Passer d’un lieu fermé à clé au seuil d’une porte ouverte sur l’espérance

Esaïe 49:1-7 , Jean 20:19-31

Culte du 28 avril 2019
Prédication de Marianne Seckel

Vidéo de la partie centrale du culte

 Dans ce récit, traditionnellement proposé pour le dimanche après Pâques, je vous propose aujourd’hui que nous soyons ensemble attentifs non pas à la difficulté à croire de Thomas mais plutôt au cheminement, pour les présents d’alors, puis pour nous-mêmes, cheminement qui nous mène de la crainte et de l’enfermement - « toutes portes verrouillées » - jusqu’à une proposition d’apaisement suivie d’un envoi dans la force du don de l’Esprit-saint et avec l’autorité de pouvoir lier ou délier, annoncer le pardon ou garder pour nous seuls, cette parole de liberté … Au fil du récit de l’évangile, nous sommes au soir de Pâques, « le soir de ce même jour » alors qu’au matin, Marie de Magdala puis Pierre et le disciple que Jésus aimait ont constaté le tombeau de Jésus, vide ; Marie de Magdala a même bénéficié d’une rencontre avec le ressuscité… Au soir de ce même jour, voici les disciples réunis en un lieu aux portes fermées et l’évangéliste précise que c’est « par crainte des Juifs », ce qui aujourd’hui interroge notre lecture ; en effet, nous rapportant la bonne nouvelle, l’évangile met en avant une rupture, dont nous connaissons les terribles conséquences, jusqu’à aujourd’hui : les disciples de Jésus d’une part, des Juifs d’autre part, hostiles les uns aux autres ; ceci me semble inacceptable et nous oblige à une remise en contexte des événements rapportés.

« Par crainte des Juifs » : les évangiles sont incontestablement enracinés dans la culture et la spiritualité juives ; Jésus est juif, de même que les disciples qu’il nomme comme ses premiers associés et envoyés. Jésus ouvre l’héritage d’Israël aux non-Juifs et les disciples seront appelés à « jeter leur filet » sur le monde entier (Jean 21, v. 1-14) ; les prophètes avaient annoncé l’afflux des nations vers Jérusalem, par exemple en ces fameuses paroles d’Esaïe (ch. 2, v. 3) : « Des peuples nombreux se mettront en marche et diront : ‘Venez, montons à la montagne du SEIGNEUR, à la Maison du Dieu de Jacob. Il nous montrera ses chemins, et nous marcherons sur ses routes.’ » ou encore dans le texte d’Esaïe entendu tout à l’heure : « … je t’ai destiné à être la lumière des nations afin que mon salut soit présent jusqu’à l’extrémité de la terre. » Jésus encourage et même provoque cet élargissement à quiconque - aux nations - des responsabilités et promesses réservées à Israël. Alors que signifie cette « crainte des Juifs » que mentionne l’évangéliste au moment où les disciples vont être envoyés dans le monde, fortifiés par le don de l’Esprit ? L’évangile selon Jean, dans son ensemble, est marqué par la discontinuité en train de s’affirmer entre christianisme et judaïsme ; le christianisme en ses débuts est un courant parmi d’autres du judaïsme à côté des courants pharisien, saducéen, etc.

Mais une soixantaine d’années après les événements concernant la présence singulière de Jésus de Nazareth, alors qu’est rédigé cet évangile, les adeptes de Jésus, désormais nommés « chrétiens », se démarquent plus franchement des autres Juifs qui ont un statut particulier sous la domination romaine, statut dont ne peuvent donc pas bénéficier les chrétiens s’ils ne sont plus considérés comme Juifs ; cela incite certains chrétiens à cacher leur foi nouvelle en Jésus de Nazareth reconnu comme Messie, comme Christ, et l’évangile selon Jean porte les marques de cette difficulté, quand il met dans la bouche de Jésus lui-même des encouragements à l’égard de ses disciples, face à des épreuves annoncées, dont celle de l’exclusion des synagogues : « Je vous ai dit cela afin que vous ne succombiez pas à l’épreuve ; on vous exclura des synagogues... » (ch. 16, v.1, 2) ; Jésus parle ainsi après que l’évangile a souligné l’hésitation de certains à confesser leur foi en Jésus par crainte précisément d’être exclus de la synagogue, tels les parents de l’aveugle de naissance (ch. 9, v. 22 et 12, v. 42). Dans le contexte de l’évangile où Jésus et ceux qui l’entourent sont Juifs, l’expression « les Juifs », qui revient plus de 70 fois, désigne ceux qui sont hostiles au message de Jésus … peut-être parcequ’ils étaient pressentis comme les premiers à l’accepter mais que seuls quelques uns l’ont alors suivi ?

Voici donc que, au soir de Pâques, au soir de l’attestation de la vie plus forte que la mort c’est-à-dire après le constat par Pierre et le disciple que Jésus aimait, du tombeau vide, après la rencontre de Jésus avec Marie de Magdala, les disciples sont encore ou à nouveau hésitants, timorés, effrayés. Le texte précise du reste qu’après la course des deux disciples qui ont découvert le tombeau vide, ceux-ci « s’en retournèrent chez eux » (ch. 20, v. 10) ; comme si de rien n’était ? Car les voici entre eux, toutes portes fermées, « par crainte des Juifs », par crainte de ceux des leurs dont ils se démarquent désormais ...

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Comment donc Jésus, revenu à la vie, c’est-à-dire investi d’une puissance de vie différente de nos contingences habituelles, délivre-t-il ses disciples de leurs craintes pour les réconcilier avec leur origine, avec leur identité de sorte qu’ils puissent être envoyés dans le monde et à leur tour témoigner de la joie libératrice, de la puissance de vie que leur a communiquées Jésus, en sa présence parmi eux ?

Le cheminement qui mène de l’enfermement dans la peur de l’autre, à l’envoi vers les autres, se fait en plusieurs étapes : Jésus vient. Tel le spectre du drame shakespearien Hamlet ? Peut-être … mais ce n’est point en vue de l’accomplissement de la vengeance d’une mort injuste, ce n’est point pour régler les comptes d’anciennes histoires. Jésus vient et nous ne pouvons ni expliquer, ni comprendre ce que peut être ce phénomène physique ! Ce que nous entendons, c’est que la présence de Jésus, par-delà la mort de son corps, et après le constat du tombeau vide, s’offre d’une manière nouvelle. Sa présence ne répond pas aux normes de la condition humaine ; Jésus se rend présent même si les portes de la maison sont fermées à clé, à l’image de Dieu dont nous pouvons éprouver la présence en quelque lieu que nous soyons ! Fait remarquable : la présence de Jésus se donne à reconnaître par la Parole. En effet les quelques récits de rencontre de Jésus ressuscité que nous offrent les évangiles, par-delà leurs diversités, font tous état du fait que Jésus n’est pas reconnu à son apparence physique, mais par les paroles qu’il prononce et qui déclenchent surprise, foi et nouvel élan de vie. Jésus vient : il est celui qui manifeste sa présence aux craintifs, aux blessés, aux déçus qui se replient et s’enferment. Quelles que soient nos peurs et nos enfermements, il vient, il est présent au milieu, il parle et se donne ainsi à connaître et à reconnaître.

Il parle d’abord pour apaiser « Paix pour vous ! » et pour conforter qu’il est bien le blessé, celui qui avait été mis à mort le vendredi précédent, il montre ses mains, son côté. Alors la peur peut faire place à la joie et renouvelant ses vœux de paix, Jésus envoie les disciples.

Ainsi le nouvel élan donné par la présence de Jésus, par sa Parole, ses comportements et ses actes quand il était avec eux parcourant la Samarie et la Judée, cet élan ne fut pas vain ou éphémère, il peut et doit se poursuivre par ses disciples, d’abord en petit nombre puis en plus grand nombre, en tous lieux de la terre où ils sont envoyés avec la force de l’Esprit saint que Jésus souffle sur eux.

Si j’ai choisi de mettre ce récit en écho d’un texte du livre d’Esaïe, c’est que j’entends dans la Parole de Jésus ce même dynamisme prophétique : un souffle venu de plus grand que nous, un souffle « divin » qui autrefois saisissait les prophètes pour les envoyer porter devant un roi ou devant le peuple, une Parole qui avertit, qui exhorte et, quoi qu’il en soit, une parole qui propose un sens à l’histoire, dans ses succès comme dans ses échecs et ainsi une parole qui offre une espérance. Après que la voix des prophètes s’était tue depuis quelques siècles, alors que s’aiguisait l’attente d’une intervention divine déjà exprimée dans des paroles d’Esaïe « Ah, Seigneur, si tu déchirais les cieux et si tu descendais » (Esaïe 63, v. 19), la présence de Jésus, est comprise, notamment par l’évangile selon Jean, comme Parole de Dieu venant dans le monde, dévoilant la grâce et la vérité de Dieu et éclairant ce monde que Dieu aime, pour reprendre les mots du fameux prologue de cet évangile (Jean 1, v. 1-18). Jean-Baptiste est le premier témoin de cet avènement de la Parole en Jésus de Nazareth, il ouvre la voie à celui dont il dit qu’il est « l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (1, v. 29). Cette capacité que Jésus, à la fin du récit de l’évangile, après son ministère terrestre, transmet et confie aux disciples, les premiers appelés suivis depuis vingt siècles par la longue lignée des Chrétiens, en leurs multiples diversités.

Car dans l’envoi du ressuscité, ce que les disciples auront à proclamer est résumé par la capacité de remettre les péchés ou de les retenir, cette capacité ou cette autorité que Jean-Baptiste avait annoncée comme le propre de Jésus, remettre les péchés, pardonner, l’expression est diversement traduite. Mais que sont les péchés ? On y a trop souvent, trop longtemps mis une connotation morale et des générations de personnes ont été culpabilisées, écrasées de honte ou de peur … Mais selon la Bible, le péché représente tout ce qui nous distraie et nous égare d’un authentique chemin de vie jusqu’à, éventuellement nous paralyser, comme certain personnage des évangiles à qui Jésus dit « Tes péchés sont pardonnés » avant de le laisser se lever et marcher, libéré de ce qui entravait son chemin de vie (Marc 2, v. 11-2). Remettre les péchés, c’est donc annoncer le pardon offert, la grâce première du Créateur pour chacune de nos vies, l’infinie miséricorde de Dieu, dont Jésus est messager pour ses disciples, à qui il transmet la responsabilité de poursuivre ce qu’il a lui-même manifesté par sa présence en ce monde. Il est vrai que certains ont compris cette phrase comme l’énoncé d’un exorbitant pouvoir réservé à une classe de prêtres ordonnés selon la « succession apostolique ».

Nous pouvons y entendre bien plus, la responsabilité du témoignage de quiconque répond à l’appel et accepte de passer le seuil de la porte qu’a ouverte Jésus, lui qui est passé par la mort mais n’a pas été anéanti dans la mort. Si à Pâques et après Pâques nous proclamons et chantons qu’ « il est ressuscité, vraiment ressuscité », c’est parce que nous croyons fermement qu’il vit par nos paroles et nos manières d’être, dépendantes de cette Parole unique, parole qui fait de nous des humains libérés.  Alors, non : le pouvoir d’annoncer le pardon, n’est pas un pouvoir conféré à quelques uns, c’est bien plutôt l’exigence de la foi, qui nous pousse à vivre et à dire la fin de la culpabilité, les réconciliations possibles, la délivrance de tous les esclavages jusqu’à celui de l’oppressante peur de la mort. Ce temps de toutes réconciliations, ce temps de l’apaisement et de la joie est à l’horizon de l’Histoire mais cette perspective, dès aujourd’hui, nourrit notre espérance et donc nos prises de position, nos engagements dans la vie que nous vivons, avec les autres. Mais si nous gardons ce message pour nous, sans le partager, nous privons de cette joyeuse annonce, de cette bonne nouvelle, ceux à qui nous avions obligation de la proclamer ! Comme cela se fit pour les disciples assemblés, dans la peur, au soir de Pâques, souvenons-nous que nos peurs, nos craintes, nos frilosités, nos hésitations … peuvent être vaincues par la force de l’amour de Dieu, un amour à partager ; Dieu a voulu que la mort de l’homme-Jésus ne soit pas le point final d’une histoire. Quand nous proclamons qu’il est ressuscité, nous reconnaissons qu’il nous a ouvert, grand, la porte de l’espérance, nous engageant dans une vie de service et de relations les uns avec les autres.

La présence de Jésus dans la pièce fermée était plus que l’arrivée d’un souffle d’air frais ; il s’agissait d’indiquer aux disciples la porte ouverte comme projet et comme programme à partager largement, une porte ouverte sur l’espérance et sur la vie en plénitude. Croyons que Celui qui nous a appelés à la vie et que nous nommons Dieu, a pour nous des projets d’avenir et d’espérance (cf. Jérémie 29, v. 11) !

Même si nous avons tendance à nous replier et à resserrer nos rangs, il vient. Accueillons donc la présence de Celui qui vient pour élargir notre regard, nous éveiller et nous relever. Il nous offre la paix, il souffle sur nous son Esprit, esprit de vie, il nous envoie.

Amen

Lecture de la Bible

Esaïe 49/1-7
1 Îles, écoutez-moi !
Peuples lointains, soyez attentifs !
L'Éternel m'a appelé dès le sein (maternel),
Il a fait mention de mon nom dès (ma sortie) des entrailles de ma mère.

2 Il a rendu ma bouche semblable à une épée tranchante,
Il m'a couvert de l'ombre de sa main ;
Il a fait de moi une flèche aiguë,
Il m'a dissimulé dans son carquois.

3 Et il m'a dit : Tu es mon serviteur,
Israël en qui j'aurai ma parure.
4 Mais moi j'ai dit :
C'est en vain que je me suis fatigué,
C'est pour le vide, la vanité que j'ai consumé ma force ;
Certes mon droit est auprès de l'Éternel
Et ma récompense auprès de mon Dieu.

5 Maintenant l'Éternel parle,
Lui qui m'a formé dès le sein (maternel)
Pour être son serviteur,
Pour ramener à lui Jacob,
Pour qu'Israël soit assemblé auprès de lui ;
Je suis glorifié aux yeux de l'Éternel,
Car mon Dieu a été ma force.

6 Il dit : C'est peu que tu sois mon serviteur
Pour relever les tribus de Jacob
Et pour ramener les restes d'Israël :
Je t'établis pour être la lumière des nations,
Pour que mon salut soit (manifesté)
Jusqu'aux extrémités de la terre.

7 Ainsi parle l'Éternel,
Le rédempteur, le Saint d'Israël,
A celui dont la vie est méprisée
Et qui fait horreur à la nation,
A l'esclave des dominateurs :
Des rois le verront et ils se lèveront,
Des princes et ils se prosterneront,
A cause de l'Éternel qui est fidèle,
Du Saint d'Israël, qui t'a choisi.


Jean 20/11-31
19 Le soir de ce jour, qui était le premier de la semaine, les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient fermées, par la crainte qu'ils avaient des Juifs ; Jésus vint, et debout au milieu d'eux, il leur dit : Que la paix soit avec vous !
20 Quand il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie.
22 Après ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l'Esprit Saint.
23 Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.
24 Thomas, appelé Didyme, l'un des douze, n'était pas avec eux, lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc : Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit : Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets mon doigt à la place des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point.
26 Huit jours après, les disciples de Jésus étaient de nouveau dans la maison, et Thomas avec eux. Jésus vint, les portes étant fermées, et debout au milieu d'eux, il leur dit : Que la paix soit avec vous !
27 Puis il dit à Thomas : Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance aussi ta main et mets-la dans mon côté ; et ne sois pas incrédule, mais crois !
28 Thomas lui répondit : Mon Seigneur et mon Dieu !
29 Jésus lui dit : Parce que tu m'as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru !
30 Jésus a fait encore, en présence de ses disciples, beaucoup d'autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31 Mais ceci est écrit afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu'en croyant, vous ayez la vie en son nom.

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