Stabat Mater

Jean 19:25-30 , 2 Samuel 21:1-14

Culte du 29 mars 2013
Prédication de pasteur James Woody

(Jean 19:25-30 ; 2 Samuel 21:1-14)

(écouter l'enregistrement)  (voir la vidéo)

Culte du vendredi saint 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

« Près de la croix de Jésus se tenait sa mère ». Chers frères et sœurs, il est des expressions religieuses, des symboles, qui frappent l’imagination et qui retentissent en nous profondément. Ainsi en va-t-il de la traduction latine de l’évangile selon Jean (Jn 19/25), qui a inscrit au plus profond de notre mémoire l’attitude noble de ces mères qui se tiennent, là, debout, face à l’horreur, dans une formule qui sonne comme le glas : « Stabat mater » ! Ce que j’aimerais que nous retenions, frères et sœurs, de l’attitude de ces femmes de la Bible qui font face à la mort de leur fils, c’est qu’elles se tiennent debout, dans une posture qui dit quelque chose de la résurrection.

Les livres de Samuel ont donc également gardé la trace d’une femme qui se tient face à la mort. Rappelons les circonstances : Une sécheresse sévit en Israël depuis trois ans. David décide de consulter Dieu qui lui répond : « il y a du sang sur la maison de Saül parce qu’il a mis à mort les Gabaonites ». David en tire la conclusion que Dieu demanderait des victimes en échange. Les victimes seront les deux fils que Saül a eut de sa concubine Ritspa ainsi que les cinq fils nés d’une fille de Saül, Mikal, dont on se souvient qu’elle s’était moquée de David quand ce dernier avait dansé devant l’arche d’alliance. Les sept fils sont donc exposés jusqu’à ce que mort s’ensuive, dans l’idée que cela apaisera Dieu.

Qui réagit à cette affaire ? Personne. Quelle voix s’élève pour mettre en cause cette décision barbare ? Aucune, sauf…

« Ritspa, fille d’Aya, [qui] prit le sac et l’étendit sous elle contre le rocher… ». Une femme prend une initiative. Elle n’a rien pu empêcher dans l’inexorable action de la machine politique et religieuse qui demande vengeance et qui lui a broyé deux fils. Mais elle est là : il ne sera pas dit que les corps morts resteront sans veille et sans soin. Elle est la Mater Dolorosa qui reste debout, stabat mater au sommet de la douleur, « sur la montagne, devant l’Eternel », dit le texte (2 S 21/9). Que signifie ce geste de Ritspa ?

André Malraux, par un temps de décembre sans doute semblable à celui-ci, prononça – il y a bientôt 50 ans – l’éloge funèbre de Jean Moulin dont les cendres étaient transférées au Panthéon. Pendant son discours il évoqua de quelle manière il avait rencontré la résistance française pour la première fois.

« Voici comment je l'ai rencontrée, dit-il : dans un village de Corrèze, les Allemands avaient tué des combattants du maquis, et donné ordre au maire de les faire enterrer en secret, à l'aube. Il est d'usage, dans cette région, que chaque femme assiste aux obsèques de tout mort de son village en se tenant sur la tombe de sa propre famille. Nul ne connaissait ces morts, qui étaient des Alsaciens. Quand ils atteignirent le cimetière, portés par nos paysans sous la garde menaçante des mitraillettes allemandes, la nuit qui se retirait comme la mer laissa paraître les femmes noires de Corrèze, immobiles du haut en bas de la montagne, et attendant en silence, chacune sur la tombe des siens, l'ensevelissement des morts français. Ce sentiment qui appelle la légende sans lequel la résistance n’eût jamais existé, et qui nous réunit aujourd’hui, c’est peut-être simplement l’accent invincible de la fraternité. »

La femme qui se tient sur la montagne de Guibéa, Ritspa, affirme le respect dû aux hommes, aux corps. « Elle prit le sac et l’étendit sous elle contre le rocher ». Le sac est le vêtement qui recouvre habituellement les endeuillés de la Bible et les pénitents : il montre ici, étendu sur le sol, le deuil de la terre. La terre gémit et pleure, et Ritspa, debout, incarne la clameur maternelle qui monte vers Dieu. Elle se trouve entre les différents domaines du monde créé. Debout sur le sol « jusqu’à ce que l’eau du ciel tombe sur eux », elle rappelle qu’il y a une terre où sont les hommes et un ciel où –symboliquement- demeure Dieu. Bien des hommes ne devraient pas l’oublier, qui limitent souvent le monde à leurs intrigues d’ici-bas : un monde où ils se croient détenteurs de la vie et de la mort des autres. Ritspa marque encore une autre séparation, celle de l’homme et de la bestialité : « elle empêchait les oiseaux du ciel de se poser sur eux pendant le jour, et les animaux de la campagne pendant la nuit ».

La longue faction de Ritspa déclenche des réactions en chaîne. David, apprenant ce qu’elle a fait, décide non seulement de mettre au tombeau les ossements des sept morts mais, avant cela, il fait rapatrier les restes de Saül et de son fils Jonathan enterrés au-delà du Jourdain. La revendication de Ritspa, tout à la fois muette et éloquente, porte du fruit : les corps sont enfin traités comme ils doivent l’être.

« Après cela, poursuit le texte biblique, Dieu fut apaisé envers le pays ». Cela se traduit par la pluie qui, enfin revenue, ramène la vie sur la terre. Il convient de lire chacun de ces événements à sa juste place : Dieu ne donne pas la pluie parce que des victimes lui ont été offertes ; il féconde le sol après que Ritspa a douloureusement honoré la gloire des corps suppliciés. Ritspa, dans un monde de mort et de violence, a travaillé pour que l’humanité ne soit pas oubliée. Devant l’Eternel, Ritspa s’est tenue debout et elle a protesté. Elle a témoigné pour la plus grande gloire de Dieu contre ce qui défigure l’homme. Ce devrait toujours être cela, protester.

Frères et sœurs, dans la Bible, les mères ne sont pas seulement présentes au moment de la grossesse et de la naissance. Elles continuent à jouer un rôle primordial dans la suite de l’histoire et, souvent, au terme de l’histoire. En observant ici cette fonction maternelle, nous découvrons de quelle manière les femmes de la Bible ont réagi face à la mort et comment elles ont réussi à faire éclater la douleur de la mort pour que jaillisse, une fois encore, la puissance de vie que Dieu avait déposée en leur sein. Les textes bibliques qui ne nous épargnent nullement de la noirceur de l’histoire, nous révèlent de quelle manière la promesse de vie peut être ressuscitée au cœur du tragique. La Bible pousse la réflexion du lecteur jusqu’à l’insupportable en racontant l’histoire de ces femmes qui doivent affronter la mort de leur enfant, afin de nous faire entendre de quelle manière la parole de Dieu parvient, néanmoins, à se faire murmure jusqu’à nos oreilles.

C’est lors de la moisson des orges que les sept fils furent fauchés ; c’est lors des pluies fécondantes qu’ils sont mis au tombeau avec le messie Saül et son fils Jonathan. Ritspa était là pour ses deux fils qu’elle avait enfantés à Saül. Mais les cinq autres ne lui étaient en rien apparentés. Comme les femmes de Corrèze rencontrées par Malraux, Ritspa est une figure magnifique de maternité élargie qui fait entendre aux esprits les plus fermés cet accent invincible de la fraternité.

Ritspa fait partie de ces femmes qui ont milité, protesté pour la vie qui vient de Dieu. Elle fait partie de ces femmes qui ont ajouté des fils à leurs fils pour que l’humanité l’emporte, malgré tout. Et Marie se dresse en leur compagnie ; comme elles, Marie accueille un nouveau fils que lui désigne son propre fils exposé à la foule qui réclame son sang. Ritspa annonce ainsi que les femmes, qui ont travaillé à la vie, ont ouvert une brèche dans la violence du monde, une brèche par laquelle la vie s’est déversée du ciel. Ici comme ailleurs, ces femmes ont enseigné ce qu’est l’humanité.

Amen

Lecture de la Bible

Jean 19:25-30

Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la soeur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala.
26 Jésus, voyant sa mère, et auprès d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère: Femme, voilà ton fils. 27 Puis il dit au disciple: Voilà ta mère. Et, dès ce moment, le disciple la prit chez lui.

28 Après cela, Jésus, qui savait que tout était déjà consommé, dit, afin que l’Ecriture soit accomplie: J’ai soif. 29 Il y avait là un vase plein de vinaigre. Les soldats en remplirent une éponge, et, l’ayant fixée à une branche d’hysope, ils l’approchèrent de sa bouche. 30 Quand Jésus eut pris le vinaigre, il dit: Tout est accompli. Et, baissant la tête, il rendit l’esprit.

2 Samuel 21:1-14

Du temps de David, il y eut une famine qui dura trois ans. David chercha la face de l’Eternel, et l’Eternel dit: C’est à cause de Saül et de sa maison sanguinaire, c’est parce qu’il a fait périr les Gabaonites.
2 Le roi appela les Gabaonites pour leur parler. -Les Gabaonites n’étaient point d’entre les enfants d’Israël, mais c’était un reste des Amoréens; les enfants d’Israël s’étaient liés envers eux par un serment, et néanmoins Saül avait voulu les frapper, dans son zèle pour les enfants d’Israël et de Juda.
3 David dit aux Gabaonites: Que puis-je faire pour vous, et avec quoi ferai-je expiation, afin que vous bénissiez l’héritage de l’Eternel?
4 Les Gabaonites lui répondirent: Ce n’est pas pour nous une question d’argent et d’or avec Saül et avec sa maison, et ce n’est pas à nous qu’il appartient de faire mourir quelqu’un en Israël. Et le roi dit: Que voulez-vous donc que je fasse pour vous?
5 Ils répondirent au roi: Puisque cet homme nous a consumés, et qu’il avait le projet de nous détruire pour nous faire disparaître de tout le territoire d’Israël,
6 qu’on nous livre sept hommes d’entre ses fils, et nous les pendrons devant l’Eternel à Guibea de Saül, l’élu de l’Eternel. Et le roi dit: Je les livrerai.
7 Le roi épargna Mephiboscheth, fils de Jonathan, fils de Saül, à cause du serment qu’avaient fait entre eux, devant l’Eternel, David et Jonathan, fils de Saül.
8 Mais le roi prit les deux fils que Ritspa, fille d’Ajja, avait enfantés à Saül, Armoni et Mephiboscheth, et les cinq fils que Mérab, fille de Saül, avait enfantés à Adriel de Mehola, fils de Barzillaï;
9 et il les livra entre les mains des Gabaonites, qui les pendirent sur la montagne, devant l’Eternel. Tous les sept périrent ensemble; ils furent mis à mort dans les premiers jours de la moisson, au commencement de la moisson des orges.
10 Ritspa, fille d’Ajja, prit un sac et l’étendit sous elle contre le rocher, depuis le commencement de la moisson jusqu’à ce que la pluie du ciel tombe sur eux; et elle empêcha les oiseaux du ciel de s’approcher d’eux pendant le jour, et les bêtes des champs pendant la nuit.
11 On informa David de ce qu’avait fait Ritspa, fille d’Ajja, concubine de Saül.
12 Et David alla prendre les os de Saül et les os de Jonathan, son fils, chez les habitants de Jabès en Galaad, qui les avaient enlevés de la place de Beth-Schan, où les Philistins les avaient suspendus lorsqu’ils battirent Saül à Guilboa.
13 Il emporta de là les os de Saül et les os de Jonathan, son fils; et l’on recueillit aussi les os de ceux qui avaient été pendus.
14 On enterra les os de Saül et de Jonathan, son fils, au pays de Benjamin, à Tséla, dans le sépulcre de Kis, père de Saül. Et l’on fit tout ce que le roi avait ordonné. Après cela, Dieu fut apaisé envers le pays.

Audio

Écouter la prédication (Télécharger au format MP3)

Écouter le culte entier (Télécharger au format MP3)