L'Avent : accompagnés et accompagnants

Ésaïe 60:1-2 , Jean 14:6 , Luc 3:4-6 , Philippiens 1: 9-11

Culte du 9 décembre 2012
Prédication de pasteur Marcel Manoël

(Ésaïe 60:1-2 ; Jean 14:6 ; Luc 3:4-6 ; Philippiens 1: 9-11)

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Culte du dimanche 9 décembre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marcel Manoël
président de la Fondation des Diaconnesses de Reuilly

Frères et sœurs,

Notre époque est à la fois une époque de recherche et de protestations.

Recherches parce que nos voyons bien que notre société connaît des mutations profondes, sous l'influence conjuguée des pressions économiques et écologiques sur nos conditions de vie, mais aussi de notre propre évolution culturelle, en particulier la place de plus en plus primordiale que nous reconnaissons à la personne individuelle dans la légitimation de nos modes de vie : c'est un des enjeux essentiels de nos débats actuels, par exemple à propos du "mariage pour tous" comme du "droit à mourir dans la dignité". Certains vivent ce temps de recherche avec espoir, parce qu'ils en attentent un progrès dans le respect des personnes ; d'autres, au contraire, y voient avec crainte la mise en cause d'un ordre social qui, malgré des défauts, a montré sa pertinence.

Recherches... et protestations fortes. Parce que d'un côté comme de l'autre, on monte au créneau armés de grands principes : égalité, respect, dignité, liberté... Et, évidemment, dans nos débats de société comme dans nos conflits armés, plus l'arme est lourde, moins la discussion est ouverte, et plus le risque de dégats est grand ! Dégats sociaux, comme blessures personnelles...

Le temps de l'Avent nous propose une autre perspective sur notre histoire. Ce deuxième dimanche de l'Avent en particulier, qui est consacré dans nos liturgies au thème de "l'attente du Seigneur" : la proposition de vivre notre temps comme un temps de l'attente... Pas seulement l'attente de Noël – nous n'avons pas besoin de liturgie pour cela tellement nos publicitaires nous le rappellent ! - mais un temps de l'attente du Seigneur. Ce qui signifie fondamentalement que notre temps n'est pas un temps définitif, il n'est pas rétréci aux dimensions de notre présent, mais il plonge ses racines dans un passé où un événement fort est posé – Il est venu – et il est tourné vers l'avenir d'un événement attendu – Il vient – ... Notre histoire n'est pas finie, mais elle est tournée vers l'avenir... Et nos choix actuels ne sont pas le jugement final sur ce qui est bien ou mal, mais relèvent d'une éthique du provisoire et du limité, du temporel et de l'espérance.

Une éthique du provisoire sur un chemin de vie où nous sommes accompagnés – Il est venu – et où nous sommes invités à vivre en marche, les uns avec les autres, en accompagnants – parce qu'Il vient –.

Accompagnés, et accompagnants.

Mais qu'est-ce que cela veut dire ?

C'est à cette recherche que je voudrais vous inviter ce matin avec les textes bibliques qui ont été proposés à notre lecture.

D'abord, une éthique de l'accompagnement n'est pas une éthique sans conviction. "Provisoire" ne veut pas dire "relatif" ou "indifférent".

Mets-toi debout ! et deviens lumière ! car elle arrive, ta lumière !

Ce cri du prophète Esaïe s'adresse à un peuple dans le fragile et le provisoire. Vers le début du 6ième siècle avant Jésus-Christ, le retour d'exil a commencé, on a renoué avec le passé du culte à Jérusalem,... mais la paix n'est pas garantie, le temple n'est pas encore reconstruit, et le texte décrit la situation vécue avec l'image des ténèbres qui recouvrent la terre :

Nous espérions la lumière et voici les ténèbres,
la clarté, et nous marchons dans l'obscurité.
Nous tâtonnons comme des aveugles contre un mur,
nous tâtonnons comme des gens sans yeux...

Une situation de recherche... On sait ce qu'a été le passé, on connaît la fragilité du présent, et l'avenir est caché... Tout pour être craintifs, pusillanimes. Tout pour rester cachés, se protéger d'abord... Et pourtant le prophète exhorte :

"Mets-toi debout et devient lumière !"

Pas facile, frères et soeurs, d’être un homme ou une femme debout aujourd’hui !

Mieux vaut rester tranquille dans son coin, mieux vaut “s’écraser” ! Face aux violences de nos coins de rue, aux misères croisées sur notre chemin, comme face aux grandes injustices de ce monde. Mieux vaut faire le dos rond et se contenter de critiquer, et de râler...

Mets-toi debout ! et deviens lumière ! car elle arrive, ta lumière !

Israël est rappelé à sa vocation, à son identité même. Il y a là plus qu’une exhortation, plus qu’un encouragement, mais un retour à ce qui est au coeur de l’histoire et de la vie de ce peuple. Car Israël est d'abord le peuple appelé, appelé à être debout :

Déjà appelé à se lever en Abraham, son ancêtre, pour quitter son pays, et aller vers la promesse de Dieu.

Appelé à se lever de son esclavage en Egypte pour traverser la mer et le désert, et passer de la servitude à la liberté.

Appelé à se lever en Palestine contre les idoles de la terre qui promettent richesse, confort et plaisir, pour être le peuple de l’Alliance, le peuple qui pratique la justice.

Un peuple appelé : le prophète rappelle à Israël qu’il n’a pas d’autre identité, pas d’autre légitimité, pas d’autre vérité, ni droit du sol ni privilège de race, que cette parole qui le suscite, le constitue, et le met en marche :

Mets-toi debout ! et deviens lumière !

Ne sommes-nous pas nous aussi appelés à nous inscrire dans cette démarche ?

Une démarche, parce que nous ne sommes pas la lumière, mais que nous sommes appelés à devenir lumière, en nous tournant vers Celui qui est lumière !

Une démarche, parce que nous ne possédons pas la vérité, mais que nous sommes appelés à rechercher la vérité en nous tournant vers la parole du Dieu de vérité.

Une démarche, et une démarche attentive, lucide, parfois risquée, parce que nous ne sommes pas le chemin, mais que nous sommes appelés à nous tourner vers celui qui est "le chemin, la vérité et la vie".

Une démarche de conviction et pas un immobilisme peureux.

Une démarche de recherche et pas un dogmatisme prétentieux.

Parce qu'au cœur de nos démarches de conviction, il y a nécessairement cette attitude du retournement vers Dieu, la "Téchouva" du judaïsme, la "conversion" chrétienne qui n'est pas seulement un acte inaugural de la vie chrétienne, mais une attitude constante, une disponibilité théologique et un principe éthique : nous ne pouvons pas témoigner, partager des convictions, débattre, sans nous tourner vers Dieu et nous tourner vers l'autre. On ne témoigne pas "contre", pour vaincre ou détruire, mais on témoigne "vers", vers Dieu pour recevoir, et vers l'autre pour construire !

Une éthique du discernement par l'amour

Alors, notre éthique est plus une éthique du discernement que de l'établissement : "Préparez les chemins du Seigneur ! disait Jean-Baptiste : "préparez" et non pas "fixez" ! Eliminez les obstacles de la route, ces montagnes que nous avons élevées sur les chemins du Royaume de paix et de justice et ces ravins creusés entre le Seigneur et son peuple. Dénoncez les détours et les démarches tortueuses qui égarent ! Préparez les chemins du Seigneur, oui ! Mais c'est le chemin du Seigneur !

Pour parler de ce discernement, je reviens souvent au vieux récit des chapitres 13 et 14 du Livre des Nombres. Israël est vers la fin de la traversée du désert, sous la conduite de Moïse. Fatigué d'une longue route, d'une longue histoire. L'acte fondateur de la libération a été oublié et on ne se souvient plus que des difficultés. Et l'avenir inquiète : les espions envoyés en avant, vers la Terre promise, rapportent qu'elle est pleine d'ennemis nombreux et fortement armés. Alors le peuple a peur. Au point de vouloir retourner en Egypte. Il ne se voit pas d'autre avenir que le retour au passé...

Alors, le témoignage de Josué permet un autre discernement : "ce pays que nous avons exploré est un très, très beau pays !...". Josué, lui aussi, a vu les périls, les puissances, les risques... Mais il a posé la-dessus un autre regard, un regard éclairé par la promesse de Dieu : "le Seigneur nous mènera, le Seigneur nous donnera...". Le discernement, c'est de voir plus juste parce qu'on voit autrement. C'est de voir plus loin, ou plus profond, parce qu'on a un autre regard.

"Et voici ma prière, écrit l'apôtre à la petite communauté de Philippes, sans doute au moment où il est lui-même en prison,  que votre amour abonde encore, et de plus en plus, en clairvoyance et pleine intelligence, pour discerner ce qui convient le mieux.".

Un discernement clairvoyant et intelligent, éclairé par l'amour.

Clairvoyance et intelligence d'abord : elles ont souvent mauvaise presse aujourd'hui ! La clairvoyance qui essaie d'analyser les situations, d'en comprendre les raisons et les moteurs, l'intelligence qui essaie de mesurer, de tracer des chemins, de prévoir les conséquences... tout cela apparaît bien froid par rapport à un cri du cœur ou la force d'un désir. Et notre société manifeste souvent son impatience quand on ne cède pas tout de suite aux passions du moment ! Au point que nous sommes en train de transformer le rôle de la Loi dans la société : son rôle de régulation en faveur des plus faibles est de plus en plus contesté, alors qu'on attend d'elle essentiellement qu'elle autorise nos désirs et qu'elle les rende possibles, sans vouloir trop en mesurer les conséquences pour les autres.

Clairvoyance et intelligence : il y a un combat à mener pour cette recherche aujourd'hui ! Oui !

Mais clairvoyance et intelligence par et pour l'amour.

L'apôtre ne parle pas seulement d'un sentiment. Le sentiment, c'est important certes ! Mais l'apôtre parle de l'attitude du Christ : l'amour qui se tourne vers l'autre et pas le désir qui attend que l'autre se tourne vers moi, l'amour qui sert l'autre et pas celui qui se sert de lui, l'amour qui se donne à l'autre et pas celui qui se l'approprie.

L'amour de Dieu qui est au cœur de notre conviction de foi : Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils,... celui que nous reconnaissons comme le chemin, la vérité et la vie.

Incarnation et accompagnement

Une démarche de conviction et de conversion.

Un discernement clairvoyant et intelligent éclairé par l'amour.

C'est le sens d'une attitude que je caractériserais fondamentalement comme celle de l'accompagnement. Et il me semble qu'aujourd'hui, entre la tentation des attitudes autoritaires du dogmatisme, et les abandons du laisser-aller de l'indifférence, il y a ce choix possible pour notre témoignage et notre service, celui de l'attitude d'accompagnement.

Car accompagner, c'est d'abord respecter : si je m'offre à accompagner, ce n'est pas moi qui définit le chemin, mais j'avance avec l'autre sur son chemin. Bien sûr, je peux l'aider à se repérer s'il hésite ; je peux l'avertir s'il me paraît qu'il fait fausse route... Mais accompagner l'autre, c'est accepter d'aller vers la destination qui est la sienne, par le chemin que lui choisit.

Accompagner, c'est aussi garder sa liberté. Quand j'accompagne, je peux avertir dès le départ qu'il y a des chemins que je ne veux pas prendre ; je peux aussi, à tout moment, discuter et refuser d'aller plus loin. Mais je peux aussi entendre la demande de l'autre, sa plainte ou sa peur, et accepter de faire avec lui un bout de chemin de plus, que je n'aurai peut-être pas pensé faire.

Accompagner, c'est donc dialoguer. Pour se dire l'un à l'autre où on en est du chemin, de quel obstacle on a peur, ou quelle issue se présente. Pour vivre une libre solidarité dans laquelle chacun peut s'engager avec confiance. Celui qui est accompagné parce qu'il connaît la main qui le soutient. Celui qui accompagne parce qu'il sait qu'on ne l'amènera pas dans un piège.

Car l'accompagnement est toujours réciproque. Accompagner l'autre sur un chemin de vie, même si c'est celui de ses difficultés, même si c'est celui de la fin, c'est aussi être accompagné sur le chemin de sa propre vie, de ses projets et de ses peurs. C'est pourquoi c'est toujours aussi difficile, … et aussi riche...

Accompagner parce que nous sommes nous-mêmes accompagnés : n'est-ce pas ce que nous rappelle ce temps de l'Avent : Dieu sur nos chemins, Dieu qui partage notre condition, notre histoire, Dieu qui parle et qui écoute, Dieu qui dialogue avec nous, Dieu qui marche avec nous... Bien plus, Dieu qui se fait chemin, vérité et vie : 

Mets-toi debout ! et deviens lumière ! car elle arrive, ta lumière !

Que votre amour abonde encore,
et de plus en plus,
en clairvoyance et pleine intelligence,
pour discerner ce qui convient le mieux !

 Je suis le chemin, la vérité et la vie.

Amen !


Lecture de la Bible

Esaïe 60:1, 2

Lève-toi, sois éclairée, car ta lumière arrive, Et la gloire de l’Eternel se lève sur toi.
2 Voici, les ténèbres couvrent la terre, Et l’obscurité les peuples; Mais sur toi l’Eternel se lève, Sur toi sa gloire apparaît.

Jean 14:6

Jésus lui dit: Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi.

Luc 3:4-6

selon ce qui est écrit dans le livre des paroles d’Esaïe, le prophète: C’est la voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers.
5 Toute vallée sera comblée, Toute montagne et toute colline seront abaissées; Ce qui est tortueux sera redressé, Et les chemins raboteux seront aplanis.
6 Et toute chair verra le salut de Dieu.

Philippiens 1:9-11

Et ce que je demande dans mes prières, c’est que votre amour augmente de plus en plus en connaissance et en pleine intelligence
10 pour le discernement des choses les meilleures, afin que vous soyez purs et irréprochables pour le jour de Christ,
11 remplis du fruit de justice qui est par Jésus-Christ, à la gloire et à la louange de Dieu.

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