T’as d’beaux pieds, tu sais ?
Romains 10:14-21
Culte du 23 octobre 2011
Prédication de pasteur James Woody
Romains 10:14-21
Culte du dimanche 23 octobre 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, « qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles » ! Voilà une bien curieuse manière de parler des qualités des apôtres. On s’attendrait à un commentaire sur leur intelligence, sur leur capacité à s’exprimer clairement, à exposer leur propos avec un grand talent oratoire, mais non. C’est de leurs pieds dont il est question sous la plume de l’apôtre Paul qui cite le prophète Ésaïe (Es 52/7). Que viennent faire les pieds dans cette histoire ? c’est ce que je vous propose d’explorer en mettant en évidence trois raisons pour lesquelles ce sont les pieds qui sont évoqués à défaut d’autre chose.
La première raison est que les pieds sont le point de contact entre le ciel et la terre. Les pieds sont le lieu de la rencontre entre les préoccupations divines (métaphoriquement représentées par le ciel, à la manière de cette prière qui dit « Notre Père qui es aux cieux) et le réel, le tangible, ce qui se trouve sur le sol où nous nous tenons. Les pieds nous font sentir la gravité qui nous rattache au plancher des vaches. Les pieds nous font sentir la lourdeur qui nous attire vers le bas. Mais les pieds constituent aussi le point de résistance sur lequel nous nous dressons vers le ciel, vers des considérations plus hautes que le raz des pâquerettes.
S’il est question des pieds de l’apôtre, c’est peut-être parce que l’apôtre, le véritable apôtre, n’est pas seulement un homme dont les pensées sont tournées vers le spirituel, vers les choses d’en-haut. C’est aussi un homme qui tient compte de sa situation humaine, qui tient compte du réel et qui ne cherche pas à fuir dans quelque paradis hors sol. L’apôtre, le véritable apôtre, est un homme, une femme, dont la parole s’incarne dans le concret, dans la pâte humaine, dans la matérialité de notre existence. L’apôtre, le véritable apôtre, est cet humain qui parle en situation, dans un contexte toujours particulier, sans faire des généralités qui ne concernent personne.
Lorsque le théologien Karl Barth disait que le prédicateur a la Bible dans une main et le journal dans l’autre, c’était une manière de dire que sa parole, si elle trouve son inspiration dans le Verbe de Dieu, s’adresse à des personnes affrontées à des situations aussi concrètes que singulières. L’apôtre est donc celui qui annonce la paix de Dieu, la grâce de Dieu, sans rien ignorer des pesanteurs qui contraignent celles et ceux à qui il s’adresse. Il connaît aussi bien les joies, les espoirs de ses contemporains, que ses interrogations, ses doutes, ses craintes. Il est attentif à la fois aux espoirs d’une victoire en coupe du monde de rugby et à la fois à l’espérance que peut nourrir des élections en Tunisie. Il n’ignore ni les problèmes personnels liés à l’inquiétude du lendemain ni les problèmes à grande échelle liés aux conséquences du renversement d’un dictateur.
L’apôtre, n’est pas une personne sans gravité mais un être en appui sur ses pieds. Cela, nous le lisons admirablement bien sur les visages des pasteurs qui se sont succédé dans cette chaire et qui figurent dans notre sacristie. On y voit aussi bien la sérénité grave de Jean Monod que le libéralisme grave de Martin-Paschoud. On y voit aussi bien le romantisme grave d’Adolphe Monod que la science grave d’Ariste Viguié. On y voit aussi bien l’espérance grave de Wilfred Monod que l’amour grave de Paul Vergara. On y voit aussi bien la joie grave d’Elie Lauriol que la complicité grave de Pierre Ducros. Tous ces ministres de l’Évangile ont leur particularité, leur trait de caractère propre, auquel se joint une forme de gravité qui exprime leur souci de l’autre, la conscience qu’ils ont de leur responsabilité à l’égard de leurs frères et sœurs en humanité. Ils sont tous beaux de cette gravité qui forge leur apostolat en l’enracinant dans le concret de l’existence des personnes qui leurs sont confiées et en le déployant dans la perspective heureuse du Règne de Dieu. Nous ne voyons que leur visage mais ces visages n’avaient rien à envier à leurs pieds.
Le désir
La deuxième raison pour laquelle il est probablement question des pieds, tient à la nature même de l’apôtre. L’apôtre est celui qui apporte quelque chose à quelqu’un, qui va auprès de quelqu’un pour lui annoncer quelque chose. Cela signifie que l’apôtre, par sa mission, désigne un manque, un creux chez celui auprès de qui il se rend.
Les apôtres sont des envoyés, rappelle Paul. Leur présence renvoie donc à une autre présence : la présence de celui qui les envoie. Ici, il s’agit de Dieu. Les apôtres portent donc la trace du divin qu’ils vont rendre présent auprès de leur interlocuteur. S’ils prennent la route, s’ils s’adressent à un auditoire, c’est parce qu’ils sont porteurs d’une nouvelle qui fait défaut jusque là. Il y a donc un manque, un creux, une insatisfaction. Dans notre texte, c’est le manque de confiance qui est en jeu. Sans la présence des apôtres, la foi n’a aucune chance de voir le jour. Et si la confiance n’existe pas, alors, l’invocation n’est pas possible, car on ne peut appeler à l’aide quelqu’un en qui nous n’avons pas confiance.
L’apôtre, par son mission, souligne le manque de Dieu dans la vie de ses interlocuteurs. Et en se rendant auprès d’eux, il crée la possibilité du divin comme vis-à-vis. Non seulement il rend Dieu disponible mais il le rend crédible, digne de foi. L’apôtre est donc celui qui se met en marche parce qu’il ne se satisfait pas d’une situation de manque. L’apôtre se met en marche, fait un pas vers l’autre pour l’ouvrir à une dimension de la vie qui, jusque là, lui manquait.
L’apôtre, en actionnant ses pieds, s’efforce de mettre en route la belle mécanique du désir, ce désir qui nous permet de nous projeter sur ces réalités que nous ne possédons pas encore, mais que, par la foi, nous pouvons tenir pour une ferme assurance, selon les mots de la lettre aux Hébreux (Hb 11/1). Les pas de l’apôtre mettent en évidence une asymétrie : quelque chose manque à quelqu’un et cette situation ne doit pas rester en l’état.
Attention, il faut ici discerner le désir de l’envie. Le désir, c’est ce qui nous tend vers des objets symboliques tels que l’honneur, l’amour-agapè, l’espérance, autant de choses qui renvoient à la présence d’un Autre, autant de choses qui élargissent notre humanité à plus d’humanité. L’envie, elle, se rapporte à un objet qui appartient à quelqu’un et que nous aimerions posséder également. L’envie, c’est la recherche de ce que j’aimerais avoir et qui, pour le moment, appartient à un semblable. Parfois, l’envie est une étape nécessaire vers le désir. C’est ainsi qu’il est possible de comprendre la pédagogie de Dieu relatée ici, qui consiste à susciter la jalousie de son peuple, quitte à provoquer la colère. L’envie comme étape préliminaire avant le désir. L’envie plutôt que l’indifférence, plutôt que l’électroencéphalogramme plat !
La seconde raison pour laquelle il est question des pieds, c’est que les pieds désignent un espace qui nous sépare d’une autre réalité, un espace qui rend possible de nouvelles rencontres, de nouvelles possibilités.
Aller vers
Il en résulte que la troisième raison pour laquelle les pieds sont mentionnés, c’est qu’ils constituent l’attribut par excellence de l’apôtre. A l’époque où le courrier postal n’est pas organisé comme il l’est de nos jours, qu’il n’y a ni téléphone, ni email, ni SMS, les pieds constituent le moyen de communication le plus évident. C’est par les pieds que les apôtres pouvaient gagner tous les points de la terre, jusqu’aux extrémités du monde, selon la perspective de Paul. Ce troisième aspect n’appelle pas de développement particulier mais nécessite un commentaire. Car la mission des apôtres a pu être comprise comme une mission de christianisation, comme une entreprise de conversion. Si le pied est l’outillage de base pour aller vers les autres, ce n’est pas pour faire de l’autre l’objet de mon envie. Ce n’est pas pour faire de mon interlocuteur un projet. Ouvrir notre temple, ouvrir notre vie paroissiale, organiser une exposition qui attire des personnes qui ne connaissent pas le protestantisme voire le christianisme, ce n’est pas pour en faire de bon petits parpaillots (ce n’est pas non plus pour éviter qu’ils le deviennent). Rejoindre l’autre dans son existence, ce n’est pas pour en faire un autre nous-mêmes, pour le convertir à notre foi, à notre manière de vivre, c’est pour lui offrir la possibilité d’entendre des paroles qui le rendront plus vivant parce que plus libre. La véritable évangélisation, puisque c’est de cela dont il est question, ne devrait jamais se confondre avec la christianisation qui consiste à faire de quelqu’un un chrétien. L’Evangélisation, c’est rendre disponible l’Evangile, c’est rendre audible et compréhensible le message de Jésus-Christ.
Lorsqu’on demandait à Martin Luther comment il s’y était pris pour que sa Réforme connaisse un tel succès, il répondait : « j’ai prêché, prêché, prêché… et puis je suis allé boire une bière avec mon ami Philippe Melanchton et j’ai laissé faire le Saint-Esprit ». Ou, pour le dire avec les mots de Paul : « j’ai tendu les mains tout le jour vers un peuple rebelle et contredisant » (v.21). L’Évangélisation est l’art de la patience et de l’humilité. Il s’agit de rendre disponible ce que nous estimons essentiel pour une vie pleinement épanouie, mais sans contraindre, sans forcer la personne à laquelle nous nous adressons, précisément parce qu’au cœur de cet essentiel que nous voulons partager, il y a la liberté de l’individu. L’apôtre, s’il chemine vers l’autre, ne saurait donc violer sa conscience sans quoi il agirait à l’encontre du message qu’il apporte : la libération par l’Éternel de toutes les formes de captivité auxquelles nous nous soumettons.
Les pas que nous faisons vers les autres ne sont pas destinés à écraser ceux que nous rencontrons, ni à leur marcher sur les pieds. Nos pieds sont respectueux des pas des autres, respectueux de leurs trajectoires et même de leurs faux-pas. Nous savons que si nous n’allons pas vers eux, ils risquent de ne jamais entendre autre chose que leur propre parole et, du coup, ils risquent de rester enfermés dans leur petite vie, confortable, peut-être, mais le confort est le plus grand ennemi du désir. Or il importe à l’Éternel que l’humanité soit animée d’un ardent désir : désir de vivre, désir de justice, désir de bonheur, désir d’harmonie, désir de paix. Mais pas au prix de la contrainte, de la soumission.
Voilà donc, frères et sœurs, trois raisons pour lesquelles il me semble que le plus beau compliment que l’on puisse faire à un véritable apôtre du Christ est de le regarder dans les yeux et de lui dire : « t’as d’beaux pieds, tu sais ? ».
Amen
Lecture de la Bible
Romains 10:14-21
Comment donc invoqueront-ils celui en qui ils n’ont pas cru ? Et comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler ? Et comment en entendront-ils parler, s’il n’y a personne qui prêche ?
15 Et comment y aura-t-il des prédicateurs, s’ils ne sont pas envoyés? selon qu’il est écrit : Qu’ils sont beaux Les pieds de ceux qui annoncent la paix, De ceux qui annoncent de bonnes nouvelles !
16 Mais tous n’ont pas obéi à la bonne nouvelle. Aussi Ésaïe dit-il : Seigneur, Qui a cru à notre prédication ? 17 Ainsi la foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la parole de Christ.
18 Mais je dis: N’ont-ils pas entendu ? Au contraire ! Leur voix est allée par toute la terre, Et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde.
19 Mais je dis: Israël ne l’a-t-il pas su? Moïse le premier dit: J’exciterai votre jalousie par ce qui n’est point une nation, je provoquerai votre colère par une nation sans intelligence.
20 Et Ésaïe pousse la hardiesse jusqu’à dire: J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, Je me suis manifesté à ceux qui ne me demandaient pas.
21 Mais au sujet d’Israël, il dit: J’ai tendu mes mains tout le jour vers un peuple rebelle Et contredisant.