Pâques en 1932

1 Pierre 1 , 1 Jean 1

Culte du 27 mars 1932
Prédication de Wilfred Monod

Culte à l'Oratoire du Louvre

27 mars 1932
« Pâques »

Prédication le pasteur Wilfred Monod

Accès direct à la lecture biblique, cliquer ici
Accès direct au texte de la prédication, cliquer ici


« Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous »
Luc 19/14

« Il faut qu’il règne ! »
I. Corinthiens 15/25

Couverture de l’ouvrage à la mémoire du pasteur Wilfred Monod, 1948

Prédication

Mes frères,

Le personnage qui occupe la plus grande place dans le monde, est Jésus de Nazareth. Il reste le plus vivant de tous les vivants.

Preuve en soit, d'abord, la haine vigoureuse, et indéfiniment renaissante, qu'il excite. Dans une de ses paraboles, le Christ met en scène une populace qui braille contre un suzerain légitime : « Nous ne voulons pas que cet individu règne sur nous ! » C'est la clameur féroce qui enveloppa le Messie enchaîné, devant Pilate, et qui l'envoya au Calvaire. C'est la vocifération qui éclate encore aujourd'hui, dans le monde entier, poussée par des millions de gosiers. D'innombrables hommes, nos contemporains, si Jésus revenait sur la terre, organiseraient une chasse cruelle contre l'agneau de Dieu, en hurlant : « Au loup ! Au loup ! »

Pourquoi ? Hommage indirect à son influence, au pouvoir fascinateur qui émane de lui ! Jésus-Christ est un animateur, un entraîneur, un chef qui enrôle et commande, qui exige de toutes les âmes le pire des sacrifices, le « renoncement à soi-même ». Il est l'ennemi inflexible de l'égoïsme humain, et le traque dans ses ultimes tanières. Donc, Jésus demeure, ici-bas, le type accompli de l'être indésirable : « Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous. »

Et cependant, mes frères, cette forme-là de l'opposition au Christ n'est point la plus dangereuse pour l'Évangile. Car il existe deux manières principales pour se débarrasser d'un réformateur, d'un prophète ; la première consiste à le tuer ; la seconde consiste à le déifier. On lui dresse une statue, érigée sur un autel, et on l'adore dans un nuage d'encens. Alors, ayant proclamé à genoux sa louange, on estime être quitte envers lui. De la sorte, on l'enferme dans le sanctuaire, on se prémunit contre les redoutables incursions de son esprit dans le domaine moral, social, politique, international. On lui ouvre les églises, on lui interdit le monde.

Mais saint Paul avait d'avance protesté contre une pareille hypocrisie. Tout son pathétique ministère de pionnier, d'apôtre, de missionnaire, fut dominé, jour et nuit, jusqu'au martyre final, par ce credo passionné : « Il faut qu'il règne ! »

Je voudrais, aujourd'hui, vous proposer cette formule enthousiaste, ce programme inspiré. Acceptez la brève et noble devise, je vous en conjure ; sinon, vous resterez incapables de célébrer, en esprit et en vérité, le dimanche de Pâques.


En effet, que signifie, en dernière analyse, la fête chrétienne qui nous rassemble ? Elle est incompréhensible, quand on la sépare du Vendredi-Saint. En réalité, Pâques est la revanche de Golgotha : un triomphe après une défaite.

La torture du crucifié a montré de quoi le péché est capable, quand il rugit : « Nous ne voulons pas que la sainteté règne sur nous ! »

Mais la Résurrection a montré de quoi la sainteté est capable, elle aussi ; car le glorifié proclama : « Il faut que je règne ! »

Le vocabulaire que j'emploie semblerait parfaitement nuageux, ou fantastique, à beaucoup de gens. Le langage de la piété chrétienne leur apparaît vieillot, bizarre, extravagant ; sans rapport avec le réel. On a déjà bien assez de peine, disent-ils, à gagner son pain, à soigner ses maladies, à élever une famille… Pourquoi se créer des soucis artificiels dans la région de l'inconnaissable ou dans le domaine de la mythologie ? Pourquoi se monter l'imagination au sujet du fruit défendu mangé par Adam et Eve, au sujet de Satan, et de l'Enfer, et du sang expiatoire versé au Calvaire pour effacer le crime de gourmandise perpétré dans le jardin d'Éden?

Hélas ! mes frères, les guides religieux de l'Église chrétienne déplorent le ravage commis dans les esprits par une certaine présentation trop naïve, ou caricaturale, de l'enseignement évangélique. Mais il faut chercher le fond résistant derrière la forme transitoire ; sous l'écorce de la parabole, il faut trouver l'amande substantielle. Eh bien ! j'affirme, avec une conviction inébranlée, inébranlable, que le spectacle de Jésus en croix maintient dans le monde, la tragique et décisive révélation du « péché ».

Essayerai-je de le définir ? Chaque formule serait contestée, critiquée. Je me bornerai donc à dire : Voulez-vous savoir jusqu'où le péché peut s'exalter ? Contemplez, sur le roc du Crâne, le crucifié couvert de sang et de larmes, et dont les plaies bourdonnent de mouches bleues, tandis que pleuvent les quolibets et les crachats. Vous demandez : Le péché, qu'est-ce donc ? Pour le savoir, il suffit de regarder le Calvaire le péché, c'est l'instinct effroyable qui nous entraîne violemment à écarter Dieu, à nous jeter sur Dieu, à crucifier Dieu en la personne de quiconque reflète l'Idéal suprême et incarne l'Esprit Saint¹.

Mais réfléchissez encore. Le monde animal est le royaume de l'innocence ; la bête est incapable de haïr Dieu. Donc n'écoutez jamais les flatteurs intéressés, les politiciens superficiels, les écrivains mensongers qui vont clamant le péché n'est qu'un mot, une illusion de la préhistoire, un rêve de peuplade polynésienne. Oh ! ne prêtez jamais l'oreille à ces trompeurs. Car, en niant le péché, loin de grandir l'homme ils le ravalent au niveau de l'animalité.

Eh ! sans doute, quand nous négligeons la prière personnelle, et la méditation de la Bible, et le culte public, et la Table Sainte : quand nous dédaignons les moyens de grâce offerts par l'Église aux âmes, nous finissons par ne plus comprendre le vocabulaire chrétien, nous sommes empoisonnés par l'ambiance du monde, par les affaires, par les plaisirs, par les lectures perfides ; chaque jour, nous penchons notre visage au-dessus d'un journal farci de crimes et de souillures, d'erreurs, de mensonges, d'injures, et nous en absorbons les vapeurs vénéneuses, comme s'il s'agissait de quelque inhalation médicale. Alors notre sens religieux s'estompe, notre conscience devient calleuse, et quand les prédicateurs parlent de péché, ils nous apparaissent comme des revenants ; vagues fantômes échappés d'une région souterraine.

Mais tout à coup, voici le Vendredi-Saint. La croix se dresse, gigantesque, au-dessus des continents, au-dessus des siècles. J'entends une voix mystérieuse qui me frappe en pleine poitrine et meurent inopérantes. Tandis que, dans nos contrées, coule encore, intermittente, la source évangélique ; et bien des initiatives généreuses de l'État laïque doivent leur inspiration à la persistante spiritualité chrétienne.

Oui, cela est dû au souffle de Pâques. Dans la société occidentale, qui se vante souvent d'être profane et rationaliste, vibre toujours le strident cri de joie « Il est ressuscité ! » Un historien libre penseur, déclarait, vers la fin de sa carrière d'érudit : « J'ignore ce qui s'est passé au premier dimanche de Pâques, mais je sais bien que l'humanité, depuis lors, a pris une direction nouvelle. » Rien de plus vrai, puisque les disciples du Libérateur trouvèrent un sens à la douleur, une arme contre le péché, une issue à la mort.

Alors, mes frères, unissez-vous joyeusement, hardiment, à l'Église de Jésus-Christ, pour affirmer : Il faut qu'il règne ! »

Seulement, mon devoir est de vous prévenir que cette acclamation suscitera, bientôt, dans le monde entier, une recrudescence d'hostilité contre le Christ. Déjà, la vocifération haineuse : « Nous ne voulons pas que cet homme-là règne sur nous ! » retentit, toujours plus violente, en Europe et en Asie, dans l'immense empire des Soviets russes. Là sévit une persécution religieuse sans pareille dans l'histoire, froidement organisée, tantôt hypocrite et tantôt féroce, mais systématique, persévérante, implacable, au profit de l'athéisme intégral. Les chefs du mouvement des « sans Dieu » propagent le matérialisme en sa crudité, en sa brutalité, jusque dans les écoles, ou les asiles de sourds-muets. En même temps, la législation nouvelle sur le mariage, élaborée pour désorganiser la famille, a ouvert les écluses devant un fleuve de luxure. D'innombrables enfants, que leurs parents de hasard abandonnent, enfants corrompus eux-mêmes, contaminés et affamés, s'organisent en troupes de bandits et mènent au grand jour l'existence criminelle des apaches… Sur le malheureux peuple menacé, violenté, en partie déchristianisé, retentit, inlassablement, la clameur sinistre : « Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous ! »²

Mais voici un autre scandale, monstrueux, dont les échos ont rempli le monde entier durant plusieurs mois. Deux peuples de l'Extrême-Orient, appartenant à la même race jaune, deux peuples ayant solennellement juré de ne plus jamais recourir à la force armée pour vider leurs querelles, deux peuples dont les représentants officiels siègent dans le Conseil suprême de la Société des Nations, mais deux peuples païens, viennent de s'entre-déchirer dans une guerre sauvage… « Nous ne voulons pas que le Christ règne sur nous. »

Mais voici un autre scandale énorme. Vous savez que, sous le tonnerre des bombardements aériens qui déchiquetaient des femmes et des nourrissons à Shanghaï, la Conférence du désarmement s'est réunie à Genève. Jamais un pareil aréopage de gouvernements n'a été rassemblé sur la terre ; il s'agit pour lui d'aiguiller l'histoire politique de l'humanité sur une voie nouvelle. Tâche colossale devant laquelle, depuis deux mois, hésitent les aiguilleurs eux-mêmes, accablés par leur mission, défiants les uns des autres, et presque épouvantés... Est-ce que, dans une occasion aussi dramatique, l'Église de Jésus-Christ, enfin unifiée, universelle, unanime, une et indivisible comme la tunique sans couture du Crucifié, ne devrait pas élever la voix et proclamer solennellement, au nom de l'Évangile éternel, que le souverain Pasteur des peuples dispersés immola sa vie pour le monde, afin de rassembler en un seul troupeau les brebis errantes et sanglantes ?... Eh bien la chrétienté se tait. Elle reste silencieuse, parce qu'elle n'a point de voix commune. Il n'existe pas, sur notre minuscule planète, une seule autorité religieuse ayant qualité pour parler au nom de la chrétienté entière… Celle-ci est encore une chimère, qui n'a point passé dans les faits ; non, elle n'est point sortie des credos ecclésiastiques, pour entrer dans les plaies du genre humain. Il n'y a point de chrétienté ! Il n'y a point d'œcuménisme ! Il n'y a point de catholicité ! Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi nous as-tu abandonnés ?... Parce que les Églises désunies profèrent, à leur tour, inconsciemment, ce blasphème stupide et lugubre : « Nous ne voulons point que Jésus-Christ règne sur nous ! »

Est-ce que le christianisme, sans le savoir, aurait glissé dans l'apostasie ? Est-ce que l'ère des châtiments divins commence ? Est-ce que le genre humain, ayant « semé le vent », est sur le point de « récolter la tempête »? Est-ce que la crise universelle va s'intensifier jusqu'à l'irréparable catastrophe ? Est-ce que les nations, l'une après l'autre, et même des civilisations entières, vont se précipiter, comme autant d'avalanches, du haut de chacun des continents, pour se ruer à l'abîme avec un bruit de tonnerre ?

Ah ! nous n'avons pas le droit de désespérer ; le dimanche de Pâques est une trompette éclatante qui proclame la vie divine, qui annonce la résurrection possible d'une chrétienté ; mais d'une chrétienté qui rendra son témoignage, héroïquement ; qui souffrira persécution ; qui subira, sans doute, le martyre. À toutes les diaboliques puissances qui essayeront de détruire le christianisme par le feu, et d'incendier les églises comme des tas d'herbes sèches, à toutes les sataniques énergies qui rugiront : « Nous ne voulons pas que le Christ règne sur nous », l'Église enfin réveillée, baptisée du saint Esprit, répliquera, paisible et ferme : « Il faut qu'il règne ! »

Quel beau et glorieux jour de Pâques, aujourd'hui même, si vos cœurs tressaillaient à cette vision, à cet appel, à cette prophétie !

J'en atteste la table sainte. À la contempler, je frémis d'un magnifique espoir, non seulement pour l'Église future, mais pour l'assemblée ici réunie. Ne pressentez-vous point que tout le surnaturel mystère de Pâques est concentré dans la communion avec Jésus-Christ, Fils de l'homme et Fils de Dieu ?

Un philosophe de l'Antiquité païenne, l'esclave Épictète, s'écriait : «De par tous les dieux, je voudrais avoir un vrai stoïcien, une âme humaine en communauté de pensées avec Dieu, et qui songe, dans ce corps périssable, à vivre en société avec Jupiter. Montrez-m'en une seule. Vous ne le pouvez pas ! »

Mais nous autres chrétiens, nous pouvons ! À la Table sacrée nous affirmons avec l'apôtre Jean : « La vie a été manifestée, nous l'avons vue, nous lui rendons témoignage, nous annonçons la vie éternelle, car notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ. »

Celui qui s'exprima ainsi était un Juif gagné à l'Évangile. Écoutons, maintenant, un ancien païen, converti au Sauveur, et devenu un des Pères de l'Église, Clément d'Alexandrie. Il s'exprime en ces termes, qui donnent frisson par leur accent pascalien : « Sans la Parole incarnée, nous serions semblables à des volailles que, dans un réduit sombre, on engraisse pour les tuer. » Et il ajoute : Dieu est devenu homme, afin que nous apprenions d'un humain comment l'homme peut devenir Dieu. »

Voilà ce que signifie la célébration de la Sainte Cène. On y parle, hélas ! de corps brisé, de sang répandu, vision d'horreur ! parce que nos complices de Jérusalem, nos pareils, nos semblables, pécheurs comme nous, (mais pas davantage), hurlèrent devant le représentant de César : « Nous ne voulons pas que le Christ règne sur nous !» Cependant, c'est un autre langage avant tout, ô miracle ! ô douceur divine ! qui s'élève de la Table sacrée. Le corps et le sang, transfigurés pour nos âmes, deviennent les vivants symboles de la permanente présence, dans l'Église, du Ressuscité. Nous avançons la main vers le pain consacré ?... Cela signifie, n'est-ce pas ? — « Il faut qu'il règne !» —et d'abord dans mon cœur.

Nous élevons la coupe de bénédiction ? Et cela signifie, encore : « Il faut qu'il règne !... » Il faut que tu règnes, Seigneur !

Amen. Ainsi soit-il. AMEN.


Notes

  1. «L'homme se sent poussé à crucifier Dieu entre les larrons.» W. Færster. Le Christ et la vie humaine, p. 156.
  2. Moscou sans voiles, par Douillet. [Neuf ans de travail au pays des Soviets, 1928]

Pour aller plus loin

  • Wilfred Monod, Voir Jésus, 1939, 8 prédications avant-guerre (lire sur notre site)
  • Wilfred Monod, In Memoriam, "Souvenez-vous de vos conducteurs", 1948, 152 pages, 5 prédications dont la dernière avant sa mort, qui porte sur le sourire(lire sur notre site)

Lecture de la Bible

Traduction Segond 1910

I Pierre I, 13 à 21

 13 C'est pourquoi, ceignez les reins de votre entendement, soyez sobres, et ayez une entière espérance dans la grâce qui vous sera apportée, lorsque Jésus-Christ apparaîtra. 14 Comme des enfants obéissants, ne vous conformez pas aux convoitises que vous aviez autrefois, quand vous étiez dans l'ignorance. 15 Mais, puisque celui qui vous a appelés est saint, vous aussi soyez saints dans toute votre conduite, selon qu'il est écrit : 16 Vous serez saints, car je suis saint. 17 Et si vous invoquez comme Père celui qui juge selon l'œuvre de chacun, sans acception de personnes, conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre pèlerinage, 18 sachant que ce n'est pas par des choses périssables, par de l'argent ou de l'or, que vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vous avez héritée de vos pères, 19 mais par le sang précieux de Christ, comme d'un agneau sans défaut et sans tache, 20 prédestiné avant la fondation du monde, et manifesté à la fin des temps, à cause de vous, 21 qui par lui croyez en Dieu, lequel l'a ressuscité des morts et lui a donné la gloire, en sorte que votre foi et votre espérance reposent sur Dieu.

I Jean I, 1 à 10

   1 Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie, - 2 car la vie a été manifestée, et nous l'avons vue et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée, - 3 ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Or, notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ. 4 Et nous écrivons ces choses, afin que notre joie soit parfaite.
   5 La nouvelle que nous avons apprise de lui, et que nous vous annonçons, c'est que Dieu est lumière, et qu'il n'y a point en lui de ténèbres. 6 Si nous disons que nous sommes en communion avec lui, et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons, et nous ne pratiquons pas la vérité. 7 Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes mutuellement en communion, et le sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché.
   8 Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous. 9 Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute iniquité. 10 Si nous disons que nous n'avons pas péché, nous le faisons menteur, et sa parole n'est point en nous.