Se croiser activement les bras

Genèse 48:8-22 , Genèse 49:25-26

Culte du 9 septembre 2012
Prédication de pasteur James Woody

(Genèse 48:8-22 ; 49:25-26)

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Culte du dimanche 9 septembre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, le professeur d’Ancien Testament Françoise Smyth disait que si le Nouveau Testament est une rencontre avec Jésus-Christ, l’Ancien Testament est une rencontre avec l’homme. Voici pourquoi, chers catéchumènes, nous prenons un tel soin à nous plonger dans la lecture de la Bible et que nous ne faisons pas l’impasse sur l’Ancien Testament : cela nous permet de mieux nous connaître, de mieux comprendre ce qu’est la vie et de découvrir comment la rendre encore plus intéressante. L’Ancien Testament est assez touffu, étrange par bien des aspects, pas toujours joli-joli… parce qu’ainsi est la vie.

Ainsi, toute la Genèse est consacrée à des histoires de familles, compliquées –et ce passage biblique ne fait pas exception- parce que la vie, dans une famille, est loin d’être simple, loin d’être tranquille… mieux vaut le savoir, la Bible s’efforce de nous le révéler.

Mais les textes bibliques ne se contentent pas de décrire la vie, de mettre des mots sur ce qu’il nous arrive de vivre… les textes bibliques présentent des situations compliquées, souvent à la limite de la rupture, pour nous aider à trouver des solutions pour les rendre, sinon plus simples, du moins plus vivables.

Avec l’histoire de Joseph, qui se trouve à la fin du livre de la Genèse, à la fin des récits de commencement, nous sommes en droit d’attendre quelques éclaircissements (pas forcément des solutions car la Bible n’est pas un livre de réponse, mais plutôt le livre des bonnes questions qui nous aident à trouver nos propres solutions à des situations qui sont toujours spécifiques). Dans le cas présent, nous sommes au cœur d’une histoire qui aborde la question de la rivalité au sein d’une fratrie. Les frères et sœur de Joseph sont jaloux de lui au point de vouloir s’en débarrasser, de manière radicale. Après de nombreux rebondissements que vous pourrez lire tranquillement chez vous, nous en sommes au tournant de l’histoire : leur père, Jacob, va mourir. C’est donc le moment de gérer le partage de l’héritage. Une succession est toujours une opération extrêmement délicate à réaliser et la source de nouvelles rivalités. Ici, il n’est pas question de partager les biens immobiliers, l’argent, les tableaux, les bijoux de famille et l’argenterie, mais de gérer les relations familiales après la mort du patriarche. Il s’agit de gérer les rivalités et de répartir les rôles des fils après la mort du chef de famille.

Comment Jacob s’y prend-il ? Jacob se croise les bras. Il ne se croise pas les bras pour attendre que ça se passe en donnant du temps au temps… Jacob se croise les bras parce que son avant-dernier fils, Joseph, celui qui est jalousé par ses autres frères et qui a failli en mourir, lui présente ses deux fils, Manassé et Ephraïm.

Ce geste a pour conséquence que Jacob pose sa main droite là où Joseph a lui-même posé sa main droite, et sa main gauche là où Joseph a lui-même posé sa main gauche. Leurs mains respectives sont donc au même endroit. C’est une manière pour Jacob de supprimer le face à face et de se mettre à la même place que son fils Joseph. Il prend sa place et devient le père de ces deux enfants. C’est d’ailleurs ce qui avait été annoncé un peu plus tôt, au quote 5 lorsque Jacob a dit à Joseph que ces deux fils seront à lui. Jacob devient le père de ses petits-enfants. Quel intérêt à cela ? Joseph n’apparaîtra plus dans la question de la succession, puisque Manassé et Ephraïm seront convoqués à sa place. Il n’apparaîtra plus, mais il ne sera pas effacé pour autant dans la mesure où les enfants de Joseph auront leur part d’héritage dans la suite de l’histoire. Le nom de Joseph est effacé, mais sa vie n’est pas supprimée. Jacob met en réserve son fils Joseph afin de le préserver de la rivalité de ses frères sans pour autant lui confisquer son héritage qu’il fait passer directement à la génération suivante. Joseph n’apparaissant plus dans le partage, il n’aura plus à subir la vengeance de ses frères qui étaient jaloux de lui. Autrefois, Caïn avait été protégé de la vengeance en recevant un signe sur son front ; Jacob avait été protégé de la vengeance de son frère Esaü en changeant de nom et en devenant un autre homme, Israël ; cette fois Joseph est protégé en transmettant directement son héritage à la génération suivante. Trois manières de protéger celui qui risque de mourir qui montrent que la Bible n’offre pas un solution unique à un problème, que la Bible n’est pas le livre des solutions, mais que la Bible nous rappelle qu’il est possible de trouver des solutions en cas de problème, des solutions qui sont toujours à inventer. Il y a une sorte d’appel à ne pas considérer comme irrémédiables les solutions compliquées voire désespérées ; un appel à réagir face à la violence, face à la rivalité, qui ne consiste ni à punir ceux qui sont jaloux, ni à liquider ceux qui suscitent la jalousie. C’est une invitation à inventer des solutions qui préservent tous les acteurs d’un conflit.

abolition des privilèges

Mais en croisant les mains de telle sorte qu’il devient le père de Manassé et Ephraïm, Jacob fait plus. En effet, Joseph a voulu simplifier la tâche de son père, en plaçant son premier fils Manassé en face de la main droite de Jacob et Ephraïm, le second, en face de sa main gauche. Comme l’habitude est que la droite est plus honorable que la gauche, la main droite de Jacob pourra être posée sur le fils aîné et la main gauche sur le fils cadet, l’aîné recevant une bénédiction plus honorable que son plus jeune frère. Mais Jacob croise les bras et place sa main droite sur Ephraïm et la gauche sur Manassé, ce qui signifie que ce n’est pas l’aîné qui reçoit la meilleure part. Et c’est ainsi qu’il prononce les bénédictions sur les enfants.

Joseph n’en revient pas. Il pense que son père, en croisant les bras, s’est emmêlé les pinceaux. Il tente de rectifier la situation « pas ainsi, mon père, car celui-ci est le premier-né ; pose ta main droite sur sa tête ». Mais son père insiste et lui rétorque « je sais, je sais ». Jacob sait parfaitement ce qu’il fait. Mais il sait aussi ce que ressent chacun car, plus jeune, il avait lui-même reçu de son père Isaac la bénédiction de l’aîné Esaü, alors qu’il était le cadet. Il y a une forme de répétition. Sans oublier qu’Isaac avait reçu la meilleure part de son père Abraham alors que le premier fils était Ismaël, et que Caïn avait tué son frère cadet parce que ce dernier avait reçu un regard bienveillant de Dieu sur l’offrande qu’il avait faite. L’histoire semble donc se répéter comme un cercle vicieux refermé sur lui-même : ter repetita. Mais Jacob s’est croisé les bras : il y a, certes, une répétition, mais il y a aussi une torsion. C’est comme une bande de papier que l’on referme sur elle-même après l’avoir tordu. Cela met la surface inférieure en contact avec la surface supérieure si bien qu’il n’y a plus un dessus et un dessous, mais une seule surface. C’est ce qu’on appelle une surface de Möbius.

Ce que fait Jacob, c’est une abolition des privilèges, bien avant le 4 août 1789. Car cette fois, il ne s’agit pas de prendre le droit de quelqu’un et de le donner un autre. Il s’agit d’abolir la certitude du premier né d’être supérieur aux suivants. Il met les deux frères sur le même plan, sur la même surface, à égalité. Et ce sont les deux frères qui recevront la bénédiction du patriarche, une bénédiction commune qui va faire date puisque, de nos jours encore, chaque vendredi, dans chaque famille juive, les enfants sont bénis avec cette formule de Jacob : « Que Dieu te rende comme Ephraïm et comme Manassé ». Jacob met Ephraïm avant Manassé pour tordre cette convention qui voudrait que l’aîné dispose de droits supérieurs et établir que tous bénéficient d’une même dignité.

Cela, il va le faire valoir auprès de ses autres fils qu’il va bénir tout au long du chapitre 49, en commençant par Ruben, son premier-né. Il dit à Ruben qu’il a tout pour être l’aîné, le BoKheR, mais qu’il n’excellera pas pour autant, parce qu’il a voulu prendre la place de son père à un moment où il était absent. L’aîné, n’est pas celui qui se prend pour le supérieur des autres. De même que les douze disciples apprendront de Jésus que le plus grand c’est celui qui est le serviteur des autres, les douze enfants de Jacob apprennent que l’aîné, ce n’est pas le premier, le plus fort, le plus grand, mais celui qui fait passer l’autre avant lui. Il n’y a qu’à s’intéresser au mot BoKhER pour s’en rendre compte. L’alphabet hébreu représente aussi bien les lettres que les chiffres. Aleph, c’est la première lettre, mais c’est aussi 1 et ainsi de suite. BoKheR, c’est B 2, Kh 20, R 200… c’est la valse des 2, de ce qui vient après. Cela ne veut pas dire que c’est le deuxième enfant qui est l’aîné, mais celui qui fait passer les autres avant lui, celui qui est capable d’enseigner aux frères de se réunir.

Celui qui a effectivement montré des talents pour réunir ses frères, c’est Joseph, précisément, qui les a tous rassemblés en Egypte. Joseph, dont le nom se construit sur le verbe hébreu ASaPh qui signifie rassembler. C’est pour cela que Jacob va le bénir en disant qu’il est le prince de ses frères. Non pas pour dire qu’il est au dessus d’eux, mais qu’il en est l’aîné, celui qui est capable de les rassembler. L’aînesse n’est pas un droit, mais un devoir ou, plus exactement, une capacité à unir.

C’est donc par Joseph que passe une bénédiction particulière, une bénédiction démesurée (le haut des cieux et le fond de l’abîme)… une bénédiction qui appelle la vie (une bénédiction des mamelles et de l’utérus), une bénédiction qui est l’appel de la vie (le désir des collines éternelles). C’est une bénédiction supérieure à celles des anciens, c’est une bénédiction supérieure à toute bénédiction dont un homme peut avoir l’idée, car c’est la bénédiction divine au sens strict du terme que l’homme est juste capable de transmettre. Ce n’est pas un souhait, ce n’est pas un vœu : c’est l’appel à la vie, l’appel à une vie dégagée des conventions, dégagée des coutumes, dégagée des rivalités, dégagée des jalousies, dégagée des pulsions de mort car, précisément, c’est la vie elle-même qui est là, disponible, à portée de chacun, disponible pour tous, sans avoir à craindre qu’un autre nous en prenne un bout. La vie de famille est d’autant plus mouvementée qu’on a peur que l’autre nous prennent une part de notre vie. Jacob nous révèle que la bénédiction divine nous affirme que rien ni personne ne peut nous séparer de l’appel à la vie manifestée en Joseph qui prépare les sentiers de Jésus.    

Amen

Lecture de la Bible

Genèse 48:8-22

Israël regarda les fils de Joseph, et dit: Qui sont ceux-ci?

9 Joseph répondit à son père: Ce sont mes fils, que Dieu m’a donnés ici. Israël dit: Fais-les, je te prie, approcher de moi, pour que je les bénisse.

10 Les yeux d’Israël étaient appesantis par la vieillesse; il ne pouvait plus voir. Joseph les fit approcher de lui; et Israël leur donna un baiser, et les embrassa.

11 Israël dit à Joseph: Je ne pensais pas revoir ton visage, et voici que Dieu me fait voir même ta postérité.

12 Joseph les retira des genoux de son père, et il se prosterna à terre devant lui.

13 Puis Joseph les prit tous deux, Ephraïm de sa main droite à la gauche d’Israël, et Manassé de sa main gauche à la droite d’Israël, et il les fit approcher de lui.

14 Israël étendit sa main droite et la posa sur la tête d’Ephraïm qui était le plus jeune, et il posa sa main gauche sur la tête de Manassé: ce fut avec intention qu’il posa ses mains ainsi, car Manassé était le premier-né. 15 Il bénit Joseph, et dit: Que le Dieu en présence duquel ont marché mes pères, Abraham et Isaac, que le Dieu qui m’a conduit depuis que j’existe jusqu’à ce jour, 16 que l’ange qui m’a délivré de tout mal, bénisse ces enfants! Qu’ils soient appelés de mon nom et du nom de mes pères, Abraham et Isaac, et qu’ils multiplient en abondance au milieu du pays!

17 Joseph vit avec déplaisir que son père posait sa main droite sur la tête d’Ephraïm; il saisit la main de son père, pour la détourner de dessus la tête d’Ephraïm, et la diriger sur celle de Manassé. 18 Et Joseph dit à son père: Pas ainsi, mon père, car celui-ci est le premier-né; pose ta main droite sur sa tête.

19 Son père refusa, et dit: Je le sais, mon fils, je le sais; lui aussi deviendra un peuple, lui aussi sera grand; mais son frère cadet sera plus grand que lui, et sa postérité deviendra une multitude de nations. 20 Il les bénit ce jour-là, et dit: C’est par toi qu’Israël bénira, en disant: Que Dieu te traite comme Ephraïm et comme Manassé! Et il mit Ephraïm avant Manassé.

21 Israël dit à Joseph: Voici, je vais mourir! Mais Dieu sera avec vous, et il vous fera retourner dans le pays de vos pères. 22 Je te donne, de plus qu’à tes frères, une part que j’ai prise de la main des Amoréens avec mon épée et avec mon arc.

Genèse 49:25, 26

49: 25 C’est l’oeuvre du Dieu de ton père, qui t’aidera; C’est l’oeuvre du Shaddaï, qui te bénira Des bénédictions des cieux en haut, Des bénédictions des eaux en bas, Des bénédictions des mamelles et du sein maternel. 26 Les bénédictions de ton père s’élèvent Au-dessus des bénédictions de mes pères Jusqu’à la cime des antiques collines: Qu’elles soient sur la tête de Joseph, Sur le sommet de la tête du prince de ses frères

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