Semeurs d'espérance

Psaume 65:10-14 , Jean 12:24-26 , Marc 4:1-20

Culte du 3 juin 2018
Prédication de Michel Bertrand

Vidéo de la partie centrale du culte

Les choses les plus simples ne sont pas toujours les plus évidentes à recevoir. Ainsi en est-il de cette parabole du Semeur, si claire en apparence, et qui pourtant va susciter la perplexité des auditeurs de Jésus, notamment de ses disciples. Dès qu’ils se retrouvent à l’écart avec le Maître, ils lui demandent des explications.
Alors questionné par leur questionnement, j’ai cherché à en comprendre les motifs et j’ai découvert dans ce texte trois aspects susceptibles de les surprendre et même de les déconcerter. Au point de leur rendre les propos de Jésus, sinon compliqués à comprendre, en tout cas difficiles à entendre et, plus encore, à accepter.

Trois éléments de cette parabole qui ont pu bousculer leurs représentations de Dieu, comme ils peuvent bousculer les nôtres. Celles qui ont cours dans notre société et sans doute aussi dans nos têtes ! Oui, ce semeur sème le désordre dans nos habitudes, nos conformismes, nos résignations, parce que de trois manières au moins il remet au centre de notre histoire et de nos vies, une dimension qui semble s’en être aujourd’hui effacée, celle de l’espérance.

1

Et, dans ce texte, le premier visage de l’espérance c’est celui du « semeur » lui-même. Un visage surprenant pour les auditeurs de Jésus, car il ruine l’image qu’ils s’étaient forgée du messie.
En effet, ce n’est pas sous les traits d’un semeur qu’ils l’imaginaient. Ils n'attendaient pas du messie qu’il ouvre une histoire nouvelle, mais qu’il offre un monde tout fait, achevé, livré « clefs en mains », dans lequel il n’y aurait plus qu’à s’installer et plus rien à construire. Ils rêvaient d’accomplissement et non de commencement. Ce n’était donc pas un semeur qu’ils se préparaient à accueillir, c’était un moissonneur. Un messie des récoltes qui établirait son royaume de paix et qui mettrait enfin les siens au repos.

Nous pouvons comprendre une telle aspiration. En effet, lequel d’entre nous n’a jamais éprouvé ce besoin de « souffler » un peu, quand le poids des responsabilités ou des engagements nous écrasent ? Qui n’a été un jour tenté de « baisser les bras », quand la misère du monde est trop lourde à porter, ou simplement quand la joie et le bonheur d’exister semblent se dérober sous nos pas ?

N’est-ce pas d’ailleurs à ce désir de « lâcher prise » que répondent, avec un certain succès, bien des spiritualités contemporaines, y compris certaines qui se veulent chrétiennes ? Ces religiosités où s’expriment, plus ou moins confusément, une envie de quiétude et d’évasion hors des turbulences de la vie, à l’écart des tourments d’une histoire incertaine et souvent tragique. On recherche alors des moments et des lieux permettant d’oublier, voire de fuir ce monde perdu. On aspire plus à « changer de monde » qu’à « changer le monde », quand on ne spécule pas sur sa fin.
Sauf que justement l’image du semeur n’évoque pas la « fin du monde », ni la « fin d’un monde », mais elle nous parle encore des « faims » et des « soifs » de ce monde, celles des plus fragiles et des plus vulnérables de nos sociétés, auxquelles vous vous efforcez de répondre dans le cadre de l’Entraide. Et la reconnaissance de votre ministère, au cœur du culte, vient précisément nous rappeler la tâche prioritaire des disciples d’un messie semeur. Une tâche qui consiste à dire à tous les déboutés du droit de vivre que rien n’est jamais fini, poser, au cœur de leurs angoisses, des mots et des gestes qui témoignent de la promesse des commencements.

N’en déplaise à une forme de laïcité inquiète et soupçonneuse qui voudrait, elle aussi, à sa manière, mettre les croyants « en congé de l’histoire », les empêchant ainsi de mettre leur « grain d’espérance » là où ça dérange ! Car, bien sûr, ils sont gênants ces « semeurs » qui ne se résignent pas devant les fatalités et veulent chaque jour écrire une page nouvelle. Ils sont fatigants ces « semeurs », ces prophètes, ces poètes qui croient que le monde est toujours à construire.

On comprend alors pourquoi cette parabole peut également interroger nos vies ecclésiales, car ce « semeur qui sort pour semer », appelle chacune et chacun à « sortir » à son tour. Sortir des Églises-grenier qui ne rassemblent que des semblables pour aller à la rencontre de l’autre différent. Sortir de l’entre-soi confiné d’héritiers suffisants, accrochés parfois à un passé glorieux tenant lieu de présent. Sortir de nos pudeurs et de nos peurs pour nous tourner avec confiance vers demain.
Tel est bien le premier message étonnant de cette parabole du semeur : tout commence aujourd’hui puisque c’est le temps des semailles ! Ce n’est donc pas la fin de l’histoire, pas la fin de l’Église, pas la fin du protestantisme, mais c’est toujours et encore le temps des commencements, le temps de l’espérance.

2

Pour autant il ne s’agit pas de succomber aux illusions de la méthode Coué. Nous savons bien que si tout peut commencer, avec ce « semeur qui sort pour semer », son activité, pour autant, n’est pas de tout repos. Celui qui sème, n’est jamais sûr de recevoir les fruits de son travail. Son labeur est pénible, ingrat, plein d’aléas : la graine est fragile, les terrains ne sont pas tous fertiles, le climat n’est pas toujours clément. On le voit, à travers cette parabole, Jésus parle à ses disciples d’incertitude, de dispersion et même de perte et de mort de la semence. Lui-même est un semeur qui meurt avant d’avoir vu la moisson.

C’est là, on le comprend, un deuxième motif d’étonnement pour celles et ceux qui considéraient que le messie de Dieu et sa Parole devaient s’imposer à tous de manière souveraine. Comme cela peut aussi nous surprendre, voire nous déranger, d’entendre que Dieu se révèle, non dans la puissance et l’évidence, mais dans la faiblesse et la fragilité d’une Parole toujours exposée. Accepter d’être seulement un semeur n’est ni confortable ni gratifiant. Nous le mesurons chaque jour, face aux malentendus, aux difficultés et parfois à l’échec de notre prédication, de notre catéchèse, de notre communication, de notre transmission, de notre diaconie, dans un monde qui n’est pas plus prêt que celui d’hier à recevoir l’Évangile.

C’est pourquoi la tâche du semeur engendre souvent l’inquiétude et le pessimisme, d’autant que pendant longtemps rien ne sort de terre, rien ne fait signe. Durant ce temps des maturations silencieuses, il faut accepter d’être dans l’attente et non dans l’impatience. Être dans le non savoir, seulement dans la confiance, s’inscrire dans la durée, avoir foi en demain.
On voit alors à quel point, là encore, cette parabole du semeur interroge notre rapport au temps dans la société d’aujourd’hui. Nous vivons dans un présent de plus en plus pressé qui sape la confiance en demain. L’avenir est perçu comme inquiétant, imprévisible, indéchiffrable. Alors, le seul investissement qui vaille est dans le « maintenant » et le « tout de suite ». Parfois même, happés par la tyrannie de l’urgence, nous voudrions moissonner avant d’avoir semé !

Car en fait, pour l’individu moderne, seul compte ce qu’il réalise lui-même. Porté par l’illusion de sa toute-puissance et de sa toute-maîtrise, il veut achever ce qu’il a entrepris, oubliant qu’achever signifie aussi faire mourir. Achever c’est tuer l’espérance. C’est dénier à l’humain la capacité d’envisager de nouveaux possibles, d’imaginer de l’autre, de susciter du neuf et de ressusciter. On dit que dans notre monde actuel, « on ne sait plus attendre ». Mais c’est peut-être parce qu’au fond nous n’attendons plus rien.

Alors, pour retrouver le goût de l’espérance, sans doute faut-il résister, comme le semeur, aux impératifs de réalisation immédiate et de rentabilité. Cette culture du résultat qui souvent nous épuise et nous fait perdre courage. Y compris dans nos engagements ecclésiaux ou diaconaux.
La parabole ici nous rappelle l’essentiel qui nous revient : semer. Semer la Parole fragile et féconde, semer sans forcément voir les fruits. Mais semer avec confiance puisque nous croyons que la moisson et nos vies sont dans les mains de Dieu.

C’est pourquoi, comme le montre la parabole, aucun terrain ne doit être tenu à l’écart des semailles. Même ceux que nous pourrions considérer comme arides et secs. Même ceux qui semblent peu préparés à l’accueillir. Vous le savez bien à l’Entraide, c’est souvent au cœur des fragilités, des blessures, des existences meurtries, comme à travers nos propres limites, que l’espérance peut s’engouffrer.

3

Nous sommes ainsi conduits au 3ème et dernier élément de surprise du texte. Peut-être le plus dérangeant. Au point d’ailleurs que les évangiles synoptiques ont cherché à le gommer en ajoutant un commentaire bien-pensant et quelque peu moralisateur pour exhorter l’Église primitive et chaque chrétien à être un bon terrain, une bonne terre, bien labourée, bien irriguée, qui se justifie par ses bons résultats. Comme pour donner cohérence à l’incohérence du comportement de cet étrange semeur.
En effet, si on s’en tient à la parabole, il est vraiment étonnant ce semeur. Il sème à tour de bras. Il sème n’importe où. Voilà un chemin, il sème ! Voilà des pierres, il sème ! Voilà des épines, il sème ! On en vient presque à s’étonner qu’il en soit tout de même tombé un peu dans la bonne terre ! Curieux ce semeur et pourtant certainement pas aveugle. Il a vu tous ces obstacles, il sait donc bien qu’à vues humaines, le grain ne donnera pas de bonnes récoltes, et pourtant il sème !

Ainsi nos propres vies sont faites de ces terrains les plus divers, parfois les plus réfractaires, et pourtant Dieu sème ! Et bien, chers amis, je crois que c’est dans ce « pourtant » que réside l’amour de Dieu. Pourtant et partout Il sème sans compter, même dans nos parts d’ombre ! Semeur admirable qui ne désespère d’aucun terrain et ne mesure ni sa peine, ni la graine, de peur d’oublier un coin de nos vies. Décidément quand on sème on ne compte pas parce que quand on aime on ne compte pas !

Alors oui, j’aime ce Dieu Semeur qui accepte de gaspiller ainsi la semence. Un Dieu pour tous qui refuse de limiter la semence au bon terrain. Un semeur qui dépense sans compter pour que chacun puisse se tourner vers lui et répondre à son appel, avec ses fragilités et ses blessures secrètes, ses incertitudes et ses questions, ses découragements et ses doutes, et même ses révoltes, quand la vie est trop dure et le malheur trop grand. J’aime que Dieu soit ce Semeur qui n’attend pas que je lui offre la terre bien labourée de mes bonnes dispositions, le sol fertile de mes mérites et de mes bonnes œuvres, mais qui ensemence ma vie telle qu’elle est, même là où c’est difficile, même là où c’est sans espoir à vues humaines.

J’aime que Dieu ne désespère pas de moi, ni de nous, ni de notre Église, ni de notre monde, et qu’il enfouisse à perte sa Parole de grâce dans les recoins les plus secrets, voire les plus arides de nos existences. Dans les ronces qui égratignent nos prochains, dans les ornières de nos sentiers battus, sur les pierres de nos cœurs endurcis.

J’aime qu’Il puisse faire ainsi de chacune et chacun un « semeur qui sort pour semer » avec la force et la joie des commencements. Un semeur patient et confiant. Un semeur tourné vers demain. Un semeur « tout terrain » qui à son tour aimera et sèmera sans compter. Oui, « Voici que le semeur est sorti pour semer ». Déjà il nous attend !

Amen

Lecture de la Bible

Psaume 65/10-14
10 Tu as visité la terre, tu l’as abreuvée ;
tu la combles de richesses.
La rivière de Dieu regorge d’eau,
tu prépares le froment des hommes.
Voici comment tu prépares la terre :
11 Enivrant ses sillons,
tassant ses mottes,
tu la détrempes sous les averses,
tu bénis ce qui germe.

12 Tu couronnes tes bienfaits de l’année,
et sur ton passage la fertilité ruisselle.
13 Les pacages du désert ruissellent,
les collines prennent une ceinture de joie,
14 les prés se parent de troupeaux ;
les plaines se drapent de blé :
tout crie et chante.

Jean 12/24-26
24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.
25 Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui a de la haine pour sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle.
26 Si quelqu'un me sert, qu'il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, le Père l'honorera.

Marc 4/1-20
1 Jésus se mit de nouveau à enseigner au bord de la mer. Il s'assembla auprès de lui une si grande foule qu'il monta s'asseoir dans une barque, sur la mer. Toute la foule était à terre près de la mer.
2 Il les enseignait longuement en paraboles et leur disait dans son enseignement :
3 Écoutez : Le semeur sortit pour semer.
4 Comme il semait, une partie (de la semence) tomba le long du chemin : les oiseaux vinrent et la mangèrent.
5 Une autre partie tomba dans un endroit pierreux, où elle n'avait pas beaucoup de terre ; elle leva aussitôt, parce qu'elle ne trouva pas une terre profonde ;
6 mais quand le soleil se leva, elle fut brûlée et sécha faute de racines.
7 Une autre partie tomba parmi les épines : les épines montèrent et l'étouffèrent, et elle ne donna point de fruit.
8 Une autre partie tomba dans la bonne terre : elle donna du fruit qui montait et croissait : un grain en rapporta trente, un autre soixante et un autre cent.
9 Puis il dit : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.

10 Lorsqu'il fut en particulier, ceux qui l'entouraient avec les douze l'interrogèrent sur les paraboles.
11 Il leur dit : C'est à vous qu'a été donné le mystère du royaume de Dieu, mais pour ceux du dehors, tout se passe en paraboles,
12 afin que tout en regardant bien, ils ne voient pas et qu'en entendant bien, ils ne comprennent pas, de peur qu'ils ne se convertissent et qu'il ne leur soit pardonné.

13 Il leur dit encore : Vous ne comprenez pas cette parabole ; comment donc comprendrez-vous toutes les (autres) paraboles ?

14 Le semeur sème la parole.
15 Ceux qui sont le long du chemin où la parole est semée, ce sont ceux qui ne l'ont pas plutôt entendue que Satan arrive et enlève la parole qui a été semée en eux.
16 Et de même, ceux qui ont reçu la semence dans les endroits pierreux, ce sont ceux qui entendent la parole et la reçoivent aussitôt avec joie,
17 mais ils n'ont pas de racine en eux-mêmes ; ce sont les hommes d'un moment ; et dès que survient la tribulation ou la persécution à cause de la parole, ils y trouvent une occasion de chute.
18 D'autres ont reçu la semence parmi les épines ; ce sont ceux qui entendent la parole,
19 mais en qui les soucis du monde, la séduction des richesses et l'invasion des autres convoitises, étouffent la parole et la rendent infructueuse.
20 D'autres ont reçu la semence dans la bonne terre ; ce sont ceux qui entendent la parole, l'acceptent, et portent du fruit : un grain en donne trente, un autre soixante, et un autre cent.

Audio

Écouter la prédication (Télécharger au format MP3)

Écouter le culte entier (Télécharger au format MP3)