Le cœur a de bonnes raisons

1 Rois 3:16-28

Culte du 23 mai 2010
Prédication de pasteur James Woody

( 1 Rois 3:16-28 )

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Culte du dimanche 23 mai 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers  frères et sœurs, au moment où nous accompagnons ces jeunes catéchumènes qui entrent dans la carrière, il est assez intéressant de se pencher sur cette histoire biblique qui met en scène Salomon et d’y trouver la trace de sa vertu cardinale : la sagesse. En effet, ce texte peut être une bonne entrée dans la vie d’adulte car, à l’image de ces catéchumènes, Salomon débute son règne et il accomplit l’un de ses premiers actes publiques avec ce jugement.

Observons d’abord la situation de départ : une maison, deux femmes prostituées, seules, qui donnent chacune naissance à un enfant. Nous sommes là dans une ambiance qui évoque le commerce autour de l’enfance, ces entreprises souterraines qui utilisent des mères porteuses pour vendre des enfants à des parents qui veulent en acquérir. Des femmes louent leur corps pour porter un enfant qui sera ensuite vendu. La situation de départ est déjà douloureuse. Elle se complique encore car l’un des deux enfants meurt et, pour sa mère, il n’y a plus de commerce possible. L’argent qu’elle pouvait espérer disparait. C’est à ce moment que le texte biblique commence, avec l’affaire qui est portée devant Salomon, le roi, qui est chargé de rendre la justice.

Je dis que le texte biblique commence à ce moment-là car nous ne savons pas exactement qui va porter plainte devant Salomon : nous ne sommes pas sûr que la femme qui parle dit la vérité. Souvent, il y a une petite phrase du narrateur pour nous dire comment les choses se sont passées, comment les événements se sont déroulés. Ici, tout commence par le témoignage de la femme qui parle en premier et qui dit que l’autre est la mère de l’enfant mort et qu’elle l’a échangé contre son enfant. Mais rien ne nous permet de confirmer que ce qu’elle dit est vrai. Après tout, l’autre femme, qui dit que ce témoignage est faux, a peut-être raison ? on ne peut exclure que la femme qui porte l’affaire devant le roi ait monté un petit stratagème pour faire croire que l’autre a tué son enfant par inadvertance pendant son sommeil et qu’elle l’a ensuite échangé avec l’enfant encore en vie. La suite du texte ne nous apprendra pas si la première femme a menti ou si elle a dit la vérité.

En tant que lecteur, nous sommes comme Salomon : face à deux femmes qui pourraient être l’une comme l’autre la véritable mère de l’enfant vivant. Comme il n’y a pas de témoin, puisque les femmes étaient seules, et qu’il n’y avait pas la possibilité de recourir à un test ADN, nous sommes face à une situation extraordinairement complexe. C’est le premier enseignement que le texte nous offre : la vie est extraordinairement complexe. Dès lors que nous faisons le choix d’une vie au cœur du monde, dès lors que nous faisons le choix de suivre notre vocation chrétienne qui est d’affronter le réel, de ne pas fuir le quotidien, de ne pas nous réfugier dans un ilot de solitude ou dans un cocon, la vie présente des aspects extraordinairement complexes, tellement complexes qu’ils nous semblent parfois insurmontables. Comment faire la part des choses ? Comment démêler le faux du vrai ? Et, de façon plus générale, comment faire nos choix ? Il ne se passe pas une semaine sans que nous devions choisir entre deux solutions, voire plus, alors que nous avons toutes les peines du monde pour savoir laquelle est la bonne. Quel est le métier qu’il me faut ? Quel est le conjoint que je devrais espérer parmi les possibles qui s’offrent à moi ? Où vivre ? Quelle est la paroisse qui va me permettre de m’édifier spirituellement ?

La vie est extraordinairement complexe et c’est la raison pour laquelle l’Eglise prend soin d’offrir des lieux de réflexion, d’éducation, de partage, de ressourcement… une catéchèse, quoi ! La vie est extraordinairement complexe et c’est la raison pour laquelle il faut s’y préparer avec soin, comme cela, quand vient l’hiver, on se trouve moins dépourvu. Et le pasteur Pernot a plus que raison de dire que nous sommes ici comme dans une salle de musculation : muscler notre vie spirituelle, renforcer notre intelligence de la vie, nous permet de faire face un peu plus facilement à la complexité de la vie. Chers catéchumènes, découvrir ce que nous révèlent les textes bibliques, explorer l’histoire, interroger des témoins de la foi, réfléchir avec des théologiens, discuter de questions d’éthique, développer un regard critique sont autant d’éléments qui vous rendent plus forts et plus efficaces pour votre vie d’adulte, une vie qui ne sera pas simple tous les jours, une vie qui sera parfois très douloureuse mais une vie qui n’est pas une montagne infranchissable : c’est ce que la suite du texte biblique nous apprend.

Dieu nous aide en nous rendant sensibles

En effet, Salomon ne se laisse pas abattre par la situation. Il ne rend pas son tablier, mais cherche et trouve une manière de venir à bout de cet imbroglio. On lui demande de trancher un litige ? Qu’à cela ne tienne ! Qu’on lui apporte une épée et il va trancher dans le vif ! en proposant qu’on coupe l’enfant en deux et qu’on en donne une moitié à chaque femme, Salomon place les deux femmes en face de leur vision de la vie en entrant dans leur propre logique. Rappelons-nous que ces femmes vivent dans une économie où les corps sont à louer ou à vendre. Et Salomon entre dans cette logique là. Salomon rejoint ces femmes dans leur compréhension du monde. Salomon se met à parler leur langage et, comme les apôtres au jour de Pentecôte, il se fait comprendre d’elles. Il commence une négociation sur la base de 50-50 : une moitié pour chacune. Quoi de plus équitable ?

Il y en a une qui accepte le marché. Salomon a bien parlé. Elle y trouve son compte. Un demi vaut mieux que rien du tout. L’autre femme, elle, refuse en bloc. Elle se rend compte que Salomon ne parle pas sa langue, en fait. Elle se rend compte que ce n’est pas la finance qui doit faire la loi dans cette affaire. Quelque chose en elle se met à bouillir dit le texte hébreu. Et le couvercle explose. C’est inadmissible. Ce calcul froid, cette arithmétique est insupportable pour elle. Mieux vaut ne rien gagner, mais que l’enfant ait la vie sauve. Une autre langue surgit du cœur de cette femme : c’est la langue de l’émotion ; ce sont les sentiments qui parlent. Ce sont peut-être les neuf mois de grossesse qui prennent la parole et qui, en lieu et place de partage lui font préférer le don. Cette femme dont Salomon va dire qu’elle est la mère, considère qu’il lui importe moins d’avoir l’enfant ou un bout d’enfant que de savoir que l’enfant puisse être en vie. Au vocabulaire de l’avoir, elle oppose le vocabulaire de l’être. Non, cet enfant n’est pas une chose qu’on peut se partager ; ce n’est pas une chose qui peut devenir l’objet d’un marchandage. Cet enfant est un être vivant dont il faut préserver l’intégrité pour prolonger le don de la vie qui lui a été fait.

Ce que nous constatons, c’est que la parole de Salomon a déclenché une prise de conscience chez cette femme qui se découvre capable d’une autre logique que la logique du calcul. C’est comme si la parole de Salomon avait réveillé en elle quelque chose qui avait été anesthésié. Salomon, dont le narrateur explique qu’il était rempli de la sagesse de Dieu ou, pour le dire autrement, qu’il était animé par l’Esprit de Dieu, est donc parvenu à ressusciter en cette femme une sensibilité jusque là peut-être enfouie, peut-être tue, peut-être oubliée, une sensibilité qui lui fait prendre conscience de ce qui est en train de se passer. A vrai dire, c’est cette sensibilité qui fait la différence et qui va conduire Salomon à lui confier l’enfant. C’est cette émotion qui est décisive pour que la maternité de la femme se révèle et c’est par cette émotion que Salomon sera reconnu comme animé par la sagesse de Dieu.

L’émotion fait donc partie intégrante de l’humanité telle que Dieu la conçoit. L’émotion semble même être le lieu de notre être où se reconnaît ce que Dieu suscite. Alors que certains pensent que l’émotion, le fait d’être sensible, parasite les capacités de jugement, ce texte biblique souligne à quel point l’émotion peut être une garantie d’un jugement qui fait honneur à l’humanité que Dieu s’efforce de bâtir. Allons plus loin. Des études cliniques menées sur des personnes blessées au cerveau, par exemple un chef de chantier dont le cerveau a été traversé par une barre de fer sans même qu’il perde connaissance, et qui a conservé toutes ses facultés motrices, a commencé à avoir un comportement social aberrant, devenant grossier, imprévisible dans ses décisions, apparemment incapable de prendre une décision réfléchie. Ces études cliniques ont montré que toutes ces personnes, en fait, ne ressentaient plus d’émotions, qu’elles envisageaient la vie sur un mode neutre et qu’elles devenaient facilement capables de blesser et de causer du tort aux autres. Cela signifie que, loin de perturber le raisonnement, l’émotion fait partie du raisonnement. C’est ce qui explique que la justice, contrairement à l’idée que certains s’en font, n’est ni sourde ni aveugle. En France, en tout cas, la justice n’est pas rendue de façon neutre, en appliquant de manière mécanique un barème de peines en fonction du délit ou du crime commis. On s’intéresse aux antécédents du coupable, aux circonstances, à sa personnalité.

Cette page de l’Ancien Testament nous apprend que Dieu ne crée pas une humanité qui s’apparenterait à une armée d’automates mais qu’il crée au cœur de l’être humain une sensibilité qui est décisive pour l’épanouissement de tous. C’est la raison pour laquelle, en ce qui vous concerne, chers catéchumènes, l’éducation spirituelle ne pourrait se réduire à l’apprentissage d’une somme d’informations. Ce n’est pas parce qu’on connaîtrait la Bible par cœur qu’on serait un bon chrétien. Ce que nous appelons la foi est bien autre chose qu’une liste de chose à savoir : c’est ce lien de confiance que Dieu tisse avec chacun d’entre nous et qui, justement, nous rend sensible à tous les aspects de la vie. Cela explique, par exemple, que lorsque nous prions Dieu pour la beauté d’un paysage, pour des oiseaux qui chantent, pour ceci ou pour cela, ce n’est pas pour le remercier de l’avoir fait (sinon il faudrait aussi le remercier pour les violences, les tempêtes, les tâches de gras et tout le reste). Nous remercions Dieu de nous rendre suffisamment sensibles pour éprouver de la joie face au spectacle de la nature, du bonheur à voir des enfants jouer, de l’émerveillement face à une adorable maison, de même que nous le remercions de nous rendre suffisamment sensibles pour nous indigner face à l’injustice, là où on ne pourrait avoir que de l’indifférence.

Salomon témoigne de Dieu qui s’efforce de nous sortir de nos léthargies, de nous réveiller de nos anesthésies, de nous soigner de nos autismes en suscitant une forte sensibilité à tout ce qui fait notre monde, et en ressuscitant notre capacité d’émotion. Oui, du point de vue de Dieu, le cœur a ses raisons que la raison ferait bien de ne pas ignorer.

Amen.

Lecture de la Bible

1 Rois 3:16-28

Deux femmes prostituées vinrent chez le roi, et se présentèrent devant lui.

17 L’une des femmes dit: Pardon! mon seigneur, moi et cette femme nous demeurions dans la même maison, et j’ai accouché près d’elle dans la maison. 18 Trois jours après, cette femme a aussi accouché. Nous habitions ensemble, aucun étranger n’était avec nous dans la maison, il n’y avait que nous deux. 19 Le fils de cette femme est mort pendant la nuit, parce qu’elle s’était couchée sur lui. 20 Elle s’est levée au milieu de la nuit, elle a pris mon fils à mes côtés tandis que ta servante dormait, et elle l’a couché dans son sein; et son fils qui était mort, elle l’a couché dans mon sein. 21 Le matin, je me suis levée pour allaiter mon fils; et voici, il était mort. Je l’ai regardé attentivement le matin; et voici, ce n’était pas mon fils que j’avais enfanté.

22 L’autre femme dit: Au contraire! c’est mon fils qui est vivant, et c’est ton fils qui est mort. Mais la première répliqua: Nullement! C’est ton fils qui est mort, et c’est mon fils qui est vivant. C’est ainsi qu’elles parlèrent devant le roi.

23 Le roi dit: L’une dit: C’est mon fils qui est vivant, et c’est ton fils qui est mort; et l’autre dit: Nullement! c’est ton fils qui est mort, et c’est mon fils qui est vivant.

24 Puis il ajouta: Apportez-moi une épée. On apporta une épée devant le roi. 25 Et le roi dit: Coupez en deux l’enfant qui vit, et donnez-en la moitié à l’une et la moitié à l’autre.

26 Alors la femme dont le fils était vivant sentit ses entrailles s’émouvoir pour son fils, et elle dit au roi: Ah! mon seigneur, donnez-lui l’enfant qui vit, et ne le faites point mourir. Mais l’autre dit: Il ne sera ni à moi ni à toi; coupez-le!

27 Et le roi, prenant la parole, dit: Donnez à la première l’enfant qui vit, et ne le faites point mourir. C’est elle qui est sa mère.

28 Tout Israël apprit le jugement que le roi avait prononcé. Et l’on craignit le roi, car on vit que la sagesse de Dieu était en lui pour le diriger dans ses jugements.

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