Pas facile d'être prophète !

Jérémie 1:1-19

Culte du 19 janvier 2020
Prédication de Agnès Adeline-Schaeffer

Vidéo de la partie centrale du culte

En ce dimanche de l’éducation biblique, nous poursuivons notre découverte des récits de vocation. Depuis le mois de septembre, nous sommes en chemin avec les différents appels que Dieu fait à certains personnages de la Bible, comme Abraham, Noé, Moïse et le jeune Samuel.  Aujourd’hui, nous nous concentrerons sur l’appel que Dieu fait à Jérémie.

Jérémie est, avec Ésaïe et Ézéchiel, l’un des trois grands prophètes d’Israël, non seulement à cause de la taille de son livre qui contient 52 chapitres, mais aussi parce qu’il est la référence la plus citée dans le Nouveau Testament. Jérémie est souvent appelé prophète de malheur, parce qu’il prévient le peuple d’Israël des malheurs qui l’attendent.  Il vit dans un monde troublé, sur le pan religieux et sur le plan politique. Le roi Josias, dernier roi du royaume de Juda,  a entrepris une réforme religieuse, suite à la découverte dans les sous-sols du Temple, d’un manuscrit contenant des récits et des lois du peuple juif. On l’appellera la « deuxième loi », « Deutéronome » en grec,  et c’est le cinquième livre de la Torah.
Mais cette loi n’est facile à mettre en place, parce que le peuple d’Israël vit en tension entre son désir de revenir à Dieu d’une part, et celui  de vivre comme les autres peuples, d’autre part.

Le Royaume de Juda est également tiraillé sur le plan politique, coincé entre deux pays immenses et hégémoniques : l’Égypte et Babylone, en Assyrie. Pour trouver sa place sur l’échiquier politique, il hésite longtemps avant de faire le mauvais choix et de s’allier à l’Égypte, la puissance déclinante. C’est donc dans ce contexte nébuleux que Jérémie reçoit sa vocation. Et le message qu’il doit délivrer ne fait pas plaisir.  En effet, il doit annoncer la prophétie de désolation sur le royaume de Juda, la destruction de Jérusalem et du temple. Personne n’a envie de le croire, mais quand sa prophétie se réalise, lorsque Jérusalem est effectivement détruite ainsi que le temple, par Nabuchodonosor, et qu’une grande partie de la population est emmenée en exil à Babylone,  Jérémie est persécuté et emprisonné en Egypte. Nous sommes au VIème siècle avant Jésus-Christ. Jérémie reçoit sa vocation vers 627, Jérusalem sera détruite en 587. Il s’écoule donc 40 années, durant lesquelles Jérémie va assumer son rôle de prophète jusqu’au bout. Le témoignage qu’il écrit dans son livre, à la première personne du singulier, ce qui en fait, en partie,  un récit autobiographique,  est particulièrement touchant et interroge en profondeur les lecteurs que nous sommes. Comment être prophète en tant de crise ? Lorsque tout va mal, faut-il dire une vérité qui fâche ? C’est la mission, peu enviable, de Jérémie. 
Lorsqu’il demande au peuple de changer de vie, personne ne l'écoute. On lui interdit même de parler dans le Temple.
Lorsqu’il demande au peuple d'accepter le joug de l'ennemi, les visages se ferment et  Jérémie est lui-même enfermé dans une citerne.

Comme tous ceux qui sont appelés, Jérémie ne choisit pas de devenir prophète. Mais dans le cas de Jérémie il ne semble pas pouvoir échapper à son destin, puisque Dieu lui-même l’a consacré à son service avant sa naissance, parce qu’il le connaissait avant même sa conception ! (v.5).  N’ayons pas peur des mots : c’est un exemple de prédestination absolue !
 « Je t’ai mis à part », « Je t’ai consacré », dit Dieu à Jérémie.
Jérémie est un être à part, et bien plus qu’on l’imagine.  Il vit  à Anatoth, un village près de Jérusalem, il est issu d’une famille de prêtres. Mais cette famille porte une blessure.  L’ancêtre de sa famille, Ebiatar, a trempé dans un complot contre Salomon. Depuis, ses descendants sont relégués à Anatoth, sans avoir le droit de s’installer ailleurs. Ils ne peuvent pas  pratiquer en tant que prêtre,  dans le Temple de Jérusalem. Ainsi, en tant que fils de prêtre, Jérémie est au centre de la foi d’Israël, mais en  tant que descendant d’Ebiatar, il en est exclu.
Mais en l’appelant Dieu inclut Jérémie dans son projet, celui de dire au peuple, la vérité, au risque de sa vie, de dire aussi, qu’en dépit de cette vérité,  quelque part inaudible, parce qu’elle dérange, Jérémie proclame la fidélité de Dieu envers son  peuple et lui renouvelle  tout de même sa confiance.   Et cette confiance permettra au peuple de démarrer un projet nouveau, le moment venu. Mais cette confiance, Jérémie est déjà en train de la vive, car,  en allant le chercher à Anatoth,  nous découvrons que Dieu ne rejette pas la famille des prêtres maudits. C’est une mission prophétique,  on ne peut plus paradoxale.
 
La vocation de Jérémie s’inscrit donc dans ce contexte embrouillé, au cœur de nombreuses tensions : spirituelles, diplomatiques et personnelles. Comme toute personne appelée, il résiste. Mais la timide objection de Jérémie ne pèse pas lourd dans la décision divine : « Ah Éternel, je ne sais pas parler, je suis trop jeune »…. Ce à quoi l’Éternel lui répond : « Ne prétends pas que tu es trop jeune, car tu iras trouver tous ceux vers qui je t’enverrai et tu diras tout ce que je t’ordonnerai ». Et Dieu rajoute cette promesse qui accompagne tous ceux qui sont appelés : « N’aie pas peur d’eux, car je suis moi-même avec toi, pour te délivrer ».  Jérémie ne peut échapper à sa mission. Sa vocation est exigeante, mais il est prévenu dès le début de la difficulté de sa mission. Et cette difficulté est annoncée d’emblée : « Aujourd’hui, je te confie une responsabilité envers les nations et les royaumes : celle d’arracher et de démolir, de faire disparaître et de détruire, de construire et de planter » (v.10) ou selon d’autres traductions : déraciner et renverser, ruiner et démolir, rebâtir et replanter. Six verbes, dont quatre négatifs et deux positifs.

La mission de Jérémie est authentifiée par la vision qui suit : deux symboles que sont la branche d’amandier et le chaudron bouillant.

En hébreu, le mot amandier veut dire aussi « Veilleur » mais aussi « Hâter »
La particularité de l'amandier, c'est de fleurir précocement, alors même que l'hiver n'est pas terminé. L’amandier dit le printemps avant l'heure. Porteur d’espérance, il dit que la vie est plus forte que toutes les obscurités. L'amandier est un veilleur. Il hâte la venue du printemps.  Mais ce veilleur n’est autre que Dieu lui-même, qui reste le veilleur fidèle et infatigable de son peuple. Même si le peuple se détourne de Dieu, même s’il oublie l’Alliance inaugurée par Moïse, et se tourne vers d’autres dieux, Dieu n’oublie pas son peuple pour autant. Il continue de veiller.
 
Tout en affrontant la réalité de son existence.  Et c’est ce que le deuxième symbole exprime, par la vision du chaudron bouillant, bouillonnant, évocation peu rassurante de ce qui attend le peuple d’Israël. Ce chaudron brûlant désigne la menace qui vient du Nord, c’est la menace des troupes babyloniennes qui s’apprêtent à envahir le royaume de Juda.
Tout en annonçant  la radicalité de la parole de Dieu, Jérémie annonce aussi la promesse de Dieu de ne pas abandonner son peuple. Et l’autorité de Jérémie va prendre racine dans la confiance qu’il fait à Dieu. Une confiance mis à l’épreuve, physiquement, parce que Jérémie vivra sa mission, en prise aux menaces permanentes. Jérémie ne va rencontrer que des difficultés, et c’est emprisonné en Égypte, qu’il verra la réalisation de sa prophétie, par l’exil d’une partie de son peuple.

Et c’est sûrement en cela que ce récit prophétique est touchant. Non seulement par la vérité spirituelle, politique  et personnelle qu’il contient, mais parce qu’il nous met en face d’une vocation qui n’est pas facile à assumer. Le récit alterne en permanence de confession de foi de Jérémie,  en interrogations profondes qu’il crie vers Dieu.  Il ose dire son désespoir et ses doutes autant que sa confiance et sa joie. Il fait ses reproches à Dieu sur la violence de sa mission, mais il garde la foi en achetant un champ. Il désespère du peuple d’Israël au cœur dur, incapable de se convertir, mais il prophétise que  « Jeunes et vieux se réjouiront ensemble ».  (Jr 31/13-14). ) En cela, nous pouvons saluer en Jérémie un modèle  de croyant, libre dans la relation qu’il entretient avec Dieu. Au fond, Jérémie sert son Dieu avec l’ensemble de sa personnalité, avec le doute et la foi, le sentiment de se sentir abandonné comme celui d’être tout de même accompagné, avec ses hauts et ses bas, avec ses forces et ses faiblesses. Un prophète n’est pas un super héros. Et Dieu fait avec l’ensemble de la personnalité de celui qu’il a choisi.  Parce que si le prophète doute de Dieu et de la mission qu’il lui a confiée, Dieu, lui, croit en son prophète, parce qu’il croit en l’homme.
Dieu fait la promesse de graver sa loi dans le cœur de l’homme, en qui il ne cesse de croire. Sans le contraindre à la fidélité, qui ne serait plus un choix libre, Dieu attend patiemment la réponse de l’homme, parce que « l’homme est une espérance de Dieu ». (Charles Wagner).

Le monde dans lequel nous vivons est en mutation. Celui que nous connaissons va disparaître, un autre est en train d’arriver, dans lequel les mêmes questions de justice, de vérité,  de protection des plus faibles, de solidarité avec les plus démunis continueront de se poser, comme elles se posaient au temps de Jérémie. Nos institutions politiques et ecclésiales vacillent. Mais chacun pour notre part, nous recevons un appel, une vocation à ne pas désespérer, mais à inventer de nouvelles manières de construire demain. Nous pourrions  aussi nous laver les mains de ce qui adviendra à ceux qui nous suivent. Mais,  croyants ou non, nous recevons une mission, au fond, toute humaine, qui devient une responsabilité incontournable, de dénoncer ce qui abîme l’homme, la femme, l’enfant,  et le menace dans sa dignité et son équilibre,  de dénoncer le pouvoir de l’argent et de la corruption, qui laisse les plus faibles sur le trottoir, de lutter contre les intégrismes religieux et politiques, synonymes d’obscurantisme, distillant la peur, pour mieux asservir ceux qui se laissent aveugler ou paralyser.   Notre mission n’est pas si différente de celle de Jérémie.

Évidemment, tout comme Jérémie, et comme tous ceux appelés avant lui, et après lui, nous objecterons cet appel qui nous est lancé, chacun selon nos charismes et là où nous sommes placés, prétextant, invariablement, que nous sommes incapables d’un tel engagement.

Mais souvenons-nous que « Dieu n’appelle pas des gens capables, mais il rend capables ceux qu’il appelle » (Marguerite Hoppenot).

Amen.

Lecture de la Bible

Jérémie 1:1-19

1 Paroles de Jérémie, fils de Hilkija, l'un des sacrificateurs d'Anathoth, dans le pays de Benjamin.

2 La parole de l'Eternel lui fut adressée au temps de Josias, fils d'Amon, roi de Juda, la treizième année de son règne,

3 et au temps de Jojakim, fils de Josias, roi de Juda, jusqu'à la fin de la onzième année de Sédécias, fils de Josias, roi de Juda, jusqu'à l'époque où Jérusalem fut emmenée en captivité, au cinquième mois.

4 La parole de l'Eternel me fut adressée, en ces mots:

5 Avant que je t'eusse formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais, et avant que tu fusses sorti de son sein, je t'avais consacré, je t'avais établi prophète des nations.

6 Je répondis: Ah! Seigneur Eternel! voici, je ne sais point parler, car je suis un enfant.

7 Et l'Eternel me dit: Ne dis pas: Je suis un enfant. Car tu iras vers tous ceux auprès de qui je t'enverrai, et tu diras tout ce que je t'ordonnerai.

8 Ne les crains point, car je suis avec toi pour te délivrer, dit l'Eternel.

9 Puis l'Eternel étendit sa main, et toucha ma bouche; et l'Eternel me dit: Voici, je mets mes paroles dans ta bouche.

10 Regarde, je t'établis aujourd'hui sur les nations et sur les royaumes, pour que tu arraches et que tu abattes, pour que tu ruines et que tu détruises, pour que tu bâtisses et que tu plantes.

11 La parole de l'Eternel me fut adressée, en ces mots: Que vois-tu, Jérémie? Je répondis: Je vois une branche d'amandier. 12 Et l'Eternel me dit: Tu as bien vu; car je veille sur ma parole, pour l'exécuter.

13 La parole de l'Eternel me fut adressée une seconde fois, en ces mots: Que vois-tu? Je répondis: Je vois une chaudière bouillante, du côté du septentrion.

14 Et l'Eternel me dit: C'est du septentrion que la calamité se répandra sur tous les habitants du pays.

15 Car voici, je vais appeler tous les peuples des royaumes du septentrion, dit l'Eternel; ils viendront, et placeront chacun leur siège à l'entrée des portes de Jérusalem, contre ses murailles tout alentour, et contre toutes les villes de Juda.

16 Je prononcerai mes jugements contre eux, à cause de toute leur méchanceté, parce qu'ils m'ont abandonné et ont offert de l'encens à d'autres dieux, et parce qu'ils se sont prosternés devant l'ouvrage de leurs mains.

17 Et toi, ceins tes reins, lève-toi, et dis-leur tout ce que je t'ordonnerai. Ne tremble pas en leur présence, de peur que je ne te fasse trembler devant eux.

18 Voici, je t'établis en ce jour sur tout le pays comme une ville forte, une colonne de fer et un mur d'airain, contre les rois de Juda, contre ses chefs, contre ses sacrificateurs, et contre le peuple du pays.

19 Ils te feront la guerre, mais ils ne te vaincront pas; car je suis avec toi pour te délivrer, dit l'Eternel.

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