Un pour tous ou tous pour un ?

1 Timothée 2:1-8

Culte du 24 décembre 2017
Prédication de Richard Cadoux

Vidéo de la partie centrale du culte

Ce soir nous fêterons Noël : La naissance d'un enfant, l'accomplissement de la promesse d’un Sauveur, la manifestation de la grâce de Dieu pour le salut de tous les hommes. Vous venez de l'entendre sous la plume de l'auteur de la Première Epitre à Timothée : Dieu notre sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Oui tous les hommes, sans exception. Mais le même auteur ajoute quelques lignes plus loin qu’il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Christ Jésus. L’affirmation est claire et nette, apparemment sans appel. On en trouve d'ailleurs d'autres dans le Nouveau Testament qui vont dans le même sens. Il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes par lequel il nous faille être sauvé, déclare Pierre devant le sanhédrin. Nul ne va au Père que par moi : C'est la parole même du Christ johannique.

On voit bien alors le problème : Comment concilier l'affirmation d'un salut pour tous avec celle du caractère unique de la Voie d'un salut inauguré par Jésus-Christ : Qu'en est-il alors des autres religions ? Quelle est leur valeur ? Sont-elles des voies de salut ? Qu'en est-il des sagesses et des philosophies du monde ? Qu'en est-il de celles et ceux pour qui le nom de Jésus ne revêt aucune signification ? A cette question, le christianisme apporte trois types de réponse.

La première est dite exclusiviste. Elle consiste à dire que le christianisme est la vraie religion, la religion absolue. Nous seuls possédons la vérité. Hors de l'Eglise, point de salut ! Et cette position théologique privilégie comme point de départ la notion d'Eglise. Dans cette perspective, l’Eglise joue un rôle dans l'économie du Salut.

A l'opposé on trouve une position relativiste. Il n'y a qu'un seul Dieu, le même pour tous. Toutes les religions se valent, chacune d'entre elles est une voie de salut, à chacun sa vérité ! Tous les chemins mènent à Dieu. Son point de départ se trouve dans une réflexion sur Dieu confessé comme créateur donc comme unique et universel.

Enfin, il y a une troisième voie possible, celle de l'inclusivisme, très liée à une réflexion de type christologique. Elle repose sur la conviction que le Christ, verbe incarné, logos universel, est un être divin et qu'il peut illuminer de manière secrète et mystérieuse tout homme en quête de vérité et de vie. Dans une telle perspective les religions non-chrétiennes portent des valeurs positives mais qu’elles sont appelés à être purifiés et éclairées par la plénitude de la Révélation. Les religions sont comme des pierres d'attente. Leurs adeptes sont alors considérés sinon comme des croyants dignes de respect, tout du moins comme des hommes de bonne volonté, engagés dans une quête authentique. A la limite son peut les considérer comme des « chrétiens anonymes » pour reprendre une expression du théologien catholique Karl Rahner ou comme « des chrétiens virtuels », selon l'expression employée par Karl Barth dans le quatrième volume de sa Dogmatique.

Pour ma part, j'aimerais repartir du phénomène religieux. Les religions sont des réalités qui s’inscrivent dans le champ social et culturel. Elles sont nombreuses. L'expérience religieuse est foisonnante. Bergson définissait l'humanité comme une machine à fabriquer des dieux. A cet égard, le christianisme est une proposition religieuse parmi beaucoup d’autres. On peut le comparer à d'autres religions. Il a sa valeur et ses limites. Le christianisme n'a donc aucune raison de discriminer, de dévaloriser ou de sous-estimer à priori d'autres religions, puisqu’elles sont, comme lui, uniques et singulières. Chaque religion a de la valeur. Et aucune d'entre elles, pas même le christianisme, ne peut prétendre être la religion absolue.

Je remarque ensuite que le christianisme a des racines juives. C'est donc une religion issue d'une autre religion. Le christianisme a d'ailleurs besoin du judaïsme pour comprendre son origine et sa spécificité. Or le judaïsme affirme recevoir de Dieu une double vocation, celle de constituer un peuple, une communauté particulière mais aussi d’être Source de lumière pour l'ensemble du genre humain. C’est un peuple pédagogue. L’élection divine implique un service à rendre à l'humanité tout entière. Le Dieu d'Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu d’Israël, le dieu d'un peuple particulier est aussi le Dieu de tous, parce que c'est un Dieu juste et que la justice est la même pour tous, ou que du moins elle devrait l'être. Le judaïsme est donc porteur en même temps d'un particularisme et d’un universel. C’est dans la même ligne que je situe la vocation de Jésus. Jésus est un être particulier, enraciné dans une histoire et une culture, mais son message, celui du sermon sur la montagne, concerne et peut rejoindre tout homme. Fondé sur la personne de Jésus, le christianisme assume ce double aspect. Il est une religion limitée, dans une particularité historique, qui lui assigne certaines limites. Et il a une vocation universelle. Il n'est d'ailleurs pas la seule religion à revendiquer cette universalité.
La vraie question, alors, c’est de préciser en quoi consiste cette prétention à l’universalité du christianisme. Le christianisme soutient qu'en la personne de Jésus, Dieu a prononcé une parole décisive et définitive sur l'homme. Son dernier mot envers les hommes, envers tout homme, n'est pas l'expression de la colère, mais celle de sa justice. Ce que le message évangélique exprime a un sens acceptable pour tout être humain et il concerne tous les aspects significatifs de la condition humaine, dans la mesure où celle-ci est une requête de dignité, de justice et de paix. Il y va finalement de la longueur, de la hauteur, de la profondeur et de la largeur du salut et du bonheur de l'homme. Mais cette parole, elle s’est dite par le biais d'un homme, qui a vécu à une certaine époque et dans un certain lieu. L'absolu, c'est-à-dire le Dieu vivant et vrai, s'est dit dans la relativité et dans la contingence d'un homme, Jésus de Nazareth. La religion chrétienne est de fait liée à une particularité historique, à un événement.
Dès lors faire de Jésus la manifestation nécessaire et unique de Dieu est en contradiction avec l'être même de Dieu qui est liberté absolue. Le christianisme ne peut jamais perdre de vue que, non seulement le christianisme, mais même l'homme Jésus, ne sont pas absolus ou absolument uniques. Seul le Dieu de Jésus l'est, Lui, le Dieu de tous les hommes. Jésus est la manifestation relative de ce qui est absolu. Puisque aucune particularité historique ne peut être absolue, il faut même en conclure que Dieu a pu parler par d'autres Voix que celles de l’homme de Nazareth. On ne peut exclure l'hypothèse que Dieu a parlé par la bouche d'autres prophètes, d'autres témoins, qu'il s'exprime dans d'autres traditions religieuses. On peut aussi avancer que Dieu peut rejoindre l'homme par un autre canal que celui de Jésus.
Mais regardons encore comment Jésus s’est manifesté dans l’histoire, comment s'est exercée l’œuvre du salut. Deux traits me semblent caractéristiques du ministère et de la prédication de Jésus. Le premier, c'est le refus de la domination et la solidarité avec les pauvres et les laissés pour compte. Le second trait essentiel, lié au précédent, apparaît dans le fait que la voie suivie par Jésus l'a conduit à la croix. C'est à cause de sa solidarité avec les exclus et les rejetés de ce monde que Jésus a lui-même été exclu et rejeté par les hommes. Ce chemin a été accepté et validé par Dieu. Or au regard de l'histoire, le message de Jésus se concrétise dans la vie de ceux qui y adhèrent. C’est en marchant eux-mêmes sur les traces de Jésus que ce que les chrétiens annoncent devient crédible pour autrui. Lorsque des chrétiens, lorsque des Eglises prennent parti pour les Sans-droits, les Sans-voix, les Sans-pouvoirs et les Sans-noms, lorsqu’ils s’engagent pour l'homme là où son humanité est bafouée, ils attestent que ce qui ressort de l'humain universel a du prix aux yeux de Dieu et ils agissent en fidélité au message que leur a laissé le Christ.

La transformation de notre terre en un monde juste, à visage humain, où les personnes et les peuples vivent en paix les uns avec les autres, dans le respect de la Création, tout cela fait partie intégrante du dessein universel de la foi chrétienne : la venue du « Royaume de Dieu » ou ce que nous appelons le salut de Dieu. La foi chrétienne tient que le nom du Dieu de Jésus est indéniablement lié à l'utopie évangélique de justice et d'amour, au rêve de libération des hommes, de tous les hommes, au sens d'une humanité toujours plus vraie, plus profonde et plus réconciliée. Le chrétien est invité à proclamer l'évangile en paroles et en actes avec la conviction que cette mise en œuvre contribue à l'avancée du règne de Dieu sur la Terre. Ou dit autrement lorsque l'Evangile est annoncé authentiquement et effectivement, l'humanité entière en recueille le profit et en devient plus humaine.

L’enjeu alors, ce n'est pas d'enrôler des hommes sous la bannière chrétienne, c’est que des chrétiens collaborent et dialoguent avec tous ceux, dans les religions du monde et même en dehors de celles-ci, qui se battent pour l'humanité de l’homme, qui se retrouvent sur cette conception de la dignité et de la vocation humaine. Il en résulte que l'attitude chrétienne est celle du dialogue et de la collaboration. L'action missionnaire ne peut émaner d'un sentiment de supériorité qui nous ferait porter aux autres une vérité qu’ils ignoreraient. L'évangile se révèle et se dit chaque fois que des hommes différents se rencontrent, laissent parler leur cœur et se mettent à travailler ensemble pour que tous progressent en humanité.

Une telle démarche peut alors nous faire découvrir aussi la richesse du patrimoine culturel et religieux de ceux avec qui nous collaborons, puisque eux aussi seront amenés à partager avec nous les valeurs qui les animent. Encore faut-il que les croyants soient prêts un tant soit peu à se laisser altérer. Il est difficile de dialoguer si a priori je pense que la rencontre avec l'autre ne peut rien m’apporter. Très souvent on refuse de dialoguer parce que l'autre fait peur.

Nous devons assumer le risque de tout dialogue en vérité : nous ne savons jamais jusqu’où nous serons déplacés par la rencontre de l'autre. La rencontre peut nous conduire à des remises en question, à des purifications difficiles. Ceci est vrai de part et d'autre évidemment. Mais elle peut aussi déboucher sur des réalisations concrètes. J'étais à Strasbourg au printemps dernier et j'ai vu comment dans un quartier populaire, le Neuhof, un diacre permanent catholique, un rabbin plein d'humour et un imam Sénégalais décoré de la Légion d'honneur avaient lancé un espace de rencontre, un jardin partagé, entre leurs fidèles pour une expérience de dialogue et de découverte réciproque.

Plus que de convertisseurs ou de propagandistes, nous avons besoin aujourd'hui d'artisans de paix. Dans une telle perspective, il importe de donner toute sa place à l’Esprit divin, compris comme force active de création et de communication entre les humains, compris comme l’actualité de Dieu dans la vie des hommes et du monde. C'est cet Esprit qui maintient l'altérité et ouvre des chemins neufs. Les premières communautés chrétiennes se sont ouvertes aux païens, parce qu'elles étaient convaincues que l'Esprit de Dieu avait été répandu aussi chez eux et qu'il fallait en tirer les conséquences. Sans doute en ce début de troisième millénaire, le temps est-il venu de reconnaître que cet Esprit agit dans les cœurs, les cultures et les religions de toute l'humanité. Or l’Esprit, cette promesse du Père, nul n'en est propriétaire, aucune Eglise, aucune religion, pas même le christianisme, pas même Jésus le Christ qui l'a lui-même reçu et qui veut le répandre sur tout l’univers.

Que ce Souffle vienne ! Alors tous les hommes, chrétiens ou pas, pourront être désaltérés par l'unique Esprit, pour que le monde enfin ait la vie. Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre aux hommes qu’il aime : Ce sera Vraiment Noël !

AMEN

Lecture de la Bible

1 J'exhorte donc, avant toutes choses, à faire des prières, des supplications, des requêtes, des actions de grâces, pour tous les hommes, 2 pour les rois et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. 3 Cela est bon et agréable devant Dieu notre Sauveur, 4 qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. 5 Car il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, 6 qui s'est donné lui-même en rançon pour tous. C'est là le témoignage rendu en son propre temps, 7 et pour lequel j'ai été établi prédicateur et apôtre,-je dis la vérité, je ne mens pas,-chargé d'instruire les païens dans la foi et la vérité.

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