Où sommes-nous dans la foule des Rameaux ?

Jean 12:12-19

Culte du 14 avril 2019
Prédication de Béatrice Cléro-Mazire

Vidéo de la partie centrale du culte

 « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». 

Ce cri de la foule qui accueille Jésus devant Jérusalem, pourrait-être le nôtre aujourd’hui si nous ne connaissions la fin tragique de l’histoire. Où serions-nous dans cette foule bruyante ? L’Évangile de Jean rajoute à cette citation du Psaume 118 (verset 26) ce « Hosanna ! ». Terme qui veut dire : sauve ! De grâce! Le peuple qui acclame Jésus à l’entrée de Jérusalem demande la grâce. Il ne s’agit pas seulement d’un nouveau roi qui va régner sur Israël avec l’onction royale. Il ne s’agit pas seulement d’un roi de droit divin, il s’agit du Messie, celui que les prophètes ont annoncé et qui se fait si cruellement attendre. Cette attente messianique, comme toujours dans les récits évangéliques, est à entendre à plusieurs niveaux : le premier est celui de cette foule autour de l’homme de Nazareth, une foule qui attend une libération du joug romain, mais aussi du joug des chefs religieux ; le second niveau est celui des rédacteurs et des communautés qui doivent recevoir l’Évangile de Jean, dans une situation de schisme et de persécution ; le troisième est celui des lecteurs de tout temps, dont nous sommes nous-mêmes aujourd’hui. La foule qui entoura l’homme de Nazareth, est présentée, dans l’Évangile de Jean en deux groupes, ceux qui ont été témoins d’une résurrection, celle de Lazare, et ceux qui ont entendu dire que Jésus avait ressuscité un homme et qui se sont empressés de venir le voir et l’acclamer.

C’est une foule de Judéens, connaissant les rites et les lois religieuses du temple, sachant très bien que seul Dieu a le pouvoir de ressusciter les morts, et encore, seulement à la fin des temps. Parmi eux, il y a des pharisiens, heureux, sans doute de trouver la preuve de ce qu’ils croient : la résurrection existe. Car contrairement aux sadducéens, proches des prêtres, les pharisiens croient en la résurrection des morts. Parmi eux, il y a aussi des païens, des prosélytes, qui s’approchent du judaïsme sans pouvoir prétendre en faire tout à fait partie, puisqu’ils sont grecs. Toute cette foule est dans une attente messianique : elle attend un sauveur, un homme envoyé de Dieu capable de rendre à ce peuple asservi sa liberté, capable de ressusciter le royaume d’Israël. Alors, quand Jésus arrive sur un ânon, dans une position semblable à celle qui est décrite dans le prophète Zacharie, la foule qui vient en pèlerinage pour la Pâque, pour la fête de la libération, pense que, enfin, le prince de la paix est là et que les espérances de libération n’étaient pas vaines. Quant aux écrivains de l’Évangile de Jean, deux générations plus tard : ils vivent dans la diaspora d’Asie mineure, considérés comme des ennemis par les Juifs pharisiens qui, éloignés comme eux de Jérusalem et regroupés toutefois en synagogues plus orthodoxes que pouvait l’être Moïse lui-même, vont jusqu’à inventer des prières pour souhaiter la disparition de ces apostats de chrétiens, de ces nazaréens, comme ils les appellent. Je vous cite cette prière, qu’on ne dit plus aujourd’hui, bien heureusement, mais qui serait un fragment du Talmud de Babylone : Qu’il n’y ait pour les apostats aucune espérance. Déracine vite en nos jours la domination scélérate. Que les nazaréens et les hérétiques disparaissent vite et qu’ils ne soient pas inscrits avec les justes. Bénis sois-tu, Seigneur notre Dieu, toi qui broies les scélérats. Heureusement, nos rapports avec nos frères juifs sont d’une autre teneur aujourd’hui.

On peut comprendre d’ailleurs quelle abomination représentaient ces Juifs devenus chrétiens, ces nazaréens, pour des pharisiens adorant un seul Dieu ; les chrétiens n’hésitaient plus à dire que Jésus était Dieu et ils disaient de lui qu’il était la vie. Dans la foi juive, seul Dieu est Dieu et seul Dieu donne la vie. Cette entorse au monothéisme a, encore aujourd’hui de quoi poser question. Jésus est-il notre Dieu ? Jésus est-il notre frère dans la foi en Dieu ? Ce n’est pas un détail et la théologie de tout un peuple dépend de telles prises de positions. On comprend l’antagonisme qui pouvait exister entre les pharisiens et les chrétiens, même s’ils vivaient tous loin de Jérusalem. L’Évangile de Jean est donc un texte très défensif et très accusateur à l’égard de Juifs qui sont pourtant issus du même creuset que la communauté johannique, mais n’ont pas voulu suivre la Voie chrétienne. On comprend mieux pourquoi la citation de Zacharie est ainsi modifiée dans l’Évangile de Jean.

En effet, dans Zacharie au chapitre 9 il est écrit : Réjouis-toi, Sion la belle ! Mais l’Évangile de Jean cite en transformant ainsi : N’aie pas peur, fille de Sion. La fille de Sion, c’est cette communauté, sans doute majoritairement composée de Juifs convertis au christianisme. De quoi ne doivent-ils pas avoir peur tous ces convertis ? D’être des apostats aux yeux des pharisiens, d’être mêlés avec des païens, comme ces Grecs qui veulent rencontrer personnellement Jésus après son entrée triomphale à Jérusalem. D’être persécutés au nom du Christ, eux qui sont, même en diaspora, sous la domination des Romains.

L’Évangile de Jean encourage ses destinataires immédiats à tenir bon dans l’adversité. Celui qui amène la paix, est toujours là avec eux, quand bien même le ressuscité serait absent, il est leur défenseur, leur paraclet. Cet Esprit Saint dont l’Évangile de Jean parle tellement et qui tient lieu de Messie dans l’absence physique du Ressuscité. En effet, comment faire pour croire à cet homme-Dieu, qui ressuscite et ne revient pas ? Comment convaincre les autres, ceux qui, deux générations plus tard, n’ont rien vu du maître galiléen, n’ont jamais vu Jérusalem et ne connaissent du judaïsme que ce que proposent les synagogues pharisiennes ? Le temple de Jérusalem est détruit, et celui qu’on décrit entrant en gloire sous les hosanna de la foule n’a pas sauvé son peuple de la catastrophe.

Mais il a produit un signe : il a ressuscité Lazare. Et ce signe-là suffit à faire espérer la communauté tout entière. Jean donne une signification toute particulière à cette entrée dans Jérusalem. C’est bientôt la Pâque, et ce temps qui commémore la libération du peuple est plusieurs fois évoqué dans cet Évangile comme un temps hautement signifiant. C’est la Pâque qui s’accomplit. Mais cette fois, les symboles utilisés disent autre chose et renvoient à une autre fête, celle de Soukkot, celle des moissons, celle des récoltes offertes en reconnaissance à Dieu. En effet, quand les autres Évangiles montrent des gens coupant des branches sur le chemin, Jean, lui, insiste sur le fait qu’ils prennent des branches de palmier, comme dans le rituel qui est décrit dans le livre du Lévitique concernant la fête de Soukkot.

La fête des huttes rappelle au peuple juif qu’il a campé dans le désert : le premier village où le peuple a pu demeurer, c’est Soukkot. La première oasis, le premier lieu loin de la vie servile, le lieu de la joie d’être libre. Et puis les branches de palmier avaient déjà servi pour acclamer, deux siècles plus tôt, Simon Maccabée, vainqueur des Syriens, entrant en gloire dans la ville de Jérusalem. C’est donc une libération que Jésus apporte à Jérusalem quand il entre acclamé sous les branches de palmier. C’est la victoire du peuple juif qui est mise en scène ; c’est enfin la joie messianique tant attendue par la peuple.

N’a-t-il pas dit aux témoins de la résurrection de Lazare, sortant du tombeau encore entouré de bandelettes mortuaires : « déliez-le, et laissez-le aller » ? L’Évangile de Jean, s’il met en scène une époque pour s’adresser à une autre, s’adresse aussi à nous, aujourd’hui. Que nous dit cette entrée triomphale dans Jérusalem ? Nous ne connaissons pas tous cette ville, nous n’avons pas vu la résurrection de Lazare, et nous ne sommes plus persécutés aujourd’hui pour notre foi en la résurrection. Alors où sommes-nous dans cette foule qui accueille Jésus ? Sommes-nous avec les enthousiastes qui agitent des branches de palmiers ? Avec ces gens qui répètent que Jésus est ressuscité et qui le prennent pour un sur-homme, pour un héros, un demi-Dieu à adorer comme on adore une idole ? Sommes-nous avec les disciples qui craignent que Jésus ne soit lapidé comme il déjà risqué de l’être ? Avec ces disciples qui ont eu tant de mal à comprendre les risques que prenait Jésus au nom de la justice, au nom de la juste foi, au nom de la liberté ?

Sommes-nous avec les pharisiens, désabusés, qui se disent que décidément, il n’y a rien a faire, le monde entier suivra Jésus ? Avec ces gens qui voient la vie de cet homme croyant, qui voient la puissance de son espérance dans une vie meilleure pour les autres hommes, mais qui pour rien au monde n’abandonneront leur certitude d’une religion gravée dans le marbre ? Avec ceux qui ne sont pas prêts à troquer leur orthopraxie pour leur libération ?

Sommes-nous Lazare lui-même, libéré de ses bandelettes mortuaires, incité par son ami à sortir du tombeau où il se trouvait enfermé ? Parmi ces gens sauvés de la mort ? Une mort qui, pour n’être pas physique, est une mort quand même. Sommes-nous parmi ces gens relevés, remis debout par la foi d’autres qui ont joué auprès d’eux un rôle christique, qui ont été là, dans l’amitié et l’espérance, alors que le cynisme ambiant n’autorisait personne à espérer un salut ?

Notre place dans ce décor dépendra de ce que nous croyons. Car l’Évangile de Jean est l’Évangile qui cherche à donner corps au croire, et c’est cet homme qui s’avance au milieu d’une foule dont il ne pouvait connaître les intentions au départ, une foule où des adversaires se sont inévitablement glissés, c’est cet homme qui vient en pauvre, sur le petit d’une ânesse, sans arme et avec son seul courage qui dit cette foi en Dieu chère à Jean. Les rieurs diront que nous sommes à la place de l’âne, christophores ne sachant pas qu’ils portent le sauveur tant attendu. Et ce n’est peut-être pas faux. Le témoignage du salut nous a été donné ; les Évangiles nous sont parvenus, portant témoignage d’une multitude de croyants, qui ont vécu de la foi en cet évènement Christ ; nous portons ce témoignage en nous, dans notre culture, dans notre coeur, et peut-être parfois dans notre chair, quand la foi en lui nous a relevé d’une épreuve qui paraissait insurmontable. Mais sommes-nous conscients de l’attente de salut de nos contemporains ? Sommes-nous conscients qu’ils ont besoin de témoins, encore aujourd’hui, pour leur dire, comme Jésus l’a dit à son ami qui était mort : sors de ton tombeau !

Cette foule qui attend un salut, une libération n’a pas disparu. D’âge en âge, elle marche, prête à suivre ceux qui lui donneront l’espérance qui aide à vivre. Dans la maladie, dans la solitude, dans la cassure d’une rupture, dans le chagrin d’un deuil, cette foule, c’est l’humanité qui soupire après le salut. Alors, si nous ne sommes que des ânes, ignorants des fins dernières de Dieu, soyons au moins des ânes généreux et courageux avec les frères et soeurs que suscite Dieu pour nous, apportons-leur le témoignage de la foi d’un homme, qui a tellement aimé son prochain qu’il a fini par inquiéter les puissants de ce monde et qu’il est ressuscité dans l’espérance de tous ces disciples. Une telle vie est possible, et le monde en a besoin. Alors, même si nous connaissons la mort tragique du Christ, nous pouvons nous aussi dire avec cette foule qui espère : Hosanna, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !


Amen

Lecture de la Bible

Jean 12:12-19

12 Le lendemain, la grande foule qui était venue pour la fête entendit dire que Jésus venait à Jérusalem ;
13 les gens prirent des branches de palmiers et sortirent au-devant de lui, en criant : Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël.
14 Jésus trouva un ânon et s’assit dessus, selon ce qui est écrit :
15 N’aie pas peur, fille de Sion ; ton roi vient, assis sur le petit d’une ânesse.
16 Ses disciples ne comprirent pas cela tout d’abord ; mais quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent que cela était écrit à son sujet, et qu’ils avaient fait cela pour lui.
17 La foule qui était avec lui quand il avait appelé Lazare du tombeau pour le réveiller d’entre les morts lui rendait témoignage.
18 C’est pourquoi la foule vint au-devant de lui : elle avait entendu dire qu’il avait produit ce signe.
19 Les pharisiens se dirent donc les uns aux autres : Vous voyez que vous n’y pouvez rien : le monde s’en est allé à sa suite !

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