chante avec énergie.

Annie est suisse, mais sa mère était alsacienne. Elle est dessinatrice, mais son père était écrivain, son grand-père pasteur. Elle est sagement assise, discrète et bienveillante, mais si vous interrogez Google sur son nom, vous obtenez 32 pages de références. Elle a l'air grave, mais n'est vraiment pas coincée. C'est bien plus qu'une figure, une véritable rencontre.

Annie est la fille de l'écrivain suisse Benjamin Vallotton, défenseur acharné de la langue française, qu'il enseigna avant de se consacrer pleinement à la faire connaître, de veiller à sa diffusion et à son maintien international par des tournées de conférences. Il épousa une jeune femme de la bourgeoisie alsacienne favorable au capitaine Dreyfus, et ils eurent quatre enfants. 

Annie Vallotton a toujours aimé dessiner et il fut tout naturel pour elle d'entrer à l'École des Arts décoratifs de Strasbourg et d'entreprendre la carrière que lui ouvrait ce cursus… Elle dessine encore. Elle m'a reçue dans le confortable salon-atelier où elle règne sur une armée de 1834 crayons bien taillés (c'est à cela qu'on reconnaît le vrai dessinateur) qui attendent leur tour de courir sur le papier. Je n'ai jamais vu une telle collection de crayons, feutres, stabilos de toutes couleurs. 

Elle crée des personnages d'album pour enfants. Clémentine, son héroïne, petite fille vive et curieuse, a sans doute hérité beaucoup de ses traits de caractère, de l'espièglerie de sa créatrice. Mais Annie Vallotton, passionnée par la transmission du message biblique, a aussi choisi de mettre en images les récits bibliques. De nombreux petits livrets consacrés à l'illustration des paraboles sont publiés en français et en anglais, des éditeurs de la Bible font appel à ses services. Elle vient de recevoir la dernière en date, publiée en Corée du Sud, ses dessins y ont été agrémentés de délicates couleurs pastel.

Elle est prodigue de son talent et n'en tire d'autre bénéfice que la satisfaction de délivrer un message. Le travail dont elle est la plus fière est le fruit d'un pari, d'une invention audacieuse basée sur le matériau le plus trivial qui soit : la matière plastique. Annie, attirée par les possibilités de ce matériau, a inventé la plasticographie. Des silhouettes toutes simples mais d'une grande harmonie, découpées dans des feuilles de matière plastique permettent de raconter tous les récits, bibliques ou non. 

Les enfants, son public d'élection, peuvent s'approprier les silhouettes repositionnables, les agencer à leur manière sur un support plastique ou une vitre tout en racontant l'histoire qu'ils inventent ou restituent. Il ne lui reste qu'un exemplaire sur trois mille de cet ouvrage qu'elle publia à coup de culot et de persuasion grâce aux subsides d'une éditrice suisse. Le résultat évoque la simplicité et l'harmonie des découpages de Matisse. Si on lui demande d'où lui est venue cette idée très neuve à une époque où l'interactivité n'était pas vraiment la vertu cardinale de l'enseignement, elle pointe l'index vers le plafond. Manifestement elle désigne quelqu'un d'autre que le voisin du dessus. 

Ses dessins ont fait et font encore le tour du monde, ont voyagé de l'Afrique à l'Asie en passant par l'Amérique, mais elle est la créatrice de best-seller la plus discrète du monde. Harry Potter est KO debout ! Elle a renoncé à percevoir les droits des quelque 185 millions de Bibles éditées afin de permettre une diminution de leur prix de vente. Pourquoi ce succès ? Elle l'attribue à la simplicité, au dépouillement, à l'absence d'ethnocentrisme, qui permet à chacun de projeter son propre visage et sa propre culture sur ses propositions graphiques. 

Violoniste, son intérêt s'étend par conséquent à la musique, elle me montre une douzaine de disques de chansons pour enfants aux petits livrets comportant dessins et partitions. Il ne faudrait pas imaginer cependant qu'elle se soit cantonnée à l'univers des enfants, ni qu'elle se soit contentée de nourrir leur goût du merveilleux et de la fantaisie. 

Elle me raconte aussi des choses beaucoup plus graves, des aventures insensées, des dangers réels. Nous ne nous sommes peut-être pas si éloignés de l'espiègle Clémentine, mais une Clémentine dotée d'une conscience politique et d'un souci humanitaire. La Première Guerre mondiale semblait avoir connu l'épouvante à son apogée, mais la Seconde Guerre la déchaîna d'une manière nouvelle. Dès le commencement des hostilités, la famille Vallotton est consciente des dimensions de la catastrophe. Annie et sa sœur Gritou suivent, dès 1939, une formation de secouriste et rejoignent leur oncle, chargé de l'accueil et du transport des réfugiés venus des départements de l'Est. 

Leur rôle de travailleuses sociales les mène en Limousin, puis dans le sud de la France. Malgré leurs déplacements incessants et épuisants, elles tiennent séparément un journal de bord où sont racontés les réussites ou les tracas de chaque jour. Cet admirable document, écrit au jour le jour, montre tous les aspects de la vie quotidienne du pays en guerre, puis occupé. Les faits sont bruts et brutaux, choc des cultures, incompréhension mutuelle des réfugiés et des habitants, réticences et mesquineries ou au contraire actes de générosité et d'abnégation. 

Leur action consistera aussi à faire sortir de France les juifs menacés des camps d'extermination. En effet, dès 1942 apparaît dans leur journal un témoignage sur le sort qui leur est réservé. Les sœurs Vallotton ne sont pas les seules à payer de leur personne dans cette aventure humanitaire, et elles ne se donnent jamais la vedette, mais leur récit est si spontané, généreux et si drôle parfois que l'on finit par oublier qu'il ne s'agit pas d'une fiction. L'amie de toujours, Jeanne Bulté qui s'est jointe à nous, vient d'ailleurs apporter des précisions sur la gaieté et la joie de vivre des sœurs Vallotton dans les moments les plus sombres.

En 1942, alors qu'elle se trouve à Toulouse, Annie est contactée, convoquée même, par Berthie Albrecht qui lui explique en peu de mots ce qu'elle attend d'elle, et qu'elle accomplira sans hésitation. L'espiègle devient intrépide et transmet le courrier de la Résistance, promène dans son petit sac tout ce qui est nécessaire pour faire sauter les ponts, échappe grâce à un sixième sens à bien des périls. Si je lui demandais d'où lui vient cette inspiration, elle lèverait, je pense, l'index vers le plafond. Son goût du dessin ne l'ayant jamais abandonnée, elle illustre les années noires avec son humour habituel. Jacques Tati pâlirait d'envie devant la scène consacrée à la défense passive… 

Annie est dotée d'un humour jamais méchant, mais bigrement décapant. Elle me raconte ses séjours dans le clocher de la cathédrale de Lausanne, "ma cathédrale", afin d'y écouter de près sonner les cloches. Pour ce faire, il fallait soudoyer la gardienne à l'aide d'une bouteille (du bordeaux tout de même). Elle me relate les tractations, avec l'accent suisse, dans un sketch à la Zouc, à se rouler par terre. Elle peut tenir un chauffeur de taxi en arrêt pendant dix minutes afin de lui raconter comment elle a kidnappé (et restitué) la queue du lion du pont des Invalides.

Elle aime raconter, rire, communiquer avec les autres. La convivialité est son élément, aussi se sent-elle proche des sensibilités évangéliques, bien qu'elle soit paroissienne de l'Oratoire depuis son arrivée à Paris après la guerre. Elle chanta dans la chorale, évoque les prédications du pasteur Loriol. Je la quitte à regret, certaine qu'elle avait encore beaucoup à dire, beaucoup à faire comprendre, et après avoir seulement entrevu un tout petit aspect d'une personne riche, profonde, réfléchie et pourtant drolatique au-delà de l'imaginable. Comment la reconnaître ? C'est facile, un peu de ciel se reflète dans son regard.

Anne Biroleau-Lemagny


Annie Vallotton est l'auteur de nombreux ouvrages destinés à la jeunesse, et de films d'animation tels que « Les Animaux dans la Bible », « Les Histoires de Jésus », « Les histoires de Clémentine et Pépin », publiés par Méromédia, à Paris 

  • Gritou et Annie Vallotton, C’était au jour le jour, Payot, Paris, 1995.
  • Annie Vallotton, La résistance sous l’occupation, L’Harmattan, Paris, 2001

L’accueil, c'est aussi un sourire

Avec ces deux dessins, Annie Vallotton a voulu illustrer la meilleure façon d’accueillir les paroissiens, le dimanche matin, en leur remettant le « Psautier » et le « Louanges et prières ».


Témoignage : La joie de dessiner

Les secrets de création des personnages d’une célèbre paroissienne

Jeune diplômée des Arts décoratifs, je cherchais du travail. J’ai beaucoup dessiné pour moi-même. Je voulais à tout prix trouver une manière de dessiner, en utilisant une énorme économie de lignes pour dire un maximum d’expressions linéaires avec un minimum de lignes. J’ai commencé par créer une petite fille, Clémentine, en la mettant dans toutes sortes de situations, avec son petit frère Pépin, leur âne, leur chat, dans toutes les positions possibles, surtout drôles. Cela a donné beaucoup d’albums, de dessins et de chants… des histoires chaque semaine dans un journal suisse, et aussi des télévisions à Paris et en Suisse (Genève). 

Un jour, j’ai ouvert un Nouveau Testament et j’ai commencé à dessiner ce que le texte me disait, en voulant réellement aider le lecteur à comprendre le texte avec l’aide du dessin. Créer des gestes, supprimer les lignes inutiles, rester le plus simple possible. Ne pas distraire le regard du lecteur, oh non ! Mais lui proposer une image en quelques lignes qui diront tout de suite quelle idée on a voulu donner. Il en est sorti un petit livre, De la pomme à la lune. Intriguer le lecteur, l’amener aussi, le forcer à comprendre pourquoi on veut ces lignes et pas d’autres. Ce petit livre jaune ne s’est pas vendu faute de publicité. On en a même jeté 3 000 dans la Seine ! J’avoue humblement cette erreur. MAIS ! (Il y a de beaux mais dans la vie ! C’est vrai !)

Mais un jour, le directeur de la Société biblique de New York me téléphone : « Je serai à Stuttgart, tel jour, telle heure, entre deux avions. J’ai dix minutes pour vous voir. Il faut que je vous voie. » 

À Stuttgart, à l’heure dite, un homme arrive en courant en brandissant mon petit livre jaune De la pomme à la lune. « À New York, nous travaillons un Nouveau Testament pour les jeunes et nous voulons l’illustrer avec vos dessins si simples. Êtes-vous d’accord ? » « Bien sûr ! »

Depuis ce temps, je ne fais plus que ça, avec passion.

Un minimum pour dire un maximum. Cela a commencé il y a bien des années (peut-être 45 ans !) avec un Congrès de jeunes Américains de 15 à 20 ans en Suisse. Il y en avait 6 000, oui 6 000. Tous les soirs, pendant une semaine, je devais raconter et illustrer une histoire de la Bible avec des dessins et même un chant à quatre voix (une heure, c’est long et je ne savais pas bien l’Anglais. J’avais cinq semaines pour l’apprendre.) Un soir, je reviens à mon hôtel. Face à moi arrive un groupe de 10 à 12 jeunes de ce Congrès. Je pensais leur parler du match de football du soir, mais un de ces jeunes me dit : « Nous étions en train de nous demander comment vous pouviez illustrer « l’amour de Dieu ». Quoi, c’est leur sujet de conversation ? Je cherche une nappe blanche en papier dans un restaurant proche. Une jeune se couche sur le dos, par terre ; couché sur son coude, l’autre bras tendu vers Dieu. « Faites Dieu comme vous le faites toujours, un rond immense et pas d’expression dedans. Chacun y met la sienne ». Et c’est vrai. Je viens d’apprendre que la Société biblique française de Paris est en train de préparer une Bible en français illustrée de 600 de mes dessins (en couleur par la Société biblique coréenne). Elle arrivera juste à temps pour les cadeaux de Noël. Merci à notre pasteur Marc Pernot qui illustre ses prédications écrites avec, chacune, un de mes dessins.

Combien je voudrais aider les gens, les jeunes à dessiner pour dire avec un minimum, un maximum. C’est passionnant !

Annie Vallotton