Tout est de Lui

Romains 11

Culte du 30 octobre 1938
Prédication de André-Numa Bertrand

Culte au temple du Bouclier, Strasbourg

Plaque commémorative Jean Calvin et Pierre Brully, à l'entrée du temple réformé du Bouclier à Strasbourg, installé ce 30 octobre 1938.

30 octobre 1938

Culte présidé par le pasteur André-Numa Bertrand

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Prédication

Dans les cérémonies par lesquelles Strasbourg commémore l'arrivée dans ses murs de Jean Calvin, une place devait être réservée à la méditation, au recueillement et à la prière. Les héros de la vie spirituelle, et spécialement de la vie chrétienne, ne sauraient être célébrés, en effet, comme ceux qui se consacrent aux causes de ce monde : en eux c'est Dieu seul qui est glorifié, non sa créature ; car Lui seul agit, Lui seul triomphe, Lui seul est grand. Il en est ainsi plus particulièrement lorsqu'il s'agit d'un Calvin, pour qui toute pensée culmine dans l'affirmation de la souveraineté de Dieu et du néant de sa créature. Il semble que la parole qui s'est spontanément imposée à notre attention, ce matin, exprime en une formule saisissante toute la pensée du Réformateur et soit de nature à guider nos esprits dans la méditation qui nous arrête devant sa grande mémoire : « Tout est de Lui, tout est par Lui, tout est pour Lui. »

La pensée ou la piété de Calvin n'est pas de celles revendiquée pour la volonté d'En Haut, c'est le caractère total de la piété, plutôt que la doctrine de l'élection éternelle, qui en est la formule la plus précise en même temps que la plus paradoxale. Le service essentiel que Calvin a rendu au XVIe siècle, et à travers lui à tous les siècles chrétiens, c'est d'avoir instauré une piété qui n'est pas affaire de pratique culturelle ou d’Église, qui n'est pas une mysticité nous laissant en tête-à-tête avec Dieu, ou une morale qui ne fixe que l'extérieur de notre conduite, mais une piété qui nous prend et nous veut toute entière, avec toute notre vie tant intérieure qu'extérieure, tant individuelle que sociale.

Ici d'ailleurs Calvin rejoint simplement l’Évangile : car celui-ci ne tend pas à la création d'une vie rituelle ou à la réglementation d'une vie morale, mais à la reconstruction de notre personnalité, à la création en nous d'un homme nouveau, œuvre de la grâce de Dieu et point de départ d'une vie nouvelle. Ce que Dieu appelle une âme sauvée, les hommes l'appellent une personnalité reconstruite, et Jésus qui voit les choses du côté de Dieu mais qui aime à nous les montrer du côté des hommes, ne dit pas abstraitement « être sauvé », Il dit pratiquement, concrètement, « sauver sa vie ». Seulement dans la phrase même où il nous parle de ces vies sauvées, il ajoute qu'une vie ne peut être sauvée que si elle est donnée, qu'une personnalité par conséquent ne peut être reconstruite sur l'amour et la préoccupation d'elle-même, mais seulement sur l'amour et la préoccupation de Dieu et des hommes.

L'homme demande éternellement comme dans l'antique Prophétie de Michée : Qu'est-ce que Dieu demande de moi ? — et l'Évangile lui répond : Il demande toi-même, ta personne : Offrez vos cœurs et vos esprits en sacrifice vivant et saint, voilà ce qui sera de votre part un culte raisonnable. Il ne s'agit pas de corriger, de redresser, de réparer ; il s'agit de mourir et de renaître. Une religion de totalité, vous dis-je.

Nous avons besoin de cette religion-là, dans un monde où tout vacille parce qu'il lui manque les pierres vivantes avec lesquelles on peut construire le Temple de Dieu, je veux dire des personnalités chrétiennes, des vies changées parce qu'elles découlent de cœurs changés eux-mêmes.

Mais Calvin veut plus encore que cela, car ce que Dieu veut reconstruire ce ne sont pas seulement des personnalités, c'est un monde, un monde tout entier, avec ses cadres, avec ses lois, avec son âme. Certes aucun Réformateur n'a plus que lui insisté sur la valeur de la personnalité chrétienne, sur le tête-à-tête de l'âme avec son Dieu, sur le mystère de la personne et de sa vocation éternelle. Mais ces âmes sauvées ne sont pas pour lui des personnalités isolées, des grains de sable incapables de s'agglomérer ; ce sont les éléments constitutifs du Royaume, ce sont les sujets d'un État qui doit être un État chrétien, les membres d'une Cité qui doit être une Cité de Dieu. L'homme est un être social et l’Évangile est une force sociale ; comme l'individu, la société doit obéir à Dieu, elle aussi. Jésus-Christ n'a pas dit qu'il était venu pour sauver des âmes individuelles, il a dit qu'il était venu pour sauver le monde ; Son Évangile est « l’Évangile du Royaume ». Reconstruire le monde, renouveler le monde par le dedans, par la vertu des personnalités sauvées, c'est-à-dire reconstruites, renouvelées elles-mêmes, voilà l'œuvre de Dieu. Voilà aussi l'ambition de Calvin. Tout est à Dieu, non pas seulement le silence prosterné de l'âme en prière, mais l'action publique du citoyen, l'effort de l'homme pour la libération du monde, pour le renouvellement de la vie sociale.

Mes Frères, est-il message plus actuel que celui-là ? Si jamais l'humanité chrétienne s'est trouvée devant un monde à reconstruire, c'est bien aujourd'hui. Tout le monde est d'accord sur la nécessité de cette reconstruction, et tout le monde s'offre à l'entreprendre, les bons ouvriers de l'amour et les mauvais ouvriers de la haine ceux qui veulent le bâtir sur Dieu et ceux qui veulent le bâtir sans Dieu. Les chrétiens réformés, élevés à l'école du « Tout est pour Lui », ne se lèveront-ils pas pour bâtir eux aussi ? Ne seront-ils pas dans notre France et dans le monde, de ces reconstructeurs qui savent que rien ne peut être solide sinon ce qui est bâti avec Dieu ? « Si l'Éternel ne bâtit la maison, ceux qui bâtissent bâtissent en vain ». J'imagine que Calvin a dû aimer cette parole où c'est Dieu qui bâtit ; mais Dieu bâtit par des mains humaines ; nous sommes ses ouvriers dans le chantier où Il construit pierre à pierre le monde que veut son amour. Ne laissons pas à d'autres la tâche qu'Il nous assigne ; levons-nous et mettons toute notre âme à bâtir ; car Dieu ne connaît que des œuvres totales : Ce qu'Il nous demande c'est nous-mêmes, ce qu'Il nous confie c'est le monde. Tout !

Car tout est de Lui, tout est par Lui, tout est pour Lui. À Lui soit la gloire aux siècles des siècles !

Amen.

Inauguration de la plaque commémorative de Calvin. Cour de l'église reformée, rue du Bouclier, dimanche 30 octobre 1938. Les pasteurs à droite.

Pour aller plus loin

  • A.-N. Bertrand, P. Vergara et G. Vidal, Voix chrétiennes dans la tourmente, 1940-1944, 1945, Paris, 192 pages, recueil de 15 prédications prononcées à l'Oratoire du Louvre durant l'Occupation (lire sur notre site)
  • A.-N. Bertrand, Berger d'âmes, 1945-1946, avec 8 prédications, suivies des hommages ci-dessous (lire sur notre site)
  • A.-N. Bertrand, Vocation, 1949 (lire sur notre site)

Lecture de la Bible

Épître aux Romains 11

33 Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu !
Que ses jugements sont insondables, et ses voies incompréhensibles !
34 Qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller ? 
35 Qui lui a donné le premier, pour qu'il ait à recevoir en retour ? 
36 C'est de lui, par lui, et pour lui que sont toutes choses. 

À lui la gloire dans tous les siècles ! 
Amen.