Pédagogie biblique en contexte de blasphème

2 Samuel 6:1-8

Culte du 30 septembre 2012
Prédication de pasteur James Woody

(2 Samuel 6:1-8)

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Culte du dimanche 30 septembre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers Chers frères et sœurs, ce récit biblique tout à fait anecdotique expose une situation qui l’est franchement moins ces temps-ci, puisqu’il met en scène la question du blasphème. Le blasphème a, une fois de plus, occupé la scène médiatique et le débat s’est rapidement placé au niveau de la liberté d’expression, notamment en ce qui concerne les caricatures. Un large consensus s’est accordé à dire qu’au nom de la liberté d’expression il fallait tenir bon sur ce qui a été appelé un droit au blasphème.

Personnellement, je trouve curieux que la liberté d’expression soit convoquée pour garantir un tel droit au blasphème, et pour maintenir le principe des caricatures qui ne manquent pas en direction des religions. Il n’y a pas de totale liberté d’expression de propos racistes. Il n’y a pas de totale liberté d’expression de propos homophobes. Il n’y a pas de totale liberté d’expression de propos antisémites. Il n’y a pas de totale liberté d’expression de propos outrageant des personnes chargées du service public. On peut donc se demander ce qui justifierait des propos, des images, des gestes blasphématoires. On peut s’interroger sur les raisons qui conduiraient certains à considérer qu’on peut faire toute sorte de caricature, tenir toute sorte de propos visant à dénoncer des dérives ou des extrémismes, sans prendre le soin de tenir compte des cadres culturels des personnes auxquelles on s’adresse, pour reprendre une remarque de Rachid Benzine et du doyen Raphaël Picon dans le Monde des idées, cette semaine. Lorsqu’on communique, ne faut-il pas commencer par se demander quelle sera la bonne manière de se faire comprendre par son interlocuteur - essayer de tenir compte des schémas de pensées de son interlocuteur pour éviter de le blesser et pour communiquer avec lui, vraiment ? Mais s’agit-il vraiment de communiquer dans les dernières affaires médiatiques ? Quel est le projet de telle vidéo déclarant dénoncer tel fanatisme, quel est le projet de telle caricature déclarant dénoncer tel intégrisme ? est-ce fait pour aider à pacifier les relations entre personnes ? est-ce fait pour aider ceux que l’on estime dangereux à l’être moins ? le seul motif de la liberté d’expression me semble insuffisant pour traiter cette question du blasphème, en respectant les personnes. Ce texte biblique va nous montrer qu’une question religieuse mérite une approche théologique.

Tout d’abord, intéressons-nous à ce qu’est le blasphème. Dans ce récit, Uzza est fautif d’avoir tendu la main vers l’arche d’alliance et de l’avoir saisie. L’arche d’alliance, c’est le coffre qui contient le décalogue dont la tradition dit qu’il a été reçu par Moïse sur le mont Sinaï. C’est aussi le trône divin.

Une première interprétation du texte serait la suivante : en saisissant l’arche d’alliance, Uzza met la main sur le divin, il a le divin à sa pogne, ce qui est considéré comme sacrilège. Mettre la main sur le sacré, c’est prendre possession du sacré, c’est prendre la place du sacré. Saisir l’arche d’alliance peut être compris comme un crime de lèse majesté qui mérite une sanction immédiate car un point de fusion entre l’humain et le divin n’est pas acceptable. Ce serait la fusion entre le fini et l’infini, ce qui n’est pas possible. Dans cette interprétation, Uzza serait coupable d’avoir transgressé la séparation entre le profane et le sacré. Cette interprétation est sous-jacente à la révolte de ceux qui condamnent les caricatures sans appel. Toucher au divin, c’est blasphématoire, c’est condamnable, parce que c’est porter atteinte à ce qu’il y a de plus absolu.

Mais revenons à ce qu’est l’arche d’alliance, à la fois récipient du décalogue et siège divin. Toucher l’arche, ce n’est donc pas toucher l’Eternel, au sens strict du terme. L’Eternel est au-delà de l’arche, précisément. Il est au-delà des ustensiles religieux. L’Eternel n’est pas contenu dans une boîte. Plus tard, Salomon dira que même le temple de Jérusalem ne saurait être assez grand pour le contenir, combien moins cette arche qui sera elle-même déposée dans la plus petite de ses pièces. Alors, quel est le problème avec Uzza qui cherche à éviter que l’arche tombe parterre ? la plupart d’entre nous aurait certainement fait pareil : éviter que l’arche ne soit traînée dans la boue et l’Eternel avec. Et, pourtant, c’est cela qui est condamné. Uzza est déclaré fautif d’avoir voulu protéger l’arche. Dans cette histoire, Uzza blasphème en voulant protéger les objets de la religion.

Le blasphémateur, c’est celui qui assimile la religion, ses ustensiles, ses serviteurs, ses institutions, ses paroles, avec le divin lui-même. Le blasphémateur, c’est celui qui réduit l’Eternel à ses manifestations, à ce que les hommes en disent, à ce qu’ils en pensent, à ce qu’ils construisent matériellement ou spirituellement pour signifier sa présence. Le blasphémateur, c’est celui qui affirme que les caricatures de la religion sont un blasphème alors qu’elles ne concernent pas le divin, mais des sous-produits du divin.

Que faire des blasphémateurs ?

Que faire des blasphémateurs ? à première vue, c’est simple : peine de mort. N’est-ce pas ce qui est promis à Salman Rushdie (3,3 millions de dollars sont promis pour sa tête), l’équipe de la vidéo « l’innocence des musulmans », pour ne prendre que deux exemples ? Mais ce qu’expose ce texte biblique est bien autre chose qu’une exécution capitale. Ecoutons la plainte de David, au plus près du texte hébreu : « David fut irrité de ce que l’Eternel avait ébréché Uzza. Et ce lieu a été appelé ‘brèche-Uzza’ jusqu’à ce jour. » David ne se lamente pas qu’Uzza a été exécuté, mais qu’il a été ébréché, qu’une brèche a été faite en lui. Oui oui, au quote précédent, il est écrit que Uzza est mort, là, avec l’arche d’alliance. Mais de quelle mort s’agit-il ? Une brèche a été ouverte en Uzza, dans ses certitudes, dans sa vision étriquée d’un Dieu à main d’homme, d’un divin qu’on peut brandir comme un trophée quand ce n’est pas une arme. Une brèche a été faite en Uzza, dans ses préjugés, dans son système de référence, dans sa théologie. Alors c’est vrai, Uzza est mort. Le Uzza du début du texte est mort. Il est mort à sa vision du monde, mort à sa compréhension de l’absolu. Uzza est mort pour pouvoir ressusciter à une autre approche spirituelle. Il a fait l’expérience qu’il s’était trompé d’ultime. Oui, il touché l’arche d’alliance, mais la terre ne s’est pas arrêtée de tourner pour autant, les étoiles ne se sont pas écrasées au sol, la mer n’a pas recouvert le monde, l’air est resté respirable, les oiseaux ne se sont pas tus, des enfants ont continué à naître ici et là. En touchant l’arche d’alliance, il n’y a pas eu de fusion, en fait, entre le fini et l’infini. Le Royaume de Dieu ne s’est pas soudainement invité. Le monde n’a été ni meilleur ni pire qu’avant. Il ne s’est tout simplement rien passé. L’arche d’alliance… rien de ce qui fait une religion n’est Dieu lui-même, pas même le mot « Dieu » ou son nom qui était usuellement prononcé devant l’arche en question.

Oui, Uzza s’est réformé d’un point de vue théologique et, dans sa mort, il a entraîné toutes les conceptions théologiques erronées afin de ressusciter à une compréhension nouvelle de la vie, afin de susciter la possibilité de faire de la théologie, de réfléchir à ce qu’est l’ultime, l’absolu, en le distinguant nettement de ses substituts qui ne sont, eux, que des caricatures. Le blasphème, c’est de confondre Dieu avec ses caricatures. Mais je crains que ce ne soit pas à coups de caricatures et de contre-caricatures et de films de dénonciation en tous genres que l’on permette à tout un chacun d’accéder à une compréhension plus authentique du divin. Je pense, en revanche, que le dialogue de nature théologique  peut nous aider à opérer les relativisations nécessaires en faisant des brèches dans les sectarismes.

Un bon positionnement religieux

Et nous… n’avons-nous pas à revoir certains de nos positionnements, de nos convictions ? Ne sommes-nous pas des blasphémateurs, dans notre genre ? En tant que chrétiens, ne sommes-nous pas trop souvent des païens déguisés en monolâtres, bien campés sur nos certitudes ? Je note qu’on dit des protestants qu’ils sont bien dans notre temps, qu’ils évoluent avec les évolutions de la société, bref, que nous sommes en phase avec les questions de notre époque. A première vue, c’est bien. Mais à la lecture de ce texte, cela revient à dire que, tel Uzza, nous sommes à côté de l’arche, bien en phase… on voit à quoi cela mène…

La bonne place, c’est celle de son frère -Ahyo- qui est devant l’arche, qui précède, qui ouvre la voie, qui ouvre des brèches pour avancer. Comme le sera plus tard Jean le Baptiste, Ahyo est un éclaireur du sens. Il est probable que Ahyo aurait fait sienne la béatitude de Michel Audiard « Heureux les fêlés… ils laisseront passer la lumière ». Ahyo n’a pas l’œil rivé sur l’arche, mais sur l’horizon qui s’étend devant lui. Ahyo n’est pas angoissé par le sort de l’arche, mais il est tout orienté vers l’avenir. Est-ce une figure de l’insouciance qui avance sans se préoccuper des dommages collatéraux, en laissant derrière soi tous les blessés de la vie, ceux qui n’arrivent pas à suivre, ce genre de fanatique qui aurait pour slogan « marche ou crève ! » ?

Ahyo n’est pas à la tête du peuple, il est devant l’arche, à bonne distance. Une distance critique qui lui évite les réflexes identitaires qui font coïncider Dieu avec ses marchepieds. Il n’a pas la responsabilité du peuple, mais celle d’apporter l’ultime au plus proche de chacun et, pour cela, il prend ses distances, il va de l’avant, quitte à laisser tomber l’arche. C’est lui qui était à la manœuvre, c’est lui qui a fait passer les bœufs par un chemin qui a fait chavirer l’arche et cela n’a pas offensé le divin, contrairement à l’attitude de Uzza. Rapporté à notre niveau, nous ne devrions pas craindre de laisser tomber la Bible par exemple, non pas faire fi de l’Evangile qu’elle nous révèle à travers les textes, mais prendre nos distances avec le vocabulaire biblique, avec les concepts religieux et dire, avec le philosophe Henri Atlan, que « le seul discours sur Dieu qui ne soit pas idolâtre est un discours athée. »

Ahyo prend ses distances avec sa propre culture pour rejoindre les autres dans leur propre culture, pour leur faire entendre sa part de vérité dans leur propre langue, comme à Pentecôte, et leur donner soif du véritable absolu. Ahyo, manifestement ébréché lui-même, un réformé de son époque, ouvre la voie d’un rapport au divin et au religieux qui pourrait nous inspirer de belle manière pour affronter les situations de crises qui éclatent en tant de lieux. Ahyo peut nous aider à penser notre manière d’éviter les chocs de civilisation que certains jugent pourtant inévitables. Ahyo témoigne, à sa manière, que l’Eternel nous affranchit de nos servitudes religieuses et libère notre intelligence, notre audace, tout notre être, pour aider chacun à s’interroger sur ce qu’être veut dire.

Amen

Lecture de la Bible

2 Samuel 6:1-8

1 David rassembla encore toute l’élite d’Israël, au nombre de trente mille hommes. 2 Et David, avec tout le peuple qui était auprès de lui, se mit en marche depuis Baalé-Juda, pour faire monter de là l’arche de Dieu, devant laquelle est invoqué le nom de l’Eternel des armées qui réside entre les chérubins au-dessus de l’arche.

3 Ils mirent sur un char neuf l’arche de Dieu, et l’emportèrent de la maison d’Abinadab sur la colline; Uzza et Achjo, fils d’Abinadab, conduisaient le char neuf.

4 Ils l’emportèrent donc de la maison d’Abinadab sur la colline; Uzza marchait à côté de l’arche de Dieu, et Achjo allait devant l’arche.

5 David et toute la maison d’Israël jouaient devant l’Eternel de toutes sortes d’instruments de bois de cyprès, des harpes, des luths, des tambourins, des sistres et des cymbales.

6 Lorsqu’ils furent arrivés à l’aire de Nacon, Uzza étendit la main vers l’arche de Dieu et la saisit, parce que les boeufs la faisaient pencher.

7 La colère de l’Eternel s’enflamma contre Uzza, et Dieu le frappa sur place à cause de sa faute. Uzza mourut là, près de l’arche de Dieu.

8 David fut irrité de ce que l’Eternel avait frappé Uzza d’un tel châtiment. Et ce lieu a été appelé jusqu’à ce jour Pérets-Uzza.

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