Un amour singulier

Marc 1:1-15 , Ésaïe 40:1-9 , Malachie 3:1-3

Culte du 22 novembre 2009
Prédication de pasteur Marc Pernot

( Marc 1:1-15 ; Ésaïe 40:1-9 ; Malachie 3:1-3 )

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Culte du dimanche 22 novembre 2009 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

À l’époque de Jésus, il n’y avait pas d’ordinateur pour faciliter la lecture de la Bible, mais bien des personnes avaient une meilleure mémoire des histoires qu’ils entendaient, cela leur donnait une vision plus globale de ce qu’ils entendaient. Et donc, quand Marc cite des passages de la Bible Hébraïque, ses auditeurs repéraient tous ces citations et se souvenaient de leur contexte. Et quand une citation est transformée, cela leur sautait aux yeux. C’est ce que Marc fait ici, pour nous annoncer l’essentiel dans les premiers mots de son livre. Il le fait avec une grande maîtrise et une simplicité de moyens qui font son style. Marc combine une parole du livre d’Ésaïe et une du livre de Malachie. Avec cette combinaison et deux minuscules changements, Marc nous dit l’Évangile.

Il cite d’abord le prophète Malachie en changeant un seul tout petit mot, une seule syllabe, mais cela change complètement la perspective :

  • Avec Malachie Dieu disait : « J'envoie mon messager, il préparera un chemin devant moi »,
  • Avec Marc, Dieu dit « J'envoie mon messager, il préparera le chemin devant TOI ».

« Devant moi » ou « devant toi », cela change tout. Le messager ne travaille plus à la préparation du chemin de Dieu pour qu'il puisse descendre. Ce n’est plus la peine, comme nous le voyons dans la suite du texte de Marc, le Royaume de Dieu s’est approché, Dieu est là, son salut est offert à tous, la promesse du livre de Malachie s’accomplit. Maintenant, le messager travaille à la préparation de nos sentiers à nous.

Sur ce point, Marc ne trahit pas Malachie en transformant sa citation, au contraire, l’époque a seulement changé, il ne s’agit plus d’attendre la réalisation de la promesse mais d’en vivre aujourd’hui.

En un changement de mot, Marc exprime cette nouveauté. Mais il y a aussi une transformation théologique essentielle dans ce simple changement d’un petit mot, c’est l’usage du singulier. Selon Marc, Dieu s’adresse en particulier à l’individu : « J'envoie mon messager, il préparera le chemin devant TOI ». Pour dire que la promesse de Malachie est réalisée, Marc aurait du faire dire à Dieu : « J'envoie mon messager, il préparera le chemin devant vous. » et non « il préparera le chemin devant toi ». Car l’annonce de Malachie était adressée aux prêtres du temple de Jérusalem puis au peuple d’Israël. Dans l’annonce de l’Evangile selon Marc, c’est chaque personne individuelle qui est concernée, pas simplement un peuple ou l’humanité en général.

Avec ce passage du collectif à l’individuel, Marc nous propose une nouvelle lecture de ce que promettait Dieu selon Malachie. Sa prophétie pouvait passer pour une menace : Dieu va venir, nous dit Malachie, avant de nous poser cette question : « Qui pourra soutenir le jour de sa venue, qui restera debout quand il paraîtra ? » En effet, nous dit Malachie, devant tant d’injustice en ce monde, Dieu ne peut pas rester indifférent, et il va venir pour faire du ménage, il va supprimer ceux qui font du mal, il ne gardera que les meilleurs, ou les moins mauvais, cela permettra d’améliorer la qualité morale et spirituelle du peuple.

Ce n’est pas du tout la conception du salut qui est exprimée en Jésus-Christ. C’est vrai qu’il y a du mal et qu’il faut que cela change. Mais comment reprendre cette promesse de purification dans le cadre d’une théologie d’un Dieu qui n’est que bonté ? Tout simplement en passant du pluriel au singulier, la menace disparaît pour devenir une offre de soin, une aide bienveillante, une guérison qui nous est donnée à chacun, personnellement. La menace se transforme en une bonne nouvelle de l'amour de Dieu.

Le salut de Dieu, nous dit Malachie, est « comme le feu du fondeur qui purifie le minerai, il est comme la lessive qui nettoie le linge ». Dans les deux cas, l'action est décapante, cette action est terrible si elle élimine telle ou telle personne dans un grand lessivage du peuple ou de l’humanité. Mais lue au singulier, cette promesse est une bonne nouvelle et non une menace. Car le jugement de Dieu, alors, ne rejette personne, au contraire, Dieu sauve le meilleur de chacun comme le fondeur recueille le bon métal même quand il est caché dans la substance du minerai le plus pauvre.

L’amour de Dieu va jusqu’au singulier, il n’est pas seulement collectif. Il est collectif aussi, car ce ne sont pas seulement les individus qui doivent être purifiés et vivifiés par Dieu, mais aussi leurs relations, mais aussi ce corps que nous formons ensemble, les couples, les familles, les églises et les sociétés.

Le temps du salut de Dieu est arrivé, nous dit l’Evangile selon Marc. Ce n’est même plus une promesse, c’est quelque chose à vivre au présent. C’est une bonne nouvelle pour chacun et cette bonne nouvelle, nous dit Marc, c’est Jésus-Christ. Ce salut est donc déjà là, mais en même temps, cette annonce n’est que le « commencement de la bonne nouvelle » nous dit Marc, ce salut est comme un messager qui nous est envoyé pour préparer un chemin devant chacun de nous, individuellement.

En relisant Malachie avec Marc, cette préparation du chemin se manifeste comme une purification de notre être, de notre existence, de nos priorités, de nos attachements. Ils sont comme récurés, passés au creuset, pour en dégager le meilleur et nous libérer de ce qui nous tue et nous rend source de mort.

Jean parut, baptisant dans le désert,
 et prêchant le baptême de repentance,
pour le pardon des péchés.(v.4)

Voilà ce que disent nos traductions, il est utile de regarder plus en détail le mot à mot de ce qui est marqué dans le texte original :

Jean parut dans le désert, annonçant une plongée
 dans un changement de mentalité,
 celui de la mise de côté des fautes.

On voit quel changement de mentalité l’Évangile nous propose : celui d’un amour inconditionnel de Dieu pour chaque personne individuelle, amour qui n’est pas indifférent au mal que nous avons subi, ni au mal qui est en nous, ni au mal que nous faisons, mais un amour qui, justement parce qu’il nous aime individuellement, désire nous aider à cheminer, à nous purifier de ce qui nous fait souffrir et de ce qui nous pourrit.

Là où ce n’est que « le commencement de l’Évangile », c’est qu’au début ce salut n’est qu’une annonce, celle d’une théologie, celle de la bonté de Dieu, ce n’est qu’une sagesse : le pardon est source d’une vie nouvelle. C’est aussi une expérience : que nous avons bien du mal à pardonner, que nous avons du mal à vivre sans compter, que nous sommes englué dans une logique de la dette, logique du « il me doit ça », logique du « je ne veux rien devoir à personne ». Le commencement de l’Évangile, c’est l’expérience que la grâce est possible, qu’elle fait vivre. L’humanité a été bouleversée par le signe de la grâce de Dieu qu’a été la vie du Christ. Il nous a appris à discerner aussi les signes de cette grâce dans nos frères et sœurs, dans telle parole qu’ils ont eue, dans tel geste, et d’y être sensible, et de nous laisser créer par cette étincelel de grâce.

L’Évangile c’est qu’il n’y a pas d’absolue fatalité à cette difficulté que nous avons à avancer, nous pouvons nous plonger dans cette nouvelle mentalité qu’est la grâce de Dieu pour nous ouvrir à son action décapante, c’est la première étape, celle de Jean, celle de la préparation du chemin, celle qui consiste à commencer à compter simplement sur Dieu pour qu’il nous mette vraiment en chemin, qu’il crée et fasse grandir en nous la capacité à vivre.

Par cette parole de l’Evangile, ou plutôt par la plongée dans cette nouvelle façon de voir, un cheminement est rendu possible, une ouverture à une guérison de notre façon de voir la vie, les autres et nous-mêmes. Ce n’est pas seulement une question d’entendre ce que dit l’Evangile, d’être séduit par sa philosophie, par sa sagesse et sa grandeur. Il s’agit d’y plonger ce que nous avons fait, ce que nous espérons, ce qui fait nos joies et nos peines. Il s’agit de se plonger dans cette nouvelle façon d’être qui consiste à vivre en laissant de côté la logique de la dette. Oui, dans cette démarche proposée ici, il y a quelque chose du plongeon que fait le petit oiseau hors du nid, dans un premier vol qu'il ose un jour, car il voit que ses parents volent et il entend qu'ils l'appellent.

Dieu peut alors nous faire cheminer. Dans cette action de Dieu en nous, il y a deux intérêts, chacun étant immense :

  • D’abord, comme le montre Malachie, la grâce active de Dieu retranche quelque chose de mauvais et de souffrant dans notre être, pour ajouter une dimension nouvelle, par l’Esprit.
  • Mais à travers même cette expérience du pardon et de l’aide que Dieu nous apporte, nous faisons l’expérience de la vie véritable qu’est la grâce, nous faisons l’expérience de ce qu’est le bien.

Ne manquons pas de savourer chaque expérience de ce bien là. Chaque fois que nous pouvons aimer nous mêmes un petit peu, voir le bien, aimer le bien au lieu de voir le mal et de ressasser le mal. Chaque fois que nous sommes aimés un peu, que nous sommes surpris par un regard ou un geste de bienveillance, ne manquons pas de nous en réjouir, de le savourer comme une expérience de cette grâce qui donne envie de vivre et de vivre bien, de cette grâce qui ne peut venir que de Dieu.

feuille

La seconde citation que fait Marc est tirée du livre d'Ésaïe. Mais le rapprochement avec la citation de Malachie, et son détournement par Marc, est assez hardi, parce que cette fois-ci il est bien question de préparer le chemin devant Dieu, mais c'est l'homme qui est appelé à faire ce travail de terrassement. Et il n'est plus question d'ouvrir le chemin pour que Dieu descende, puisque c'est déjà accompli, mais il est question de rectifier les sentiers de Dieu, de faciliter sa circulation dans notre monde.

Il y a dans cette annonce une bonne nouvelle pas évidente du tout : que nous le voulions ou non, que nous en ayons conscience ou non, l'espérance de Malachie est accomplie pour chacun, individuellement, au moins comme un commencement. Dieu est présent en chacun, ne serait-ce qu'un tout petit peu, en germe. Personne n'est vivant dans le monde sans au moins une goutte d'Esprit-Saint, sans une minuscule capacité à aimer, sans la moindre étincelle d'espérance et de spiritualité. Dieu est présent en nous, mais parfois il ne parvient à y cheminer que comme dans une broussaille invraisemblable. Nous pouvons lui faciliter la tâche en lui donnant de l'espace pour évoluer en nous et nous faire évoluer.

C'est dans le désert que ce travail se fait, nous dit Ésaïe. Il y a d'abord ici un clin d'œil à l'histoire de Moïse qui a reçu « les 10 paroles » dans le désert. Nous pouvons débroussailler une place pour Dieu dans notre vie en piochant avec la Bible. Mais il y a aussi une vérité très concrète dans ce conseil d'Ésaïe. Un conseil valable aussi pour un athée. Il est fort utile de prendre du recul, hors du bruit, de la foule et de toute production, un temps de désert pour chercher l’essentiel. Mais ici, nous ne débroussaillons pas pour mettre de l'ordre nous-mêmes, mais surtout pour permettre à Dieu de vivifier notre être à la racine du bien, dans sa capacité à avancer avec et pour nos frères et sœurs, à l’image de Dieu qui s’intéresse à chacun.

Et c’est là, dans la citation d’Ésaïe, que le collectif resurgit, le pluriel que Marc avait enlevé au début pour dire l’amour que Dieu a pour chacun en particulier, ce pluriel, Marc le rajoute ici. La personne humaine n’est pas seule à piocher un unique chemin pour Dieu dans son existence. Mais c’est tous ensemble, nous dit Marc que nous sommes appelés à applanir une multitude de sentiers pour Dieu. Il n’y a pas d’autre solution que de le faire ensemble, en nous pardonnant un peu, et en étant les uns pour les autres cette voix qui crie dans le désert l’annonce de la grâce qui fait vivre.

C’est en particulier que nous sommes aimés, mais c’est seulement ensemble que nous sommes sauvés.

Amen.


Lecture de la Bible

Marc 1:1-15

Commencement de l’Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. 2 Selon ce qui est écrit dans Esaïe, le prophète:
Voici, j’envoie devant toi mon messager, Qui préparera ton chemin; 3 C’est la voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers,

4 Jean parut, baptisant dans le désert, et prêchant le baptême de repentance, pour le pardon des péchés. 5 Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui; et, confessant leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain. 6 Jean avait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. 7 Il prêchait, disant: Il vient après moi celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier, en me baissant, la courroie de ses souliers. 8 Moi, je vous ai baptisés d’eau; lui, il vous baptisera du Saint-Esprit.

9 En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain. 10 Au moment où il sortait de l’eau, il vit les cieux s’ouvrir, et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. 11 Et une voix fit entendre des cieux ces paroles: Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis toute mon affection. 12 Aussitôt, l’Esprit poussa Jésus dans le désert, 13 où il passa quarante jours, tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient.

14 Après que Jean eut été livré, Jésus alla dans la Galilée, prêchant l’Evangile de Dieu. 15 Il disait: Le temps est accompli, et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous, et croyez à la bonne nouvelle.”

Ésaïe 40:1-5

Consolez, consolez mon peuple, Dit votre Dieu. 2 Parlez au coeur de Jérusalem, et criez lui :
Que sa servitude est finie,
Que son iniquité est expiée,
Qu’elle a reçu de la main de l’Eternel
Au double de tous ses péchés.

3 Une voix crie: Préparez au désert le chemin de l’Eternel,
Aplanissez dans les lieux arides
Une route pour notre Dieu.
4 Que toute vallée soit exhaussée,
Que toute montagne
et toute colline soient abaissées!
Que les coteaux se changent en plaines, Et les défilés étroits en vallons!
5 Alors la gloire de l’Eternel sera révélée, Et au même instant toute chair la verra; Car la bouche de l’Eternel a parlé.

Malachie 3:1-3

Voici, j’enverrai mon messager;
Il préparera le chemin devant moi.
Et soudain entrera dans son temple
le Seigneur que vous cherchez;
Et le messager de l’alliance
que vous désirez, voici, il vient,
Dit l’Eternel des armées.
2 Qui pourra soutenir
le jour de sa venue?
Qui restera debout quand il paraîtra?
Car il sera comme le feu du fondeur,
Comme la potasse des foulons.
3 Il s’assiéra, fondra et purifiera l’argent;
Il purifiera les fils de Lévi,
Il les épurera comme on épure l’or
et l’argent,
Et ils présenteront à l’Eternel
des offrandes avec justice.

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