L'archéologie du mal révèle la surabondance de la grâce

Jean 16:32-33 , Romains 5:15-21

Culte du 3 novembre 2013
Prédication de pasteur James Woody

( Jean 16:32-33 ; Romains 5:15-21 )

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Culte du dimanche 3 novembre 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » : voilà une formule rituelle, souvent utilisée à la manière d’un doudou spirituel. C’est ce que les protestants disent assez facilement pour se consoler des misères du moment et ne pas perdre espoir dans des lendemains qui chantent. La vérité de cette affirmation n’est pas toujours évidente à vérifier au jour le jour, lorsque ça va vraiment mal, lorsque la vie fait mal. Pour une part cette difficulté vient de la difficulté que nous avons à comprendre ce qu’est le péché. En effet, la compréhension majoritaire de la notion de péché consiste à assimiler le péché à la liste des fautes que l’on commet. Le péché est souvent considéré comme une faute morale, probablement en raison du développement qui a été fait des listes de péchés, qu’il s’agisse des péchés véniels ou des péchés mortels. Que des péchés puissent être mortels donne bien l’idée que le péché serait un problème moral qui serait résolu par une punition. A chaque faute correspondrait sa peine, sa sanction. C’est d’ailleurs ainsi que le philosophe Paul Ricœur présente la chose dans sa conférence sur le mal.

Mais la Bible nous oriente sur une autre compréhension de ce qu’est le péché : non pas un problème moral, mais un problème spirituel qui n’est pas directement lié à la question des fautes. Pour comprendre cela, suivons l’apôtre Paul qui va remonter au fameux récit de la Genèse qui met en scène Adam « celui par qui le péché [serait] arrivé dans le monde ». Pour appuyer ma compréhension non morale du péché, j’attire votre attention sur deux éléments. Le premier concerne l’absence de punition dans le récit biblique. Oui, bien entendu, il est d’usage de dire qu’Adam et Eve sont punis pour leur transgression en étant condamnés à mort et, comme si cela n’était pas suffisant, à avoir des grossesses difficiles et à tirer le fruit du sol à la sueur du front. J’ai déjà eu l’occasion de vous dire que cela pouvait être compris autrement qu’à la manière d’une punition. Si j’informe les parents de jeunes enfants que nous entrons dans une saison favorable aux bronchiolites et donc aux séances de clapping par les kinésithérapeutes, suis-je en train de punir qui que ce soit ? Non, je mets en garde, je préviens, de manière à ce que chacun puisse se préparer et soit donc moins effrayé si la chose se présentait. Ainsi pouvons-nous comprendre l’issue du pique-nique dans le jardin d’Eden : Dieu ne punit pas Adam et Eve, il les prépare à leur avenir afin qu’ils soient mieux équipés pour affronter le futur. Outre le fait qu’il n’y a pas de punition (ce qui serait la trace que le péché relève de la morale), je porte à votre connaissance, également, l’exégèse que fait Martin Luther de ce passage qui pose un problème à tout lecteur car le fameux récit du péché dit originel n’emploie jamais le terme « péché ». Il n’y est pas plus question de faute, d’ailleurs. Dans ces conditions, le défi qui se pose au lecteur est de repérer le moment où le péché aurait eu lieu. Là encore, tout le monde se précipite sur la consommation du fruit défendu qui attesterait qu’il y a une transgression de la loi et donc une faute morale. Pour Luther, le péché n’est pas là, mais dans la question qui est posée par le serpent « Dieu a-t-il vraiment dit ? ». Autrement dit, selon Luther, le péché est d’être extérieur à Dieu, de mettre Dieu à distance, en en faisant un objet –un objet de référence, certes, mais un objet.

Le péché, de ce point de vue, est donc bien un problème spirituel : à chaque fois que nous mettons Dieu à la troisième personne, nous en faisons un objet et, si nous suivons le théologien allemand Rudolf Bultmann, en agissant ainsi, Dieu deviendrait un donné qui se soumettrait à notre connaissance. Il le dit de manière plus compréhensible avec cette formule devenue fameuse « Parler de Dieu, c’est parler de tout autre chose que de Dieu » (Foi et compréhension I, p. 36). Pour Bultmann, « parler [ainsi] de Dieu n’est pas seulement une erreur et une illusion, c’est un péché » non pas en raison du fait que les mots nous manqueraient ou qu’ils seraient toujours imparfaits pour exprimer le divin, mais en raison du fait que lorsque nous parlons de Dieu comme d’un objet de connaissance, il cesse d’être le Dieu qui s’incarne, le Dieu qui détermine notre existence, le Dieu qui permet à l’homme de devenir lui-même en mettant son existence singulière en question et donc en ayant une action unique pour chaque homme. C’est la raison pour laquelle Bultmann considère que la seule manière de parler de Dieu est de parler de notre existence concrète. C’est précisément ce que fait l’apôtre Paul, en parlant de l’homme chargé de son passé et lourd de son présent. Paul se mettra largement en scène, ce qui pourrait apparaître comme une forme de narcissisme, ce qui est la seule manière de mettre son interlocuteur sur la piste du Dieu qui fait grâce à chacun et non pas d’un Dieu dispensateur d’une grâce universelle qui effacerait les singularités et qui uniformiserait les individualités. Le baptême atteste que nous avons une valeur individuelle, que c’est notre être propre qui est pris au sérieux et notre responsabilité individuelle qui est engagée. C’est la raison pour laquelle Paul referme, dès l’épître aux Romains, le chapitre d’un péché originel qui serait héréditaire. Ce que l’apôtre Paul constate, c’est que nous avons une propension au péché (Kant parlera d’un penchant au mal), que nous avons tendance à être fasciné par le mal. Nous pourrions dire que nous avons tendance à ne voir que ce qui ne va pas et à nous y attacher. Mais, je le répète, le péché ne relève pas de la morale, mais du spirituel. Le penchant de l’homme, est donc de se fier à des images au lieu de se fier au réel. Le penchant de l’homme est de se soumettre au Dieu des textes bibliques plutôt que de se soumettre à la parole du Dieu qui appelle l’homme, qui le met en question, qui me met en question, qui initie ma quête de sens. Un grand péché qui guette les chrétiens, pour ne prendre que notre cas, c’est d’adorer le Dieu des textes bibliques, qui n’est qu’un objet, une représentation, une image, au lieu de placer notre confiance dans le Dieu vivant, celui qui appelle à la vie ce qui n’est pas.

Il faut donc aller plus loin que Bultmann et ne pas considérer que la seule manière de parler de Dieu est de parler de notre existence au sein de laquelle il fait son œuvre. Il faut que le langage soit un langage de l’intérieur, un langage qui s’articule avec notre expérience personnelle. Un langage de l’intérieur, parce qu’il s’agit d’abolir la distance qui nous sépare du divin. Un langage de l’intérieur, parce qu’il s’agit de faire tomber les voiles qui font écran à ce Dieu qui nous transforme, qui nous fait mourir et ressusciter. Or ce langage de l’intérieur, c’est celui de la prière. C’est le sens des paroles de Jésus que nous avons relues dans l’évangile selon Jean. « Le Père est avec moi », c’est le langage de l’intimité, le langage de l’intérieur, le langage de la prière que Jésus déploiera au quote suivant et qui constituera tout à l’heure notre intercession.

Là encore, il convient de ne pas laisser la prière à l’état de ce qu’on en fait trop souvent : le catalogue des bonnes intentions ou la liste des désirs du moment. La prière est ce face à face avec la vie placée face à l’ultime. La prière est ce dialogue avec les réalités qui nous entourent pour distinguer les réalités dernières du pseudo réel. La prière est ce travail patient qui consiste à interpréter les signes des temps, qui consiste à découvrir cette heure qui est déjà venue, qui est donc là, mais qui n’apparaît pas encore dans toute sa clarté. La prière est ce travail de l’archéologue qui va mettre à jour le site qui se trouve là, quoi que caché par des siècles d’histoire. La prière est cet acte de l’homme en bien des points semblable à celui de l’agriculteur qui arpente son champ d’asperges et qui interprète le craquement de la terre comme l’œuvre de cette plante qui a poussé, qui est là, encore cachée, mais disponible à la cueillette. La prière permet à l’homme d’interroger le monde, d’interpréter les signes non pas comme des objets intéressants qui augmenteront son savoir, mais comme les éléments de sa propre histoire qui s’écrit au fil de sa recherche personnelle. La prière, que l’on pourrait appeler aussi « méditation sur le monde à la lumière de l’absolu » que les témoins bibliques nomment « l’Eternel », c’est lorsque nous posons un regard pénétrant sur la vie ; c’est ce qui nous permet de découvrir que le péché, loin d’être une réalité dernière, est submergé par cette grâce qui surabonde, littéralement qui abonde de toute part. La prière est ce qui nous rend attentif à la vie qui point ici et là, qui éclot au-delà de mes espoirs, de mes compréhensions toujours trop limitées quand je m’en tiens à ma seule compréhension des faits, lorsque je pense pouvoir me suffire à moi-même. La prière, c’est cet effort par lequel je brise les idoles qui me tenaient lieu de fondements, pour laisser place à l’Eternel, ce qui ne se fait jamais sans quelques tribulations, sans une forme d’oppression ou de dépression. Car la prière est un combat, une lutte, certainement pas un quiétisme. On pourra prétendre qu’une prière doit être totalement passive pour laisser Dieu prendre toute la place. Ce n’est qu’un leurre. Il n’y a pas de passivité absolue. Même faire silence est une action de l’homme. Jésus révèle que la vie en plénitude qui nous est offerte ne s’accueille que de haute lutte par la prière qui comble le fossé qui nous sépare de Dieu et arrache la bénédiction telle celle de Jacob dans le livre de la Genèse (32) en rejoignant l’être dans ce qu’il a de plus intime, son nom.

C’est par la prière, par la mise en doute des représentations, par la contestation des objets devenus sacrés, par l’interprétation des signes, que devient vraie, pour nous-mêmes, cette affirmation de l’apôtre Paul : « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé ».

Amen

Lecture de la Bible

Jean 16:32-33

Voici, l’heure vient, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés chacun de son côté, et où vous me laisserez seul; mais je ne suis pas seul, car le Père est avec moi.
33 Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. Vous aurez des tribulations dans le monde; mais prenez courage, j’ai vaincu le monde.

Romains 5:15-21

Mais il n’en est pas du don gratuit comme de l’offense; car, si par l’offense d’un seul il en est beaucoup qui sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu et le don de la grâce venant d’un seul homme, Jésus-Christ, ont-ils été abondamment répandus sur beaucoup.
16 Et il n’en est pas du don comme de ce qui est arrivé par un seul qui a péché; car c’est après une seule offense que le jugement est devenu condamnation, tandis que le don gratuit devient justification après plusieurs offenses.
17 Si par l’offense d’un seul la mort a régné par lui seul, à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice régneront-ils dans la vie par Jésus-Christ lui seul.
18 Ainsi donc, comme par une seule offense la condamnation a atteint tous les hommes, de même par un seul acte de justice la justification qui donne la vie s’étend à tous les hommes.
19 Car, comme par la désobéissance d’un seul homme beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul beaucoup seront rendus justes.
20 Or, la loi est intervenue pour que l’offense abonde, mais là où le péché a abondé, la grâce a surabondé,
21 afin que, comme le péché a régné par la mort, ainsi la grâce règne par la justice pour la vie éternelle, par Jésus-Christ notre Seigneur.

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