Quelques jalons d'histoire du protestantisme à Paris des origines à 1787

À l'aube du XVIe siècle une nouvelle phase de civilisation voit le jour avec la Renaissance. L'horizon géographique s'élargit, le commerce international s'intensifie, l'art découvre la perspective. L'imprimerie stimule la soif d'apprendre, la circulation des textes et des idées, puis la remise en cause de l'autorité religieuse qui bride la société. Paris, capitale marchande, intellectuelle, artistique et artisanale participe activement à ces évolutions.

Le temple de Charenton, le lieu de culte officiel de Paris sous l'Edit de Nantes

Les premiers ferments de l'esprit de Réforme se manifestent très tôt, à proximité immédiate des murs extérieurs de Philippe Auguste qui enserrent alors Paris, à l'abbaye de St-Germain des Prés. Guillaume Briçonnet, son abbé, également évêque de Meaux, entreprend une réforme interne du clergé visant à plus de rigueur et au développement d'une prédication plus proche des évangiles. Il accueille en 1507 Lefèvre d’Etaples qui publie en 1509 une traduction des Psaumes. Attaqué en 1521 par la Sorbonne pour "Le commentaire des quatre évangiles", Lefèvre poursuit son travail à Meaux où est imprimé son Nouveau Testament en français (1523), traduit d’après la Vulgate latine, permettant un accès direct aux écritures. Ce milieu des "Bibliens" est protégé au début par François Ier influencé par sa sœur Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre. La diffusion des évangiles imprimés développe la lecture en petits groupes, la pensée personnelle, le rejet d'un dogme imposé par une Eglise aux mœurs distendues et le monopole de l'Université-Faculté de Théologie crispée sur ses prérogatives.

En 1519, l'imprimeur bâlois Froben expédie en France plusieurs centaines d'exemplaires d'un recueil écrit par Luther. Lefèvre d'Etaples et les docteurs de la Sorbonne lui font bon accueil, mais ces derniers changent radicalement d'attitude sous la pression de Rome et d'un procès intenté par le syndic de la faculté de Paris, inspiré par le dogmatique Noël Béda, qui aboutit à la condamnation des écrits en 1521. Les livres sont brûlés, mais le long procès suscite des commentaires et de petites publications comme celle de Melanchthon, Adversius furiosum Parisensium Theologastrorum decretum Philippi Melanchthonis pro Luthero apologia, qui donnent un large écho aux idées du réformateur allemand. 

Jacques Lefèvre d'Etaple

En 1523, Jean Vallière est brûlé vif au Marché aux Pourceaux. Il est considéré comme le 1er martyr de la foi, suivi de Jacques Pauvant (ou Pavanne), un jeune clerc de l'évêché de Meaux, accusé d'avoir traduit des textes de Luther, brûlé en place de Grève en 1525 et célébré ainsi par Théodore de Bèze :

"Pavanes dedans la flamme,
Triomphe du monde infâme,
De l'erreur et de la mort"

En 1530, François 1er et Marguerite de Navarre encouragent l'esprit humaniste en fondant le Collège des Lecteurs royaux (futur Collège de France) où vont être étudiées les langues bibliques anciennes (grec et hébreu) écartées de l'enseignement de la Faculté de Théologie de Paris (Sorbonne). La clémence du roi s'estompera cependant devant les actes de désobéissance avérée envers l'Eglise et l'autorité papale qui lui semblent mettre aussi son royaume en péril...

Jean Calvin

Le jeune Jean Calvin (1509-1564) vient à 14 ans faire ses études à Paris, au Collège de la Marche puis au Collège de Montaigu sur la Montagne Ste-Geneviève, avant d'entreprendre en 1531 des études de droit à Orléans. Le 1er novembre 1533, le jeune recteur de l'université Nicolas Cop (fils du médecin personnel de François 1er) prononce à la chapelle des Mathurins un discours d'entrée sur le thème des Béatitudes contenant des allusions aux martyrs évangéliques. Le texte provoque un scandale ; il a été élaboré en collaboration avec Calvin, et tous deux doivent quitter Paris.

A la demande de Marguerite de Navarre, son aumônier Gérard Roussel, ami de Lefèvre d'Etaples, prêche le Carême de 1534 au Louvre devant une nombreuse assistance, déchaînant la fureur de Béda que le roi expulse de Paris.

L’affaire des placards dénonçant les "horribles abus de la messe papale", largement diffusés et apposés jusque sur la porte de la chambre du roi à Amboise le 18 octobre 1534, suscite la répression. Lire la Bible en français est interdit. Le milieu de l'imprimerie et de l'humanisme est particulièrement suspect, mais toutes les classes sociales -artisans, négociants, nobles- sont touchées par "les idées nouvelles" taxées d’hérésie. Les assemblées clandestines sont sanctionnées par l'arrestation et la condamnation des participants au bûcher en place de Grève devant l’hôtel de ville, au Marché aux Pourceaux, à la Croix du Trahoir et place Maubert. Un édit de 1535 tente même d'interdire l'imprimerie dont les activités sont essentiellement regroupées autour de la rue Saint-Jacques et les pentes de la montagne sainte-Geneviève.

La première église "à la mode de Genève" est "dressée" à Paris en 1555, rue des Marais Saint-Germain (actuelle rue Visconti) à l'occasion du baptême d'un nouveau-né. "Dressée" signifie dotée d'un conseil d'anciens qui désigne un pasteur pouvant administrer les deux sacrements reconnus par les réformés : la Cène et le Baptême. Jean Le Maçon de Launay de la Rivière, un jeune étudiant en droit de 22 ans passé par Lausanne et Genève où est établi Calvin, devient ainsi le 1er pasteur nommé par ses coreligionnaires à Paris. De nombreux protestants s'établissent rue des Marais, surnommée "la petite Genève", peu surveillée, hors les murs, et à cheval sur les juridictions de l’Université et de l’abbaye. Ils doivent commencer à enterrer discrètement les leurs dans le cimetière de la rue des Saints-Pères dont des colonnes dressées et une plaque apposée au n°30 perpétuent le souvenir.

En 1557, une assemblée protestante est surprise rue St-Jacques. On arrête 120 personnes. Sept sont brûlées vives ; Philippe de Luns, dame de Graveron, une jeune veuve de 23 ans, revêt sa robe de mariée (disant qu'elle allait rejoindre son époux céleste) pour monter à l'échafaud, elle est pendue Place Maubert après avoir été brûlée aux pieds et au visage.

En mai 1558, le pasteur Macar écrit à Calvin que des assemblées de 5000 personnes chantent des psaumes au Pré aux Clercs. Ces réunions prennent la tournure de démonstrations de force avec la présence de gentilshommes à cheval parmi lesquels Antoine de Bourbon, roi de Navarre, et aboutissent à des affrontements avec la police.

En 1559, le 1er synode constitutif de l’église réformée de France se réunit clandestinement, au n°4 rue des Marais, dans une auberge tenue par un protestant nommé Le Vicomte. L'assemblée des représentants de 72 églises locales, présidée par le pasteur François de Morel, définit une organisation ou "discipline", et proclame la première confession de foi qui sera ratifiée au synode de la Rochelle en 1571.

Lors de la Mercuriale réunie aux Augustins le 10 juin 1559, Anne du Bourg, conseiller au Parlement de Paris, dénonce devant Henri II la négligence des cardinaux dans leurs fonctions : il est embastillé. La mort du roi, à la suite du funeste tournoi qui l'oppose à Montgomery, n'incline pas à la modération. Du Bourg rédige une longue confession de foi (recueillie par Antoine de Chandieu, pasteur à Paris de 1559 à 1563) qui lui vaut d'être pendu et brûlé comme hérétique en place de Grève, le 23 décembre.

De 1562 (Massacre de Wassy) à 1598 (Édit de Nantes), les guerres de religion divisent la France. Paris est le plus souvent dans le camp catholique des ligueurs menés par François de Guise et son frère le cardinal de Lorraine qui complotent dans leur hôtel du quartier du Marais (Hôtel de Soubise, aujourd'hui siège des Archives nationales), rue des Francs-Bourgeois, et organisent des processions mêlant moines armés et populace surexcitée.

L’Édit d'Amboise de mars 1563 interdit le culte à Paris, mais il se maintient secrètement par la lecture de la Bible en famille et des réunions clandestines chez des nobles et des particuliers. Ainsi, chez Pierre du Rozier, rue du Coq (actuelle rue Marengo) en 1567, où, en cas de danger, on transforme vite la pièce en salle de jeu. Tenir une assemblée chez soi, est sanctionné par le bûcher et la destruction de sa maison : à l'angle nord-ouest des rues des Lombards et Saint-Denis, aucune construction n'a jamais été rebâtie à l'emplacement de la maison de la famille Gastines qui y tenait des assemblées. Le parlement ordonna en 1571 que la maison soit rasée, qu'il n'en soit jamais reconstruite, et qu'une pyramide surmontée d'une croix portant une plaque de cuivre rappelle les raisons du jugement.

Catherine de Médicis s’efforça de maintenir une coexistence pacifique entre catholiques et protestants afin de préserver le pouvoir des Valois face aux Guise, catholiques radicaux, aux Montmorency et aux Bourbon modérés comportant des branches huguenotes. Sous les derniers Valois, des protestants œuvrent dans l'entourage immédiat du pouvoir : Jean Goujon orne de ses sculptures la nouvelle aile du Louvre ; Bernard Palissy exécute une grotte dans le jardin des Tuileries. Ambroise Paré est le médecin de quatre rois, il soignera les blessures du connétable de Montmorency, d'Henri II, comme de l'Amiral de Coligny.

Le mariage de Margot avec le fils de Jeanne d'Albret, allait dans ce sens mais, quelques jours après les fastes de la cérémonie, la présence des chefs protestants et de leurs suites rend les parisiens extrêmement nerveux.

24 août 1572 : la Saint-Barthélemy stigmatise la fracture du royaume. La cloche du Louvre, relayée par celle de Saint-Germain-l’Auxerrois donne le signal du massacre. Gaspard de Coligny, blessé la veille, est assassiné en son hôtel de la rue de Béthisy*. 2000 à 3000* protestants sont tués à Paris, dont beaucoup de seigneurs provinciaux venus assister au mariage d'Henri de Navarre et Marguerite de Valois célébré le 18 août.

Henri IV

Henri IV mettra quatre années pour prendre possession de Paris ; il lui faudra auparavant combattre les armées ligueuses des Guise, abjurer solennellement à Saint-Denis, être couronné à Chartres, assiéger Paris et y pénétrer par ruse le 22 mars 1594. Le roi s'est converti, mais il s'entoure de protestants qui reviennent à Paris, occupent des fonctions importantes, se font une place dans le commerce et la finance. Henri IV s’attache à moderniser, embellir et désenclaver la ville, faisant œuvre d'urbaniste. Il confie à Androuet du Cerceau la création d'un nouvel axe Nord-Sud avec le Pont Neuf -sans construction, uniquement dédié à la circulation-, assorti du programme immobilier de la place Dauphine dont le promoteur est Achille de Harlay. Le jardin des Tuileries est planté de mûriers à l'instigation d'Olivier de Serres. Les architectes protestants Androuet du Cerceau et Salomon de Brosse construisent la Place Royale (future place des Vosges) où s'installeront de nombreux coreligionnaires dont le marquis de Ruvigny, gouverneur de la Bastille, Isaac Arnauld*, le contrôleur du commerce et de l'industrie Barthélemy de Laffemas, les de Beringhen, secrétaires du roi. Sully, le plus proche conseiller du roi, accumule les charges; il habite à l'Arsenal puis place Royale avant de se faire construire l'hôtel de la rue Saint Antoine. Les faubourgs Saint-Germain et Saint-Marcel (Gobelins) sont toujours parmi les quartiers privilégiés par les protestants (les Gobelins teinturiers et liciers se sont établis au bord de la Bièvre au XVes. ; ralliés très tôt à la Réforme, ils fréquenteront le temple de Charenton). M.-E. Richard précise qu'alors, "Paris dénombrait alors 20 000 à 30 000 fidèles, soit le dixième de la population ... il s'agissait souvent de membres de classes élevées, dont l'importance sociale et économique était considérable. La sœur du roi, Catherine*, avait conservé la foi de sa mère; des ministres, des ducs et pairs, des hauts fonctionnaires allaient au prêche qu'elle faisait célébrer dans le Louvre même", dans la salle des Caryatides qui pouvait contenir 5000 personnes, ou en son hôtel de Soissons, lors de ses séjours parisiens. Les pasteurs de l’ « Eglise de Madame » sont d’anciens aumôniers de son frère, comme François de Lobéran de Montigny, Antoine de La Faye et Jacques Couët, qui, après 1598, animeront le consistoire de Paris.

En 1598, Henri IV, avec l’édit de Nantes reconnaît la liberté de conscience mais le culte ne peut être pratiqué que dans certaines conditions, pas à moins de 4 lieues de Paris. Josias Mercier l'accueille à Grigny en 1599, puis un temple est construit à Ablon-sur-Seine (1600-1603), et enfin à Charenton, où le temple construit sur les plans de Salomon de Brosse en 1607 pouvait contenir 4000 personnes. Les parisiens s'y rendaient à pied ou par coche d'eau, ce qui représentait une véritable expédition et la navigation sur la Seine était souvent périlleuse. 19 pasteurs officièrent au temple de Charenton. Pierre du Moulin (de 1599 à 1621), Michel Le Faucheur (1637 à 1657), Jean Mestrezat (1614 à 1657), Jean Daillé (1626 à sa mort en 1670), Charles Drelincourt (1620 à sa mort en 1669), Jean Claude (1666 à 1685), Pierre Allix (1671 à 1685 mort 1717) en sont les plus marquants, atteignant un large cercle par la publication de leurs sermons ou leurs écrits* relevant de la littérature d'édification et de la controverse.

Dès 1598, et surtout après la paix d’Alès (1629) qui met un terme aux guerres de religion de Louis XIII (sièges de La Rochelle et de Montauban), la Contre-Réforme par ses controverses et ses influences multiples travaille à obtenir des conversions sincères ou forcées. Pierre de Bérulle fonde en 1611, à Paris, l’Oratoire de France afin de former une élite de prêtres, théologiens et prédicateurs, pour lutter contre l’hérésie protestante…

Rares sont les protestant en vue, mais Valentin Conrart (Paris 1603-1675), conseiller-secrétaire de Louis XIII, réunit chez lui un cercle d'hommes de lettres qui formeront le noyau de l'Académie française dont il rédigera les règlements pour Richelieu en 1635. Il en sera le premier secrétaire, fonction qu'il conservera jusqu'à sa mort en dépit de son appartenance à la religion réformée et de liens avec les pasteurs de Charenton. Egalement protestant, Paul Pellisson rédigera la première histoire de l'Académie française, sera le secrétaire de Fouquet puis le biographe du roi, mais il abjurera en 1670.

Sous Louis XIV, des édits interdisent progressivement aux « prétendus réformés » la plupart des métiers ; les humiliations, les complications, l'envoi aux galères, les poussent à pratiquer silencieusement, abjurer ou émigrer.

En 1685, l'aboutissement de cette politique amène Louis XIV à révoquer l’édit Nantes par l'édit de Fontainebleau mettant un terme à la coexistence de deux cultes dans le royaume. Le temple de Charenton est détruit, les protestants n'ont plus de cimetière pour ensevelir leurs morts. Les pasteurs ont 15 jours pour quitter le royaume : les pasteurs Claude, Mesnard et Allix quittent Paris pour la Hollande. Des anciens comme le duc de la Force sont emprisonnés à Vincennes. Environ 200 000 protestants choisissent "le Refuge", c'est à dire l'exil en Hollande, Suisse, Allemagne ou Angleterre. Certains abjurent du bout des lèvres mais pas du cœur. Les enfants peuvent être enlevés à leur famille, les jeunes filles confiées à une trentaine de couvents parisiens tenus par les Visitandines (rue Saint-Antoine) ou les Ursulines, spécialisées dans une éducation visant à leur conversion. L'Oratoire est un des lieux d'abjuration publique. En 1700, la princesse palatine Marie-Elisabeth des Deux-Ponts (Suède) y abjure; en 1702, Eléonore Charlotte de Wurtemberg-Montbéliard.

L'application stricte de l'édit de Fontainebleau est un peu tempérée à Paris, la répression moins sévère que dans le reste du royaume grâce à la présence des ambassades étrangères. En principe, seuls les étrangers peuvent pratiquer leur foi dans les chapelles d'ambassades -extraterritoriales- des pays protestants -Hollande, Suède, Brandebourg, Angleterre et Danemark- mais les parisiens les fréquentent discrètement, des provinciaux plus ponctuellement, assistant à un culte, y faisant bénir leur mariage, baptiser leurs enfants. Ces actes sont consignés dans les registres*. On y échange des nouvelles avec le Refuge et des conseils pour fuir. Ces ambassades changent souvent d'adresse* au gré de la résidence des ambassadeurs et de leurs chapelains, mais sont le plus souvent situées sur la rive gauche aux abords du faubourg St-Germain. Les infirmeries des ambassades de Suède et du Danemark soignent des malades protestants harcelés pour obtenir une conversion ou évincés des hôpitaux parisiens tenus par l'Eglise.

Des artisans luthériens sont attirés par Louis XIV et Louis XV pour compenser l'exode des ouvriers et artisans protestants partis avec leur savoir-faire. Ils s'établissent hors les murs au Faubourg St-Antoine, mais Jean-François Oeben, ébéniste du roi, sera logé à l'Arsenal. Son élève et successeur Jean-Henri Riesener terminera le bureau de Louis XV (Versailles) et habitera aux Gobelins. Protégé par son statut d'étranger, Isaac Mallet, banquier-négociant, descendant de huguenots rouennais émigrés en Suisse fonde à Paris en 1713 la maison Mallet et fréquente la chapelle de Hollande.

Durant cette période dite du "Désert", les "Eglises sous la croix" sont animées dans la clandestinité par des pasteurs itinérants, formés à partir de 1726 au séminaire de Lausanne fondé par Antoine Court, qui réorganise le protestantisme par la convocation de synodes, le respect de la "discipline" calviniste, et donne une nouvelle vigueur au protestantisme. Ce terme d'Eglises sous la croix est associé dans la lunette axiale de la grande sacristie de l'Oratoire à la mémoire des pasteurs arrêtés à Paris dans les années 1689-1692 et qui finirent leurs jours dans des conditions d'isolement draconien dans les geôles du fort de l'Ile Saint-Marguerite, au large de Cannes. Il s'agit de Paul Cardel, Gabriel Maturin, Pierre de Salve de Bruneton, Matthieu de Malzac, Gardien de Givry, Elysée Giraud*.  

Sous Louis XV, les ordonnances et édits sont toujours officiels. Par la déclaration de 1724 l'obligation catholique est imposée "à ceux de la RPR": obligation de faire baptiser les enfants dans les 24 heures dans les églises de paroisse, d'envoyer les enfants dans les écoles et au catéchisme jusqu'à 20 ans, obligation de recevoir le curé pour les malades qui sont menacés de confiscation de leurs biens et de bannissement s'ils recouvrent la santé. Un "certificat de bonne vie et mœurs et de catholicité" permet d'exercer certaines charges et métiers. Les dernières persécutions systématiques cessent en province vers 1752-55 ; à Paris, la présence des ambassades étrangères assure une certaine tranquillité. Les curés sont incités à être plus accommodants pour marier et baptiser les protestants, espérant les faire progressivement rentrer dans le rang. On traque les pasteurs et les assemblées clandestines, mais on ferme les yeux sur le culte familial. On taxe de "jansénistes" les partisans d'une moindre rigueur envers les huguenots.

Les pays protestants du nord de l'Europe connaissent à la fin du XVIIe et au XVIIIes. une prospérité intellectuelle, industrielle et commerciale. Au delà des frontières les savants des académies et universités européennes échangent leurs informations en une "République des Lettres", échappant à l’intolérance religieuse et à la censure. Les ouvrages religieux édités "au Refuge" circulent par les voies du négoce. Les protestants entretiennent des liens avec leurs cousins huguenots exilés, envoient leurs enfants (dès 8 ans) faire leurs études en Suisse, Allemagne, Hollande et Angleterre où ils reçoivent une solide éducation conforme à leurs souhaits et où ils se marient souvent (leur statut est ainsi reconnu, leurs enfants légitimes) avant de revenir et faire prospérer les affaires familiales. Ils contribueront à l'émergence d'une bourgeoisie protestante transnationale de banquiers, négociants et manufacturiers respectés et appréciés pour leur intégrité morale.

Les encyclopédistes ne se préoccupent pas directement du sort des protestants, mais ils reprennent beaucoup d'éléments au Dictionnaire de Pierre Bayle édité en Hollande, et le marquis Louis de Jaucourt, éduqué à Genève, Cambridge et Leyde, resté protestant tout en se pliant aux formalités du mariage et du baptême catholique, fournit un quart des articles de l'Encyclopédie. En 1763, Voltaire émeut l'opinion en publiant son Traité sur la tolérance dénonçant l'erreur judiciaire dont a été victime le protestant toulousain Jean Calas, accusé d'avoir tué son fils, et obtient sa réhabilitation posthume en 1765. Une fille de Calas épousera un chapelain de l'ambassade de Hollande.

Des contacts s'établissent entre les autorités et quelques pasteurs comme le nîmois Paul Rabaut qui vient à Paris en 1755 invité par le prince de Conti. Antoine Court de Gébelin, fils d'Antoine Court, vit ouvertement à Paris de 1763 à sa mort en 1784, considéré comme un des esprits les plus érudits de son temps, économiste, physiocrate, linguiste et membre influent de la franc maçonnerie "illuministe" de la loge des Neuf Sœurs. Le "comité" secret des réformés parisiens craint ses audaces et ne lui délègue pas de pouvoirs lorsqu'il veut faire reconnaître conjointement l'état civil et le culte public. Les protestants sont divisés quant à adopter une stratégie trop offensive, mais les mentalités évoluent en leur faveur. On brasse beaucoup d'idées "éclairées" dans les cercles des salons et des cafés, dont plusieurs sont familiers, comme Jean-Jacques Rousseau.

La guerre d'indépendance américaine est très suivie en France, la déclaration d'Indépendance prônant en 1776 la liberté et l'égalité des hommes particulièrement bien accueillie. Benjamin Franklin en séjour à Paris entre 1776 et 1785 est reçu par toute la communauté scientifique et littéraire parisienne, La Fayette accueilli avec enthousiasme à la cour en 1787.

Louis XVI subit l'influence des Lumières et entreprend des réformes concernant le droit des personnes avec l'abolition de la torture. Il fait appel au financier protestant suisse Necker pour redresser les finances et accorde une subvention à Mme Necker lorsqu'elle fonde l'hôpital de la rue de Sèvres en 1778. Malesherbes publie en 1785 un mémoire sur le mariage des protestants insistant sur la nécessité d'un état civil ; il rencontre des pasteurs chez le marquis de Jaucourt (descendant de Duplessis-Mornay), dont l'hôtel est surnommé "la maison des Huguenots" lors des pourparlers de l'édit de Tolérance.

Edit de Tolérance

Le 7 novembre 1787, Louis XVI signe à Versailles l’édit de Tolérance enregistré par le Parlement le 29 janvier 1788. La religion catholique demeure la religion officielle du royaume de France mais l'édit consacre juridiquement la présence des protestants en leur accordant l'état-civil, et admet l’existence d’un culte privé différent (protestant ou juif) quoique l'exercice du culte public demeure interdit. Il marque la fin officielle des persécutions et l'autorisation d'exercer la plupart les métiers libéraux et du commerce, à l'exclusion de ceux de l'administration et de l'éducation.

L'édit de Tolérance, encore très restrictif, est une première reconnaissance officielle du protestantisme français après un siècle de clandestinité et d'éviction. Les protestants aspirent à ce que leurs droits de citoyens soient pleinement reconnus, à la liberté et à une justice impartiale. A Paris, ils vont s'organiser, faire appel au pasteur Marron, ancien aumônier de la chapelle de Hollande, et louer dès que possible pour leur communauté un "digne" lieu de Culte dans l'église désaffectée Saint-Louis du Louvre. Par ses contacts privilégiés avec l'étranger où le protestantisme s'est développé sans contrainte, une élite protestante bourgeoise a acquis une vision internationale libérale et dynamique. Ces hommes vont participer aux évènements révolutionnaires, rejeter les violences de la Terreur et saisir toutes les opportunités que la reconnaissance juridique leur procurera. Le malheur les a rendus sensibles à l'arbitraire, à l'injustice civique et sociale; dans la prospérité ils prendront soin des défavorisés et feront souvent œuvre de philanthropie.

Christiane Guttinger
extrait du livre du bicentenaire

Sources :

  • Inscriptions de la lunette Sud de la grande sacristie de l'Oratoire.
  • Société d’Histoire du Protestantisme français (SHPF), boites d'archives 006Y
  • Henri Dubief, Jacques POUJOL, La France protestante. Histoire et lieux de mémoire, Les Editions de Paris, 2e édition, 1998.
  • Francis Garrisson, Genèse de l’Eglise réformée de Paris, 1788-1791, BSHPF, n°127, p.25
  • Christian Grand, Trois siècles de banque (de Neuflize, Schlumberger, Mallet) de 1667 à nos jours, Ed. EPA, 1991.
  • Denise Hourticq, Robert Lecomte, Pierre Poujol, Le Paris protestant du XVIe siècle à nos jours, 1959.
  • Emile G. Léonard, Histoire générale du protestantisme, P.U.F. 1988, t.II, chap. 3.
  • Armand LODS, L'Eglise réformée de Paris de la révocation à la révolution, 1685-1789, Paris, Fischbacher, 1889, 16 pages, discours prononcé à l'occasion du centenaire du 1er exercice public du culte protestant à Paris, 7 juin 1789-7 juin 1889..
  • Jacques PANNIER, L’Eglise réformée de Paris sous Henri IV, Honoré Champion, Paris 1911 et Slatkine reprints, Genève 1977
  • Michel-Edmond RICHARD, La vie des protestants français de l'édit de Nantes à la Révolution (1598-1789), Les éditions de Paris, 1994.
  • Philippe Vassaux, De la chapelle de Hollande à l’Oratoire du Louvre, Feuille Rose n°647, 1985.
  • Encyclopédie du protestantisme, Ed. Cerf-Labor et Fides, 1995.
  • Dix-huitième siècle, Le protestantisme français en France, Revue annuelle publiée par la Société française d'Etude du 18e siècle, 1985, tome 17, PUF. Articles de Georges Gusdorf, Daniel Ligou, Jacques Proust, Daniel Robert, John Woodbridge, etc.
  • Musée virtuel du protestantisme : site www.museeprotestant.org

Notes

*  Situé à une centaine de mètres du Louvre, à la hauteur du 136 rue de Rivoli  et non du 144 comme l'indiquait une plaque)

* Chiffre retenu par les historiens pour les victimes à Paris et 10 000 pour la France. Cf. Jouanna, Arlette, La Saint-Barthélemy,

* Dont une grande partie de la famille embrassa le Jansénisme au XVIIes..

* de Bourbon, dite « Madame ».

* Marianne Carbonnier-Burkard, "Les pasteurs français, auteurs d'une littérature d'édification au XVIIe siècle", BSHPF, t. 156/1, 2010, p.37-48.

* Janine Driancourt-Girod, a retrouvé plusieurs de ces registres et par ses recherches révélé tout un pan d'histoire méconnu jusqu'alors et publié : L'insolite histoire des luthériens de Paris, de Louis XIII à Napoléon, Albin Michel, 1992 et Ainsi priaient les luthériens, Cerf, 1992.

*L'ambassade de Suède où un culte est célébré à partir de 1626 sera presque toujours localisée rive gauche entre la rue du Bac et le faubourg St-Germain et le faubourg St-Jacques (à l'Hôtel Cavoye, rue des Saints Pères, en1641-45). Au XVIIIes, l'ambassade du Danemark et sa chapelle où prêchaient des pasteurs germanophones, suivront les résidences de l'ambassadeur rue de Bourbon, au coin de la rue du Bac, rue des Francs-Bourgeois, rue des Petits-Augustins, Place Royale (1763), quai Malaquais (1703-70), quai des Théatins... Au XVIIIe s, l'ambassade de Hollande est rue de Tournon.

* Un "Mémorial Huguenot" a été aménagé dans leurs anciennes cellules. Voir Sylvie Cadier, Libre Sens, Les Musées du protestantisme, réédition 2010.