Une Théologie en deux mots : “ notre-Père celui-dans-les-cieux ”

Matthieu 6:5-9 , Psaume 121 , Actes 17:22-31

Culte du 30 novembre 2008
Prédication de pasteur Marc Pernot

( Matthieu 6:5-9 ; Psaume 121 ; Actes 17:22-31 )

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Culte du 30 novembre 2008 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

Jésus ne nous dit pas tellement qui est Dieu. Il préfère en général dire comment il voit Dieu à travers de curieuses petites histoires. Mais il y a quand même un passage où Jésus nous parle de Dieu. C’est dans cette prière qui a été évoquée dimanche dernier par les pasteurs Gilles Castelnau et Laurent Gagnebin, le « Notre Père ». Dans cette prière, Jésus nous parle de Dieu, il nous en dit exactement deux mots et il y a là l’essentiel, toute une somme théologique. Voilà ce que Jésus nous dit pour nous présenter Dieu, il nous propose de l’appeler : « notre Père qui es aux cieux ». En hébreu, cela ne fait que deux mots : Abinou Chèbachamaïm.

« Notre Père qui es aux cieux », la première chose que l’on doit remarquer, c’est que cette phrase est une prière. C'est ce que l’on peut dire à quelqu’un qui ne sait absolument rien sur Dieu et qui se pose des questions : c'est qu’il est possible de prier Dieu, que l’on peut essayer de s'adresser à lui avant même de savoir qui il est vraiment, ni même s’il existe.

Dieu est quelqu'un à qui l'on peut parler, c'est le premier point important que nous propose ici Jésus. Dieu n’est pas pour lui seulement une idée abstraite, il n’est pas seulement une force qui fait évoluer la nature, il est une personne avec qui l’on peut entrer en relation.

C’est pourquoi Jésus peut se contenter de nous dire deux mots sur Dieu, il définit ainsi une base et, pour le reste, il nous propose de faire l’expérience de Dieu, de s’adresser à lui comme on s’adresse à quelqu’un d’aussi concret et de proche que nos parents.

Il est possible de comprendre cela de différentes façons, et de le vivre à différents niveaux.

C’est déjà bien de s’intéresser à Dieu, même si l’on n’est pas certain qu’il existe comme personne individuelle. C’est déjà bien de chercher quelle est la définition de Dieu qui nous semble la meilleure, car on travaille alors à définir l’idéal, ce vers quoi nous aimerions aller pour devenir meilleurs. Cette idée est contenue dans ce que Jésus nous propose ici en considérant Dieu comme notre Père, c’est-à-dire une version pleinement développée de l’enfant que nous sommes. Il est utile d’avoir ainsi une certaine conception de l’idéal, et il est bon de replacer sa vie chaque jour face à cet idéal, dans une sorte de prière personnelle, intime. C’est déjà bien de chercher Dieu ainsi, mais Jésus nous propose d’aller plus loin.

C’est déjà pas mal non plus de considérer Dieu comme une force, ou une dynamique d’évolution pour l’univers et donc aussi pour nous-mêmes. Cette idée est assez à la mode aujourd’hui, sous influence peut-être de religions orientales. Dans un sens, ce n’est pas faux, à mon avis, et cette idée est contenue dans la notion de Père que nous propose ici Jésus, ou l’apôtre Paul dans sa prédication à Athènes quand il dit qu’en Dieu « nous avons la vie, le mouvement, et l’être, et que nous sommes de sa descendance » (Actes 17:28). C’est déjà bien de s’ouvrir à cette force que l’on peut appeler Dieu, de considérer le monde comme étant en évolution, de se sentir concerné par ce mouvement, et même de se sentir partie prenante de ce mouvement en étant nous-mêmes une source d’évolution positive.

C’est déjà bien de concevoir ainsi Dieu comme un idéal ou une source d’évolution, mais Jésus nous propose à mon avis d’aller plus loin. Il considère Dieu comme une personne à laquelle nous pouvons nous adresser. Une vraie personne qui existe, qui nous écoute et qui réagit à ce que nous lui disons avec sa personnalité, sa propre créativité. Jésus était à mon avis au moins aussi cultivé que Paul, et, comme lui, il aurait pu parler de Dieu en termes théologiques et philosophiques, ce qui nous aurait prodigieusement intéressé. Mais il choisit de frustrer cette attente gourmande, ce sera à nous d’élaborer et de réformer sans cesse l’expression de notre pensée sur Dieu. Jésus nous propose seulement ce point de départ et cette piste de recherche : Dieu est une personne à qui l’on peut s’adresser comme étant « notre Père qui est dans les cieux ». Jésus nous propose de le prier dans le secret de notre chambre, de notre tête et de notre cœur. Inutile de courir à Jérusalem ou au mont Garizim nous dit Jésus (Jean 4:21), il n’est pas plus à Genève à la Mecque qu’à Rome, au temple de Jérusalem que dans les eaux du Gange, de toute façons il est « dans les cieux », c’est-à-dire qu’il est dans une autre dimension. Et il est pourtant si proche que toute personne qui s’isole pour entrer en soi-même est entendue par Dieu, même si notre prière n’était qu’un soupir inexprimable. Il est comme le ciel, il est comme l’air qui est offert à chacun où qu’il soit, pour que nous l’inspirions, pour qu’il nourrisse notre sang, notre vie, notre mouvement et notre être.

Dans ce simple mot de « Père », Jésus nous dit déjà en premier lieu la bienveillance de Dieu pour nous. Il n’est pas comme un Empereur qui honore ou jette en prison selon son bon plaisir. Mais Dieu aime chacun de ses enfants, comme un père idéal le ferait, il aime naturellement, viscéralement, ses enfants parce que chacun d’eux est irremplaçable. Il nourrit son enfant, il l’éduque, lui apprend la vie, il le prépare à travailler avec lui et même à prendre sa succession, comme Joseph a transmis à Jésus son métier de charpentier, et comme Dieu a transmis à Jésus son métier de sauveur.

Dans ce nom de Père que Jésus nous propose ici pour que nous appelions Dieu, il y a une insistance sur la grâce de Dieu. Nous sommes son enfant, c’est ainsi, et rien ni personne ne peut changer cet état de fait, pas même Dieu s’il le voulait. Mais ce qu’il veut, c’est d’être sans cesse plus « notre Père » en nous engendrant chaque jour un peu plus, et c’est ce qu’il advient quand nous nous tournons vers lui dans l’espérance qu’il nous donne d’être à son image.

Et c’est pourquoi la connaissance de Dieu que nous propose Jésus n’est pas seulement un savoir, mais une expérience, celle qui consiste à prier Dieu et à nous laisser jour après jour engendrer par lui et élever comme un Père et une Mère le font pour leur enfant.

Dieu est notre Père, nous dit Jésus et cela nous le rend infiniment proche, comme un papa et son fils se ressemblent, le papa ayant simplement quelques années d’avance sur son fils. En ce sens, Dieu est ainsi ce que nous serons quand nous aurons un peu grandi, un peu vécu. Mais après avoir dit que Dieu est notre Père, Jésus précise aussitôt qu’il est « Celui qui est aux cieux », c’est-à-dire plus haut que nous ne le serons jamais. Comme « Père », Dieu est très semblable à nous et comme « Celui qui est dans les cieux » il est le seul être de son espèce, il est au-dessus de nous et de tout ce qui existe.

Cette tension entre la proximité de Dieu et l’infini de Dieu est fondamentale dans l’Évangile. Dieu est à la fois le créateur du ciel et de la terre et celui qui accompagne individuellement la fourmi que nous sommes. Il est cet infini qui est la source indescriptible de la vie, du mouvement et de l’être, mais il est aussi celui dont nous sommes l’image, celui qui nous engendre, c’est à dire littéralement qui nous crée comme étant du même genre que lui, source nous-mêmes de vie de mouvement et d’être.

Nous, protestants, insistons souvent sur le fait que Dieu est « le tout autre », et pour le respecter, nous faisons sans cesse attention à bien relativiser la portée de notre théologie, de nos sacrements et de notre culte. C’est bien, mais à pousser cela trop loin nous oublions qu’en Christ, Dieu se montre comme l’Emmanuel, « Dieu avec nous » (Matthieu 1 :23), Dieu qui s’incarne dans notre monde, qui agit pour nous et en nous.

Il faut tenir les deux pôles que nous propose ici Jésus :

  • Dieu est à la fois « notre Père », nous sommes du même genre que lui,
  • Et Dieu est « celui qui est au ciel », il est infiniment différent de nous, existant d’une façon unique en son genre comme source de tout ce qui existe de vivant.

La tension entre ces deux pôles est utile, nous pouvons ainsi à la fois :

  • oser entrer en contact avec Dieu sans crainte comme un bébé peut appeler sa maman, sans douter une seconde de son infinie tendresse pour lui, ni de sa vigilance de chaque seconde.
  • mais il est bon aussi de ne pas oublier que Dieu est Dieu, et qu’en le réduisant à quelque chose de trop simple, trop familier, il y a le risque, non pas de le fâcher, mais d’en faire une chose qui ne pourra plus être source de vie et de mouvement pour nous.

Il est une personne à la fois familière et infiniment surprenante.

Mais dans cette prière, Jésus ne nous dit pas d'appeler Dieu « Père », ou « mon Père », mais il nous apprend à dire « notre Père », bien que cette prière soit ici, comme le précise Jésus, la prière d’une personne qui s’est retirée dans la solitude de sa propre chambre.

Dieu est Abinou, « Père-de-nous-tous ». En priant Dieu seul à seul comme nous l'apprend Jésus, et en le reconnaissant comme Père, il y a bien des chances que nous prenions vraiment conscience que les autres humains sont nos frères et sœurs, tous, sans condition, parce que nous avons le même Père. L'auteur du Psaume 121 fait la même expérience. Sentant l’aide de Dieu il se tourne alors vers son prochain et lui dit : ce Dieu-là qui me fait avancer aujourd’hui, il t’aidera toi aussi, je le sais, je le sens, et je veux te le dire à toi : l’Éternel te gardera pour toujours, sans condition.

Abinou : « Père de nous-tous-ensemble ». Dieu nous donne la vie, il est le Père de chaque individu, il est aussi le Père du « nous », le Père de l'humanité en tant que corps, un ensemble où chaque individu, dans son unicité, s’articule de façon miraculeuse avec l’ensemble des autres. Dieu a envoyé Jésus-Christ pour créer une véritable humanité, une humanité qui s'entende et qui travaille ensemble, une humanité qui souffre quand un seul de ses membres souffre et qui se réjouit du bonheur des autres... comme le dit si bien l’apôtre Paul (1 Corinthiens 12).

Avec cette théologie en deux mots seulement, Jésus met bien notre existence en perspective.

  • Dieu est notre Père, il y a donc du divin en nous
  • Dieu est « celui qui est dans les cieux », nous ne sommes pas Dieu, et il a encore à nous apporter.
  • Les autres aussi sont enfants de Dieu, en eux aussi, il y a quelque chose de divin. Ce n’est pas contre eux, mais avec eux que nous sommes avec Dieu.

Là encore, il est bon de tenir un équilibre entre chaque terme, en ne méprisant ni la merveille que nous sommes, ni celle qu’est Dieu, ni celle qu’est notre frère.

Nous savons comme il est tentant de se prendre soi-même comme le nombril du monde, ramenant tout à soi, ou désespéré de la vie quand elle ne ressemble pas à ce que nous voudrions qu’elle soit. Prier Dieu comme un Père qui nous aime et qui est au-dessus de nous est une vraie libération, c’est même plus que cela, c’est une naissance.

Nous savons comme il est tentant de vivre dans le seul monde des idées où tout est pur et sans bassesse. Prier Dieu comme étant le Père de Jésus-Christ nous renvoie à ce monde que Dieu aime et qui a besoin de personnes comme le Christ pour tenter de faire avancer les choses en annonçant et en soignant les gens, en touchant la lèpre des lépreux, en annonçant l’Évangile aux brigands et aux gens bien comme il faut, aux trop religieux et à ceux qui ne le sont pas assez…

Nous savons aussi comme il est tentant de penser que l’humanité pourrait s’en sortir par son seul génie. Ah que cet orgueil est source de folies… En priant Dieu comme Père nous découvrons cette autre dimension de la vie, du mouvement et de l’être, une dimension qui nous met enfin debout : les pieds sur terre, la tête au ciel avec Dieu, et les mains entre les deux, pour servir nos frères et sœurs et pour saisir la main qu’ils nous tendent pour nous secourir.

Amen.

Lecture de la Bible

Matthieu 6:5-9

Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous le dis en vérité, ils ont leur récompense.
6 Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
7 En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés.
8 Ne leur ressemblez pas; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.

9 Voici donc comment vous devez prier: Notre Père qui es aux cieux !

Psaume 121

Psaume des montées.
Je lève mes yeux vers les montagnes... D’où me viendra le secours?
2 Le secours me vient de l’Eternel, Qui a fait les cieux et la terre.
3 Il ne permettra point que ton pied chancelle; Celui qui te garde ne sommeillera point.
4 Voici, il ne sommeille ni ne dort, Celui qui garde Israël.
5 L’Eternel est celui qui te garde, L’Eternel est ton ombre à ta main droite.
6 Pendant le jour le soleil ne te frappera point, Ni la lune pendant la nuit.
7 L’Eternel te gardera de tout mal, Il gardera ton âme;

8 L’Eternel gardera ton départ et ton arrivée, Dès maintenant et à jamais.

Actes 17:22-31

Paul, debout au milieu de l’Aréopage, dit: Hommes Athéniens, je vous trouve à tous égards extrêmement religieux.
23 Car, en parcourant votre ville et en considérant les objets de votre dévotion, j’ai même découvert un autel avec cette inscription: A un dieu inconnu! Ce que vous révérez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce.
24 Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s’y trouve, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite point dans des temples faits de main d’homme;
25 il n’est point servi par des mains humaines, comme s’il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous la vie, la respiration, et toutes choses.
26 Il a fait que tous les hommes, sortis d’un seul sang, habitent sur toute la surface de la terre, ayant déterminé la durée des temps et les bornes de leur demeure;
27 il a voulu qu’ils cherchent le Seigneur, et qu’ils s’efforcent de le trouver en tâtonnant, bien qu’il ne soit pas loin de chacun de nous,
28 car en lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être. C’est ce qu’ont dit aussi quelques-uns de vos poètes: De lui nous sommes la race...
29 Ainsi donc, étant la race de Dieu, nous ne devons pas croire que la divinité soit semblable à de l’or, à de l’argent, ou à de la pierre, sculptés par l’art et l’industrie de l’homme.
30 Dieu, sans tenir compte des temps d’ignorance, annonce maintenant à tous les hommes, en tous lieux, qu’ils ont à se repentir,

31 parce qu’il a fixé un jour où il jugera le monde selon la justice, par l’homme qu’il a désigné, ce dont il a donné à tous une preuve certaine en le ressuscitant des morts...

 

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