Jaloux des autres

Jonas 3:1-6 , Jonas 4:1-11

Culte du 2 mai 2010
Prédication de pasteur James Woody

( Jonas 3:1-6 ; 4:1-11 )

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Culte du dimanche 2 mai 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, depuis quelques années, nous entendions les membres de la communauté juive de France décrire la montée d’une judéo-phobie qui s’exprimait par la profanation de cimetières, de synagogues, par des agressions individuelles et toutes sortes de propos antisémites trainant dans les conversations. Depuis quelques mois, ces mêmes membres de la communauté juive de France s’inquiètent toujours de cette judéo-phobie tout en dénonçant l’évolution inquiétante d’une islamophobie. Depuis des mois, en France, l’Islam devient l’objet de toutes formes de dérisions mais aussi d’attaques qui fait de l’Islam un ennemi de la France. Le fait que des membres de la communauté juive s’inquiète de cette vague d’islamophobie à de quoi nous alerter d’avantage sur les menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’ensemble de la communauté musulmane qui risque fort de devenir victime de véritables persécutions.

On connaissait le goût de certains pour expliquer l’importance du chômage par le nombre trop important d’étrangers en France et, plus précisément, d’étrangers d’origine arabe. Aujourd’hui, ces thèses évoluent vers de nouvelles accusations : l’Islam voudrait envahir la France et en faire une terre musulmane. Ca, c’est dans la version douce. Car les thèses progressent et ne se contentent pas de parler de l’Islam comme d’une religion prosélyte qui voudrait convertir les français mais comme d’une culture de la violence qui veut détruire la France. A coup d’assimilations entre Islam et délinquants, entre Islam et casseurs, entre Islam et dealers, à coup de témoignages tronqués, à coup de montages photos qui font une lecture partiale de l’actualité ou de l’histoire de France et avec le refrain « je ne suis pas raciste : je défends l’identité française », une véritable islamophobie se répand. Sans entrer dans une contre-argumentation, je constate juste que du temps où j’étais lycéen dans le XVIème arrondissement de Paris, ce sont les bons bourgeois d’origine bien gauloise qui dépouillaient ceux qui avaient des vêtements de marque ; c’étaient des français de souche sans problème de fin de mois qui revendaient de la drogue ; et c’étaient les Dupont et Durand qui cassaient du CRS du côté du Parc des Princes quand le PSG ne gagnait pas la coupe de France.

Ce qui me frappe, c’est que ces accusations qui confinent à la haine, sont portées contre l’Islam par des personnes qui sont éloignées de leur propre tradition spirituelle : des personnes qui ne veulent pas d’Islam en France mais qui, pour leur part, ne fréquentent ni un lieu de culte, ni Ancien ni Nouveau Testament, qui n’ont pas de piété personnelle. Ils sont tout à la fois capables de revendiquer une France des clochers plutôt que des minarets tout en n’ayant aucun lien personnel avec les clochers en question. Ce qui me frappe, c’est que cette islamophobie est surtout chez les moins pratiquants d’entre les français, ces personnes qui n’ont pas grand-chose à montrer de leur identité religieuse, qui n’ont pas grand-chose à afficher de leurs convictions spirituelles.

Je fais l’hypothèse, à la lecture de l’histoire de Jonas, que ces personnes-là souffrent d’une profonde jalousie et jettent le discrédit sur l’Islam qui les renvoie au vide spirituel dont ils ont rempli leur existence. N’ayant rien à proposer, aucune autre alternative qu’un passé français le plus souvent fantasmé, mythologisé, ils en veulent à mort à la partie visible, émergée d’un Islam fantasmé réduit à ses éléments intégristes, extrémistes qui dénaturent l’Islam. Et encore, la manœuvre est grossière : il s’agit d’assimiler Islam et toute personne issue de l’émigration, comme si tous les français de souche étaient aujourd’hui chrétiens… et il s’agit d’assimiler musulman à ennemi de la France. Alors on vous montre des photos de personnes au teint pas très clair en train de brûler des drapeaux français, mais, curieusement, on ne montre jamais de photos d’agriculteurs français réunis devant l’ambassade américaine au moment de la négociation de la politique agricole commune et brûlant le drapeau américain et criant « Go home ! ». L’analyse politique est toujours partiale quand elle est motivée par la peur et la jalousie.

Ainsi, Jonas fuit ses responsabilités lorsque Dieu lui demande d’intervenir auprès des Ninivites qui se comportent mal. Jonas commence par refuser la mission que Dieu lui confie. Pourquoi refuse-t-il ? A-t-il peur d’aller à Ninive et de parler au nom de Dieu ? a-t-il peur de se faire frapper, dépouiller, tailladé, violer et brûler par une bande de barbares ? il lui aurait suffit de rester là où il était, de faire le sourd, et de ne pas répondre à Dieu. Il aurait pu essayer de négocier avec Dieu comme le font souvent les prophètes, par exemple Moïse ou Josué, en arguant qu’il n’est pas compétent pour accomplir cette mission, pas assez éloquent, pas assez expérimenté… Non, il n’agit pas ainsi mais décide de s’enfuir loin de la face de Dieu c’est-à-dire loin du regard de Dieu et donc loin de ce que Dieu a sous les yeux. Ce que Dieu a sous les yeux, justement, c’est la population de Ninive, c’est le sort de ses habitants. Jonas s’enfuit loin d’eux, loin de ces Ninivites. Et Avec Daniel Sibony (lectures bibliques. Odile Jacob, p. 277ss.), je fais l’hypothèse qu’il s’enfuit loin des Ninivites par jalousie, parce qu’il refuse aux Ninivites d’être également aimé de Dieu. Jonas s’enfuit loin de Ninive parce qu’il refuse de partager Dieu avec eux. Jonas s’enfuit parce qu’il ne supporte pas l’idée que les Ninivites, ces étrangers, ces autres croyants, puissent être sauvés, eux aussi. L’hypothèse de la jalousie s’appuie sur le fait que, une fois à Ninive au terme de ses pérégrinations, Jonas prend la parole et que cela est efficace. Tous les Ninivites, sans exception, changent de comportement. Et, au lieu d’être soulagé du fait que sa prédication s’est bien passée, d’être heureux qu’elle ait été efficace, que le message de Dieu ait été bien reçu, Jonas prend tout cela très mal et se fâche (4/1). Jonas n’est pas content de la tournure des événements ; il n’est pas content que les Ninivites croient en Dieu et qu’ils améliorent leur façon de vivre. Il faut comprendre qu’il aurait préféré que les Ninivites persistent dans leur méchanceté et qu’ils soient rayés de la carte. Ah comme c’est plus simple lorsque nos ennemis se comportent comme des méchants !

Cette histoire de Jonas nous met en garde, frères et sœurs, contre un sentiment d’exclusivisme qui nous pousse à penser que nous sommes les seuls à être dignes de l’amour de Dieu, que nous sommes les seuls à être dignes de vivre. Cette histoire de Jonas nous met en garde contre la tentation de nous croire les seuls dignes d’être les élus de Dieu, de nous penser supérieurs, seuls porteurs de la vérité divine. Jonas ne souhaitait pas le salut des habitants de Ninive, il souhaitait plutôt leur perte, je dirais même qu’il l’espérait.

Un autre élément du texte est à relever dans ce sens, un élément qui montre que Jonas pervertit le message de Dieu pour en faire un instrument de son hostilité, si ce n’est de sa haine. Dès le départ, Dieu demande à Jonas d’aller crier contre Ninive en raison de la méchanceté qui y règne (1/1 ; 3/2). Mais ce n’est pas exactement ce que fait Jonas qui se rend à Ninive et affirme « encore 40 jours et Ninive sera  renversée » (3/4). Non seulement Jonas fait une prédiction – le renversement de la ville – mais il ajoute un délai – 40 jours, le temps idéal pour un bon petit déluge qui ne laissera plus aucune trace de Ninive. Jonas introduit non seulement une condamnation mais une sorte d’ultimatum. Cela n’a rien à voir avec la pédagogie de Dieu qui consistait à avertir les Ninivites, sans préciser un délai ni une sentence finale. La pédagogie de Dieu est faite de dialogue. La pédagogie de Jonas est une pédagogie de la terreur. En introduisant un délai, une date buttoir, un ultimatum, Jonas met les Ninivites en situation de pouvoir être mis en échec, de pouvoir être sanctionné. Contrairement à Dieu qui cherche que les Ninivites s’améliorent, qu’ils quittent un chemin de perdition, Jonas veut que les Ninivites soient sanctionnés, qu’ils paient. Quand on veut que son enfant progresse en matière de savoir vivre, lorsqu’on souhaite qu’il intègre les règles de politesse et qu’il fasse preuve d’une éthique digne de l’Evangile, on l’aide à porter un regard favorable sur son entourage, on lui révèle l’intérêt qu’il y a à se comporter avec respect, on lui montre les conséquences de paroles ou de gestes agressifs : on lève le ton, parfois, mais on est dans le registre de la conviction . En revanche, si on se moque bien qu’il progresse vraiment mais qu’on cherche à le punir, on pose un ultimatum en le laissant se débrouiller seul : ainsi, on le met en situation d’échec possible. Parfois l’enfant trouve lui-même les solutions pour éviter la sanction, comme les Ninivites, parfois il n’y parvient pas, parce qu’il n’a pas en sa possession les moyens d’atteindre les objectifs qu’on lui a fixés.

Lorsque nous souhaitons que les femmes ne soient pas ravalées au rang d’objet ou de sous-homme, il apparaît qu’une pédagogie qui puise ses fondements dans la pédagogie de Dieu consiste à engager le dialogue, à offrir les moyens que cela change, en donnant accès à l’apprentissage de la langue, des codes culturels, en leur offrant la possibilité d’apprendre à conduire, de pouvoir s’orienter dans l’administration de son pays, en leur montrant d’autres manières d’être, d’autres formes de relations homme-femme, parent-enfant et en agissant de même en direction de leur maris. En revanche, si on souhaite plutôt stigmatiser et sanctionner, il semble que le mieux soit d’imposer un ultimatum joint à la promesse d’une punition. Le risque, c’est de devoir en arriver à la sanction or la sanction n’est pas pédagogique si elle n’est pas liée à un apprentissage. Moi, si j’étais un extrémiste qui veut rabaisser le statut de son épouse, par exemple en la voilant des pieds à la tête comme on placerait quelqu’un dans une prison mobile, mais que la loi vienne à me l’interdire, je garderais mon épouse en prison, si c’est la place que j’ambitionne pour elle, mais une prison qui ne serait plus mobile : je la laisserais recluse à la maison, la privant un peu plus de relations humaines et donc de la possibilité de conserver un visage humain. L’ultimatum, c’est courir le risque d’entraîner dans la clandestinité celles et ceux qui ne veulent rien entendre à un projet de vie qui parle d’épanouissement et de liberté individuelle. Et une fois que les personnes brimées sont définitivement exclues de la société, alors elles sont définitivement perdues et ne risquent plus d’entendre un jour une parole leur proposant une autre vie, une autre condition, un autre avenir.

De même qu’un médecin cherche avant tout à soigner la maladie plutôt que le symptôme qui permet de déceler la maladie en question, nous serons vraiment prophète de Dieu lorsque nous l’aideront à permettre à tout un chacun d’accéder à une humanité pleine et entière plutôt qu’en rendant invisibles les comportements qui outragent l’humanité. Ce n’est pas en cachant la misère qu’on supprime la misère. Ce n’est pas en masquant l’intégrisme qu’on l’éradique. Ce n’est pas en voilant la bêtise humaine qu’on y met fin. C’est en allant à la rencontre de ces personnes – ce que ne font jamais ceux qui les détestent – qu’on peut accomplir le travail éducatif que Dieu demande à ses prophètes. Pour cela, encore faut-il être à l’aise dans nos convictions, à l’aise dans notre identité. Si ce n’est pas le cas, nous serons traversés par la même jalousie que celle qui anime Jonas et nous n’en finirons pas d’en vouloir à mort à une société qui nous inquiète. Car après les musulmans, il y aura toujours un groupe pour servir de bouc émissaire, de la même manière que La France a eu ses protestants, puis ses juifs, qui étaient la cause de tous ses maux en leur temps. Pierre Desproges avait raison de dire que le raciste est quelqu’un qui se trompe de colère. C’est souvent celui qui projette sur l’autre, sur celui qui ne lui ressemble pas, les fautes, les faiblesses, les manquements qui sont en fait les siens.

Jonas manque cruellement d’une grandeur d’âme qui lui aurait permis de répondre favorablement, dès le départ, au projet que Dieu lui confie, à savoir de participer à la l’édification d’une humanité réconciliée et désireuse de bien agir, selon une perspective d’amour. Jonas n’est pas prêt à partager Dieu avec d’autres personnes, craignant peut-être de perdre le peu d’estime de soi qu’il lui reste. Pour le dire clairement, je trouve que Jonas, a quelque chose du « beauf’ », celui dont les idées ne sont que des stéréotypes, des préjugés sur les autres qu’il ne connaît que par ouïe dire. Aussi inculte qu’intolérant, il ne voit pas plus loin que son intérêt personnel. Reproduisant à l’envi son milieu d’origine, véritable petit mouton qui n’est pas capable de sortir seul de la bergerie, il dénigre tout ce qui ne correspond pas à qu’il a reçu de son milieu traditionnel.

Cette histoire nous montre que Dieu s’intéresse aussi à ceux que Jonas ne supporte pas et qu’il est tout autant profondément attaché à Jonas qui se trompe de colère. Les uns et l’autre, grâce à Dieu, vont pouvoir changer en profondeur, pouvoir évoluer et passer du statut de larve à celui de papillon ou de libellule en s’élevant de leur condition première. La pédagogie, en direction de Jonas, ne consistera pas à lui donner un ultimatum pour qu’il change, mais à le rejoindre dans sa culture, dans ce qu’il est capable de comprendre, dans son petit quant à soi, son petit bien-être, pour le faire accéder, ensuite, à une vision élargie de son univers. Le projet de Dieu n’est décidément pas de faire des coupes sombres parmi les peuples, mais de rendre les uns et les autres un peu plus humains.

Amen

Lecture de la Bible

Jonas 3:1-6

La parole de l’Eternel fut adressée à Jonas une seconde fois, en ces mots:
2 Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et proclames-y la publication que je t’ordonne!
3 Et Jonas se leva, et alla à Ninive, selon la parole de l’Eternel. Or Ninive était une très grande ville, de trois jours de marche.
4 Jonas fit d’abord dans la ville une journée de marche; il criait et disait: Encore quarante jours, et Ninive est détruite!
5 Les gens de Ninive crurent à Dieu, ils publièrent un jeûne, et se revêtirent de sacs, depuis les plus grands jusqu’aux plus petits.
6 La chose parvint au roi de Ninive; il se leva de son trône, ôta son manteau, se couvrit d’un sac, et s’assit sur la cendre.

Jonas 4:1-11

Cela déplut fort à Jonas, et il fut irrité.
2 Il implora l’Eternel, et il dit: Ah! Eternel, n’est-ce pas ce que je disais quand j’étais encore dans mon pays? C’est ce que je voulais prévenir en fuyant à Tarsis. Car je savais que tu es un Dieu compatissant et miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté, et qui te repens du mal.
3 Maintenant, Eternel, prends-moi donc la vie, car la mort m’est préférable à la vie.
4 L’Eternel répondit: Fais-tu bien de t’irriter?
5 Et Jonas sortit de la ville, et s’assit à l’orient de la ville. Là il se fit une cabane, et s’y tint à l’ombre, jusqu’à ce qu’il voie ce qui arriverait dans la ville.
6 L’Eternel Dieu fit croître un ricin, qui s’éleva au-dessus de Jonas, pour donner de l’ombre à sa tête et pour lui ôter son irritation. Jonas éprouva une grande joie à cause de ce ricin.
7 Mais le lendemain, à l’aurore, Dieu fit venir un ver qui rongea le ricin, et le ricin sécha.
8 Au lever du soleil, Dieu fit souffler un vent chaud d’orient, et le soleil frappa la tête de Jonas, au point qu’il tomba en défaillance. Il demanda la mort, et dit: La mort m’est préférable à la vie.
9 Dieu dit à Jonas: Fais-tu bien de t’irriter à cause du ricin? Il répondit: Je fais bien de m’irriter jusqu’à la mort.
10 Et l’Eternel dit: Tu as pitié du ricin qui ne t’a coûté aucune peine et que tu n’as pas fait croître, qui est né dans une nuit et qui a péri dans une nuit.
11 Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, dans laquelle se trouvent plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, et des animaux en grand nombre!

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