Pentecôte 1940

Ézéchiel 36:26

Culte du 12 mai 1940
Prédication de André-Numa Bertrand

Culte à l'Oratoire du Louvre 

12 mai 1940

Prédication du pasteur André-Numa Bertrand pour Pentecôte

J'ôterai de vos poitrines vos cœurs de pierre,
et j'y mettrai un cœur de chair :
je mettrai mon Esprit en vous...
Ezechiel 36, 26.

Première page des notes de la prédication de Pentecôte 1940.

La première pensée qui nous vient devant cette parole n'est-elle pas que ce serait plutôt le moment de mettre dans nos poitrines des cœurs de pierre et d'en arracher les cœurs de chair ? Non point certes que nous voulions nous mettre à l'unisson de la brutalité d'un monde pour qui la dureté est une vertu ; mais il y a tant de souffrance autour de nous, tant de larmes et de sang versé, que ce n'est pas le moment de souhaiter aux chrétiens, et plus particulièrement à nos enfants, un cœur trop sensible pour recevoir le choc de tant de douleurs et de tant d'alarmes.

Et cependant, Chrétiens, nous préférerons à demander pour nous-mêmes et pour nos enfants un cœur de chair : il faut avoir le courage de souffrir, il faut avoir le courage de regarder la vie en face, telle qu'elle est, et de l'accueillir non avec des cœurs fermés, repliés sur leur égoïsme, mais avec des âmes ouvertes à Dieu. Seuls, nous fuirions peut-être devant is souffrance ; mais ce qui nous incline à garder nos cœurs vibrants et chauds, nos cœurs de chair, c'est la promesse que Dieu mettra son Esprit en nous, car avec lui nous pouvons aborder tout ce qu'une pareille attitude implique de faiblesse, de souffrance et de grandeur.

Aujourd'hui, jour de la Pentecôte, commémoration de l'Église naissante, naissante et aussitôt souffrante et persécutée, nous accueillons parmi nous nos jeunes frères et nos jeunes sœurs, autour des symboles du sacrifice devenus les symboles de l'éternelle Vie ; aujourd'hui, jour de la Pentecôte, est aussi la commémoration de l'Esprit répandu dans le cœur des croyants : et c'est par cette présence vivante de Dieu en nous, que la souffrance peut devenir féconde et que nous osons dire à nos enfants : Ne refusez pas de partager la souffrance du monde, faites-vous des cœurs aimants, des cœurs de chair ; c'est à cela que Dieu vous appelle et c'est Lui qui empêche que vous soyez écrasés sous le poids de la vie, car avec Lui l'amour accepte tout, espère tout, supporte tout. Les deux choses sont liées : ou bien Dieu en nous, et alors des cœurs de chair qu'il rendra capables de souffrir et d'aimer — car c'est par ces choses que l'on accède à la vie véritable : ou bien une vie sans Dieu, et alors qu'on nous donne des cœurs de pierre pour qu'ils ne se brisent pas sous le choc de la douleur.

Et c'est parce que je voie le lien de ces deux choses, que j'ai voulu ce matin fixer votre attention sur la riche fécondité de la promesse : Je mettrai sur eux mon Esprit.


Je mettrai sur eux mon Reprit. Essayons d'abord de fixer avec précision le sens de cette expression que nous croyons comprendre d'emblée, parce qu'elle éveille en nous l'idée d'une sorte d'inspiration, mais à laquelle nous ne donnons en réalité qu'un sens tout à fait insuffisant. Nous songeons à l'inspiration poétique ou littéraire, à cette exaltation momentanée des facultés créatrices de l'esprit, et nous supposons qu'il y a quelque chose d'analogue dans l'intervention en nous de l'esprit : une vivacité particulière accordée à notre capacité de ressentir la présence de Dieu, ou même à notre capacité de l'exprimer et de la faire naître chez d'autres : une capacité inattendue de prier, d'ouvrir notre âme à Dieu : et certes tout cela correspond bien à une réalité, et nous avons raison de rendre grâces à Dieu si des dons aussi précieux nous sont accordés. Mais il me semble qu'il y a cependant quelque chose de plus profond dans la promesse qui nous est faite, je veux dire quelque chose qui change plus radicalement notre être intime et notre personnalité véritable. Lorsque les Apôtres, au jour de la Pentecôte, furent saisis par la puissance de l'Esprit, cette possession intime se révéla chez eux sous la forme d'un enthousiasme qui balaya en un instant leurs craintes et leurs timidités, qui brisa aussi cette sorte d'égoïsme spirituel qui les avait poussés à garder pour eux les trésors de l'Évangile, et leur donna la capacité de pénétrer dans les cœurs qui leur étaient jusqu'alors fermés, de parler à chacun le langage qu'ils pouvaient comprendre et d'aller droit aux profondeurs dernières où se constitue la personnalité religieuse. Mais ces hommes qu'ils allaient ainsi chercher dans leur mort spirituelle pour les appeler à la vie de l'Esprit, à la vie nouvelle que Christ engendre chez ses fidèles, ne voyez-vous pas que l'Esprit créait tout autre chose qu'une intensité nouvelle de la vie religieuse, il créait vraiment des personnalités nouvelles, il n'était pas seulement, selon les images caractéristiques de l'Écriture, un feu qui réchauffe, un souffle qui vivifie et purifie, il était une puissance créatrice, par laquelle des personnalités nouvelles étalent engendrées.

L'œuvre de l'Esprit, lorsqu'il pénètre en nous, n'est pas seulement affaire d'intensité, de puissance : il est avant tout créateur, dans toute la force du terme. St Paul n'est pas un Saul de Tarse dont la force a été multiplié ; il est, dans tout le réalisme du mot, un autre homme. Un Esprit nouveau avait été mis en lui, qui n'est plus l'esprit du monde mais l'Esprit de Dieu. Pour reprendre le langage du prophète Ézéchiel : Dieu lui a enlevé son cœur de pierre. Et sans doute on pourra retrouver 

chez l'Apôtre certains traits de caractère de l'ancienne personnalité : il n'aura pas dépouillé son ardeur, sa passion, son impétuosité contre ceux qui se dressent contre le vérité ; mais il dira, et toute l'humanité chrétienne avec lui, qu'il est un homme renouvelé, qu'il a reçu de l'Esprit le seule chose qui compte en Christ, et qui est d'être une nouvelle créature.

Voilà ce que Dieu donne, lorsqu'il met son Esprit en nous.


Ainsi, dira-t-on, lorsque Dieu pénètre dans une âme, il la dépouille de sa personnalité profonde ? Il en fait, non plus une individualité originale, mais un exemplaire impersonnel d'un type humain qui se reproduit indéfiniment ? L'apôtre en avait si bien conscience qu'il écrivait lui-même : Ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi. Il savait qu'il avait perdu sa personnalité, qu'il n'était plus qu'une copie, une copie d'après un original admirable, incomparable, mais enfin une copie. Or la première vocation de l'homme n'est-elle pas d'être lui-même, d'être quelqu'un ? n'est-ce pas une perte pour lui et pour l'humanité dans son ensemble, si sa personnalité originale doit céder la place à une personnalité d'emprunt ?

Mes Frères, ne croyez pas que cette objection soit un simple jeu de l'esprit ; c'est une réalité à laquelle la prédication de l'Évangile s'est souvent heurtée. Combien s'imaginent qu'on veut les dépouiller de leur personnalité véritable, qu'on veut couler tous les esprits dans le même coule et mettre sur tous les cœurs la même estampille ! Si extraordinaire que cela puisse paraître, on craint que le christianisme ne soit une école de destruction pour la personnalité. Il semble cependant que quelques-uns des garants du christianisme devant l'histoire, Saint Paul, Saint Augustin et Pascal, devraient rassurer ceux qui aiment les personnalités accusées ; mais non, le refus de mourir pour renaître, le recul devant l'exigence du Maître : Mourir à soi-même, abandonner le vieil homme, fait craindre l'écrasement de la personnalité.

Essayons donc de voir ce qu'est une personnalité. Vous le savez bien, des Frères, et vous-mêmes, chers Enfants, si réduite que soit encore votre expérience et jeune votre réflexion. Chacun de nous porte en lui toute une série de forces ou de tendances, les unes bonnes les autres mauvaises, les unes nobles les autres vulgaires ou même basses, les uns qui nous poussent vers les cimes et les autres qui nous tirent vers les bas-fonds. Ces tendances d'ailleurs peuvent être, elles sont même directement opposées les unes aux autres : la présence en nous d'une certaine générosité n'exclut pas celle d'un certain égoïsme ; l'amour de la vérité n'exclut pas une tentation de dissimuler, et ainsi de suite. Ces tendances, au fond, se retrouvent toutes chez tout le monde ou peu s'en faut ; ce qui fait notre personnalité, notre caractère, c'est leur puissance relative, c'est la place que nous consentons à chacune d'elles, c'est la hiérarchie que nous établissons entre elles. Quelques-unes prennent en nous un tel développement qu'elles semblent tout dominer autour d'elles, en sorte qu'elles paraissent constituer à elles seules notre personnalité, et nous avons alors l'impression qu'il y a en nous plusieurs personnalités qui se disputent la possession de notre vie. Ainsi St Paul trouvait deux hommes en lui ; et le malheureux démoniaque délivré par Jésus disait :"Je m'appelle Légion", par où il entendait qu'en lui vivaient et s'agitaient une légion de forces chaotiques qui luttaient pour s'assurer la primauté dans sa vie intérieure. Nous disons que nous avons constitué notre personnalité, lorsque nous avons choisi une de ces forces, et que nous avons assuré sa suprématie sur les autres : car alors nous avons donné une tête, un chef à notre légion intérieure, nous l'avons ramenée à l'unité. Mais n'arrive-t-il pas souvent aussi que nous ne savons pas assurer cette suprématie, que ce n'est pas nous qui décidons de la victoire en nous de telle ou telle force, mais que nous laissons cette bataille intérieure trouver son issue en nous, par la victoire d'une force que nous n'avions ni voulue ni choisie ; et les hommes disent que c'est moi, mais cependant moi je sais bien que ce n'est pas vrai que ce n'est pas moi, mais un être qui s'est constitué en mot sans que je le veuille.

Et voyez-vous maintenant ce qu'entend l'Écriture, lorsqu'elle dit que Dieu a envoyé en nous son Esprit, et ce que nous entendons nous-mêmes, lorsque nous disons que par là il n'a fait que dégager notre personnalité authentique ? L'homme que je suis avec Dieu, l'homme que Dieu attend de moi, ce n'est peut-être pas, ce n'est même certainement pas celui que j'avais laissé s'affirmer, se construire, peut-être par mon abdication, peut-être par ma complicité. J'avais laissé régner en moi des forces qui ne sont pas de Dieu. Mais par sa grâce, Dieu a brisé les tyrannies des forces intérieures, il a rendu en moi la maîtrise aux éléments qui exprimaient en volonté, et qui expriment en même temps ma véritable nature d'enfant de Dieu : et en laissant, en faisant mourir ce moi que je hais et qui s'était imposé à ma faiblesse ou à mon péché, je dégage ma personnalité véritable. Lorsque nous disons que l'Esprit de Dieu est un esprit de sainteté, un esprit d'amour, un esprit de foi, nous affirmons en même temps que le jour où il s'empare de notre âme, il y crée ces mêmes forces, ces mêmes puissances qui caractérisent son Esprit et qui constituent ma personnalité nouvelle d'enfant de Dieu.

Un homme qui a vraiment su construire en lui une personnalité, il me semble que c'est un homme qui est tout ordre et harmonie, en qui chaque chose, ou pour parler plus exactement, chaque force, chaque tendance, est à sa place, fidèle à l'ordre des hiérarchies divines. Tant qu'il y a déchirement intérieur, bataille et désharmonie, tant que les forces inférieures dominent celles qui ont la plus haute valeur, il n'y a qu'une apparence de personnalité. Mais quand Dieu a mis son Esprit en nous, quand Il a assuré cette forme joyeuse de l'obéissance qui s'appelle "la foi", alors notre personnalité vraie a trouvé en physionomie véritable, elle n'est pas une copie de la personnalité du Christ, elle est une création originale de la force qui est en Lui.

Car cette personnalité conforme à la volonté de Dieu, nous ne sommes pas réduits à l'imaginer, à la construire de toutes pièces, par notre imagination ou notre raisonnement : elle a marché parmi nous pleine de grâce et de vérité, et comme dit l'Apôtre, dans tout l'éclat de sa gloire semblable à celle d'un Fils unique envoyé par son Père. Quel cœur de chair, quel cœur humain il a porté dans sa poitrine, Celui qui s'est penché sur nos routes, qui a aimé les pécheurs autant qu'il a haï le péché, celui qui n'a pas brisé le roseau froissé, mais qui a pleuré sur la misère spirituelle de son peuple. Dans le monde où il a vécu, sans haine et sans fraude, il y avait comme dans le nôtre des forces qui proscrivaient toute liberté intérieure et qui ont fini par clouer le Sauveur à la Croix — et personne ne s'est dressé pour le défendre !

Aujourd'hui nous avons dressé la table de la commémoration, afin qu’il soit une fois encore au milieu de nous ; nous avons dressé son visage devant nous, et maintenant dans le silence nous vous appelons à le rencontrer lui, non pas son souvenir seulement ou son image, mais lui, sa personnalité, sa puissance rénovatrice et bienfaisante.


Pour aller plus loin

Lecture de la Bible

Ézéchiel 36

 25 Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; je vous purifierai de toutes vos souillures et de toutes vos idoles. 26 Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau ; j'ôterai de votre corps le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. 27 Je mettrai mon esprit en vous, et je ferai en sorte que vous suiviez mes ordonnances, et que vous observiez et pratiquiez mes lois. 28 Vous habiterez le pays que j'ai donné à vos pères ; vous serez mon peuple, et je serai votre Dieu. 29 Je vous délivrerai de toutes vos souillures. J'appellerai le blé, et je le multiplierai ; je ne vous enverrai plus la famine. 30 Je multiplierai le fruit des arbres et le produit des champs, afin que vous n'ayez plus l'opprobre de la famine parmi les nations. 31 Alors vous vous souviendrez de votre conduite qui était mauvaise, et de vos actions qui n'étaient pas bonnes ; vous vous prendrez vous-mêmes en dégoût, à cause de vos iniquités et de vos abominations. 32 Ce n'est pas à cause de vous que j'agis de la sorte, dit le Seigneur, l'Éternel, sachez-le ! Ayez honte et rougissez de votre conduite, maison d'Israël ! 33 Ainsi parle le Seigneur, l'Éternel : Le jour où je vous purifierai de toutes vos iniquités, je peuplerai les villes, et les ruines seront relevées ; 34 la terre dévastée sera cultivée, tandis qu'elle était déserte aux yeux de tous les passants ; 35 et l'on dira : Cette terre dévastée est devenue comme un jardin d'Éden ; et ces villes ruinées, désertes et abattues, sont fortifiées et habitées. 36 Et les nations qui resteront autour de vous sauront que moi, l'Éternel, j'ai rebâti ce qui était abattu, et planté ce qui était dévasté. Moi, l'Éternel, j'ai parlé, et j'agirai.