Laissez-faire

2 Samuel 16:5-14

Culte du 23 février 2014
Prédication de pasteur James Woody

( 2 Samuel 16:5-14 )

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Culte du dimanche 23 février 2014 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, à Colbert qui lui demandait comment le gouvernement interventionniste de Louis XIV pouvait aider le commerce, le marchand Legendre répondit tout simplement : « Laissez-nous faire ! » A sa suite, Turgot, Jean-Baptiste Say et d’autres développèrent ce que le protestant Benjamin Constant, au XIXème, résuma dans cette formule : « Pour la pensée, pour l’éducation, pour l’industrie, la devise du gouvernement doit être : laissez faire et laissez passer. » Bien avant eux, David, le roi David, avait dit à ses conseillers de l’époque : « laissez », « laissez-le et qu’il maudisse » (v. 11).

Laissez-faire. Curieuse expression dans la bouche de David qui n’est pas réputé pour être un tendre laxiste, mais plutôt un chef de guerre qui ne craignait pas de laisser des centaines de morts sur les champs de bataille, du moins selon ce qu’en disent les récits des livres de Samuel. C’est donc ce même personnage qui, maudit et caillassé, ne trouve rien de mieux à dire que « laissez-le ». Propos inouï dans notre France qui ne laisse pas impuni les outrages au président de la république, ni même aux forces de l’ordre. Propos inouï au regard d’une actualité qui ne cesse de nous déverser des images de milliers de Chimeï qui se rassemblent aux mêmes cris de « tsé tsé », ce qui se traduit de manière plus ou moins crue par « sors, va-t-en, dehors, casse-toi » et qui, eux, font face à une sévère répression.

David est donc un souverain qui refuse de faire taire l’opposition. David est un souverain qui refuse de couper la tête à la contestation. Il laisse faire, il laisse dire, il laisse passer Chimeï. Mieux que cela, il l’écoute, faisant droit à ce que signifie chimeï en hébreu : « écoute », justement. Autrement dit, il le prend au sérieux. Voilà l’intérêt majeur du laissez-faire : prendre les individus au sérieux et leur permettre de faire valoir leur génie propre. Le roi David va jusqu’à suggérer que c’est Dieu qui a demandé à Chimeï d’agir de la sorte. Cet homme, contestataire, agirait au nom même de Dieu, selon la volonté de Dieu. Laissez-faire, signifie alors : laissez cet homme agir selon ce que Dieu lui ordonne.

David reconnaît dans cet homme la possibilité d’une action qui puise sa raison d’être en Dieu. Autrement dit, David, qui s’y connaît en matière de religion puisqu’il est messie de Dieu, ou christ si nous le disons en grec, puisqu’il a reçu l’onction de Dieu, David discerne une attitude religieuse chez cet homme. Nous pourrions dire que David repère un sentiment religieux, que Benjamin Constant caractérise ainsi : « un désir confus de quelque chose de meilleur que ce que nous connaissons (…). Le sentiment religieux est la réponse à ce cri de l’âme que nul ne fait taire, à cet élan vers l’inconnu, vers l’infini, que nul ne parvient à dompter entièrement, de quelques distractions qu’il s’entoure, avec quelque habilité qu’il s’étourdisse ou qu’il se dégrade. » (De la religion, p. 50) Il y a chez Chimeï ce devoir impérieux de faire entendre à David une autre voix que la sienne, une autre voix que celle dont l’abreuvent ses conseillers. C’est la voix du prophète, c’est la voix de l’homme aux prises avec la vie, c’est la voix de l’homme que la liberté appelle à l’action. Et David fait droit à cette voix, il la laisse passer jusqu’à lui. Il laisse l’homme faire entendre que David a un cœur de pierre et que sa conduite ne provoque que malédiction sur le chemin qu’il emprunte. En laissant faire, David permet à la vérité de frayer son propre chemin jusqu’à lui. En d’autres circonstances, en d’autres lieux et d’autres époques, un souverain, un chef, un dirigeant qui laisse faire, offre à quelqu’un la possibilité de faire valoir son aspiration à la transcendance, son désir de progression, ca capacité de perfectibilité. Là, David atteste que l’ancrage en Dieu, la foi, le sentiment religieux, sont constitutifs de son action politique, parce que l’action politique, comme tous les aspects de notre vie, jusque dans l’acte le plus anodin, n’a pas lieu de se priver du goût de l’infini, de la transcendance, dont le sentiment religieux est le nom. S’il n’est pas très recommandé de nos jours de dire qu’on agit au nom de Dieu en s’engageant en politique, en accomplissant sa tâche de secrétaire, en remplissant sa fonction de professeur, en exerçant ses responsabilités de magistrat etc. Edouard Laboulaye, en 1863, écrivait : « laissez faire, laissez chaque homme user honnêtement, et comme il l’entendra, des facultés qu’il a reçues de Dieu. »

Laissez-faire vs laisser-faire

Pour autant, ne considérons pas qu’il conviendrait de devenir des intégristes tant et si mal que laissez faire deviendrait tout laisser faire. Il convient d’ailleurs de distinguer la formule à l’impératif qui convoque l’action, l’engagement et la formule à l’infinitif qui marque la passivité. L’impératif « laissez faire » n’est pas un laisser-aller, un laisser-faire n’importe quoi. David ne laisse pas son fils Absalom lui prendre tranquillement le trône et la vie. David ne restera pas sans défense, sans réaction, et sans faire engager la bataille. David montre qu’en laissant faire Chimeï il ne laisse pas le champ libre à des forces mécaniques sans âme. Il repère chez Chimeï un sentiment religieux qui l’anime, mais il repère chez Absalom la soif du pouvoir et le comportement de David ne sera donc pas le même dans les deux cas. De même, quand David refuse qu’on lui apporte la tête de Chimeï, ce n’est pas au nom d’un laxisme sans borne. Selon le texte biblique, David n’a pas été spécialement laxiste avec Goliath qu’il avait terrassé avec une pierre, justement, avant de lui couper la tête. Ceci pour dire que David distingue entre action de Dieu et action criminelle, entre action qui cherche à améliorer ce qui doit l’être pour le bien de tous et action qui n’est dictée que par un intérêt égoïste qui cherche à s’accomplir aux dépens de la justice ou des personnes. Chimeï est porteur d’un message, d’une idée, d’une certaine idée de la justice, de la morale, du rapport entre les hommes : tuer Chimeï, ce ne serait pas défendre une idée, ce serait tuer un homme. Dans le cas d’Absalom, nous sommes en présence d’une mécanique sans âme qui n’a que trop longtemps attendu la passation de pouvoir et qui fomente un coup d’Etat pour son intérêt personnel après avoir encouragé un phénomène de cour.

Le laisser-faire consisterait à n’avoir que de l’indifférence pour toute chose. Cela consisterait à ne dégager aucune priorité, à ne rien mettre en perspective, à ne se sentir impliqué en rien, à n’avoir ni passion, ni désir, ni sens moral. Ce laisser-faire là, c’est s’abstenir d’exercer sa responsabilité d’être un rempart contre l’inhumain. C’est un boulevard grand ouvert à la violence du plus fort. Ce genre de laisser-faire est une dérégulation de l’histoire, plus personne n’exerçant son esprit critique, les vertus étant ravalées au rang de souvenirs. Au contraire, l’impératif « laissez faire » consiste à donner les moyens, à garantir la liberté pour que chaque individu puisse choisir comment il veut coopérer avec les autres membres de la société ; c’est permettre à l’homme ordinaire de choisir et d’agir (Ludwig von Mises). Il y a des Chimeï, il y a des Absalom, parfois certains fréquentent les mêmes places, ont les mêmes slogans, lancent les mêmes pierres, mais n’ont ni les mêmes motivations, ni les mêmes objectifs. Une chose est de se tenir place Tahir, au Maidan ou dans un centre-ville de France, une autre est d’être animé par la passion de la justice, de la fraternité, le souci du plus petit, du plus fragile, ou l’amour de la liberté, car il est manifeste que l’homme soit capable d’être animé par un égoïsme qui ignore tout du bien commun, qui n’ambitionne rien d’autre que de se servir sans limite pour un profit maximal, ou faire valoir des intérêt de caste, des privilèges ou une vision étriquée de la société.

Laissez faire ce qui coopère à la vie véritable

« Laissez-le et qu’il maudisse, car l’Eternel le lui a dit » professe David qui perçoit dans l’attitude de Chimeï les signes d’une passion désintéressée pour la vie véritable. « Peut-être l’Eternel regarde-t-il ma peine et fera-t-il revenir pour moi ce qui est vivable à la place de la malédiction de ce jour ? » se demande David, dans la foulée. David n’agit pas ici en désespoir de cause comme quelqu’un qui, souffrant d’une maladie qu’aucune médecine ne parvient à guérir, s’en remet au premier venu. David parle comme un croyant qui, sans prétendre avoir une quelconque maîtrise sur le cours de l’histoire (oulaï/peut-être), interprète les signes des temps pour y lire les promesses qu’ils portent en eux. Chimeï fait signe vers un autre ordre du monde, un autre fonctionnement de la société dans laquelle il vit et David est sensible à ces signes ; il perçoit qu’une vérité qui jusque là lui échappait est contenue dans l’énergie insolente que déploie l’homme de la tribu de Benjamin qui n’est qu’un chien mort aux yeux des non-croyants qui entourent David et le conseillent aussi mal que tous les assoiffés de pouvoir qui caressent toujours la majesté dans le sens du poil en étouffant tout sentiment religieux, en taisant les rêves qu’inspirent le frisson de l’infini. C’est Dominique de Villepin qui raconte que lorsqu’il a rencontré Jacques Chirac pour la première fois, c’était à l’occasion de la préparation d’un discours international où il n’avait pas ménagé ses critiques. Jacques Chirac a compris le message, dit-il : son but était de servir, y compris en prenant le risque de ne pas être orthodoxe. « Servir n’est jamais flatter. La question du courtisan est : « que veut entendre le pouvoir ? » La question du serviteur de l’Etat est : « quel est l’intérêt général ? » » (Seul le devoir nous rendra libre, p. 19).

David, en laissant Chimeï libre de s’exprimer, il le laisse libre de transmettre son intuition de la transcendance et donc de la vie véritable. David laisse Chimeï libre de faire voler la poussière des premiers jours, cette poussière de la création à partir de laquelle le rédacteur de la Genèse disait que l’Eternel pouvait susciter une humanité capable de prendre en charge le destin de notre bonne vieille terre. L’homme parle et comme si cela ne suffisait pas, il fait crier les pierres, et il fait de la poussière tout au long du chemin de David. L’homme parle. Il est dit qu’il maudit. Mais revenons un instant sur cette soi-disant malédiction. « Sors, sors, sanguinaire, vaurien. » A cela s’ajoute le fait que David est déclaré responsable du sang que qu’il a fait couler. Cela est-il vraiment une malédiction ? N’est-ce pas plutôt une grâce qui est faite à David en forme d’exorcisme et de restauration de sa dignité ? Chimeï est ici la voix divine qui lance à David que l’homme sanguinaire et que l’homme vaurien peuvent partir et laisser le David humain, celui qui calme les tourments par sa musique, celui qui protège le troupeau des dangers, celui qui peut être l’incarnation véritable de la vie authentique. Chimeï maudit-il David ou lui permet-il de transcender sa condition du jour pour accéder à son être véritable, lorsque nous sommes une nephech, une âme, comme cela sera dit de lui au quote 14 ? Chimeï maudit-il David ou, en le rendant responsable de ce qu’il a fait, lui donne-t-il l’occasion d’être un homme adulte, qui répond de ses actes, de ses propos, de ses choix, un homme profondément libre, donc.

David, en laissant faire Chimeï, engage un cercle vertueux ou la liberté d’action de Chimeï lui permet de donner toute la démesure que lui inspire son sentiment religieux, son intuition de ce qu’est l’humanité en marche vers une plus grande humanité. En étant libre d’agir selon la conscience qu’il avait d’être appelé à forger un monde plus vivable, meilleur, Chimeï a contribué à offrir à David les moyens de sa rédemption, d’être à nouveau une âme vibrante après ce temps d’exténuation. Cet impératif laissez-faire est la possibilité offerte à quiconque d’agir, de prononcer un mot, une phrase qui, pour quelqu’un, déclenchera peut-être le bonheur.

Amen

Lecture de la Bible

2 Samuel 16:5-14

David était arrivé jusqu’à Bachurim. Et voici, il sortit de là un homme de la famille et de la maison de Saül, nommé Schimeï, fils de Guéra. Il s’avança en prononçant des malédictions, 6 et il jeta des pierres à David et à tous les serviteurs du roi David, tandis que tout le peuple et tous les hommes vaillants étaient à la droite et à la gauche du roi. 7 Schimeï parlait ainsi en le maudissant: Va-t’en, va-t’en, homme de sang, méchant homme! 8 L’Eternel fait retomber sur toi tout le sang de la maison de Saül, dont tu occupais le trône, et l’Eternel a livré le royaume entre les mains d’Absalom, ton fils; et te voilà malheureux comme tu le mérites, car tu es un homme de sang!

9 Alors Abischaï, fils de Tseruja, dit au roi: Pourquoi ce chien mort maudit-il le roi mon seigneur? Laisse-moi, je te prie, aller lui couper la tête.

10 Mais le roi dit: Qu’ai-je affaire avec vous, fils de Tseruja? S’il maudit, c’est que l’Eternel lui a dit: Maudis David! Qui donc lui dira: Pourquoi agis-tu ainsi?

11 Et David dit à Abischaï et à tous ses serviteurs: Voici, mon fils, qui est sorti de mes entrailles, en veut à ma vie; à plus forte raison ce Benjamite! Laissez-le, et qu’il maudisse, car l’Eternel le lui a dit. 12 Peut-être l’Eternel regardera-t-il mon affliction, et me fera-t-il du bien en retour des malédictions d’aujourd’hui.

13 David et ses gens continuèrent leur chemin. Et Schimeï marchait sur le flanc de la montagne près de David, et, en marchant, il maudissait, il jetait des pierres contre lui, il faisait voler la poussière. 14 Le roi et tout le peuple qui était avec lui arrivèrent à Ajephim, et là ils se reposèrent.

Traduction NEG

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