Comment réagir en cas de perte de sens

Exode 31:18 - 32:16

Culte du 27 juillet 2014
Prédication de pasteur James Woody

(Exode 31:18 - 32:16)

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Culte du dimanche 27 juillet 2014 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, ce passage biblique n’est pas très glorieux. Avoir conservé l’épisode du veau d’or dans les archives bibliques, c’est avoir pris le parti de ne pas conserver exclusivement les hauts faits. Ce n’est ni par masochisme, ce que de nos jours nous appellerions du bashing, ni par souci de garder l’intégralité des faits historiques du peuple hébreu que ce texte s’est retrouvé dans la Bible. L’intérêt de ce texte est qu’il nous parle. Il parle à nos mauvais moments. Il parle à nos périodes d’angoisse. Il nous parle lorsque nous nous sentons comme orphelin, comme abandonné face à l’immensité de la vie. Ce texte biblique nous parle quand nous sommes désemparés face à ce qui nous arrive. Ce texte ne cherche pas à nuire à l’image du peuple hébreu, mais va essayer de trouver une solution à son problème du moment. Ce texte n’est pas présent dans la Bible au titre des récits historiques - qui ne doivent pas être mis de côté sous peine de faire du négationnisme, dans la mesure où ce texte n’est pas un récit historique, au sens où nous comprenons la science historique. Ce texte a été rédigé pour nous aider à réagir lorsque nous nous sentons démunis.

Ce sentiment d’être démuni est souvent la conséquence de la vraie liberté. Le peuple hébreu vient d’être libéré de l’esclavage qu’il subissait en Egypte grâce à Moïse qui avait pris la tête du mouvement. Mais, en l’absence de Moïse, les Israélites sont comme perdus. Ils ont besoin d’une transition pour devenir des personnes véritablement responsables. Pour le moment, les Israélites ont encore besoin d’un chef, d’un leader, d’une personne qui leur dise que faire, où aller, que penser, qu’espérer. En l’absence prolongée de Moïse, ils n’ont plus de guide pour les orienter, pour donner un sens à leur marche. Ils ressentent une véritable perte de sens. Aaron réagit en demandant au peuple de lui confier son or. Peut-être pense-t-il que cela va calmer le peuple qui va rechigner à se dessaisir de ses richesses. Mais c’est sans compter sur la peur du vide, cette angoisse qui attrape les consciences et les expédie dans le monde de l’irrationnel.

De nos jours, des réactions tout à fait irrationnelles sont encore possibles dans de telles circonstances. Sacrifier aux idoles n’est pas une attitude réservée au passé. Elle peut encore, malheureusement, se réaliser quand la peur devient le seul moteur actif. Or, la peur est bien le pire conseiller qui soit. C’est la peur qui nous jette dans les bras des idoles, des gourous, des charlatans. C’est la peur qui nous pousse vers tout ce qui peut donner un sentiment de fermeté, de force, de puissance, quand nous éprouvons l’angoisse de ce vide qui nous donne un avant-goût de la mort. C’est la peur qui nous offre en pâture à toutes les formes d’extrémismes qui sait parfaitement composer avec elle.

C’est la peur, la peur du vide, la peur de disparaître, qui nous conduit à accorder notre confiance totale à des systèmes d’autorité et de pouvoir qui, au lieu de favoriser l’humain, nous entraînent dans un appauvrissement de l’humanité. De ce point de vue, prendre un veau d’or pour dieux, c’est vouloir retrouver un peu de stabilité dans la tourmente à s’accrochant à une branche morte. Un veau d’or… c’est, quelques siècles en avance, et l’or en plus, la caricature que Charles de Gaulle fera de ceux qui ont cessé de penser la chose politique, on cessé de penser le vivre ensemble, ont cessé de penser l’être au monde, ont cessé de penser le sens des responsabilité, ont cessé de réagir et ont baissé les bras, se considérant comme battus avant même d’avoir engagé le fer.

Charles de Gaulle n’était donc pas le seul à s’agacer d’un tel comportement. En disant que cela provoque la colère de l’Eternel, l’auteur biblique exprime que l’idolâtrie a une issue : c’est que cela va mal finir. Ca va mal finir si on considère comme ultime des bricolages issus de la fièvre populiste. Ca va mal finir si nous perdons de vue des perspectives ouvertes sur ce qui est inconditionné et que nous fixons du regard le miroitement de nos projections de toutes sortes, qu’il s’agisse de lassitude, de colère, ou de désir de vengeance.

Se souvenir de son futur

Loin d’Aaron et du peuple qui cède à la tentation de l’idolâtrie, il y a donc Moïse, qui est face à Dieu. Etre face à Dieu : C’est le moment où l’on place sa vie au regard de l’absolu, de l’Eternel, pour en découvrir la vérité profonde. On se place face à l’absolu, et non pas seulement face à ce qui est bon pour nous, pour évaluer ses choix, son éthique, ses inclinations. On les jauge non pas en fonction de ses préjugés, ni des phénomènes de masse, de ce que pense la majorité, mais en fonction de ce qui transcende l’intérêt d’une personne, d’un groupe, cela pour rejoindre l’universel, l’Eternel.

Cette élévation, qui est celle de la prière, permet de révéler la vérité d’une situation, de manière à pouvoir réagir de la meilleure manière qui soit. Dans le cas de Moïse, il est question de colère et de consumer le peuple qui s’est corrompu, qui fait fausse route. Est-ce inéluctable ? Dans son face à face avec l’Eternel, dans son face à face avec l’absolu, Moïse va aller chercher au plus profond de la mémoire : une mémoire qui transcende largement sa situation personnelle et la situation de son peuple dans l’instant qu’il est en train de vivre. Il va rechercher cette vieille promesse faite autrefois à Abraham, à Isaac et à Israël. Moïse va chercher cette vieille promesse qui est une double bénédiction : la promesse d’une fécondité et d’une terre vivable. Au cœur de la tourmente, alors que le monde qui l’entoure risque de se défaire voire de s’effacer, alors qu’il vit une situation de crise majeure, Moïse va puiser à la source de la mémoire pour trouver l’eau fraîche qui l’aidera à reverdir le désert humain dans lequel il se trouve et trouver de bonnes raison de croire encore, d’espérer encore. Moïse va se souvenir du lointain passé de son peuple pour penser l’avenir, ce que Rabbi Nahman de Braslav dit sous la forme d’une belle formule : « se souvenir de son futur ». Le passé nous offre de belles leçons de vie ; à nous d’y puiser ce qui nous permettra d’affronter l’avenir en nous rappelant que nous sommes appelés à faire vivre ce qui rend le monde fécond et plus vivable.

Cela, nous le lisons, par exemple, dans l’histoire de Boris Cyrulnik, un neuropsychiatre qui est pris dans une rafle en janvier 1944, à l’âge de 6 ans. Il parvient à s’enfuir en se cachant dans les toilettes du lieu où tout le monde a été rassemblé. Il a grimpé jusqu’à trouver un moyen de se cacher sous le plafond. Et voici ce qu’il écrit : « j’ai de cette journée de janvier 1944 un sentiment de réussite, le souvenir d’avoir fait un exploit, une prouesse. Chaque fois que j’ai repensé à ce qui s’était passé, je me suis dit : « T’inquiète pas, ça va aller, il y a toujours une solution », et je repensais à cette scène des « pissotières ». C’est comme ça que je suis devenu un bon grimpeur. Par la suite, je pouvais monter partout où je voulais en me disant simplement : « Si tu grimpes, tu pourras toujours t’en sortir. La liberté est au bout de ton effort. » Et quand je repense à ces moments terribles, c’est toujours un sentiment de victoire. Car, même enfant, je pensais ainsi : « Ils ne m’auront pas. Il y aura toujours une solution. » »

Ici, la présence divine, c’est le fait de puiser dans notre mémoire les points d’accroches, les points de repère qui nous permettront de reprendre confiance dans la vie pour poursuivre notre route, au lieu de sacrifier notre liberté à la première idole venue : retrouver dans sa mémoire, des éléments qui ressusciteront notre confiance et donc notre amour du monde.

La Bible, une mémoire auxiliaire

Mais comment faire lorsque nous sommes sans mémoire. Comment faire lorsque nous n’avons pas fait d’exploit dans notre jeunesse, lorsque nous n’avons pas reçu les nourritures affectives de nos parents pour constituer un solide capital confiance ? N’est-ce pas, justement, le problème du peuple Hébreu que d’être sans mémoire, sans repère, sans point d’accroche, sans fondements ?

C’est pour palier à cela –selon moi- que Moïse retourne vers le peuple avec les deux tables du témoignage. Pour le dire clairement, c’est là une invitation à voir dans la Bible une mémoire auxiliaire pour tous les sans-mémoires. La Bible, dont les tables du témoignage sont la métaphore, seront les points d’appui nécessaires pour ceux qui n’ont rien, ni mémoire, ni culture. Il y a dans ces tables du témoignage, un capital de mémoire dans lequel les démunis pourront puiser. La Bible devient le témoignage dont nous avons personnellement besoin. J’ajoute qu’il n’est pas anodin que ces tables soient des tables de pierre. Quelle idée de faire des tables de pierre ? L’histoire montre que ce n’est pas en raison de leur résistance physique, puisqu’elles seront cassées quelques quotes plus loin. Les tables sont de pierre pour une raison que seuls les hébraïsants peuvent toucher du doigt, à la manière de Dieu. « Pierre » est la traduction du mot hébreu « ‘even », un mot qui peut se décomposer en deux mots « ‘av » et « ben ». La pierre, c’est l’association du père et du fils. La pierre est le point de contact entre deux générations, ce qui permet la transmission de la mémoire, ce qui offre des récits dans lesquels nous pouvons puiser de bonnes raisons de croire et d’espérer, mais aussi les outils nécessaires pour mieux comprendre notre situation.

De fait, nous pouvons considérer la Bible comme cette collection de mémoires d’hommes et de femmes qui ont fait face à des situations limites, à des situations où leur identité, leur vie était en jeu. Et, moins que des recettes qu’il suffirait de reproduire à l’identique, Les archives bibliques constituent cette mémoire de témoins qui nous disent qu’il n’y a pas de déterminisme ou de fatalité devant lesquelles il faudrait se prosterner. Abraham, Isaac, Israël, par leurs trajectoires, nous révèlent que les impasses de la vie peuvent se fissurer ou qu’il y a toujours possibilité de faire demi-tour pour sortir d’une impasse. Ces mémoires rassemblées dans la Bible nous invitent à redécouvrir la foi qui a été celle de ceux qui ont bravé le chaos, qui ont donné à leur existence une intensité hors norme, qui ont ré-enchanté le monde.

Les textes bibliques tracent une topographie de la vie pour que nous puissions repérer les zones dangereuses, certes, mais aussi les points d’appui possibles, les chemins de traverse, les points remarquables. La Bible décrit le monde, notre monde, afin qu’il soit moins effrayant, plus familier. La Bible décrit le monde pour nous aider à mettre un peu d’ordre dans la confusion de notre vie intérieure et ne pas nous jeter dans les bras des premières idoles venues, à supposer que notre famille naturelle n’ait pas eu l’occasion de nous offrir ces ressources-là.

La présence divine, c’est ce dialogue avec la vie, non seulement à venir, mais aussi passée. C’est ce dialogue vivant qui s’oppose à la contemplation passive, fascinée, d’une statue, d’une idéologie, d’un système qui n’a rien à dire, rien à expliquer, rien à suggérer, mais tout à prendre de notre existence. La présence divine n’est pas la fixation d’un moment qui ne cesserait pas de durer, qui serait immortel, qui capterait le présent à jamais. La présence divine, tout au contraire, c’est faire entrer en dialogue tous les temps et tous les acteurs de la vie en hissant le débat au dessus des intérêts particuliers, à hauteur de l’universel. La présence divine, c’est lorsque nous découvrons que nous pouvons résister aux ondes de choc et que nous pouvons faire histoire, malgré les signes des temps qui semblent défavorables.

Amen

Lecture de la Bible

Exode 31:18-32:16

Lorsque l’Eternel eut achevé de parler à Moïse sur le mont Sinaï, il lui donna les deux tables du témoignage, tables de pierre, écrites du doigt de Dieu.
1 Le peuple, voyant que Moïse tardait à descendre de la montagne, s’assembla autour d’Aaron, et lui dit: Allons! fais-nous un dieu qui marche devant nous, car ce Moïse, cet homme qui nous a fait sortir du pays d’Egypte, nous ne savons ce qu’il est devenu.
2 Aaron leur dit: Otez les anneaux d’or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles, et apportez-les-moi.
3 Et tous ôtèrent les anneaux d’or qui étaient à leurs oreilles, et ils les apportèrent à Aaron.
4 Il les reçut de leurs mains, jeta l’or dans un moule, et fit un veau en métal fondu. Et ils dirent: Israël! voici ton dieu, qui t’a fait sortir du pays d’Egypte.
5 Lorsque Aaron vit cela, il bâtit un autel devant lui, et il s’écria: Demain, il y aura fête en l’honneur de l’Eternel!
6 Le lendemain, ils se levèrent de bon matin, et ils offrirent des holocaustes et des sacrifices d’actions de grâces. Le peuple s’assit pour manger et pour boire; puis ils se levèrent pour se divertir.
7 L’Eternel dit à Moïse: Va, descends; car ton peuple, que tu as fait sortir du pays d’Egypte, s’est corrompu.
8 Ils se sont promptement écartés de la voie que je leur avais prescrite; ils se sont fait un veau en métal fondu, ils se sont prosternés devant lui, ils lui ont offert des sacrifices, et ils ont dit: Israël! voici ton dieu, qui t’a fait sortir du pays d’Egypte.
9 L’Eternel dit à Moïse: Je vois que ce peuple est un peuple au cou raide.
10 Maintenant laisse-moi; ma colère va s’enflammer contre eux, et je les consumerai; mais je ferai de toi une grande nation.
11 Moïse implora l’Eternel, son Dieu, et dit: Pourquoi, ô Eternel! ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple, que tu as fait sortir du pays d’Egypte par une grande puissance et par une main forte?
12 Pourquoi les Egyptiens diraient-ils: C’est pour leur malheur qu’il les a fait sortir, c’est pour les tuer dans les montagnes, et pour les exterminer de dessus la terre? Reviens de l’ardeur de ta colère, et repens-toi du mal que tu veux faire à ton peuple.
13 Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, tes serviteurs, auxquels tu as dit, en jurant par toi-même: Je multiplierai votre postérité comme les étoiles du ciel, je donnerai à vos descendants tout ce pays dont j’ai parlé, et ils le posséderont à jamais.
14 Et l’Eternel se repentit du mal qu’il avait déclaré vouloir faire à son peuple.
15 Moïse retourna et descendit de la montagne, les deux tables du témoignage dans sa main; les tables étaient écrites des deux côtés, elles étaient écrites de l’un et de l’autre côté.
16 Les tables étaient l’ouvrage de Dieu, et l’écriture était l’écriture de Dieu, gravée sur les tables.

Traduction NEG

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