Le Christ en enfer
1 Pierre 3:18-22
Culte du 29 juillet 2012
Prédication de pasteur James Woody
(1 Pierre 3:18-22)
(écouter l'enregistrement) (voir la vidéo)
Culte du dimanche 29 juillet 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, nous faut commencer par une mise au point de vocabulaire afin que nous nous comprenions bien au sujet du « symbolique » auquel je vais faire référence. Dans le langage courant, est symbolique quelque chose qui n’a pas beaucoup de valeur, qui est presque insignifiant. Lorsqu’on parle d’une mesure symbolique, c’est pour désigner une décision qui n’engage pas beaucoup notre responsabilité, qui ne nécessite pas beaucoup de moyens et qui n’aura pas beaucoup d’effet. Mais le symbolique, qui utilise le symbole, peut avoir un autre sens dans une perspective philosophique, psychanalytique et théologique. Le symbolique, c’est ce qui permet d’exprimer l’indicible, c’est ce qui désigne indirectement un aspect de la vie qui échappe à nos sens, ce qui parle des dimensions non matérielles de notre quotidien. Dire qu’un individu est un être symbolique, cela ne veut pas dire qu’il soit insignifiant, l’égal de la buée, mais qu’il a une vie au-delà des apparences, au-delà de ce qui est donné à voir, à entendre, à toucher… Cela peut aller jusqu’à considérer les symboles, dans le domaine religieux, comme des épiphanies du divin (Creuzer, 1810).
Sur le plan linguistique, il faut aussi faire quelques précisions qui, à nouveau, ne constituent pas la définition du symbole, mais qui explicitent la manière dont je vais utiliser la notion de symbole. Les symboles nous font penser à des images qui renvoient à une autre réalité, par exemple une institution comme la justice lorsqu’on voit le dessin d’une balance avec deux plateaux. La faucille et le marteau parlaient du communisme. Il y a aussi les symboles mathématiques comme le trait qui renvoie à la soustraction. En parlant de symbole, ce n’est pas de cela dont je parlerai, considérant ces dessins comme des icones, des signes qui nous mettent sur la piste de quelque chose. De la même manière, Marylin Monroe peut-être du côté de l’icône, plutôt que du symbole, alors qu’on parle d’elle comme d’un sex symbol. Je parlerai du symbole comme le fait le spécialiste des signes Umberto Eco, en disant que c’est un signe vague, qui n’est pas seulement une forme (signifiant) et un contenu (signifié), mais qui offre une épaisseur de sens parce qu’il met une collection de textes en relation les uns avec les autres. C’est pour cela qu’un symbole donne à penser, c’est parce qu’il renvoie à des textes écrits ou des discours, à des références historiques, à des traditions d’interprétation, à des idées personnelles (des représentations personnelles de ce que le symbole tente d’exprimer). Ainsi, lorsque je vais dire que la croix est un symbole, ce ne sera pas pour dire que ce sont de barres perpendiculaires (signifiant) et un supplice ou le christianisme (signifié).
Ces précisions très rapides étant faites, lançons-nous dans ce texte pour suivre le mouvement imprimé par Pierre qui nous fait séjourner parmi les morts avant de nous faire ressusciter.
Le texte dit qu’une fois mis à mort, le Christ a prêché aux esprits en prison, ceux qui n’ont pas profité de l’arche de Noé et qui sont donc morts pendant le déluge. Nous avons dans ces quotes une avalanche de symboles (péché, Dieu, esprits en prison, arche de Noé, eau) qui sont mis en relation pour produire un nouveau symbole : ce texte. Ce sont les esprits en prison qui nous sont les moins familiers. La chronologie des faits montre que le Christ les rencontre après sa mort ; il s’agit donc, a priori, de défunts. Cette hypothèse est confirmée ensuite par l’indication que ces personnes sont les incrédules qui ont succombé au déluge. Le déluge n’est pas un fait historique, au sens d’un événement qui aurait eu lieu à un moment donné de l’histoire et qui se serait déroulé selon le récit du livre de la Genèse (6-9). Par conséquent, la rencontre du Christ avec ces morts n’est pas non plus un événement historique qui aurait eu lieu matériellement. En disant que Jésus a prêché à ces morts, il faut donc abandonner les images d’un cadavre réanimé discutant avec d’autres cadavres décomposés et réanimés. Pierre met en relation la prédication du Christ avec des individus morts à cause de leur incrédulité : il compose un symbole. C’est le symbole de l’Evangile adressé à des mortels au sujet desquels il est dit que leur condition est semblable à celle de prisonniers, ce qui correspond bien à l’image biblique de la mort comme d’une ligature : être mort, c’est être ligoté comme Lazare avec ses bandelettes (Jn 11), c’est être dans l’incapacité de se mouvoir, d’avancer dans la vie ; c’est être prisonnier, incapable de créer quoi que ce soit. Les « esprits en prison » sont les personnes dont la capacité d’être en relation avec autre chose qu’eux-mêmes est empêchée (l’esprit, le souffle, le vent, c’est ce qui relie dans la perspective biblique). Il y a d’un côté l’esprit vivant du Christ et de l’autre l’esprit en prison des humains, le texte précisant que le corps de Jésus est mort.
La tradition a parlé de Jésus descendu aux enfers. Qu’est-il donc allé faire dans cette galère, peut-on se demander ? Le texte nous répond en construisant un symbole qui donne à penser : la croix. La croix cesse d’être un supplice et devient une occasion de s’interroger sur le sens de la vie de Jésus. Pierre utilise la mort de Jésus comme une expérience à partir de laquelle il veut nous faire comprendre que le Christ nous a rejoints au cœur de notre humanité, au plus intime de notre condition : la mort, qui symbolise l’être humain. Si Pierre avait été Baudelaire, il aurait pu écrire : « Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;/ Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !/ J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres/ Le bois retentissant sur le pavé des cours./ Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,/ Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,/Et comme le soleil dans son enfer polaire,/ Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé./ »
Pierre exprime que le Christ est le symbole de l’homme dans son entière humanité, jusque dans ses aspects les plus terribles, les plus angoissants. Pierre nous révèle que le Christ met à jour ce que Baudelaire appelle le spleen : « quand un ciel bas et lourd pèse comme un couvercle/ Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,/ Et que de l’horizon embrassant tout le cercle/ Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ; » La croix est le symbole qui dit la capacité du Christ à mettre à nu notre humanité pour que nous nous découvrions par ce que les pasteurs nommaient il y a un siècle, la contemplation de la croix. Là où certains voudraient y voir une attitude morbide, nous pouvons entendre l’effort pour libérer notre profonde humanité de toute forme de captivité. Le Christ est le symbole de notre humanité révélée, la croix intensifie cette expérience (et provoque la déclaration d’un romain qui se tient aux pieds de Jésus). Le Christ est symbole qui nous permet de dire, nous aussi, « j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ».
Résurrection
A quoi bon cette descente dans le séjour des morts ? à quoi bon cette « saison en enfer » ? Pour la raison que Baudelaire évoque par un trait qu’il qualifie lui-même d’orgueil : « j’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or ». Il plonge dans la boue, en enfer, dans les entrailles du malheur, pour relever l’être, pour ressusciter la vie… il plonge dans le mal pour y chercher des fleurs dira Yves Florenne. La contemplation du Christ, ce n’est pas l’adoration d’une icône mais l’exploration d’un symbole qui nous aide à penser notre existence. Contempler le Christ, c’est dire « j’aime, ô pâle beauté, tes sourcils surbaissés,/ D’où semblent couler les ténèbres ;/ Tes yeux, quoique très noirs, m’inspirent des pensers/ qui ne sont pas du tout funèbres. » C’est l’expérience d’un plus à vivre qu’il n’y paraît, d’un plus à espérer qu’il n’y paraît. Cette fois, disons-le avec Rimbaud, nous avons la possibilité d’être des « voleurs de feu », et, après avoir déchiffré l’humain jusqu’à sa plus petite articulation, jusqu'au dérèglement du moindre de ses sens, nous pouvons faire l’expérience du psalmiste qui est descendu dans les profondeurs de l’être et nous écrier : « Enfin, ô bonheur, ô raison, j’écartai du ciel l’azur, qui est du noir, et je vécus, étincelle d’or de la lumière nature. De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible : Elle est retrouvée !/ Quoi ? l’éternité./ C’est la mer mêlée/ Au soleil./ Mon âme éternelle,/ Observe ton vœu/ Malgré la nuit seule/ et le jour en feu. »
Le symbole fait son œuvre « d’épiphanie du divin ». Et Pierre raconte à nouveau Noël par l’eau qui est celle du baptême non pas donné pour le pardon des péchés comme Jean le Baptiste, mais « pour l’engagement d’une bonne conscience en Dieu », c’est-à-dire de la divinisation de l’homme, au sens de Nicolas Berdiaev. A nouveau le symbole de Bethléem, non pas pour recommencer l’histoire, mais pour que nous, nous la commencions, quitte à reprendre les mots de l’homme aux semelles de vents : « Aujourd’hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C’était bien l’enfer ; l’ancien, celui dont le fils de l’homme ouvrit les portes. Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l’étoile d’argent, toujours, sans que s’émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le cœur, l’âme, l’esprit. Quand irons-nous, par delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer –les premiers !- Noël sur la terre ! »
Oui, l’Evangile nous est adressé pour que nous ouvrions les yeux sur un excès de réalité, sur une réalité augmentée, à laquelle il nous rend sensible comme le poète et qui nous fait vivre, et qui nous fait agir, qui nous rend poète, agissant, entreprenant. Le Christ vide tout enfer de sa substance et nous permet de réinvestir notre être symbolique. Le symbole donne à penser, penser notre condition, pas toujours très reluisante mais fondamentalement agréée par l’Eternel qui nous libère des prisons auxquelles nous sommes attachées, qui nous sauve de nos angoisses, et nous permet d’affirmer : « cela s’est passé. Je sais aujourd’hui saluer la beauté. »
Amen
Lecture de la Bible
1 Pierre 3:18-22
Christ aussi a souffert une fois pour les péchés, lui juste pour des injustes, afin de nous amener à Dieu; il a été mis à mort quant à la chair, et rendu vivant quant à l’Esprit, 19 dans lequel aussi il est allé prêcher aux esprits en prison, 20 qui autrefois avaient été incrédules, lorsque la patience de Dieu se prolongeait, aux jours de Noé, pendant la construction de l’arche, dans laquelle un petit nombre de personnes, c’est-à-dire huit, furent sauvées à travers l’eau.
21 Cette eau était une figure du baptême, qui n’est pas la purification des souillures du corps, mais l’engagement d’une bonne conscience envers Dieu, et qui maintenant vous sauve, vous aussi, par la résurrection de Jésus-Christ; 22 il est à la droite de Dieu, depuis qu’il est allé au ciel, et que les anges, les autorités et les puissances lui ont été soumis.